Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’unanimité est faite sur le sort à réserver à ce texte : il est plutôt réjouissant que, pour une fois, le législateur décide de prendre le temps de la réflexion… Même ceux des auteurs de cette proposition de loi qui sont présents dans cet hémicycle se sont finalement ralliés à cette position.

En proposant une nouvelle rédaction tendant à assouplir les conditions d’application de l’article 223-1 du code pénal, jugées trop restrictives, les auteurs du présent texte veulent étendre la notion de « risque causé à autrui » afin de donner aux victimes une meilleure place dans le procès pénal.

En effet, ils regrettent que de nombreuses imprudences graves ne donnent pas lieu à une condamnation pénale, dans la mesure où elles n’ont, de manière certaine, causé aucun dommage.

L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque l’affaire du sang contaminé, qui a débouché sur la relaxe des prévenus du fait de l’absence de lien de causalité certain entre la faute commise et l’infection par le virus du sida, et le drame de l’amiante. L’amiante, qui a déjà provoqué la mort de 25 360 personnes depuis 2004, n’a pas fini de faire des victimes : on estime que 100 000 personnes mourront des suites d’une exposition à l’amiante dans les vingt prochaines années. Il est vrai que de nombreuses associations de victimes ont considéré que la loi du 10 juillet 2000 constituait un obstacle à un procès pénal, les conséquences d’une exposition à l’amiante n’apparaissant que des décennies plus tard.

Comme nous l’avons manifesté clairement à plusieurs reprises, nous soutenons ces victimes. Toutefois, si l’objectif visé au travers de cette proposition de loi est louable, la démarche adoptée peut être dangereuse. De plus, je rejoins ceux de mes collègues qui ont estimé qu’une amende de 15 000 euros ne saurait être une sanction suffisante s’agissant du drame de l’amiante ou d’autres affaires très graves, telles que celles du Mediator ou des prothèses PIP, qui sont également de nature à alimenter notre réflexion.

La solution proposée ici souffre de nombreuses incertitudes quant à son champ d’application, que les développements de la jurisprudence permettront peut-être de lever. Sa mise en œuvre se traduirait certainement par une répression excessive dans certains cas. D’ailleurs, à l’origine, la création du délit de mise en danger d’autrui, modifié par la loi du 10 juillet 2000, traduisait une volonté de réprimer les comportements facteurs de risques graves pour la sécurité d’autrui, notamment en matière de circulation routière ou de sécurité au travail. Or, l’article 223-1 du code pénal a fait l’objet d’applications jurisprudentielles dans des domaines tout autres, telle la pratique du ski hors piste ou du camping… Il importe de délimiter assez strictement les cas visés par ce type de législation.

On perçoit que la mise en œuvre du dispositif de la présente proposition de loi risquerait, en l’état, de donner lieu à de trop larges dérives, de devenir une source d’insécurité juridique et de porter atteinte au principe de la légalité des délits et des peines, qui est une garantie fondamentale des droits de la personne devant les juridictions répressives.

Il convient donc, à notre sens, de poursuivre la réflexion afin d’aboutir à un texte plus achevé. Dans cette perspective, nous voterons la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, onze ans après son adoption, la loi Fauchon a incontestablement permis d’atteindre l’objectif qui lui avait été assigné, à savoir mettre fin à la multiplication des poursuites pénales, notamment contre les autorités publiques, pour des faits non intentionnels.

Le présent texte tend à déplacer le curseur pour la mise en œuvre de la responsabilité pénale pour négligence, en renforçant la sanction par la modification des critères de la mise en danger délibérée d’autrui.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur, le délit de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence, prévu par le troisième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, y compris commis de manière indirecte, repose aujourd’hui essentiellement sur la gravité du dommage survenu. En d’autres termes, une faute grave caractérisée n’emporterait pas nécessairement la mise en cause de la responsabilité de la personne, sous réserve, bien sûr, de sa responsabilité civile.

C’est cette faiblesse que les auteurs de la proposition de loi souhaitent aujourd’hui surmonter, en mettant l’accent sur l’intensité de la faute, même sans dommage, par la modification de la définition du délit de mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

Cette solution est-elle pour autant satisfaisante ? Nous ne le pensons pas, en l’état actuel du texte.

Il est certain que les progrès technologiques engendrent des risques nouveaux, qui étaient inconnus du législateur de 2000, notamment dans les champs industriel ou sanitaire. Cela montre la difficulté qu’il y a à légiférer et à adapter notre droit pénal dans ce domaine particulièrement complexe et mouvant.

M. le rapporteur l’a rappelé, la Cour de cassation a clairement fixé les critères d’application du délit de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, imposant aux juges du fond de procéder à une appréciation in concreto très approfondie.

Cette jurisprudence fait consensus au sein de la doctrine, comme en témoignent les travaux du colloque organisé en 2010 à l’occasion du dixième anniversaire de l’adoption de la loi Fauchon. Y porter atteinte de la sorte, sans se livrer à analyse plus poussée, ne nous paraît pas adéquat.

De fait, la création d’une nouvelle hypothèse de mise en jeu du délit défini par l’article 223-1 du code pénal, au titre de la commission d’une faute d’imprudence grave exposant à un risque important et connu, peut entraîner des conséquences très lourdes contraires à la philosophie de la loi Fauchon, qui visait à mettre un frein à la pénalisation des comportements imprudents.

En particulier, nous sommes embarrassés par l’introduction d’une forme de référence à la morale dans l’exposé des motifs du texte, qui amènerait à punir systématiquement tout comportement fautif, même en l’absence de dommage. Nous estimons qu’un tel glissement remettrait en cause la notion d’intentionnalité de l’acte, à rebours de ce que le législateur a construit avec prudence depuis la loi du 13 mai 1996, ainsi que l’importance du lien de causalité qui fonde le droit de la responsabilité.

Plus généralement, devant les progrès de la technique, notre société semble s’être réfugiée dans une aversion au risque qui se traduit par un développement effréné de la judiciarisation des relations sociales. L’adoption de cette proposition de loi, loin de freiner cette tendance de fond, contribuerait au contraire à accroître les contentieux et l’insécurité juridique. Il ne nous paraît pas sain que le prisme pénal prenne une place aussi prépondérante dans la vie en société.

Souvenons-nous des discussions qui avaient entouré l’introduction du principe de précaution dans la Constitution, par la mise en œuvre de la Charte de l’environnement. Notre débat d’aujourd’hui, qui rappelle ceux de 2004, emporte des conséquences de fond plus concrètes. À mes yeux, il serait donc plus sage que le Sénat n’ouvre pas une brèche qu’il serait ensuite bien difficile de colmater.

La commission des lois a longuement discuté de ce texte, en avançant nombre d’arguments pertinents. Elle a unanimement conclu qu’il ne fallait pas toucher au droit existant, et je salue à cet égard l’ouverture d’esprit de M. le rapporteur. Nous voterons le renvoi du texte à la commission, afin de permettre l’approfondissement d’une réflexion inachevée. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, des motifs et des analyses variés – peut-être contradictoires en apparence – peuvent conduire à souhaiter l’approfondissement de la réflexion sur un texte qui soulève la question très importante du juste équilibre entre la place accordée, dans notre société, aux décideurs et la prise en considération des victimes. Ce sujet complexe est passionnant, mais aussi très délicat sur le plan humain.

Comme l’ont indiqué les auteurs de la présente proposition de loi, le dispositif du code pénal relatif aux délits d’imprudence « revient à ne prendre en compte que les imprudences ayant effectivement causé un dommage », d’où il résulte que « des imprudences de faible gravité peuvent conduire à des condamnations sévères […], tandis que d’autres, beaucoup plus graves, ne donnent lieu à aucune condamnation, pour la simple raison qu’elles n’ont causé de manière certaine aucun dommage ».

Nombre d’orateurs ont évoqué les décideurs ; à la suite de Mme Borvo Cohen-Seat, je voudrais pour ma part insister sur la situation des victimes.

Rappelons que l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, la FNATH, et le comité anti-amiante de Jussieu avaient porté un autre regard sur la législation dont nous discutons, et dénoncé un « bricolage » du code pénal, visant selon eux à atténuer la responsabilité des élus en cas de délits non intentionnels.

Outre la clairvoyance de cette assemblée, c’est leur mobilisation, leur combat qui avait permis de renforcer le dispositif, jugé trop laxiste, de la première version de la loi Fauchon de 2000.

Le principal problème posé par cette loi ne tient pas tant à la dénomination « faute d’imprudence grave » qu’à la question de la responsabilité « directe » ou « indirecte ». Sur ce point, je me permets de renvoyer au très éclairant rapport d’information n° 37 (2005-2006) que nos collègues Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy ont consacré au drame de l’amiante en France.

La loi Fauchon introduisait une distinction entre les auteurs directs d’un délit et ses auteurs indirects. Comme le soulignent l’ANDEVA et les auteurs du rapport d’information précité, « elle distingue l’exécutant – qui sera poursuivi avec la plus grande sévérité – du décideur – qui ne sera poursuivi que dans des circonstances exceptionnelles ».

Je souhaite attirer l’attention du Sénat sur le fait que les catastrophes sanitaires sont d’une autre nature que l’affaire du Drac ou que les accidents provoqués par la chute de buts de football ou de panneaux de basket, qui, hélas, ont fait des victimes et ont concerné un certain nombre d’élus. Les catastrophes industrielles et sanitaires impliquent souvent des responsabilités indirectes – quand, par exemple, un produit toxique ou dangereux n’a pas été interdit à temps – et résultent de plusieurs décisions – ou de l’absence de décisions – indirectes complexes.

Faute de temps, je n’aborderai pas la question de la prescription : comme l’a souligné Mme Borvo Cohen-Seat, les effets catastrophiques d’une exposition à l’amiante ne sont perceptibles que trente ou quarante ans plus tard. Je n’évoquerai pas non plus la regrettable affaire des prothèses mammaires, qui aboutira peut-être à la mise en cause d’un certain nombre de responsabilités au plus haut niveau.

Pour avancer, il faut absolument renforcer la prévention et entendre davantage les associations de victimes. La juge Bertella-Geoffroy, qui a instruit la plainte relative à l’exposition à l’amiante des personnels et des étudiants de la faculté de Jussieu, a fait remarquer aux rapporteurs de la mission d’information que la loi Fauchon constitue « un obstacle supplémentaire dans l’instruction des affaires de santé publique ».

Aux yeux des écologistes, il est aujourd’hui nécessaire de renforcer les mesures pénales par le biais d’un dispositif adapté et de développer la prévention sanitaire en mobilisant les moyens appropriés. Tel est le sens du combat que ma collègue Aline Archambaud a mené en novembre dernier, lors de l’examen par notre assemblée de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, pour la création d’un véritable statut des lanceurs d’alerte. Nous devons absolument inclure cette question dans le présent débat.

Par ailleurs, dans le cadre de la législation et de la jurisprudence actuelles, et sans même faire évoluer la loi dans le sens que je viens d’indiquer, nous devons aborder la question du nucléaire. Sur ce sujet, qu’il est politiquement incorrect d’évoquer ici, je vous renvoie, mes chers collègues, à l’excellent rapport sur la sécurité nucléaire que vient de remettre l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Il est malheureusement à craindre que, dans l’avenir, ce secteur ne soit concerné par la loi que nous évoquons aujourd’hui.

Toutes ces questions essentielles, notamment celle du risque nucléaire, devant être examinées, je soutiens le renvoi de cette proposition de loi à la commission afin qu’elle puisse rapidement faire l’objet d’une nouvelle étude approfondie, accompagnée d’auditions de représentants des associations de victimes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte est le dernier qu’ait déposé notre ancien collègue Pierre Fauchon, mais ce n’est pas le moins important. Je tiens à remercier M. Fauchon de cette initiative, qui vise à compléter la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, laquelle a permis de résoudre bien des problèmes et dont l’adoption avait été saluée par de nombreux décideurs.

Cela a été rappelé, le point de départ de cette proposition de loi est l’article 223-1 du code pénal, qui définit le délit de mise en danger de la vie d’autrui comme l’infraction consistant à « exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Toutes proportions gardées, un tel délit pourrait avoir été commis, voilà quelques jours, par le commandant d’un navire ayant décidé de dérouter celui-ci, en sachant pertinemment qu’il prenait, ce faisant, un risque important.

Un constat s’impose : aujourd’hui, ce délit fait rarement l’objet de poursuites devant les tribunaux. Cela tient, d’une part, aux conditions posées par le texte que je viens de citer, et, d’autre part, à l’interprétation très stricte qu’a faite de ce dernier la jurisprudence, mais certainement pas, en tout cas, au fait que ce type de délit, caractérisé par la mise en danger délibérée de la vie d’autrui par un comportement irresponsable, serait peu fréquent.

En prévoyant de modifier l’article 223-1 du code pénal, le texte que nous examinons cette après-midi tend à élargir les hypothèses dans lesquelles il serait possible de poursuivre un justiciable sur le fondement de la mise en danger délibérée d’autrui.

Cette proposition part d’un constat simple : ces dernières années, un certain nombre d’événements dramatiques ont donné lieu à de longues procédures judiciaires, au cours desquelles des personnes ont pu se voir reprocher des comportements fautifs graves et délibérés, avant d’être finalement relaxées par le tribunal correctionnel. Ces décisions de justice ont suscité l’incompréhension du public, mais, pour un juriste, elles s’expliquent assez simplement : elles résultent d’une application rigoureuse des règles fixées par notre droit pénal en matière de délinquance d’imprudence.

On peut résumer simplement les exigences posées par les textes en la matière : pour qu’une personne soit condamnée pour un délit non intentionnel, il faut que soient démontrés la faute, le dommage qui en résulte, mais aussi, et peut-être surtout, l’existence d’un lien de causalité certain entre la faute et le dommage.

C’est le défaut de mise en évidence d’un tel lien de causalité qui a pu conduire à des relaxes dans des cas où, par ailleurs, des fautes graves commises en toute connaissance de cause avaient pu être démontrées et prouvées. Aujourd’hui, ces comportements restent donc le plus souvent impunis.

Telle fut l’origine de la réflexion de notre ancien collègue Pierre Fauchon, animé par la conviction que notre droit répressif devrait évoluer vers une conception selon laquelle il importe de s’attacher davantage à la gravité des comportements fautifs qu’à la réalisation du dommage.

Il s’agit en fait de réaffirmer que le plus important devrait être de sanctionner le risque que l’on fait délibérément courir à autrui, indépendamment de sa réalisation effective.

Je rappelle que le principe d’une sanction pénale du risque causé à autrui est inscrit depuis longtemps déjà dans le code pénal, à l’article 223-1. La présente proposition de loi, si elle introduit une innovation importante dans notre droit, s’appuie donc fondamentalement sur des dispositions préexistantes.

Il est important que nous puissions avoir aujourd’hui un débat sur ces questions qui, si elles apparaissent techniques et complexes de prime abord, sont loin d’être seulement théoriques : les affaires récentes du Mediator ou des prothèses mammaires PIP ont été évoquées.

Il ne s’agit évidemment pas de promouvoir un principe de précaution renforcé, dont la mise en œuvre risquerait de conduire à l’inaction ; il s’agit de permettre que des comportements gravement, délibérément et consciemment fautifs puissent faire l’objet de poursuites.

Par conséquent, le groupe UCR souhaite que le débat ait lieu sur cette question fondamentale. Notre droit répressif apparaît en effet aujourd’hui insuffisant sur ce point, et nombre de victimes peuvent avoir le sentiment que justice n’est pas rendue.

Comme l’a justement souligné M. le rapporteur, la réflexion juridique ambitieuse qui sous-tend ce texte doit être approfondie, d’autant que les pénalités aujourd’hui prévues par le code pénal ne semblent pas en rapport avec la gravité des faits en question. La discussion générale vient de montrer que cette opinion était partagée par l’ensemble des groupes politiques de notre assemblée, puisque leurs porte-parole se sont déclarés favorables à la motion tendant au renvoi du texte à la commission.

Le groupe de l’Union centriste et républicaine veillera donc à ce que la réflexion se poursuive sur cette proposition de loi, au-delà de son renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi du texte à la commission.

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la délinquance d'imprudence et à une modification des dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d'autrui »
Demande de renvoi à la commission (fin)

Mme la présidente. Je suis saisie par M. Zocchetto, au nom de la commission, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, la proposition de loi relative à la délinquance d'imprudence et à une modification des dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d'autrui » (n° 223, 2010-2011).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.

M. François Zocchetto, rapporteur. Rarement une motion aura été défendue par l’ensemble des orateurs de la discussion générale ! (Sourires.) En effet, tous ont préconisé le renvoi du texte à la commission, rejoignant ainsi l’opinion unanime des membres de la commission des lois. Dans ces conditions, il me semble inutile de m’étendre davantage.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à cette motion.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

(La motion est adoptée.)

Mme la présidente. En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné.

Je constate que la motion a été adoptée à l’unanimité des présents.

Demande de renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la délinquance d'imprudence et à une modification des dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d'autrui »
 

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Dossier législatif : proposition de loi modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol
Discussion générale (suite)

Délai de prescription des agressions sexuelles

Rejet d'une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles autres que le viol (proposition n° 61, rapport n° 249).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Muguette Dini, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol
Article 1er

Mme Muguette Dini, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’enquête nationale sur les violences envers les femmes réalisée en 2000 nous apprend que, en France, on dénombre chaque année 50 000 viols, 150 000 tentatives de viol, 400 000 autres violences sexuelles, soit au total 600 000 agressions sexuelles.

En 2010, le ministère de l’intérieur a recensé 7 000 plaintes pour viol, 7 500 plaintes pour agression sexuelle. La même année, le ministère de la justice a enregistré 1 355 condamnations pour viol, 5 066 condamnations pour agression sexuelle. Par conséquent, au regard du nombre estimé de viols et d’agressions sexuelles, seulement 1 % des agresseurs sont condamnés. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes.

Mon ton, mes chers collègues, sera grave, parce que le sujet est douloureux. Les agressions sexuelles meurtrissent, traumatisent à jamais les personnes qui les subissent, essentiellement des femmes, mais aussi des enfants et des hommes. Il est question ici de victimes d’agresseurs violents et lâches.

Mon ton sera grave, parce que je n’imaginais pas que la commission des lois opposerait de tels arguments à ma proposition de loi, et avec autant de force. Je souhaite ardemment que nous entendions nos concitoyens et répondions à leur détresse.

Notre code pénal établit une classification des infractions sexuelles, de leurs incriminations et de leurs sanctions. Je le conçois parfaitement, mais je veux résolument me placer au niveau de l’humain, afin que notre droit évolue positivement.

L’article 222-22 du code pénal pose une définition générique des agressions sexuelles, aux termes de laquelle « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise par violence, contrainte, menace ou surprise ».

L’article 222-23 du même code définit, quant à lui, le viol comme un acte de pénétration sexuelle commis sans le consentement de la victime.

L’agression sexuelle est en quelque sorte « l’antichambre du viol ». Nous devons bien garder à l’esprit que le viol est une agression sexuelle, même si toute agression sexuelle n’est pas un viol.

Le champ des agressions sexuelles est donc non pas celui des pénétrations sexuelles, mais celui des attouchements sexuels, de ces viols de l’intégrité du corps qui, dans de nombreux cas, sont tout aussi traumatisants, ravageurs et destructeurs qu’un viol.

Je veux rendre vivantes, moins abstraites, les définitions de notre code pénal, les traduire en termes de souffrance, de peur, de traumatisme. Certains de mes mots seront inhabituels dans cet hémicycle, où les propos sont souvent empreints de pudeur ; ce seront ceux, crus et dérangeants, que l’on entend dans nos commissariats de police, dans nos tribunaux et dans nos cours d’assises.

Mettre la main sur les seins d’une promeneuse au cours de son jogging, caresser les fesses d’athlètes femmes durant leur entraînement, profiter des heures d’affluence dans le métro pour agresser le sexe de sa voisine – toutes les femmes ici présentes ayant vécu cette situation savent de quoi je parle –, voilà autant d’agressions sexuelles courantes, évidemment inacceptables et condamnables.

Mais ce ne sont pas celles-ci qui m’ont décidée à déposer cette proposition de loi. Je veux plutôt évoquer cet homme qui ligote sa victime féminine, frotte son sexe contre le sien et contre tout son corps ; cet homme qui en immobilise un autre au moyen de menottes, lui lie les pieds et le bâillonne pour lui imposer des contacts sexuels ; les agressions sexuelles commises lors des week-ends d’intégration au sein des grandes écoles par les étudiants sur les étudiantes, lesquelles n’oseront porter plainte qu’après leur sortie de ces établissements.

Que dire aussi de ces agressions sexuelles commises sous la menace d’une arme, souvent d’un couteau ? Que dire également de celles qui sont commises en réunion, les uns étant auteurs des actes, les autres complices ? J’ai retenu le cas d’une jeune femme ayant été poursuivie par plusieurs hommes avant d’être rattrapée, rouée de coups, puis contrainte à adopter des positions humiliantes et à subir des attouchements sexuels.

Je veux m’attacher à l’identité de la souffrance ressentie par la victime, souffrance qui n’est pas toujours proportionnelle à la gravité pénale de l’acte, mais est toujours présente.

Catherine Adins, psychiatre au sein du service médico-psychologique régional de Loos, insiste sur le caractère irréparable du traumatisme causé par toutes ces agressions sexuelles violentes : jamais la victime ne retrouvera son intégrité antérieure, dit-elle ; elle va alors vivre un véritable bouleversement émotionnel, à l’origine d’une authentique souffrance psychique.

L’agression sexuelle, par sa soudaineté, son caractère imprévisible et inimaginable, va déborder les capacités défensives de la victime et complètement la désorganiser. L’apparition de ces troubles psychiques est immédiate ou éloignée dans le temps de l’événement traumatique. Ce sont des réactions violentes de stress, souvent une sidération qui porte la victime au repli et à l’isolement, quelquefois des réactions psychotiques, allant de l’état confusionnel à la bouffée délirante aiguë, jusqu’au réveil d’une psychose chronique. Quant aux troubles observés plus tardivement après l’agression, il s’agit de décompensations, de syndromes dépressifs réactionnels et d’états de stress post-traumatique.

Le psychiatre Daniel Zagury évoque, quant à lui, deux dimensions de l’agression sexuelle.

La première est la menace vitale : la victime a eu peur pour sa vie. Les conséquences sont importantes pour la suite, notamment au regard du sentiment de culpabilité de la victime : « je n’ai pas réagi comme il fallait », « je n’ai pas fait ce qu’il fallait au moment où il fallait le faire ».

La seconde dimension est celle de l’effraction identitaire sexuelle.

Je voudrais citer, enfin, Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue. Dans son livre récemment paru, Stop aux violences sexuelles ! – Écoutons donc ces corps qui parlent !, elle s’exprime en ces termes :

« Une chose est certaine, il n’est pas clair dans la tête du législateur que tout abus, agression ou atteinte sexuelle constitue une violation de l’intégrité d’une personne et provoque dans 100 % des cas un traumatisme qui pourra s’exprimer de façon différente selon les individus.

« Il n’est pas clair pour le législateur à quel point un simple abus peut laminer un être humain totalement.

« Il n’est pas clair pour le législateur que les violences sexuelles réalisent le meurtre de l’âme. »

Ce meurtre de l’âme, mes chers collègues, vous souhaitez l’étouffer, en opposant aux victimes le risque de remettre en cause la cohérence de notre régime de prescription et des difficultés probatoires incontestables.

Comme je l’ai exposé précédemment, il n’y a aucun doute sur l’étendue et la gravité des troubles subis par la victime d’agression sexuelle violente, qui peuvent marquer définitivement la vie de celle-ci, en particulier du fait du caractère inéluctable de leur résurgence, quelle qu’en soit la forme.

Pour porter plainte contre son agresseur, la victime doit donc être physiquement et psychologiquement en état de le faire, d’où l’importance d’allonger le délai de prescription de l’action publique pour ces agressions sexuelles autres que le viol.

Lors de la réunion de la commission des lois du 11 janvier 2012, vous avez été nombreux à appeler de vos vœux une réforme globale de la prescription en matière pénale. C’est, en effet, l’une des propositions du rapport de Jean-Marie Coulon et l’une des recommandations de la mission d’information sénatoriale conduite par MM. Hyest, Portelli et Yung sur le régime des prescriptions civiles et pénales.

Concrètement, nos délais de prescription apparaissent, dans l’ensemble, nettement plus courts que ceux qui sont retenus par nos voisins au sein de l’Union européenne. Il s’agirait donc de porter le délai de prescription de l’action publique de trois à cinq ans en matière délictuelle, et de dix à quinze ans en matière criminelle.

Les deux rapports précités furent publiés respectivement en février 2008 et en juin 2007. Où en est-on à ce jour ? Ils demeurent lettre morte… Cette inaction serait-elle donc notre réponse aux victimes ?

Venons-en à l’impossibilité pour les victimes d’agressions sexuelles autres que le viol d’apporter la preuve de celles-ci.

Mes chers collègues, ces difficultés probatoires se retrouvent pour toutes les agressions sexuelles, y compris le viol. Pour avoir la certitude d’un viol, l’examen clinique de la victime doit avoir lieu le plus rapidement possible après les faits. Les experts considèrent que, au-delà des soixante-douze premières heures après l’agression, il est très difficile d’obtenir des preuves irréfutables.

Concernant les victimes d’agressions sexuelles, y compris le viol, le juge est confronté à un problème essentiel, celui de la vérité judiciaire qu’il lui appartient d’établir. Vérité difficile à établir, parce que, dans la grande majorité des cas, les éléments matériels font défaut pour permettre des interprétations contradictoires.

Cette vérité recherchée n’a rien d’absolu. La victime revendique la reconnaissance par l’institution judiciaire, et donc par la société, de ce dont elle a souffert, et de cette reconnaissance découle pour beaucoup sa reconstruction.

Contrairement à ce que j’ai pu lire dans votre rapport, monsieur Détraigne, mon intention au travers de cette proposition de loi n’est aucunement de banaliser quelque forme d’agression sexuelle que ce soit et surtout pas le viol, ni de nier la gravité d’autres agressions.

Consciente d’une graduation dans la gravité des agressions sexuelles et de leur impact sur les victimes, j’ai donc souhaité nuancer mon texte. C’est dans cet objectif que j’ai déposé un amendement visant à n’allonger que le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles dites aggravées, définies à l’article 222-28 du code pénal.

Au moment du dépôt de ma proposition de loi, les déclarations et les promesses des uns et des autres dans la presse me laissaient croire en son adoption.

Du côté du Gouvernement, j’avais compté des soutiens : ceux de Mmes Roselyne Bachelot-Narquin, Marie-Anne Montchamp et Claude Greff. « Nous y sommes favorables », a déclaré la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, le 24 novembre dernier, lors de la conférence de presse de lancement de la campagne d’information sur les violences faites aux femmes.

Par ailleurs, je sais que Mme Marie-George Buffet, députée communiste, a déposé une proposition de loi très proche de celle-ci à l’Assemblée nationale.

François Hollande, quant à lui, a déclaré au Figaro, le 14 octobre dernier, et à France soir, le 17 octobre, soutenir cette question et a assuré que « le PS appuierait cette proposition ».

Les positions semblent avoir beaucoup changé... Pourquoi ? Nos concitoyens vous poseront cette question.

Je conclurai mon intervention par le témoignage de Sophia, cette jeune femme qui a subi une violente agression sexuelle en 2004, alors qu’elle était enceinte !

« Difficile après une agression sexuelle d’affronter le regard de son entourage. Je ne voulais pas être étiquetée victime. Les premiers mois, j’avais surtout peur pour la santé de mon enfant. Je voulais accoucher dans le calme, je ne pensais qu’à ça. Ensuite, une autre peur, insidieuse, se répand en moi. Je craignais que les gens ne me jugent, qu’ils m’accusent d’avoir aguiché mon agresseur. Il fait partie de mon entourage professionnel. Il aurait dit que j’étais folle.

« Ce n’est que cinq ans après mon agression que j’ai pu enfin porter plainte. Trop tard. Je croise toujours mon agresseur. Et je baisse les yeux. »

À l’instar des sénateurs Alain Anziani et Jean-René Lecerf, je souhaite faire référence à Montesquieu, qui disait qu’il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante... La main encore tremblante de Sophia. (Applaudissements sur diverses travées.)