M. le président. La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne.

Mme Marie-Annick Duchêne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le développement des technologies de reproduction sur des supports analogiques, comme la copie optique ou magnétique, et l’évolution extraordinaire des moyens de reproduction numériques ont bouleversé un équilibre déjà fragile entre les titulaires des droits et les consommateurs, rendant impossible le contrôle du nombre de copies réalisées par les particuliers pour leur propre usage, et ce au détriment du revenu des auteurs et des autres ayants droit.

Le système actuel rencontre deux types de difficulté : d’une part, la loi du 3 juillet 1985, conçue à l’époque des supports analogiques et qui instaure un dispositif de rémunération forfaitaire au bénéfice des auteurs en compensation des copies d’œuvres réalisées sans autorisation préalable, ne permet plus de faire face aux effets du développement du numérique ; d’autre part, les montants en jeu étant très importants et en augmentation, il s’avère de plus en plus difficile de concilier les points de vue des ayants droit, des consommateurs et des industriels, dans un contexte de vide juridique créé par des annulations en Conseil d’État de décisions de la commission de la copie privée, lesquelles pourraient à terme menacer directement le versement de la rémunération aux ayants droit, comme l’ont d’ailleurs rappelé M. le ministre et M. le rapporteur.

La décision du Conseil d’État du 17 juin dernier va provoquer la suspension des versements de la redevance jusqu’à ce que des enquêtes d’usage aient lieu.

C’est ce dispositif de rémunération pour copie privée qu’il s’agit de préserver aujourd’hui, tout en nous mettant en conformité avec les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’État. Une intervention législative est donc impérative ; au-delà de la date butoir du 22 décembre – je rappelle que nous sommes le 19 décembre ! –, nous courons le risque d’une désorganisation de la rémunération pour copie privée, ce qui menacerait également, par ricochet, une partie du système de financement de la création.

J’ajoute que le projet de loi, s’il répond à une nécessité immédiate et ponctuelle, a également prévu des avancées sur plusieurs questions. Je pense notamment à l’exclusion du dispositif pour les pirates de fichiers et à l’information du consommateur sur l’existence du prélèvement et sa destination culturelle.

Ces mesures bienvenues, monsieur le ministre, ne doivent pas nous faire oublier la nécessité d’une réflexion plus globale sur la rémunération pour copie privée, qui devra évoluer avec son temps. Il nous appartient, en tant que législateur, de ne pas nous laisser distancer par la progression, que l’on peut qualifier de fulgurante, du numérique et de l’« info-nuage ».

En commission, vous avez comparé l’apport du présent texte à une « rustine ». Nous vous faisons donc toute confiance pour mener à bien une réforme de plus grande ampleur, qui s’annonce compliquée mais aussi particulièrement motivante.

Notre groupe approuve bien évidemment ce premier pas et salue le consensus qu’il suscite sur les diverses travées de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, texte « rustine » ou patch, projet de loi transitoire ou d’attente... Les choses sont claires : les présentes mesures répondent à une situation d’urgence.

Mes collègues du groupe de l’Union centriste et républicaine et moi-même avons entendu l’appel à soutenir ce texte, au nom du risque encouru. Nous le soutiendrons donc, puisqu’il s’agit d’encourager la création et d’aider les artistes, comme nous l’avons toujours fait, dans le respect, bien évidemment, d’équilibres qu’il convient d’atteindre lorsque les intérêts des uns viennent contredire ceux des autres. Je pense notamment à des textes comme HADOPI, la télévision du futur, la nouvelle télévision publique ou encore le prix du livre numérique.

Aujourd’hui, nous nous penchons sur le système de rémunération pour copie privée, qui s’appuie sur la loi Lang de 1985. Comme l’a déjà fort bien expliqué M. le rapporteur, la rémunération pour copie privée des ayants droit se base sur des barèmes établis par une commission ad hoc. Or, on le sait, le Conseil d’État, dans son arrêt du 17 juin 2011 Canal+ distribution et autres, a annulé les derniers barèmes établis. Ce faisant, il a en quelque sorte transposé en droit français la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, fondée sur le fameux arrêt Padawan du 21 octobre 2010.

Le Conseil d’État a reporté l’effet de sa décision pour motif d’intérêt général. Las, ce report est insuffisant pour permettre à la commission de conduire les enquêtes et d’effectuer leur traitement en vue de l’élaboration et de l’adoption de nouveaux barèmes dans le délai imparti. Dans ces conditions, la décision Canal+ distribution et autres prendra pleinement effet dans trois jours. Aujourd’hui, lundi 19 décembre, il y a donc bien urgence !

Il est tout de même permis de se demander si le présent texte n’aurait pas pu nous être soumis plus tôt. En effet, tout le monde savait que les six mois de délai accordés par le Conseil d’État seraient trop courts. Monsieur le ministre, il est difficile pour des parlementaires, ne serait-ce que pour des questions de principe, de se voir ainsi contraints, surtout lorsqu’ils se disent que le texte aurait pu être amélioré, même à la marge. Profitons donc de cette discussion générale pour clarifier certains points, car, on le sait, les débats éclairent toujours la loi.

M. le rapporteur avait notamment envisagé d’adopter à l’article 3, qui porte sur l’information de l’acquéreur d’un support d’enregistrement, une rédaction plus sobre et plus claire, ce qui aurait sans doute été préférable, la loi ne gagnant jamais à être trop bavarde. Ainsi, l’obligation faite au fabricant de fournir une « notice explicative » relative à la rémunération pour copie privée inquiète les industriels. Mais sans doute pouvons-nous d’emblée les rassurer, en précisant qu’une notice peut être une « brève indication écrite ». Les industriels n’auront donc pas forcément à éditer un fascicule, l’important étant que l’information soit diffusée et adaptée au produit.

De même, l’article 4, qui vise à établir un système de remboursement pour les professionnels, donc d’avance de trésorerie, fait grincer des dents ces derniers.

Nous n’avons pas déposé d’amendements sur le projet de loi, car nous attendons un réel débat, plus global, sur la rémunération de la création à l’ère numérique. Aussi, au-delà de ce seul texte, qui nous permet de mettre en conformité notre droit interne avec le droit communautaire, il convient, selon nous, de réfléchir aux évolutions à apporter à un système frappé d’obsolescence.

Le présent projet de loi révèle une faiblesse intrinsèque au système, à savoir le fonctionnement de la commission pour la rémunération de la copie privée, qui ne semble guère satisfaisant. Censée être le lieu de la concertation et du consensus, cette commission a « dysfonctionné » suffisamment pour que certains de ses membres aient longuement pratiqué la politique de la chaise vide et que les autres aient formé recours sur recours à l’encontre de ses décisions. L’arrêt Canal+ distribution et autres est d’ailleurs le résultat de l’un de ces recours. Il n’est pas normal que les industriels se sentent marginalisés et ne fassent le choix que de soumettre systématiquement à la justice les décisions de la commission.

Le système français de rémunération pour copie privée doit aussi tenir compte de l’intégration communautaire dans ce domaine. C’est bien sous le double effet de la législation européenne et de la jurisprudence communautaire que nous sommes aujourd’hui conduits à l’adapter de manière provisoire. Mais, demain, c’est l’évolution technologique qui pourrait tout bonnement le faire voler en éclats, si nous ne sommes pas capables d’aller plus loin.

Le système avait été imaginé pour un monde analogique, celui des radiocassettes et des magnétoscopes. Le passage au numérique le fait déjà vaciller. Pourtant, l’essentiel du bouleversement est à venir, avec le développement très rapide des usages liés aux technologies de la deuxième révolution numérique que sont l’« info nuage », ou « cloud computing », et la télévision connectée. Cela signifie que nous disposerons bientôt de techniques permettant de stocker toutes nos données, qu’il s’agisse de musiques, de films ou de livres, sur des serveurs distants hébergés, pas forcément en France, par un prestataire de services. Nous y accéderons par internet.

Comment la question de l’utilisation de nos espaces de stockage dans « les nuages », pour transférer des contenus protégés et y accéder, devra-t-elle être appréhendée non seulement juridiquement, mais aussi concrètement ?

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a lancé un groupe de travail sur le sujet. Je rejoins à ce propos les vues de M. le rapporteur : le Parlement ne doit pas être tenu à l’écart de la détermination des modalités d’adaptation de l’exception de copie privée, qui constitue une mutation de très grande ampleur.

Quoi qu’il en soit, le système ne pourra être remis à plat qu’en concertation avec l’Union européenne. En tant que membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, ainsi que de la commission des affaires européennes, permettez-moi d’être particulièrement sensible à cet aspect.

Nous savons que la Commission de Bruxelles travaille déjà à l’élaboration d’un cadre juridique commun, qui aurait été de nature à nous éviter les difficultés actuelles. Les industriels ont pointé du doigt les différences de barèmes d’un pays de l’Union à l’autre, ceux pratiqués en France figurant, semble-t-il, parmi les plus élevés d’Europe. Ne serait-il pas souhaitable, toutes choses étant égales par ailleurs, de tendre vers une harmonisation des tarifs ?

De manière encore plus générale et fondamentale, l’évolution technologique remet purement et simplement en cause la totalité du financement de la culture.

Je rappelle que l’exception de copie privée n’est pas la seule source de rémunération des ayants droit. Par définition, elle est même exceptionnelle. Or la déterritorialisation et la délinéarisation de la consommation, liées à l’évolution des technologies, n’ébranlent pas seulement la copie privée, mais tout le système des droits d’auteur. En effet, nous entrons dans un monde où le droit d’auteur, pouvant de moins en moins être perçu sur un produit physique, devrait l’être de plus en plus sur le moyen permettant de jouir de l’œuvre. Il s’agit de mettre en place non pas une licence globale – vous savez que je n’y suis pas favorable –, mais un nouveau cadre pour la vente individuelle des œuvres.

Je le répète : c’est au moins à l’échelon européen que la partie va se jouer, car c’est toute la question de la coordination et de l’harmonisation fiscale qui se trouve posée. Il n’est pas normal en effet que les géants de l’ère numérique, principalement américains, alors qu’ils ne vivent que grâce à ce qu’ils qualifient de « contenus » – banalisant ainsi l’idée même d’œuvre, donc l’acte de création et la notion d’auteur –, ne participent pas du tout au financement desdits « contenus ».

Ce sujet a déjà été maintes fois évoqué dans notre hémicycle, mais il doit continuer de nous mobiliser, comme il doit mobiliser l’ensemble des acteurs de la nouvelle chaîne de valeur, devenue mouvante à l’heure d’internet et de la numérisation, à savoir les acteurs traditionnels ainsi que les nouveaux entrants et les nouveaux bénéficiaires. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la rémunération pour copie privée a été instaurée en France par la loi du 3 juillet 1985. Exception au droit d’auteur, elle autorise la reproduction d’une œuvre protégée aux fins d’usage privé et prévoit une compensation financière au bénéfice des titulaires du droit d’auteur.

Ce mécanisme compense le manque à gagner résultant du développement des moyens de reproduction. Il prend la forme de redevances applicables aux supports vierges, aujourd’hui toujours plus variés : les CD et les DVD, les appareils MP3, les clés USB et autres disques durs externes. Sont assujettis à ces redevances les fabricants ou importateurs de supports d’enregistrement.

En 2001, la directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, en définissant la notion de « compensation équitable » des ayants droit, a confirmé l’exception pour copie privée qui existe dans le droit français.

L’importance de la redevance pour copie privée, qui a rapporté 189 millions d’euros en 2010, n’est pas négligeable : 25 % des sommes collectées sont consacrées à des actions d’aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes, 75 % étant affectées aux ayants droit.

Le projet de loi ne bouleverse pas fondamentalement le principe de la rémunération pour copie privée ; il l’aménage, dans un contexte juridique dont M. le ministre et les orateurs précédents ont rappelé qu’il est difficile, pour le mettre en accord avec la directive européenne de 2001. Il tire surtout les conséquences de l’interprétation qu’a donnée de cette directive la Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt Padawan du 21 octobre 2010. Ainsi, la CJUE a jugé que le fait d’assujettir les équipements, appareils et supports de reproduction numériques réservés à des usages autres que privés n’était pas conforme à la directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

Or, en 2008, la décision n° 11 de la commission de la copie privée, dite Copie France, a fixé les barèmes de rémunération des supports et a soumis à la rémunération pour copie privée des supports hybrides, susceptibles d’être utilisés à des fins personnelles comme à des fins professionnelles.

En se fondant sur l’arrêt Padawan, le Conseil d’État a annulé l’intégralité de cette décision et des barèmes qu’elle prévoyait, donnant à la commission de la copie privée un délai de six mois pour tenir compte des motifs de cette annulation et jugeant que celle-ci ne devait pas avoir d’effet rétroactif sous réserve des instances en cours.

En l’absence de nouveaux barèmes, les actions destinées à contester les paiements effectués sur le fondement de la décision n° 11 pourraient permettre à ceux qui les ont intentées d’obtenir le remboursement de la totalité des sommes versées, y compris celles qui correspondent à des usages à des fins de copie privée, ce qui représente environ 60 millions d’euros.

Ainsi, le projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée est avant tout dicté par la situation d’urgence que l’arrêt du Conseil d’État a provoquée – d’ailleurs, comme mes collègues l’ont souligné, son examen aurait pu être anticipé de quelques semaines… Il vise donc à remédier au risque d’interruption de la rémunération pour copie privée en créant des dispositions transitoires destinées à éviter l’impasse dans laquelle le système risque de se trouver à compter du 22 décembre, lorsque prendra effet la décision d’annulation des barèmes prononcée par le Conseil d’État.

Il s’agit de proroger, jusqu’à l’entrée en vigueur de nouveaux barèmes, ceux que prévoyaient la décision n° 11 de la commission pour la copie privée. De plus, pour des motifs d’intérêt général, le projet de loi procède à une validation législative des paiements intervenus antérieurement pour des supports destinés à un usage de copie privée. De cette façon, le financement des droits d’auteurs et de la création par le produit de la redevance ne sera pas remis en cause par les redevables de celle-ci, à la faveur d’un effet d’aubaine momentané.

Le projet de loi met également un terme à la prise en compte des usages professionnels dans la rémunération pour copie privée via des conventions d’exonération avec Copie France ou, à défaut, des demandes de remboursement conditionnées.

Il prévoit enfin plusieurs dispositions annexes : non-assujettissement des copies réalisées à partir de sources illicites, obligation de fonder l’établissement des barèmes de rémunération sur des études d’usage et renforcement des obligations d’information de l’acquéreur sur la rémunération pour copie privée.

Nous ne sommes pas opposés à ce projet de loi, dont le principal objet est d’assurer le maintien de la rémunération pour copie privée dans une période de transition consécutive à l’annulation des barèmes de rémunération par le Conseil d’État. S’il n’était pas adopté, le vide juridique qui résulterait de cette annulation serait propice à la remise en cause de la taxe frappant les usages professionnels comme privés, donc aussi à celle de la rémunération des auteurs que la redevance vise à assurer.

Parce qu’il ne faut pas affaiblir le principe de la rémunération pour copie privée, mais au contraire le renforcer, nous voterons le projet de loi. Le faire est d’autant plus important que les fabricants de supports taxés n’ont de cesse de remettre en cause le fondement même de cette taxe. Par exemple, le tribunal de Nanterre, dans un jugement du 5 décembre 2011, a condamné Copie France à payer 1 million d’euros à Rue du Commerce au motif que le manque d’harmonisation européenne a permis l’apparition d’un marché parallèle de cybercommerçants étrangers ne s’acquittant pas de la rémunération pour copie privée.

Si donc le projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée est nécessaire, il n’est pas suffisant : il procède d’une vision de court terme qui nie toute évolution technologique et ne repense pas un système de rémunération qui, parfaitement adapté aux modes d’élaboration et de diffusion de la création dans les années 1980 et 1990, est incapable de répondre à l’actuelle dématérialisation des contenus.

Nous nous accordons sur la nécessité de maintenir une compensation des droits des auteurs par la collecte d’une redevance dans le cadre de la reproduction privée et de rechercher une harmonisation européenne sur ce sujet. Mais force est de constater que, en reconduisant le système inchangé, le Gouvernement se contente de soustraire une partie des usages de reproduction des copies privées et maintient un dispositif législatif de fait partiellement obsolète. En effet, le cloud computing, qui met à disposition des données sur des serveurs, prive la rémunération pour copie privée de son assiette, les fichiers copiés n’étant plus stockés sur des supports physiques, seuls à être aujourd’hui taxés. La notion d’usage à des fins privées est ainsi rendue inopérante, puisque les contenus sont accessibles à tous et partout.

Je le répète, nous voterons le projet de loi, car, sans lui, la rémunération pour copie privée serait considérablement affaiblie. Nous restons cependant persuadés que, en raison de l’incapacité du Gouvernement à saisir l’ampleur des modifications de l’environnement culturel à l’heure numérique, il n’est qu’un simple pansement, une rustine – on peut utiliser une série de synonymes collants –, qui retarde seulement l’effondrement d’un système devenu anachronique. Peut-être que, avec plus de temps, les parlementaires auraient pu apporter à ces problèmes des réponses plus ambitieuses que celles prévues par le projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi correspond à une nécessité. Le versement de la rémunération pour copie privée dépend de son adoption ; la rémunération des ayants droit en dépend ; de nombreuses actions culturelles en dépendent. Il était donc urgent que la Haute Assemblée lui apporte son soutien.

En 2010, la rémunération pour copie privée s’est élevée à 189 millions d’euros hors taxes.

La décision du 17 décembre 2008 de la commission de la copie privée, qui établissait le barème de la rémunération pour une dizaine de supports, a été annulée par le Conseil d’État le 17 juin 2011. À compter du 22 décembre prochain, c’est-à-dire dans trois jours à peine, les rémunérations reposant sur la décision annulée ne pourront plus être prélevées.

En ce qui concerne les instances en cours, les requérants pourront se prévaloir devant le juge de l’annulation de la décision de la commission.

Si le projet de loi n’était pas adopté, il en résulterait une multiplication des contentieux et une perte de recettes pour les ayants droit et les actions culturelles ; l’étude d’impact évalue ce manque à gagner à 58 millions d’euros !

Vous le savez, une décision annulée par le Conseil d’État est réputée n’être jamais intervenue. Les décisions applicables, dès lors, sont celles que la commission de la copie privée a prises auparavant ; mais celles-ci, adoptées entre 2002 et 2005, établissent des barèmes aujourd’hui obsolètes.

La nécessité d’adopter définitivement une loi susceptible d’être promulguée pour le 22 décembre est démontrée par le fait que le Conseil d’État a décidé de moduler les effets de son annulation afin d’éviter des « conséquences manifestement excessives » ; elle est démontrée aussi par le délai de six mois qu’il a accordé à la commission de la copie privée afin qu’elle établisse de nouveaux barèmes. Mais, monsieur le ministre, le projet de loi arrive un peu tard…

Les barèmes annulés s’appliquent aussi à des copies destinées à un usage privé. En adoptant le projet de loi, nous pourrons éviter que des personnes normalement assujetties se prévalent, de manière illégitime, de l’annulation des barèmes pour obtenir le remboursement de la rémunération qu’elles ont versée. Tel est le principal enjeu juridique de ce débat.

Par ailleurs, le projet de loi pose les fondements d’une plus grande conformité du droit national au droit de l’Union européenne et à la jurisprudence.

L’exclusion des supports destinés à un usage professionnel est attendue depuis longtemps. En effet, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, un lien doit exister entre l’application de la rémunération pour copie privée et l’usage présumé à des fins de reproduction privée. Les supports destinés à un usage professionnel ne doivent pas être soumis à la rémunération pour copie privée, car celle-ci, comme son nom l’indique, est réservée aux usages privés. Est-il normal que, depuis 1985, la rémunération pour copie privée ait été appliquée aux professionnels ?

L’exclusion des sources illicites est, elle aussi, conforme à la jurisprudence du Conseil d’État, telle qu’il l’a définie dans sa décision Simavelec du 11 juillet 2008. La rémunération pour copie privée ne peut bien évidemment pas servir à réparer le préjudice résultant, pour les ayants droit, du piratage et des copies illégales ; ce n’est pas son objet.

Cette raison a conduit à écarter l’amendement par lequel notre rapporteur proposait de supprimer la distinction entre les sources licites et illicites. Il lui avait été inspiré par la crainte que le consommateur ne puisse pas être en mesure de trancher sur la licéité de la source : en d’autres termes, par le fait que la charge de la preuve puisse être inversée. II faudra, mes chers collègues, nous pencher sur ce problème très important lors de la remise à plat du système.

Rendre obligatoire le recours à des enquêtes d’usage procède aussi de la volonté de se conformer à la directive européenne du 22 mai 2001. La fixation du niveau de la rémunération doit bien évidemment dépendre de l’utilisation qui est faite du support d’enregistrement : on ne peut prélever davantage sur un support dont les études d’usage établissent qu’il est rarement utilisé pour réaliser des copies.

Dans sa décision du 17 juin 2011, le Conseil d’État a rappelé que la rémunération « doit être fixée à un niveau permettant de produire un revenu, […], globalement analogue à celui que procurerait la somme des paiements d’un droit par chaque auteur d’une copie privée s’il était possible de l’établir et de le percevoir ; ».

Quelques mesures permettront aussi d’améliorer la transparence d’un système en réalité bien opaque. C’est ainsi qu’une note, éventuellement dématérialisée, sera communiquée au consommateur lors de la vente pour lui expliquer le fonctionnement de la rémunération pour copie privée, notamment son montant et l’utilisation qui en est faite.

L’information des commissions permanentes compétentes des deux assemblées par la communication du rapport produit par les sociétés de perception constitue également une bonne initiative.

Cependant, n’oublions pas que le projet de loi, comme cela a été répété, constitue seulement un pansement sur un dispositif inadapté ; c’est ce dernier, dans son ensemble, qu’il convient de revoir !

La réforme globale qui s’impose du régime de la rémunération pour copie privée nécessite une réflexion approfondie ; celle-ci a déjà commencé au sein du groupe de travail mis en place par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.

Il faudra revoir le fonctionnement de la commission pour la copie privée ainsi que les modalités de la rémunération.

À propos du fonctionnement de la commission pour la copie privée, les contestations qui existent sont justifiées. Des dysfonctionnements sont constatés, qui ne sont pas récents. Est-il normal que les décisions de cette commission fassent l’objet de contestations devant les tribunaux et que les cinq dernières aient été annulées ?

D’autres contestations ont émergé, partout en Europe, sur le fait que la rémunération pour copie privée repose sur une simple présomption d’usage privé. En effet, on ne peut ni identifier les utilisateurs privés ni surveiller ce que ces derniers font des supports achetés. Or la rémunération doit avoir un lien avec l’usage qui en est fait.

Il faudra aussi réfléchir à une modification de l’assiette de la rémunération pour copie privée, car les habitudes des utilisateurs changent. Avec le développement du cloud computing – M. Legendre préfère parler de « nuage informatique » (Sourires.) –, comment appliquer une rémunération pour copie privée à un serveur distant, situé physiquement à l’étranger ?

L’harmonisation sur le plan européen est nécessaire, notamment pour éviter le recours au « marché gris » et les distorsions de concurrence qui en résultent, qui font, là encore, l’objet de contestations. Les fabricants et importateurs français subissent un taux de rémunération pour copie privée trop élevé par rapport à leurs voisins, ce que confirme le rapport de la commission de la culture – j’en profite au passage pour remercier M. le rapporteur pour son travail sur ce sujet quelque peu indigeste.

En attendant, il nous faut un régime transitoire, aussi imparfait soit-il. Le Gouvernement s’est engagé sur une réforme globale du régime de la rémunération pour copie privée, et nous voulons vous faire confiance, monsieur le ministre.

Compte tenu de cette considération ainsi que des délais qui nous sont impartis pour examiner ce texte, les membres du RDSE apporteront leur soutien à l’adoption du présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)