Mme Catherine Procaccia, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme elle l’avait fait lors de l’examen des précédents textes de simplification du droit, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis de la quarantaine d’articles de la présente proposition de loi qui entrent dans son champ de compétences.

Ces articles abordent des questions variées, qui relèvent essentiellement du domaine du droit du travail et du droit de la sécurité sociale.

Je remercie la commission des lois, et en particulier son rapporteur, Jean-Pierre Michel, d’avoir fait confiance à notre commission et à son rapporteur pour avis pour étudier ces différentes dispositions.

Je remercie également la présidente Annie David et mes collègues de la majorité sénatoriale de m’avoir désignée comme rapporteur pour avis. Je ne veux croire que l’absence de la plupart d’entre eux cet après-midi soit la traduction d’un certain malaise.

Même si ce texte peut paraître un peu rébarbatif au premier abord, il n’en demeure pas moins important, à l’image des articles dont nous nous sommes saisis. Son examen était donc une première preuve d’ouverture vers l’opposition au sein de notre commission.

Mais l’étude des dispositions de cette proposition de loi et des amendements que je proposais de déposer ne nous aura, à vrai dire, pas occupés très longtemps : la commission des affaires sociales a en effet décidé de rejeter, pour des raisons de principe, l’ensemble des articles qui lui étaient soumis, sans entrer dans le détail de chacune des mesures proposées et sans même attendre que la commission des lois vote la question préalable.

Fidèle rapporteur, je tiens à rappeler les raisons qui ont motivé le rejet de ce texte par la majorité sénatoriale.

Celle-ci a fait valoir que l’ensemble du texte contenait des mesures extrêmement diverses, voire hétéroclites, ce qui rendait difficile le travail parlementaire. Les précédents rapporteurs ayant déjà explicité ces reproches, je ne ferai que citer certains propos qui ont été tenus à cet égard : « On nous demande d’approuver à la va-vite, en passant sans cesse d’un sujet à l’autre, des dispositions sur lesquelles nous manquons de recul et de vision d’ensemble ; si certaines mesures sont anodines, d’autres mettent en cause les droits des salariés ou la protection de la santé et nécessiteraient donc un examen plus approfondi afin d’en apprécier exactement la portée ». Enfin, la commission a regretté la précipitation avec laquelle ce texte a été soumis au Sénat, qui n’a pas disposé d’un délai suffisant pour effectuer un travail approfondi.

En qualité de rapporteur pour avis, je me devais de vous faire part de la position de la commission, que vous me permettrez de compléter par quelques observations plus personnelles.

Je comprends, certes, les critiques exprimées par la majorité sénatoriale à l’encontre de ce texte : faute de ligne directrice, cette proposition de loi ressemble à un inventaire à la Prévert, et cela complique le travail des parlementaires.

Pour autant, il me semble que les conditions étaient réunies pour procéder à un examen sérieux et approfondi de ce texte puisque, en plus de la commission des lois, pas moins de quatre commissions ont été saisies pour avis.

La répartition des tâches judicieusement organisée par la commission des lois devait permettre au Sénat d’être parfaitement éclairé sur tous les enjeux de ce texte, qui comporte de nombreuses mesures techniques difficiles à appréhender par ceux qui ne sont pas des spécialistes ; mais dans chacune des commissions, il y a des spécialistes. Chaque commission aurait pu mettre à profit son expertise pour apporter à la proposition de loi les améliorations souhaitables.

Ayant une certaine expérience en tant que rapporteur de plusieurs textes – certains m’ont été confiés à la veille des vacances de Noël, d’autres avant l’été – dont l’importance n’est pas négligeable– service minimum dans les transports, fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC, recodification du code du travail par exemple – j’estime que les délais dont nous avons disposé pour travailler n’avaient rien de particulièrement contraignant par rapport à d’autres que j’ai connus.

Le texte a été adopté à l’Assemblée nationale au mois d’octobre 2011, pour un passage en commission au Sénat au mois de décembre et un examen en séance publique en janvier. Le rapporteur de la commission des lois, cela a été rappelé, a accompli un travail très approfondi et procédé à de nombreuses auditions.

Pour ma part, bien que j’aie été désignée au début du mois de décembre, j’ai eu tout le loisir d’organiser des auditions complémentaires, auxquelles j’ai d’ailleurs convié mes collègues. Plusieurs administrateurs de la commission, chacun dans son domaine de spécialité, sont intervenus pour m’aider.

Sur le fond, il ne me semble pas que le texte contienne – tout au moins en matière sociale – des mesures scandaleuses qui justifieraient un rejet en bloc. La plupart des dispositions qui y figurent visent à répondre de manière pragmatique à des problèmes concrets, qui présentent pour certains un caractère d’urgence.

Je regrette sincèrement que le Sénat refuse de se pencher – du fait de l’adoption probable de la motion tendant à opposer la question préalable – sur la mesure relative au temps de travail des titulaires d’un contrat d’engagement éducatif qui doit être signé par tous les animateurs de colonies de vacances. Si la situation juridique n’est pas rapidement clarifiée, l’organisation des prochaines colonies de vacances, au mois de février, et encore plus cet été, sera compromise ; tous les intervenants du secteur nous l’ont dit.

Un amendement, sans doute perfectible, a été adopté à l’Assemblée nationale, après une large concertation, et je regrette que nous n’ayons même pas pu en débattre en commission. Nous sommes les représentants des collectivités locales et chacun de vous, maires ou présidents de conseils généraux, devra assumer le surcoût consécutif à cette situation et les conséquences de la suppression de ces activités de loisirs, indispensables aux jeunes pour les vacances qui viennent.

Toujours sur le fond, j’ai du mal à comprendre comment la commission a pu refuser de se pencher sur un article relatif à « la rupture du contrat de travail en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle ». Tous les syndicats que j’ai consultés – et ils m’ont presque tous répondu – ont plébiscité cet article qui devait permettre d’éviter que des salariés soient privés de ressources pendant plusieurs mois. La proposition de loi permettait à l’assurance chômage de les indemniser plus rapidement. Pour ma part, j’ai du mal à assumer un tel rejet qui, comme c’est le cas du défaut de décision pour les colonies de vacances, concerne les plus faibles.

D’autres articles qui renforcent les droits des salariés auraient également pu faire l’objet d’un large consensus dans notre assemblée.

Ainsi, il était proposé de supprimer la condition d’ancienneté à laquelle est subordonnée l’ouverture du droit à congés payés, ce qui devrait bénéficier aux salariés précaires, aux intérimaires, aux CDD de courte durée.

Il était également proposé de simplifier les conditions auxquels est soumis le paiement des jours fériés chômés dans l’entreprise.

Enfin, il était envisagé de rendre obligatoire la tenue, sans délai, d’une négociation lorsque le salaire minimum conventionnel est inférieur au SMIC.

Toutes ces mesures étaient demandées par les syndicats et me paraissent aller dans le bon sens.

Je considère que le Sénat aurait donc pu sans difficulté approuver au moins ces mesures, qui sont de nature sociale ou qui concernent le droit du travail, tout en en refusant d’autres, et ainsi renoncer à bloquer un système pendant des mois, si ce n’est une année.

En ce qui concerne les entreprises, le texte contenait également des dispositions tout à fait bienvenues, qui visent par exemple à alléger leurs obligations administratives en mettant en place une déclaration sociale nominative unique, à réduire le nombre de lignes sur le bulletin de paie ou encore à développer le recours au rescrit social. Alors que nous déplorons tous l’excès de complexité administrative qui caractérise notre pays, il est dommage de ne pas se saisir de ce sujet lorsque l’occasion nous en est donnée.

Enfin, je ne peux que déplorer que la commission ait renoncé, par sa décision de rejeter les articles en bloc, à la faculté d’enrichir le texte en adoptant des mesures additionnelles.

J’ai pu constater, au cours des auditions auxquelles j’ai procédé, que certaines associations ou organisations représentatives comptaient sur l’examen du texte au Sénat pour faire adopter des mesures techniques, très attendues par les acteurs concernés.

Je pense par exemple à la demande formulée par l’Union nationale pour l’habitat des jeunes. Elle attend depuis des mois qu’une réponse soit apportée aux problèmes qui se posent en matière d’agrément des foyers de jeunes travailleurs. On voit mal dans quel autre texte ce sujet pourrait être abordé, si ce n’est dans cette proposition de loi de simplification du droit, véhicule idéal pour résoudre ces problèmes juridiques ponctuels qui empoisonnent la vie de nos concitoyens. En attendant, des projets de logements des jeunes travailleurs sont bloqués et ne sortiront pas de terre alors que leur financement était assuré. Pourtant, chers collègues de la majorité sénatoriale, je vous sais soucieux des questions de logement.

Enfin, j’aurais proposé à la commission des affaires sociales de prendre une initiative sur la question de la transparence des comptes des comités d’entreprise.

C’est un sujet que je porte depuis plus d’un an, avant même le dépôt du rapport de la Cour des comptes, plus précisément après avoir rencontré, il y a quinze mois, des membres de la société SeaFrance. Depuis quelques jours, les insuffisances de nos procédures légales de contrôle sont devenues publiques.

Je suis heureuse que, à la suite de mes interventions, le ministère du travail ait proposé aux partenaires sociaux d’avancer sur ce dossier et que ceux-ci aient accepté. Les syndicats, qui sont tous soumis à des règles de transparence et de publication, auraient ainsi trouvé une base législative qui leur aurait permis d’aller plus vite.

Le Gouvernement a d’ailleurs déjà engagé la concertation avec eux, et nous aurions pu, nous sénateurs, apporter notre pierre à l’édifice en fixant dans la loi quelques grands principes.

Bref, la décision prise par notre commission présente l’inconvénient de nous priver de toute capacité d’initiative et risque de vider le bicamérisme de son contenu en laissant l’Assemblée nationale totalement libre d’élaborer le texte de son choix.

J’aurais par exemple proposé de rejeter certaines dispositions adoptées par les députés, comme celle qui est relative à l’actualisation du document unique d’évaluation dans les TPE.

Je suis persuadée que l’Assemblée nationale n’aurait pas pu s’opposer à toutes les mesures adoptées sur notre initiative et qu’un certain nombre de nos propositions auraient donc figuré dans le texte définitif.

En conclusion, je tiens à souligner que la démarche de simplification du droit et d’allégement des formalités administratives n’est pas une démarche partisane : depuis une quinzaine d’années, tous les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, se sont attelés à cette tâche. La position adoptée par la commission des affaires sociales ne traduit évidemment pas un rejet de la politique de simplification du droit en tant que telle – nous sommes tous favorables à ce que les règles de droit soient plus stables, plus claires et plus accessibles pour nos concitoyens –, elle résulte d’un désaccord sur la méthode retenue.

Je forme le vœu, en ce début d’année 2012, que nous puissions rapidement surmonter ce désaccord sur la méthode, afin de reprendre ensemble le travail d’amélioration de la qualité du droit qui est dans l’intérêt bien compris de notre pays.

Le texte n’étant pas encore rejeté et espérant, mes chers collègues, vous avoir convaincus au moins sur la partie qui relevait de la compétence de ma commission, j’ai déposé, à titre personnel, les amendements qui me paraissaient les plus importants et que j’aurais souhaité proposer à la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, rapporteur pour avis.

M. Claude Domeizel, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des lois a confié, par délégation, à la commission de la culture le soin d’examiner au fond plusieurs articles de la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives.

Les dispositions concernées relèvent en effet de nos domaines traditionnels de compétence, tels que le droit de la presse ou l’architecture. D’autres sujets, comme l’affichage publicitaire extérieur ou l’usage de la langue anglaise dans les manuels aéronautiques, méritaient que notre commission se saisisse pour avis.

Le 21 décembre 2011, la commission de la culture s’est ralliée à la position de la commission des lois en donnant un avis favorable à l’adoption par le Sénat de la motion tendant à opposer la question préalable à l’ensemble de ce texte. En effet, la commission de la culture a décidé de s’associer à cette démarche pour des raisons principalement de deux ordres.

En premier lieu, la procédure accélérée ayant été déclenchée par le Gouvernement, des délais raccourcis imposés m’ont empêché, en tant que rapporteur, d’entendre convenablement l’ensemble des personnes concernées par les dispositions sur lesquelles la commission de la culture devait se prononcer. Il aurait été utile de disposer de plus de temps afin de pouvoir conduire une consultation plus approfondie de l’ensemble des organisations professionnelles concernées.

En second lieu, plusieurs dispositions de la proposition de loi s’éloignent très sensiblement de la pure œuvre de simplification de notre cadre législatif à droit constant et tendent à faire de ce texte un véhicule d’origine parlementaire déguisé permettant au Gouvernement de faire passer des mesures préjudiciables aux équilibres de certains secteurs d’activité et de remettre en cause des engagements passés.

C’est en particulier le cas de l’article 82 insérant une nouvelle disposition dans la loi de 1977 sur l’architecture. L’objectif est d’encadrer une pratique qui consiste, pour le maître d’ouvrage, à n’avoir qu’un interlocuteur pour la maîtrise d’œuvre, l’architecte se voyant confier une mission de coordination des autres prestataires.

Cette pratique, déjà courante dans le domaine de la construction, n’est pas assez définie dans le cadre de la conception. Pour ce qui concerne la maîtrise d’ouvrage publique, l’article 51 du code des marchés publics définit déjà le cadre d’une telle mission de coordination, mais ne précise pas qu’elle constitue une fonction distincte méritant donc une rémunération.

En outre, le code n’impose pas que soit précisée la répartition des responsabilités de chacun des prestataires membres du groupement momentané d’entreprises ainsi constitué.

Pour ce qui concerne la maîtrise d’ouvrage privée, aucune base juridique n’encadre cette procédure. L’article 82, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, soulève plusieurs difficultés. La principale est liée au choix d’insérer cette disposition dans la loi de 1977 sur l’architecture, dont l’article 3 rappelle le monopole de l’architecte en matière de conception architecturale. Compte tenu de la portée de cet article, toute insertion d’une définition de la mission de coordination doit nécessairement concerner exclusivement l’architecte, sous peine d’introduire une brèche dans la définition de son rôle dans la conception architecturale.

Mais, a contrario, ne définir le groupement momentané d’entreprises que pour l’architecte ne manquerait pas de mettre les autres professions susceptibles de jouer ce rôle de coordination dans une situation difficile. En effet, si bien souvent l’architecte se voit confier cette mission de coordination, il arrive que d’autres prestataires soient plus compétents pour coordonner les entreprises de la maîtrise d’œuvre. C’est vrai dans des projets très techniques ou industriels, tels que des constructions de ponts, de tramways ou d’usines de retraitement des déchets. Les représentants des professions de l’ingénierie estiment que 10 % des projets sont ainsi coordonnés par des entreprises autres que les architectes.

Aussi, pour ces professions, se limiter à une définition du cadre des groupements momentanés d’entreprises dont le mandataire est un architecte reviendrait à remettre en cause leur rôle et leur capacité à assumer la coordination de la maîtrise d’œuvre. C’est pourquoi, en plus de difficultés rédactionnelles, l’article 82 de la proposition de loi est davantage une source de complication du droit et mérite d’être rejeté.

Par ailleurs, l’article 55 nous paraît également source de préjudices pour la protection de l’environnement. Les alinéas 15 à 18 en particulier ne répondent pas à un objectif de simplification du droit. Ces dispositions concernant l’affichage publicitaire remettent en cause les engagements du Grenelle 2 de l’environnement, puisqu’ils allongent le délai de mise en conformité des dispositifs publicitaires de deux à six ans. Cette disposition, introduite sur l’initiative de l’Assemblée nationale, revient sur un délai que le Sénat n’avait pas jugé nécessaire de modifier, compte tenu de toutes les dispositions adoptées dans le cadre du Grenelle 2 prévoyant des délais particuliers, comme celui de cinq ans pour les pré-enseignes dérogatoires.

Je vous rappelle enfin que le chapitre relatif à l’affichage publicitaire extérieur avait été adopté à l’unanimité par le Sénat. Les alinéas 15 à 18 reviennent sur l’équilibre du texte et risquent d’entraîner des situations qui seront impossibles à gérer pour les maires dont la durée de mandat, qui est de six ans, ne permettra pas de prendre correctement les mesures de mise en conformité de l’affichage publicitaire dont ils auraient eu l’initiative.

S’agissant de l’article 72 ter de la proposition de loi, la commission de la culture souligne les sérieuses difficultés qu’il pose en matière de respect de la langue française dans le domaine de la sécurité aérienne. En effet, il vise à autoriser les compagnies aériennes à remettre à leurs salariés des documents de travail liés à la maintenance, à la certification et à l’utilisation d’un aéronef en langue anglaise.

Or le passage au « tout anglais » est particulièrement préjudiciable à la sécurité aérienne. Il ne semble donc pas opportun de modifier la législation déjà en vigueur. La commission de la culture estime au contraire qu’il faut maintenir l’obligation, pour les compagnies aériennes, de traduire en français au profit des salariés les documents nécessaires pour l’exécution de leur travail, les exceptions à cette obligation devant continuer d’être limitées aux « documents reçus de l’étranger ou destinés à des étrangers ».

Pour toutes les raisons que je viens de développer, la commission de la culture s’est prononcée pour le rejet des dispositions qui la concernent. En conséquence, elle est favorable à l’adoption par le Sénat de la motion tendant à opposer la question préalable à l’ensemble de ce texte qui sera défendue par notre collègue Jean-Pierre Michel. Afin de ne pas préjuger du devenir en séance de cette motion – on ne sait jamais… –, notre commission a adopté, à l’unanimité de ses membres, trois amendements de suppression des dispositions dont elle s’est saisie aux articles 55, 72 ter et 82. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission de l’économie s’est saisie pour avis de la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives. Celle-ci constitue le sixième texte législatif de simplification du droit examiné par le Parlement depuis 2003 et la quatrième proposition de loi déposée sur le sujet depuis 2007 par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Jean-Luc Warsmann.

La commission des lois a délégué au fond à notre commission 32 articles sur les 153 que compte ce texte à l’issue du vote en première lecture de l’Assemblée nationale. En outre, nous avons décidé de nous saisir pour avis de 4 articles supplémentaires. Ce sont donc en tout 36 articles que nous nous sommes répartis avec mon collègue co-rapporteur, M. Hervé Maurey. Celui-ci a traité 16 articles relatifs à l’agriculture et aux procédures environnementales. J’ai examiné les 20 articles restants, qui concernent l’urbanisme, l’artisanat et le commerce, les services postaux, le crédit d’impôt recherche, les géomètres-experts, les transports, le tourisme, le logement et les délais de paiement inter-entreprises.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et les ratons laveurs ? (Sourires.)

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. Cette simple énumération nous montre bien l’une des faiblesses des lois de simplification du droit, qui est leur caractère totalement disparate.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il y a trop de dispositions !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. J’irai droit au fait. La commission des lois nous présente une motion tendant à opposer la question préalable à ce texte qui a été adoptée sur l’initiative de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe CRC, et de M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE. Pour ma part, j’ai proposé à mes collègues de la commission de l’économie d’approuver le vote de cette motion par le Sénat, principalement pour quatre raisons.

Avant toute chose, je souhaite remercier toutes les personnes, groupes et administrations que nous avons auditionnés durant ces dernières semaines. Je tiens à leur réaffirmer que leur avis comme leurs propositions sont précieux pour nous, indépendamment des décisions que nous serons amenés à prendre aujourd’hui. En effet, nous aurons certainement différentes occasions de traduire quelques-unes de ces propositions dans des cadres législatifs beaucoup plus pertinents.

Pour autant, et c’est là mon premier point, nous ne pouvons plus accepter de discuter de propositions de lois de simplification du droit qui se présentent comme de vastes « fourre-tout ». Notre collègue Hervé Maurey, dans le rapport pour avis qu’il avait rédigé sur la précédente proposition de loi de simplification, avait déjà exprimé sa préférence pour des lois de simplification sectorielles, et je l’approuve.

Certes, par rapport aux textes précédents, la présente proposition de loi est supposée avoir un champ plus circonscrit, puisqu’elle se limite à des dispositions bénéficiant aux acteurs économiques. Toutefois, sous le couvert de cette thématique générale, ce texte apparaît, tout autant que les précédents, comme un « patchwork » au domaine indéterminé. J’en veux pour preuve l’intitulé choisi pour le dernier chapitre du titre II : « Diverses dispositions d’ordre ponctuel », ce qui ne veut strictement rien dire.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. Nous sommes en présence du fameux « projet de loi portant diverses dispositions d’ordre divers » que tout Gouvernement a rêvé, un jour ou l’autre, de présenter au Parlement ! Mais je dois regretter qu’une proposition de loi d’initiative parlementaire soit elle-même porteuse d’une telle dérive.

Deuxièmement, nous assistons à un emballement du processus de simplification. Le présent texte a été déposé par M. Jean-Luc Warsmann le 28 juillet 2011, c’est-à-dire moins de trois mois après la promulgation de sa précédente proposition de loi de simplification, le 17 mai 2011, et alors qu’aucune des 46 mesures d’application attendues pour celle-ci n’est encore parue à ce jour.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. Si ce rythme devait être soutenu à l’avenir, on aboutirait à une situation dans laquelle le Parlement serait saisi de manière quasi permanente d’un texte de simplification du droit, qui deviendrait le réceptacle naturel de toutes les dispositions législatives isolées ne trouvant pas à s’insérer dans d’autres supports législatifs.

Bref, loin de lutter contre le phénomène d’inflation législative, les lois de simplification, par leur caractère « attrape-tout » et leur succession rapprochée, contribuent à l’alimenter.

Troisièmement, il nous faut regretter la confidentialité de l’avis que le Conseil d’État a rendu sur cette proposition de loi, à la demande du président de l’Assemblée nationale, en application du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution. En effet, l’article 4 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui précise les conditions de mise en œuvre de l’article 39, prévoit seulement que « l’avis du Conseil d’État est adressé au président de l’assemblée qui l’a saisi, qui le communique à l’auteur de la proposition ».

De ce fait, nous n’avons pas pu avoir connaissance de cet avis et devons nous contenter des extraits que le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale a jugé opportun de citer occasionnellement. Je déplore le manque de transparence, sur ce point, des relations entre les deux chambres du Parlement et estime que l’article 4 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958 devrait être modifié pour assurer une publicité plus large des avis du Conseil d’État sur les propositions de lois.

Quatrièmement, mes chers collègues, je voudrais vous montrer que ce texte « fourre-tout » abrite des dispositions tantôt parfaitement anodines, comme celles des articles 68 quater ou 87 bis, qui corrigent des erreurs de référence ou assurent des coordinations entre codes législatifs, tantôt, au contraire, lourdes de conséquences et allant bien au-delà de la seule simplification du droit. Ainsi, trois articles soumis à l’examen de notre commission pour avis apparaissent particulièrement contestables.

L’article 10 vise à exonérer les filiales ou les sociétés contrôlées de l’obligation de publier des informations relatives à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises si ces informations sont publiées par la société mère ou la société qui les contrôle. Or ce principe d’une transparence des entreprises de plus de 500 salariés en matière sociale et environnementale a été adopté ici, après de longues concertations, dans le cadre de la loi portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle 2 ». On nous propose donc de revenir de manière subreptice, au détour d’une loi de simplification, sur une avancée déjà acquise. Cette stratégie, qui entend prendre le Parlement à revers et lui forcer la main, n’est pas acceptable.

Autre disposition inacceptable, l’article 72 bis introduit par les députés vise à élever au niveau législatif la définition du poids maximal autorisé pour les poids lourds, fixé à 44 tonnes pour 5 essieux, sauf exceptions prévues par voie réglementaire.

Sur la forme, cet article pose problème car il s’agit clairement d’un cavalier législatif qui ne présente pas de lien avec les dispositions de la proposition de loi initiale, ce qui est contraire à la Constitution comme le rappelle constamment le Conseil constitutionnel.

Sur le fond, il ouvre un débat technique et difficile. Il va en effet beaucoup plus loin que le décret du 17 janvier 2011, qui autorisait progressivement les 44 tonnes, mais en imposant un sixième essieu pour ne pas détruire nos routes. Je rappellerai un seul chiffre tiré d’un récent rapport du Gouvernement : les camions de 44 tonnes à 5 essieux induisent un surcoût dans l’entretien des routes, pour les départements, estimé entre 400 millions et 500 millions d’euros par an environ.

On ne peut pas, au détour d’une loi de simplification, trancher le débat autour du sixième essieu : ce n’est ni sérieux ni digne du Parlement ! (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)

Dans cette affaire, je rappellerai que le Gouvernement n’a pas respecté le Parlement, car le rapport demandé par le Sénat et son rapporteur Bruno Sido sur les 44 tonnes a été transmis au Parlement après l’adoption du décret du 17 janvier 2011, ce qui est pour le moins cavalier...

Les acteurs professionnels que nous avons longuement rencontrés n’ont pas été entendus sur le sujet, car le Gouvernement leur a imposé sans concertation le sixième essieu, alors qu’il existe peut-être d’autres mesures compensatoires comme la généralisation des suspensions pneumatiques.

Quelle que soit notre position sur ce sujet, il faut retrouver un peu de sagesse et remettre à plat ce dossier très polémique, à travers de nouvelles concertations pour modifier éventuellement le décret de 2011 et, à terme, adopter une grande loi sur la politique nationale des transports qui décline les engagements du Grenelle de l’environnement et obtenir une harmonisation des règles du transport routier en Europe.

Enfin, autre disposition inacceptable, l’article 90 bis tend à proroger les accords interprofessionnels dérogatoires aux délais maximum de paiement, pour certains secteurs d’activité « au caractère saisonnier marqué ». Le sujet du crédit inter-entreprises est particulièrement sensible.

Au-delà du jargon, il s’agit des délais de paiement : or, en la matière, ce sont souvent les plus petites entreprises qui trinquent !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. Alors que la crise économique et financière assèche la trésorerie des plus petites sociétés, je suis convaincu qu’il serait parfaitement contre-productif de reconduire les dérogations aux délais de paiement fixées par la loi de modernisation de l’économie, la LME. En effet, les filières professionnelles concernées se sont organisées dans la perspective d’un retour aux délais de droit commun à compter du 1er janvier 2012.

De plus, le critère de « caractère saisonnier particulièrement marqué » se prête à toutes les interprétations et pourrait conduire, de proche en proche, à détricoter les règles encadrant le crédit inter-entreprises. Qu’il s’agisse du médiateur du crédit, de diverses dispositions réglementaires, des différentes professions, l’attachement au crédit inter-entreprises et aux dispositions de la LME qui le concernent est tel que celles-ci ne doivent pas être modifiées.

En toute hypothèse, il serait abusif de voter une mesure aux conséquences financières aussi lourdes sur la trésorerie des entreprises, nécessitant un débat approfondi, au titre des « diverses mesures d’ordre ponctuel » d’un texte de simplification du droit.

Imaginez un grand donneur d’ordres ne payant pas à temps une PME,…

M. Bruno Sido. Et l’inverse !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. … et se présentant devant la justice : une fois un tel texte voté, on ne pourrait plus discerner qui a tort et qui a raison ; dès lors, tout serait permis, ce serait la jungle !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Il fallait proposer de supprimer les dispositions qui ne vous semblent pas appropriées !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à voter la question préalable présentée au nom de la commission des lois, qui aboutira à repousser l’ensemble du texte sans engager l’examen des articles.

Certes, nous aurions pu tenter d’amender cette proposition de loi pour la rendre acceptable. Toutefois, le Gouvernement ayant choisi de recourir à la procédure accélérée, ce qui est proprement intolérable,…

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. … il y aurait peu de chances que les dispositions adoptées par le Sénat soient retenues par l’Assemblée nationale, à l’issue de l’échec plus que probable de la commission mixte paritaire. (Protestations sur les travées de lUMP et de l’UCR.)

M. André Reichardt. On ne peut pas dire ça !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. Enfin, à mon sens, nous sommes parvenus à un point où il importe de manifester le désaccord radical du Sénat avec cette manière de légiférer. Sixième du genre, cette proposition de loi apparaît comme le texte de simplification de trop. Il est devenu politiquement nécessaire de la rejeter en bloc,…

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Politiquement nécessaire !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis. … au lieu de nous contenter d’essayer de l’améliorer à la marge. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis.

M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’appréciation que je peux porter sur cette proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des procédures administratives, en tant que rapporteur pour avis de la commission de l’économie, se trouve, bien entendu, influencée par la motion tendant à opposer la question préalable qui nous est présentée, au nom de la commission des lois.

Mon co-rapporteur, M. Martial Bourquin, nous a rappelé que la majorité de la commission de l’économie a approuvé le principe de cette question préalable.

Pour ma part, si je partage les critiques qui peuvent être adressées aux lois de simplification du droit en général, je n’irai pas jusqu’à considérer que le rejet en bloc de ce texte soit la solution appropriée. (M. Bruno Sido approuve.) Si vous le voulez bien, je développerai ces deux points.

Certes, l’an dernier, dans mon rapport pour avis sur la précédente loi de simplification du droit, j’avais déjà relevé un certain nombre de défauts de cette catégorie de textes législatifs, qualifiés par le professeur Delvolvé de « lois indignes du Parlement ».

Le principal de ces défauts me semble être leur caractère hétéroclite : en effet, les lois de simplification ont pour but de rendre le droit plus intelligible, mais elles sont en elles-mêmes parfaitement illisibles.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très juste !

M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis. Ainsi, la loi de simplification du droit du 17 mai 2011 – la dernière en date – traite pêle-mêle : des relations entre les opérateurs de services de communications électroniques et les consommateurs ; du dispositif de déclaration pour la redevance pour obstacle sur un cours d’eau ; de l’agrément par l’État des organismes de contrôle des espèces canines et félines ; des règles applicables aux diagnostics et aux contrôles relatifs au plomb ; de l’accès à l’activité de direction ou de gérance d’une auto-école ; des règles de révision des loyers de certaines catégories de logements locatifs conventionnés ; du régime des stations-services ; de l’affichage des coûts de collecte et de recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques… et j’en oublie certainement.

Encore faut-il préciser que cet inventaire à la Prévert se limite aux dispositions entrant dans le seul champ de la saisine pour avis de la commission de l’économie et n’intègre pas les dispositions relevant de la commission des lois, de celle de la culture et de celle des affaires sociales.

La présente proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des procédures administratives est également hétéroclite : il ne faut donc pas s’étonner qu’elle ait mobilisé pas moins de cinq des six commissions permanentes que compte le Sénat.

Ainsi, les dispositions relevant de la compétence de la commission de l’économie – pour m’en tenir à celles que j’ai eu l’occasion d’examiner – tendent : à préciser le régime des installations géothermiques ; à simplifier les procédures d’élaboration des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, les SDAGE ; à permettre aux chambres d’agriculture d’être maîtres d’ouvrage des projets de retenue d’eau servant à l’irrigation agricole ; à suspendre le délai de prescription des procédures contentieuses en matière de dégâts de gibier ; à permettre aux éleveurs d’accéder de plein droit aux marchés et foires aux bestiaux ; à harmoniser le régime de participation des employeurs agricoles à l’effort de construction ; à aménager les modalités de publicité des ventes de parcelles forestières soumises au droit de préférence ; ou encore à créer, pour le secteur viticole, une exception à l’obligation de contractualiser pour une durée minimale.

Cette complexité pose problème aux parlementaires, mais aussi à l’exécutif, puisqu’un seul secrétaire d’État siège au banc du Gouvernement pour traiter d’une grande diversité de sujets.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est incontestable !

M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis. Je ne suis pas certain qu’en dépit d’un travail interministériel intense et sans méconnaître le talent du secrétaire d’État ici présent (Exclamations amusées.),

M. Bruno Sido. Ne le sous-estimez pas !

M. Hervé Maurey, rapporteur pour avis. … un seul membre du Gouvernement puisse répondre sur le fond à toutes ces questions et éclairer de manière pertinente tous les sujets évoqués.

Pour autant, la présente proposition de loi constitue un certain progrès par rapport aux précédents textes de simplification du droit. En effet, elle présente une plus grande, bien que relative unité, dans la mesure où elle ne regroupe que des dispositions concernant les acteurs économiques : il s’agit là d’une amélioration…

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !