M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en octobre dernier que nous avons été saisis en première lecture du projet de loi relatif à Voies navigables de France. En tant que maire de Conflans-Sainte-Honorine, capitale francilienne, pour ne pas dire nationale, de la batellerie, j’attache un grand intérêt à ce texte. Ce n’est d’ailleurs évidemment pas un hasard si c’est l’un de mes illustres prédécesseurs, Michel Rocard, qui a été à l’origine, en 1991, alors qu’il était Premier ministre, de la création de Voies navigables de France, en remplacement du vieil Office national de la navigation.

On comprendra ma satisfaction qu’ait été maintenue l’une des modifications que nous avions apportées au texte initial, à savoir la plus visible et la plus signifiante d’entre elles d’un point de vue symbolique, sinon la plus importante : l’appellation « Voies navigables de France » sera conservée, et l’établissement ne deviendra donc pas une énième agence nationale. Cette décision se justifie d’ailleurs pleinement par la grande notoriété et la bonne image dont bénéficie VNF dans son secteur d’activité ; un changement de nom aurait donc été préjudiciable et en outre coûteux.

Cela étant dit, au-delà du maintien de l’appellation de VNF, sur quoi ont débouché les discussions parlementaires, tant au Sénat qu’au Palais-Bourbon ? Sommes-nous parvenus à améliorer ce texte et à répondre à certaines problématiques réelles, en partant d’un projet de loi initial dont la portée était limitée – je le dis sans intention polémique – et qui n’était pas à la mesure des enjeux en termes de développement et de valorisation du transport fluvial de marchandises dans notre pays ?

Pour ma part, je pense que nous pouvons approuver la décision de faire évoluer VNF, dans le respect de ses missions. Il s’agit d’instaurer une nouvelle gouvernance, d’abord en conférant à VNF le statut d’établissement public administratif, ensuite en mettant en place un nouveau mode de gestion des personnels.

On a pu s’étonner que le Gouvernement opte pour le statut d’établissement public administratif plutôt que pour celui d’établissement public industriel et commercial, qui aurait mieux correspondu, nous semble-t-il, à la vocation naturelle de VNF. Nous avions déjà fait part de nos doutes à cet égard lors de la première lecture, mais le Gouvernement n’avait pas été en mesure de nous apporter de réponse de fond sur ce point ; peut-être M. le ministre le pourra-t-il à l’occasion de cette deuxième lecture ?

En ce qui concerne les personnels de VNF, notre groupe entend que leurs intérêts soient préservés : c’est un point crucial, non négociable. Cela passe par le respect des accords qui ont été conclus avec les organisations représentatives, tant des salariés de VNF que des agents publics concernés.

Nous avons été vigilants sur cette question. Le texte issu des travaux menés en première lecture au Sénat avait permis de lever quelques-unes des interrogations qui pouvaient subsister : la rédaction me semble à présent satisfaisante.

Cependant, alors que nous avions également veillé à apporter au texte certaines améliorations techniques, nos collègues de l’Assemblée nationale n’ont pas fait preuve de la même exigence. C’est pourquoi nous serons conduits, au cours de la discussion des articles, à introduire quelques garde-fous, à seule fin de garantir le bon fonctionnement de VNF et la poursuite de ses activités dans le respect de ses missions, qui sont d’intérêt général et doivent le rester.

Nous souhaitons par exemple éviter que l’établissement public ne prenne le risque de se disperser dans ses opérations de prises de participation et de filialisation. À cette fin, nous proposerons, comme nous l’avions déjà fait en première lecture, de prévoir que les capitaux des filiales de VNF ou des sociétés dans lesquelles l’établissement prendra une participation devront être majoritairement publics, y compris pour les activités annexes de valorisation urbaine, que l’Assemblée nationale a imprudemment exclues du champ d’une telle disposition.

Par ailleurs, nous souhaitons apporter des éléments de sécurisation aux collectivités territoriales travaillant avec VNF sur de grands projets d’aménagement et d’infrastructures. C’est un point important à nos yeux. Il convient, tout en permettant bien entendu à l’opérateur de valoriser ses emprises foncières s’il le souhaite, de lui rappeler qu’il doit agir en totale concertation avec les collectivités territoriales concernées, dans le respect notamment de leurs schémas de cohérence territoriale ou de leurs plans locaux d’urbanisme, lorsqu’ils existent.

Telles sont les grandes questions dont nous avons débattu et que nous avons en partie réglées. Nous reviendrons cet après-midi sur les points qui ne nous satisfont pas encore.

Je voudrais maintenant évoquer des sujets qui ne sont pas abordés dans ce projet de loi, où malheureusement l’essentiel est totalement laissé de côté. Nous sommes en effet en présence d’un texte technique relatif à la gouvernance de VNF, qui ne traite nullement des enjeux fondamentaux que recouvrent les missions premières de l’établissement : la gestion et le développement du transport fluvial.

La France demeure très en retard dans ce domaine, en termes de trafic, certes, mais aussi, plus fondamentalement, d’infrastructures, d’entretien et de développement du réseau –se pose notamment la question du gabarit –, ainsi que d’intermodalité avec la route et le rail, autre mode de transport écologique délaissé. Si le Gouvernement comparait la situation de notre pays en matière de transport fluvial à celle de notre voisin allemand, comme il se plaît tant à le faire dans d’autres domaines, cela lui permettrait de mesurer ce qu’il reste à faire !

Ce simple texte relatif à la gouvernance vient donc bien tard. Si l’on ne peut évidemment que souscrire au principe de la relance de la voie d’eau, on peut craindre que les grandes déclarations faites à ce sujet ne restent lettre morte, à l’instar des belles promesses du Grenelle de l’environnement, dont certaines concernaient très directement le transport fluvial : l’objectif était de porter de 14 % à 25 % la part cumulée du fret ferroviaire et du fret fluvial dans le transport de marchandises.

Ce texte tardif et de portée limitée masque donc de véritables enjeux en matière d’investissements pour l’avenir et de développement des modes de transport « doux » sur le plan environnemental. Nos infrastructures fluviales n’ont plus été modernisées depuis le programme Freycinet des années vingt !

Comment pouvons-nous espérer renforcer la compétitivité de nos entreprises de la batellerie, promouvoir le transport fluvial et développer la plurimodalité en donnant un hinterland à nos grands ports maritimes si nous ne consentons pas pour la voie fluviale un effort en matière d’équipement et d’infrastructures ?

C’est par exemple un enjeu vital pour ma ville de Conflans-Sainte-Honorine, où nous travaillons à une grande opération d’intérêt national avec Ports de Paris, qui favorisera à terme l’articulation entre les modes de transport, depuis le grand port du Havre jusqu’à l’Île-de-France.

Les enjeux sont énormes. Nous devons remettre en état un réseau qui ne répond plus aux normes internationales, accroître les capacités et les gabarits du réseau principal, sécuriser les voies, garantir la mise en conformité environnementale du réseau et de son exploitation, permettre l’essor du réseau secondaire dans les domaines du tourisme, des loisirs et de la plaisance, qui sont réellement porteurs à l’échelon local.

Je ne peux que me borner à évoquer ces grands enjeux, qui ne sont malheureusement pas l’objet principal du présent texte, mais auraient dû être celui d’un véritable plan de relance de la voie d’eau, dont nous avons beaucoup entendu parler mais que nous n’avons jamais véritablement vu venir…

Voilà pourquoi nous tenterons encore d’améliorer le projet de loi au cours de cette deuxième lecture, dans un esprit toujours constructif.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Esnol. En toute responsabilité, compte tenu des attentes des organisations syndicales et de notre respect pour la démocratie sociale, nous ferons tout pour que ce texte puisse être adopté rapidement, car même si sa portée est limitée, il est relativement consensuel et pourra être utile dans l’avenir.

Nous n’en éprouvons pas moins une certaine amertume, car nous sentons bien que votre ambition pour le développement du transport fluvial en France s’est éteinte. Pour notre part, nous croyons en l’avenir de ce mode de transport économique et écologique, que nous défendons résolument. Encore faut-il que nous nous donnions les moyens d’investir aujourd’hui pour mieux assurer son développement demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici quasiment parvenus au terme du processus législatif, s’agissant du projet de loi relatif à Voies navigables de France. Force est pourtant de constater que, malgré des débats nourris, ce texte ne règle toujours pas la question essentielle, celle des moyens consacrés au développement du transport fluvial et de la voie d’eau.

Ainsi, nous regrettons que ce projet de loi se borne à traiter de questions organisationnelles, sans réellement aborder la problématique des missions de la nouvelle agence, ni celle de ses moyens humains et financiers. Il a en effet quasiment pour seul objet de regrouper au sein d’une même entité juridique les 400 salariés de droit privé de Voies navigables de France et les 4 400 agents de droit public qui travaillent principalement dans les services de la navigation.

Ce texte, dont la rédaction initiale avait été très mal accueillie, fait suite à deux protocoles d’accord, en date du 24 juin et du 1er juillet derniers, signés entre les syndicats et le Gouvernement et posant le principe de la réunion des personnels au sein d’une nouvelle agence. Ces protocoles d’accord ont marqué des avancées significatives, en amenant une modification de la nature même du projet de loi initial, qui, disons-le clairement, visait tout simplement à externaliser les missions de l’État en vue d’une privatisation à terme des services de la voie d’eau.

Nous pensons que ce texte doit s’inscrire dans le respect du dialogue social mené entre les syndicats et le Gouvernement. Si, d’un point de vue juridique, les parlementaires ne sont bien évidemment aucunement tenus par ces protocoles, ils se doivent moralement de respecter le compromis qui les sous-tend.

De ce fait, nous continuons de regretter que le Sénat ait fait le choix, lors de la première lecture, de rétablir l’appellation « Voies navigables de France », contrairement à ce que prévoyaient les protocoles d’accord. Symboliquement, cela augure mal, pour les agents de l’État, de leur intégration au sein du nouvel établissement : ils peuvent en retirer l’impression d’être purement et simplement aspirés par l’ancien VNF.

À l’Assemblée nationale, il a été proposé de transférer le domaine fluvial de l’État à la nouvelle agence, ce qui allait là aussi à l’encontre des protocoles d’accord. Heureusement, grâce à l’adoption d’un amendement de notre collègue Daniel Paul, cette tentative a échoué.

De manière plus positive, nous estimons que, dans sa rédaction actuelle, le texte respecte les protocoles d’accord en ce qui concerne les dispositions ayant trait aux personnels de la nouvelle agence : il maintient le principe de la création d’un comité technique unique obligatoire après un délai de deux ans. Celui-ci sera composé d’une formation représentant les personnels de droit public, d’une formation représentant les salariés de droit privé et d’une formation plénière compétente pour les questions communes aux deux catégories d’agents. L’introduction par l’Assemblée nationale de la personnalité juridique pour la formation représentant les personnels de droit privé constitue une exception au regard de ce qui se pratique aujourd’hui, mais cela ne pose pas de problème majeur.

Nous saluons le fait que, malgré les déclarations de certains parlementaires, l’Assemblée nationale et le Sénat aient fait le choix de conserver à l’établissement le statut d’établissement public administratif, conformément à ce que prévoyaient les protocoles d’accord. Ce choix nous semble cohérent avec les missions d’intérêt général dévolues à l’agence, ainsi qu’avec les missions de réglementation et de police de navigation qui lui sont confiées.

En ce qui concerne les missions, nous regrettons que les députés aient restreint aux seules opérations d’aménagement l’application de la condition que les filiales créées par VNF ou les sociétés faisant l’objet d’une prise de participation soient à capital majoritairement public. Il nous semblerait préférable d’en revenir à la rédaction qui avait été adoptée au Sénat sur proposition conjointe du groupe CRC et du groupe socialiste.

Nous prenons acte de la création d’une organisation interprofessionnelle de la filière fluviale, même si nous aurions préféré que soit mis en place, comme nous l’avions proposé en première lecture, un comité d’usagers disposant de compétences claires pour formuler des propositions de prescriptions réglementaires s’imposant au gestionnaire de la voie d’eau, aux gestionnaires des ports et aux collectivités riveraines en matière d’hygiène et de sécurité pour les navigants.

Comme je l’ai annoncé au début de mon intervention, nous regrettons avant tout l’absence de toute référence aux moyens de relancer la voie d’eau conformément aux engagements du Grenelle de l’environnement.

Ainsi, alors que le préambule du protocole d’accord du 24 juin 2011 prévoit bien que 840 millions d’euros seront investis sur la période 2010-2013 pour la mise en sécurité, la modernisation et le développement des voies navigables, sur un total estimé à 2,5 milliards d’euros d’ici à 2018, nous craignons que les montants réellement engagés ne soient pas à la hauteur de ces prévisions, d’autant que les ressources propres de l’établissement seront amputées du fait du plafonnement de la taxe hydraulique.

Nous sommes encore très loin d’un véritable plan-programme pour le développement d’un réseau national fluvial qui permettrait réellement aux chargeurs d’utiliser la voie d’eau plutôt que la route. Cela est bien dommage, car le rééquilibrage modal est une exigence politique, économique et environnementale incontournable.

Sur le fond, pour que ces missions d’intérêt général puissent être remplies, nous estimons qu’une maîtrise publique de l’infrastructure de transport fluvial, adossée à des moyens financiers publics suffisants, est nécessaire. Nous refusons donc que le jeu de la valorisation foncière permette à VNF de compenser le désengagement de l’État, comme c’est le cas, dans le secteur du transport ferroviaire, pour Réseau ferré de France. Or le contenu du contrat d’objectifs et de performance de VNF nous fait craindre un accroissement du recours à cette valorisation, puisqu’est préconisé « un développement des recettes soit par le développement de projets immobiliers sur le domaine, à l’instar de port Rambaud à Lyon, soit par une politique de cessions ».

Par ailleurs, nous désapprouvons la décision du Gouvernement de ne plus recruter des ouvriers des parcs et ateliers, au prétexte du transfert qui a été opéré au profit des départements par la loi de 2009.

À cet égard, par un avis émis le 23 novembre dernier, le Conseil économique, social et environnemental a demandé la suspension de l’application de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et une évaluation globale des moyens des politiques publiques. Cela suppose, dans le domaine de la voie d’eau, d’inverser la logique de réduction des emplois à hauteur de 271 équivalents temps plein, le seul projet de loi de finances pour 2012 prévoyant d’en supprimer 84.

Il apparaît ainsi, en creux, que l’objectif premier de cette réforme organisationnelle reste la réduction des coûts par le biais d’une rationalisation du nombre de postes, au rebours de l’ambition affichée de relancer la voie d’eau. Ainsi, le contrat d’objectifs et de performance indique clairement qu’« il convient d’accompagner les gains de productivité nécessaires pour satisfaire aux objectifs de réductions d’emplois arbitrés par l’État dans le cadre de la RGPP, sur la période 2011-2013 ».

En ce sens, le présent projet de loi s’intègre dans la logique d’austérité qui enferme chaque jour davantage notre pays dans la crise. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. « On entend le souffle du vent dans les feuilles des platanes, les clapotis de l’eau. Le bleu du ciel illumine les champs de blé moissonnés […]. C’est un instant idyllique dont l’on peut profiter, à bord d’une péniche sur le canal du Midi, en automne. » (Sourires.)

M. Raymond Vall. Tout un poème !

M. Roland Courteau. C’est dans l’Aude, cela !

M. Jean-Michel Baylet. C’est ainsi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que commence un article du très sérieux magazine allemand Der Spiegel vantant les charmes uniques de notre canal du Midi, inscrit depuis 1996 au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Malheureusement, cette « idylle » pourrait bien prendre fin si nous n’y prenons garde. En effet, les 42 000 platanes qui bordent le canal devront tous être abattus d’ici quinze à vingt ans, à la suite de la propagation de la maladie dite du « chancre coloré ».

Or Voies navigables de France, qui doit assurer la gestion et l’entretien du canal, est loin de pouvoir faire face à ce désastre. L’État n’assume pas ses responsabilités et n’a pas pris, jusqu’à présent, d’engagements suffisants pour sauver le canal. Lors d’un déplacement dans l’Aude, au mois de novembre, Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement a proposé de recourir au mécénat pour financer le reboisement.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Jean-Michel Baylet. Mais l’État devrait, me semble-t-il, montrer l’exemple, et surtout agir vite, car chaque jour de retard pris dans le combat contre la maladie coûte très cher. On nous propose aujourd’hui de remplacer les platanes centenaires par une variété résistante au chancre coloré, le « platanor », ou par des tilleuls ou des frênes, arbres qui ne sont pas naturellement présents sur les bords du canal du Midi. Alors que les collectivités territoriales sont très engagées dans la résolution de ce problème, l’État délaisse ce site historique et exceptionnel : je le déplore vivement !

Je sais que mes collègues Françoise Laborde et Christian Bourquin ont déjà évoqué cette situation catastrophique lors de la première lecture du présent projet de loi. Vous leur aviez alors répondu, monsieur le ministre, que les voies d’eau du Sud-Ouest, dont le canal du Midi, avaient déjà bénéficié de 37 millions d’euros d’investissements. Mais cela est loin d’être suffisant, et vous le savez ! Nous espérons donc que des financements à la mesure de l’urgence et de la gravité de la situation seront débloqués.

Je ne m’étendrai pas davantage sur ce sujet, qui me tient cependant particulièrement à cœur, le canal du Midi traversant mon département du Tarn-et-Garonne et, plus largement, tout le Sud-Ouest. Je souligne d’ailleurs que l’appellation « canal du Midi » ne se justifie que pour le tronçon entre Toulouse et Sète : entre Bordeaux et Toulouse, il s’agit du canal latéral à la Garonne, et pour l’ensemble de son tracé, de Bordeaux à Sète, du canal des Deux-Mers ! Soyons précis !

M. Roland Courteau. Tout à fait !

M. Jean-Michel Baylet. J’en viens au projet de loi soumis à notre examen, qui paraît dans l’ensemble assez consensuel, même s’il ne répond pas aux véritables enjeux du secteur des voies navigables dans notre pays, ainsi que nous l’avions souligné lors de la première lecture.

La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a repris sans modification le texte adopté en première lecture par les députés. Toutefois, loin de contenir des mesures ambitieuses pour une relance de la voie d’eau, ce projet de loi se borne à réformer la gouvernance de l’établissement Voies navigables de France.

Cette réforme était certainement nécessaire. D’ailleurs, personne ne conteste la pertinence de son objectif premier, à savoir regrouper l’ensemble des personnels de la voie d’eau, les salariés de VNF et les agents de droit public, au sein d’un même établissement. La situation actuelle, dans laquelle seuls les salariés de VNF, représentant environ 10 % des personnels, sont soumis à l’autorité hiérarchique du directeur de l’établissement, pose en effet des problèmes de gestion évidents.

Il me semble que nous pouvons tous partager l’objectif de renforcer la gouvernance de VNF, pour lui permettre de mener à bien ses missions, qui sont précisées et élargies par le présent projet de loi. En outre, le Sénat a eu le bon sens d’adopter certaines modifications opportunes en première lecture, en maintenant par exemple l’appellation « Voies navigables de France ».

Cela étant, ce projet de loi est d’autant plus consensuel qu’il ne répond pas à l’enjeu essentiel, à savoir relancer la voie d’eau.

VNF a élaboré en 2010 un « projet pour la voie d’eau », résultant d’études et de réflexions menées en lien avec l’État. Ce plan stratégique à l’horizon de 2018 vise à atteindre les objectifs de développement du transport fluvial et à assurer l’avenir de l’ensemble du réseau navigable.

La réforme de la gouvernance de VNF facilitera certes la bonne gestion de l’établissement, mais comment celui-ci pourra-t-il accomplir ses missions sans bénéficier de garanties financières ?

Le Gouvernement a promis 840 millions d’euros pour financer le programme d’investissements, de modernisation et de mise en sécurité du réseau sur la période 2011-2013. Ce programme devrait coûter au total 2,5 milliards d’euros d’ici à 2018 : nous sommes loin du compte ! Selon le Gouvernement, il s’agit d’un effort « sans précédent ». Ce financement repose notamment sur une augmentation de la taxe hydraulique. Pourtant, cette même taxe a été plafonnée dans le projet de loi de finances pour 2012, au prétexte de l’augmentation de la capacité d’autofinancement de VNF. Il y a là une incohérence sur laquelle nous aimerions obtenir des explications.

La sincérité des engagements du Gouvernement reste donc à vérifier. Ce dernier n’a d’ailleurs pas hésité à prendre des mesures contradictoires. Ainsi, alors qu’il a consacré comme une priorité le développement du transport fluvial dans le Grenelle de l’environnement, il a dans le même temps contribué à la fermeture de nombreux canaux, dans le cadre de l’application de la révision générale des politiques publiques.

Quoi qu’il en soit, pour développer réellement le réseau et rattraper notre retard, il est nécessaire d’aller beaucoup plus loin et de nous donner les moyens de réaliser nos ambitions. Il faut élaborer dès maintenant une grande loi pour le développement des voies d’eau, qui devra aborder notamment la réforme de la fiscalité des voies navigables, en particulier celle de la taxe hydraulique. Je souligne que les collectivités territoriales devront jouer un rôle important dans ce dossier et être parties prenantes à la préparation d’un tel texte, qu’elles réclament depuis longtemps.

Les membres du groupe RDSE et les radicaux de gauche ne sont donc pas opposés à la réforme de la gouvernance de VNF, mais ils attendent de l’État qu’il prenne des engagements beaucoup plus forts en faveur d’une véritable relance de la voie d’eau et apporte une réponse rapide et à la hauteur de la situation s’agissant du canal des Deux-Mers. Dans un esprit constructif, et afin de ne pas compliquer plus encore la fin de cette législature, ils voteront ce projet de loi. (Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur spécial du principal programme de la mission « Écologie, développement et aménagement durables », qui regroupe l’ensemble des moyens dévolus aux infrastructures et aux services de transport terrestres, je ne peux que me réjouir du large consensus qui s’est exprimé, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, sur ce projet de loi soulignant parfaitement la pertinence économique et les avantages environnementaux du développement du transport fluvial.

Le texte que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture constitue la traduction concrète des engagements du Grenelle de l’environnement en matière de transports. En effet, le Grenelle de l’environnement a accordé au secteur fluvial l’importance qu’il mérite, en consacrant comme une priorité la relance de la voie d’eau, afin de faire passer la part du transport non routier et non aérien de 14 % à 25 % à l’échéance de 2022.

Nos collègues députés ont adopté le texte en y apportant quelques précisions tout à fait pertinentes, qui vont dans le sens des préoccupations exprimées au Sénat en première lecture. Il s’agit de favoriser le développement de la voie d’eau, au bénéfice de la communauté du transport fluvial dans ses deux composantes, publique et privée.

La relance de la voie d’eau, laquelle constitue le mode de transport de fret le plus respectueux de l’environnement, s’impose aujourd’hui avec l’émergence des préoccupations écologiques. Le transport fluvial est, en effet, infiniment moins polluant et considérablement moins coûteux que le transport routier, comme en témoignent les chiffres : il consomme de trois à quatre fois moins de pétrole et émet de trois à quatre fois moins de CO2.

Le Grenelle de l’environnement, qui a inscrit le transport fluvial au cœur des alternatives durables au « tout-routier », a joué un rôle fondamental pour donner une nouvelle impulsion à Voies navigables de France et développer sa compétitivité dans l’avenir. On peut dire que le Grenelle de l’environnement a marqué un véritable tournant pour la voie d’eau française, qui doit lui permettre de rattraper le retard considérable qu’elle a accumulé.

La France souffre, en effet, d’une desserte fluviale insuffisante des ports maritimes. La part de marché de la voie d’eau s’établit entre 6 % et 15 %, bien loin de ce que l’on constate chez nos voisins européens, notamment aux Pays-Bas.

Pour combler ce retard, il faut réaliser rapidement les infrastructures permettant d’améliorer l’interface entre la voie fluviale et les espaces portuaires. Il importe également que les ports maritimes jouent pleinement leur rôle dans le développement du transport fluvial. Il apparaît indispensable de structurer leur hinterland, et donc de renforcer les ports intérieurs, qui constituent des pôles industriels et logistiques dédiés à la distribution des flux sur le territoire.

Cette réforme de l’organisation du service public de la voie d’eau est totalement complémentaire de la réforme portuaire que nous avons votée en 2008, qui constituait un véritable plan de relance des grands ports français.

Il convient en outre de ne pas oublier cette autre dimension essentielle qu’est la modernisation de la batellerie, décisive pour le devenir du transport fluvial. L’âge moyen de la flotte française est de quarante ans, 140 de nos unités ayant moins de vingt ans, contre 650 aux Pays-Bas. Le tonnage moyen est de 770 tonnes pour la flotte française, contre 1 130 tonnes en moyenne en Europe.

Le défi est donc de taille, et il est crucial de tout faire pour le relever dans le contexte économique que nous connaissons depuis trois ans. Pour cela, VNF doit pouvoir disposer de la pleine maîtrise de la gestion de ses moyens humains et monter en puissance sur le plan financier. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a adopté un programme d’investissement ambitieux et sans précédent, de près de 840 millions d’euros. Sa mise en œuvre contribuera à la remise en état, à la sécurisation, à la modernisation et au développement du réseau.

De plus, dans le cadre de la loi de finances pour 2012, le Parlement a adopté une hausse importante de la taxe hydraulique affectée à VNF, qui devrait ainsi bénéficier de 30 millions d’euros supplémentaires.

L’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, a également accru les moyens consacrés à la voie d’eau et contribuera à hauteur de 40 millions d’euros, comme l’a précisé M. le rapporteur. Enfin, les régions apportent leur contribution dans le cadre des contrats de plan État-région. Il est important de souligner que les moyens alloués à la voie d’eau n’ont jamais été aussi élevés.

M. Thierry Mariani, ministre. C’est vrai !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils sont à la mesure du défi à relever.

Le plus emblématique des projets portés par VNF est celui du canal Seine-Nord Europe, dont le démarrage a été réellement officialisé le 5 avril dernier par le Président de la République.

Ce grand canal fera le lien entre le bassin de la Seine et le nord de l’Europe. Sa réalisation, qui s’inscrit parfaitement dans le cadre du Grenelle de l’environnement, permettra de lever l’un des principaux goulets d’étranglement du réseau européen, en désenclavant les bassins de la Seine et du Nord-Pas-de-Calais, qui seront connectés en 2017 aux 20 000 kilomètres du réseau européen à grand gabarit.

Une fois mené à son terme, ce projet renforcera l’attractivité et la compétitivité de nos ports maritimes, tels Le Havre et Dunkerque, et de nos ports intérieurs, comme Rouen et Paris.

Ce maillage des ports maritimes et intérieurs par la voie d’eau favorisera la massification du transport de marchandises, la compétitivité de la voie d’eau et du système portuaire français.

Vingt ans après la création de VNF, ce projet de loi représente une étape essentielle dans le développement de la voie d’eau, qui fonde une nouvelle ambition pour notre pays. Le défi à la fois économique, technologique et écologique que nous avons à relever est de rattraper nos voisins du Nord. Pour cela, il est nécessaire de mettre en place un opérateur renouvelé, doté de nouvelles compétences, de nouveaux moyens et d’une nouvelle organisation : tel est l’objet même du présent projet de loi.

C’est la raison pour laquelle l’ensemble des membres du groupe UMP apportent leur plein soutien à ce texte, que la commission a adopté sans modification en deuxième lecture. Nous remercions notre excellent rapporteur Francis Grignon de l’éclairage essentiel qu’il nous a apporté tout au long des débats. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Roland Ries.