Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous connaissons, en France, une situation paradoxale : des lois en progrès, mais des violences persistantes à l’égard des femmes, expression la plus extrême de la domination masculine.

C’est toujours à la suite d’une longue mobilisation des féministes que des avancées juridiques voient le jour ; je pense notamment à la modification dans le code pénal du crime de viol en 1980 ou encore à la création du délit de harcèlement sexuel en 1992, délit défini désormais également par la loi.

Chaque fois que la loi a été renforcée et complétée, ce sont de nouveaux outils dont les victimes ont pu se saisir pour faire valoir leurs droits, défendre leur dignité.

Il est donc parfois utile que la réalité perturbe la hiérarchie juridique. C’est ce à quoi tend le texte qui a été déposé par Muguette Dini et dont nous discutons aujourd’hui. Comme l’a souligné notre collègue, c’est la même volonté qui a animé Mme Marie-George Buffet ainsi que les membres de son groupe en déposant, voilà quelques mois à l’Assemblée nationale, une proposition de loi similaire. Cela nous donne une nouvelle occasion de réfléchir et de débattre d’un sujet d’une très grande importance, afin de lever petit à petit les tabous qui l’entourent.

En proposant de soumettre les délits d’infractions sexuelles prévus aux articles 222-27 à 222-31 du code pénal commis sur les personnes majeures au même délai de prescription que les viols sur personnes majeures, il est en effet préconisé d’augmenter le délai de prescription sans toucher aux peines. Cela est-il possible et nécessaire ? Nous pensons que oui, car la détresse des victimes de ces agressions d’un caractère particulier doit primer sur le désir de préserver coûte que coûte un lien entre le quantum de la peine et la durée du délai de prescription.

Mes chers collègues, parce qu’il tend à ne léser personne, le droit est nécessairement fait de quelques principes et de beaucoup d’exceptions. J’essayerai de vous convaincre de produire une nouvelle exception en créant un régime spécifique de prescription répondant à des délits spécifiques, afin d’assurer un accès des victimes à la justice.

J’aimerais avant tout préciser que, pour nous, le souci a été de prendre position de manière éclairée sur une proposition pouvant apparaître comme étant de circonstance, puisqu’elle a été déposée à la suite de l’affaire Banon-DSK.

C’est la même optique qui a prévalu au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, présidée par Mme Brigitte Gonthier-Maurin, lorsqu’il a été décidé d’auditionner le 11 janvier 2012 de nombreuses associations féministes engagées sur ce sujet afin de recueillir leur point de vue. Elles se sont toutes déclarées favorables à l’adoption de cette proposition de loi.

Les arguments que je relayerai se font ainsi l’écho de victimes, de personnes engagées sur le terrain, de professionnels du droit, de médecins, qui, tous, ont constaté cette proximité de nature des viols et des autres agressions sexuelles, laquelle se traduit, dans les faits, par des cheminements psychologiques proches.

Le constat unanime de ces associations est que les règles de prescription sont inadaptées aux caractéristiques spécifiques des agressions sexuelles : sentiments de honte, peur, amnésies partielles et réelles difficultés éprouvées par les victimes à dénoncer des faits liés à ces infractions. De plus, il est reconnu que l’émergence du traumatisme peut prendre des années et que les répercussions de celui-ci sont susceptibles d’avoir des facettes multiples, y compris d’authentiques pathologies somatiques.

Les membres de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dans leur diversité politique, ont été sensibles à ces auditions. Ce matin encore, lors d’une nouvelle réunion, aucune voix des présents n’a rejeté la proposition de loi de notre collègue.

Essayons rapidement d’examiner ce qui est reproché à cette proposition, notamment la banalisation des formes les plus graves d’infractions sexuelles et la négation de l’existence de réalités très différentes. Mais il est justement question de prendre enfin en compte des réalités très différentes coexistant au sein de cette large catégorie que représentent les agressions sexuelles autres que le viol. J’entends par là que la distinction entre agression sexuelle, viol et tentative de viol est souvent subtile. Les agressions sexuelles incriminées aux articles 222-27 et suivants du code pénal ne sont définies que négativement par rapport au viol : il s’agit, comme cela a été souligné tout à l’heure, de toute atteinte sexuelle autre qu’une pénétration sur une victime non consentante.

Mais les conséquences sont loin d’être anodines ! Tous les témoignages concordent pour décrire un état de détresse très poussé chez les victimes d’agressions, même quand il n’y a pas eu pénétration, ce qui justifie un allongement du délai de prescription fondé sur une similitude des dégâts psychologiques provoqués.

Il est également reproché à cette proposition d’être inutile, car l’allongement du délai poserait un problème de preuve pour des infractions laissant par nature peu de traces médicolégales. Cet argument est de loin le plus contestable puisque, comme l’a fort justement souligné un médecin auditionné, si la victime attend quarante-huit heures, les preuves médicolégales peuvent également manquer lors d’un viol, entraînant le non-aboutissement de la plainte.

Enfin, on nous dit qu’un plus long délai de prescription risquerait de mener à des décisions de non-lieu ou de relaxe au bénéfice du doute susceptibles d’être douloureuses pour les victimes. En d’autres termes, il nous est expliqué que le dépassement du délai de prescription serait en quelque sorte un mal pour un bien pour les victimes, en les préservant d’une éventuelle déception en cas de non-lieu. Il est probable, au contraire, que la victime vivra cette forclusion comme un déni de justice, ce qui augmentera d’autant son sentiment d’injustice !

J’ajoute que je fais partie de celles et de ceux qui pensent que le viol devrait être imprescriptible.

Nous sommes conscients que la question de l’accès à la justice des personnes victimes d’agressions sexuelles dépasse la seule problématique du délai de prescription. En effet, comme il a été dit, cette proposition ne règle pas les problèmes graves de la formation, de la prévention et de la qualification des personnels chargés de l’accueil et de l’écoute des femmes, ni ceux de l’insuffisance, voire de l’absence de campagne d’information pour sensibiliser l’opinion publique, modifier les mentalités ainsi que les rapports femmes-hommes encore trop souvent marqués par un lien de subordination-domination.

Par conséquent, il faut également améliorer le traitement des plaintes par le ministère public, ce qui pose alors le problème des moyens accordés à la justice. Mais puisque les associations sont soutenues par tous les orateurs, donnons-leur les moyens d’exercer leurs missions d’accompagnement et d’aide !

La loi-cadre contre les violences faites aux femmes qui a été proposée par le Collectif national pour les droits des femmes et qui a nourri la loi du 9 juillet 2010 comporte tous ces aspects de prévention et d’accompagnement, car elle vise à agir mieux sans réprimer plus. Il ne tient qu’à nous, mes chers collègues, de nous en saisir pour améliorer la loi existante adoptée à la suite d’une très forte mobilisation des féministes.

Pour l’heure, parce que la prise en compte du mal-être des victimes d’agressions sexuelles graves est primordiale, le groupe CRC votera ce texte, qui constitue un premier pas vers une législation permettant une meilleure prise en charge de toutes celles et de tous ceux qui vivent de tels drames. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste. – Mme Muguette Dini applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, l’intention des auteurs de cette proposition de loi apparaît à première vue compréhensible. Elle est fondée sur le constat que la frontière entre viol et agression sexuelle est souvent étroite. Le vécu des victimes est même souvent identique, le traumatisme spécifique engendré par l’un ou l’autre restant trop souvent un tabou douloureux.

Si nous comprenons donc l’objectif de ce texte, nous estimons qu’il s’agit en réalité d’une fausse bonne idée davantage dictée par des réactions passionnelles légitimes que par une démarche juridique appropriée.

Les principes généraux de notre droit pénal reposent sur une stricte hiérarchie des infractions.

Depuis le code d’instruction criminelle de 1808, les règles relatives à la prescription n’ayant été que très peu modifiées, elles conservent une architecture d’ensemble cohérente. Les aménagements introduits ne l’ont été qu’avec beaucoup de circonspection et en tenant compte de la nature particulière de l’infraction concernée : imprescriptibilité des crimes contre l’humanité ; prescription de trente ans pour les crimes de terrorisme ou de trafic de stupéfiants et de vingt ans pour les délits liés aux mêmes infractions.

S’agissant des infractions à caractère sexuel, le législateur est déjà intervenu à plusieurs reprises, cela a été rappelé, pour mieux protéger les victimes mineures, en faisant débuter le délai de prescription à la majorité de celles-ci et en l’allongeant à vingt ans.

Aller plus loin, comme il est proposé par ce texte, en portant à dix ans le délai de prescription des agressions sexuelles poserait en réalité plus de problèmes que cela n’en résoudrait. Il s’agirait pour nous d’une atteinte disproportionnée à la logique d’ensemble du régime des prescriptions. Comme l’écrivaient nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, dans un rapport d’information datant de 2007 précédemment cité, il est fondamental de « préserver le lien entre la gravité de l’infraction et la durée du délai de la prescription de l’action publique afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires ».

Pour ce qui nous concerne, nous partageons pleinement cette assertion. Or le présent texte s’en écarte de façon regrettable. Selon nous, il conviendrait surtout d’éviter les réformes partielles, qui portent atteinte, pour les magistrats comme pour les justiciables, à la lisibilité de l’appareil répressif.

On le sait, l’allongement à vingt ans du délai de la prescription pour les victimes mineures soulève déjà de nombreuses difficultés. Les progrès de la police scientifique ne suffisent pas toujours à permettre l’exploitation d’éléments matériels anciens, qui, par nature, se dégradent rapidement. De surcroît, les agressions sexuelles laissent moins de traces que les viols. L’accusation ne pourrait alors reposer que sur la crédibilité des témoignages. Repousser la durée de la prescription risquerait, au final, de renforcer le risque d’imprécision des témoignages, sans compter le nouveau traumatisme que constituerait pour la victime la relaxe du prévenu.

Je ne reviendrai pas sur la question de la correctionnalisation des viols, déjà évoquée par M. le rapporteur, lequel a souligné qu’elle était en réalité le plus souvent profitable à la victime.

Mes chers collègues, malgré les difficultés juridiques qu’il soulève, ce texte a du moins le mérite de souligner la spécificité des violences sexuelles et des difficultés que les victimes rencontrent pour se libérer par la parole, a fortiori lorsque ces violences ont été commises par un proche.

La réponse judiciaire participe de la reconstruction des victimes, en permettant de marquer la réprobation de la société face à des actes intolérables. Mais elle ne suffit pas à conjurer le traumatisme. Plutôt que d’une loi très partielle, c’est d’une véritable politique pénale proactive en la matière que notre pays a besoin.

On ne saurait le contester, l’approche pénale prend aujourd’hui mieux en compte l’évolution des mentalités. Par ailleurs, l’invitation à lever les tabous des violences sexuelles est mieux acceptée, même s’il faut, dans ce domaine, se protéger des excès médiatiques habituels. Aussi attendons-nous que des moyens supplémentaires soient mis en œuvre pour faire connaître leurs droits aux victimes, les inciter à porter plainte ou leur permettre d’être mieux prises en charge par des psychologues.

Mes chers collègues, sur proposition de M. le rapporteur, dont il convient de souligner les scrupules juridiques, et afin d’éviter toute improvisation, la commission a décidé de ne pas établir de texte. Elle a fait preuve de sagesse.

Pour ma part, je considère qu’il serait contraire à la nature des choses de confondre les « étreintes brutales » et les « vêtements arrachés », actes souvent douloureux évoqués dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, avec le crime de viol lui-même. Une telle disposition conduirait à bouleverser, par des délais de prescription « à la carte », les principes généraux de notre droit pénal.

Telles sont les raisons essentielles qui conduiront notre groupe à voter contre ce texte. (M. le président de la commission, M. Alain Néri et Mme Corinne Bouchoux applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Jean-Jacques Hyest, qu’un léger ennui de santé tient aujourd’hui éloigné de l’hémicycle. Je m’efforcerai d’être son interprète et celui du groupe de l’UMP sur ce sujet, particulièrement délicat, puisqu’il touche à un principe essentiel bénéficiant à toute victime d’agressions sexuelles, selon lequel celle-ci a le droit d’être entendue.

Or tout l’enjeu de cette proposition de loi réside dans la définition des modalités d’application de ce principe. En effet, une telle prérogative, offerte à chaque victime d’agressions sexuelles, recouvre deux objectifs.

Le premier, simple, mais indispensable, est le droit à être écouté et pris en charge par les professionnels de santé.

On constate avec soulagement, cela a été dit, que de nombreuses structures, en particulier associatives, se sont développées depuis plusieurs années pour offrir un soutien psychologique, essentiel à la reconstruction – j’insiste sur ce mot – des victimes de ces violences. Mais cela ne suffit pas, les victimes détenant heureusement le droit à être également entendu par la justice et à participer au déclenchement des poursuites pénales.

C’est ce second volet qui retiendra ici toute notre attention, puisqu’il cristallise l’ensemble des interrogations soulevées aujourd’hui par la proposition de loi. L’objectif visé par ses auteurs est d’allonger le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles autres que le viol, qui passerait ainsi de trois ans, délai de droit commun pour les délits, à dix ans.

Il s’agit donc d’introduire une nouvelle dérogation au délai de prescription défini par le code de procédure pénale. La modification proposée ne constitue en rien une réponse adéquate. En effet, elle ne modifiera pas les constats regrettables que nous sommes amenés à dresser. D’une part, dans le rapport qu’il a établi en 2007, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales rappelle que neuf victimes sur dix ne déposent pas plainte. D’autre part, l’INSEE, dans son enquête sur les violences faites aux femmes, dénonce la durée trop longue qui s’écoule entre le dépôt de la plainte et la date de l’infraction. Allonger le délai de l’action publique ne supprimera pas ce temps de latence. Il est donc primordial de comprendre, avant d’envisager toute modification législative, les raisons qui poussent à une délivrance si tardive.

Car il s’agit bien d’une « délivrance ». Seule la difficulté des victimes à parler rapidement des faits après qu’ils ont été commis justifie l’argument selon lequel le délai de prescription de l’action publique pour cette catégorie de délits est trop bref. En effet, les personnes ayant subi ces agressions sont convaincues, pour de multiples raisons, que leurs révélations ne seraient en rien utiles.

Du point de vue de leur situation personnelle, rien ne peut leur faire oublier l’épisode insupportable qu’elles ont vécu. L’exprimer publiquement ne fait que remémorer des souvenirs particulièrement douloureux. En outre, au regard de leur propre sécurité, la désignation de l’auteur présumé de l’agression leur fait souvent craindre non seulement des représailles, mais aussi une exclusion de la part de leur entourage, ainsi que cela a pu être constaté.

Enfin, l’identification et l’arrestation de l’auteur du délit s’avèrent souvent difficiles, dans la mesure où l’établissement des preuves est toujours délicat, et ce d’autant plus que les faits sont anciens.

Aussi, l’allongement de la durée de prescription de l’action publique ne ferait vraisemblablement qu’atténuer la portée des faits rapportés par la victime. Il serait donc plus raisonnable, j’insiste sur ce point, de mieux prendre en compte la parole des victimes que de remettre en cause les règles de droit commun de la procédure pénale.

Modifier l’article 8 du code de procédure pénale ne servirait pas le droit, madame Dini. Cela reviendrait même à ébranler la classification tripartite des infractions et la nécessaire cohérence du principe de la prescription. En effet, si cette proposition de loi était adoptée, les délais de prescription de l’action publique ne correspondraient plus ni aux délais de prescription de la peine ni aux quanta de peines.

Plus largement, ce texte est l’illustration symptomatique des nombreuses réformes ayant mis à mal, ces dernières années, l’exigence de cohérence et d’équité, pourtant indispensable, de notre dispositif répressif. Ainsi peut-on recenser de nombreuses dérogations au délai de prescription de droit commun de trois ans. Il a été notamment allongé, et c’est très bien ainsi, pour les agressions sexuelles ou les violences commises contre les mineurs ou les personnes vulnérables. En revanche, il a été raccourci, vous le savez, pour les délits de presse. Aussi, la modification du délai de prescription de l’action publique pour la catégorie d’infractions dont il est question aujourd’hui accentuerait le déséquilibre général, qui caractérise déjà, hélas ! notre système.

La situation actuelle du droit de la prescription est devenue source de confusion et d’insécurité, ce qui va à rebours de la vocation fondamentale du principe fondé justement sur le droit de prescription en matière civile et pénale.

L’allongement du délai de prescription romprait le lien existant entre la gravité de l’infraction et le délai de prescription de l’action publique. En effet, la durée de ce délai dépend du degré de gravité de l’infraction commise. Si, en vertu d’une telle logique, la gravité exceptionnelle des délits commis contre les mineurs justifie que le délai commence à courir à leur majorité, le fait de fixer le délai de prescription à dix ans, uniquement pour les agressions sexuelles autres que le viol, engendrerait des situations inégalitaires.

Ainsi, comment justifier qu’une victime puisse se prévaloir, pour des atteintes sexuelles commises avec violence, contrainte, menace ou surprise, d’un délai de prescription de l’action publique de dix ans, alors qu’il n’est que de trois ans, M. le garde des sceaux l’a rappelé, pour des violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours et commises par le conjoint avec menace d’une arme ?

Par ailleurs, certains déplorent que les victimes d’agressions sexuelles subissent une correctionnalisation des infractions. Si l’argument est entendu, plusieurs éléments doivent néanmoins être rappelés.

Tout d’abord, la pratique de la correctionnalisation judiciaire est indispensable au fonctionnement de la justice pénale : les cours d’assises sont dans l’incapacité absolue de juger l’ensemble des infractions constituant des crimes aux termes de la loi.

Ensuite, nous avons récemment réduit le nombre de correctionnalisations judiciaires et raccourci les délais d’audience, d’une part, en favorisant l’augmentation du nombre des sessions d’assises et, d’autre part, en diminuant le nombre des jurés composant le jury d’assises, qui passe ainsi de neuf à six jurés lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et de douze à neuf jurés lorsqu’elle statue en appel.

Enfin, dernier élément et non des moindres, les victimes participent nécessairement à la correctionnalisation judiciaire, puisque les articles 186-3 et 469 du code de procédure pénale permettent aux parties civiles de faire appel des ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel, dans le cas où elles estiment que les faits constituent un crime et que leur auteur aurait dû être renvoyé devant la cour d’assises.

En conséquence, ma chère collègue, le texte que nous examinons aujourd’hui constitue bien une pierre de l’édifice d’une réforme globale que nous appelons de nos vœux. D’ailleurs, comme en témoignent les nombreux rapports abordant le sujet, la question de l’allongement des délais de prescription est un problème complexe, qui ne peut être envisagé uniquement pour une seule catégorie d’infractions, aussi graves soient-elles, et ne paraît pas pouvoir être unanimement tranché.

C’est pourquoi, mes chers collègues, le groupe de l’UMP, en accord avec M. le rapporteur et la commission des lois, votera contre cette proposition de loi, même si je comprends et partage l’émotion et l’indignation qu’elle sous-tend. (M. le président de la commission et M. Claude Dilain applaudissent.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol
Article additionnel après l’article 1er

Article 1er

Après le deuxième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« En dehors des cas prévus au précédent alinéa, le délai de prescription de l’action publique des délits définis aux articles 222-27 à 222-31 est de dix ans. »

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par Mme Bonnefoy et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. La présente proposition de loi tend à modifier le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles autres que le viol.

Notre droit établit une différence entre le viol et la tentative de viol, d’une part, et les agressions sexuelles, d’autre part. Alors que les premiers sont des crimes passibles d’au moins quinze ans d’emprisonnement, les secondes sont des délits punis de peines d’au moins cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Cette distinction a également des conséquences sur le régime de la prescription de l’action publique : alors que le viol et la tentative de viol peuvent être poursuivis pendant un délai de dix ans à compter de la commission des faits, les victimes d’agressions sexuelles ne disposent que d’un délai de trois ans pour porter plainte contre leur agresseur.

Comme vous l’avez rappelé en commission, monsieur le rapporteur, les auteurs de la proposition de loi expliquent que « le traumatisme causé par une agression sexuelle est semblable à celui causé par un viol, et les victimes, qui ne sont pas toujours en mesure de porter plainte dans le délai imparti, notamment en raison du traumatisme subi, se trouvent parfois privées de la faculté de faire condamner leur agresseur par la justice et d’être reconnues en tant que victimes ».

Face à ce constat, la proposition de loi prévoit donc d’aligner le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles sur celui du viol, c’est-à-dire de le porter de trois à dix ans.

Avant toute chose, rappelons que ce régime de prescription ne s’applique pas aux victimes mineures, qui bénéficient d’un régime dérogatoire. En matière d’agressions sexuelles, le délai est de dix ans et ne commence à courir qu’à la majorité de la victime.

Sans nier la gravité des agressions sexuelles et leurs conséquences psychologiques lourdes pour les victimes, différentes raisons me conduisent à ne pas adhérer à cette proposition de loi.

Tout d’abord, comme l’avait rappelé la mission d’information sénatoriale sur le régime des prescriptions civiles et pénales, il est nécessaire de veiller à la cohérence de ce droit en évitant des réformes partielles et en privilégiant une réforme d’ensemble.

Ensuite, il faut préserver un lien entre la gravité de l’infraction et la durée du délai de la prescription de l’action publique afin de garantir la lisibilité de l’échelle de gravité des crimes et des délits établie par le législateur. Or il existe une différence de gravité entre le viol et les autres agressions sexuelles. Aligner le régime de la prescription des agressions sexuelles sur celui du viol aurait pour conséquence de banaliser les formes les plus graves d’infractions sexuelles.

Un problème de preuve va également se poser : en matière de viol, des certificats médicaux constatant des blessures ou des traces biologiques peuvent parfois corroborer les dires des victimes ; les agressions sexuelles, quant à elles, laissent peu de traces.

Face aux dénégations courantes des personnes suspectées, la grande majorité des enquêtes reposent donc sur l’évaluation de la crédibilité des dires de la victime par recoupement avec des constatations matérielles, des témoignages ou des éléments indirects. Or ces derniers deviennent très imprécis dans le temps ou dépérissent.

Comme le rappelle l’Union syndicale des magistrats, les expertises psychologiques et psychiatriques de la victime et de la personne suspectée sont naturellement de nature à éclairer leurs personnalités respectives. Toutefois, elles ne peuvent constituer elles-mêmes une preuve suffisante de culpabilité.

L’augmentation de trois à dix ans du délai de prescription pour les agressions sexuelles risque de conduire à l’ouverture d’enquêtes ou d’instructions qui se concluront par des classements sans suite ou des non-lieux faute de preuve, ce qui sera de nature à augmenter, davantage encore, le traumatisme ressenti par les victimes.

Cette proposition de loi constitue donc une fausse bonne idée.

Il me paraît davantage souhaitable d’encourager les victimes à porter plainte le plus rapidement possible en améliorant la formation des personnels des services de police et de gendarmerie ainsi que des personnels médicaux qui reçoivent les victimes.

Les associations qui accompagnent ces victimes doivent également voir leurs subventions maintenues, voire augmentées. Ce n’est malheureusement pas la voie suivie par le Gouvernement… (M. le garde des sceaux marque sa surprise.)

Pour toutes ces raisons, je propose de supprimer cet article.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Cet amendement est conforme à la position adoptée par la commission. Aussi, j’émets un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Sur le fond, comme je l’ai expliqué dans mon intervention, le Gouvernement rejoint la position exprimée par les auteurs de cet amendement. Cependant, la conclusion de Mme Bonnefoy est contraire à la vérité. Pour cette raison, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.