M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vient aujourd'hui devant vous a déjà fait l’objet de débats approfondis et constructifs. À l’issue de la dernière lecture à l’Assemblée nationale, le texte est parvenu à une version équilibrée et efficace dans la lutte contre l’usurpation d’identité. Je tiens à dire à Mme le rapporteur que l’usurpation d’identité n’est pas quelque chose d’anecdotique. Cela touche les gens de façon profonde, dans leur intimité, et ne mérite donc pas d’être balayé du revers de la main, comme un problème secondaire. Vous comprendrez cela le jour où vous aurez rencontré des personnes qui ont été directement concernées !

Madame le rapporteur, vous expliquez qu’il y aura toujours des fraudes. C’est évident ! Mais ce n’est pas parce que certains voudront frauder ou contourner la loi, qu’il ne faut pas faire d’efforts !

Vous nous dites que certains essayeront de contourner la loi pour obtenir un titre de séjour. Mais si on vous suivait, il faudrait cesser de faire des pièces d’identité ou des passeports sous prétexte que des gens fraudent !

Notre volonté, ainsi que la responsabilité de l’État et de la République, est de protéger les citoyens, en mettant en place les procédures et les moyens qui le permettent !

L’angélisme dont vous faites preuve – c’est bien en effet de l’angélisme – en passant par pertes et profits les tracas causés et les atteintes aux personnes me laisse pantois.

À l’issue de la dernière lecture à l’Assemblée nationale, le texte est parvenu à une version équilibrée, efficace dans la lutte contre l’usurpation d’identité et présentant de sérieuses garanties au regard des libertés publiques.

La commission mixte paritaire qui s’est réunie le 10 janvier dernier a souhaité revenir sur ce travail en rétablissant le concept de « lien faible », remettant ainsi en cause le lien univoque entre les données enregistrées dans la base titres électroniques sécurisés, ou TES.

Le Gouvernement a réaffirmé à plusieurs reprises son opposition à la fausse solution que constitue le lien faible. C’est la raison pour laquelle je vous propose d’adopter un amendement visant à revenir à la version du texte que l’Assemblée nationale a arrêtée en deuxième lecture et confirmée lors du débat sur les conclusions de la commission mixte paritaire.

Je le rappelle en outre, cette version est cohérente avec la proposition de loi initialement déposée par les sénateurs Jean-René Lecerf et Michel Houel, qui s’appuyait sur le rapport adopté par la Haute Assemblée en 2005. Le « lien fort », c’est-à-dire le lien univoque entre les données, est le seul lien qui soit opérationnel et qui garantisse la réalisation de l’objectif que nous nous sommes fixé dans cette proposition de loi : protéger nos concitoyens contre l’usurpation d’identité. Ne perdons jamais de vue cet objectif, qui n’est pas secondaire !

L’usurpation d’identité est un fléau et un traumatisme profond pour les victimes.

C’est un fléau dont les conséquences sont grandissantes. En effet, constater une usurpation ne permet pas d’en faire immédiatement cesser les effets néfastes. Les périodes de difficulté, pendant lesquelles les victimes peuvent se voir privées de leurs droits, peuvent durer des mois, voire des années. Il faut souvent de longues investigations afin de démêler les vraies identités de celles qui sont usurpées.

C’est aussi un traumatisme profond pour les victimes, qui dure longtemps et touche une part de l’intimité des individus. Aux préjudices matériels et financiers s’ajoute ainsi le préjudice moral de voir son honnêteté mise en doute, son nom sali et sa réputation détruite.

Une bonne corrélation entre les éléments d’état civil et les données biométriques au sein de la base TES constitue l’unique moyen d’atteindre notre objectif.

En effet, le concept de lien faible est une dégradation technique plus qu’une garantie. Les promoteurs du lien faible considèrent que seule cette dégradation permet de garantir matériellement les libertés fondamentales. Cela signifierait que le seul recours de la liberté est de promouvoir un défaut technique ; ce serait à désespérer du droit et du rôle de la loi.

La protection des libertés fondamentales mérite d’être gravée dans la loi, et non subordonnée à un dispositif technique. De plus, le lien faible possède de grandes fragilités qu’il convient de ne pas omettre.

Première fragilité, la fragilité technique : l’entreprise qui propose le lien faible indique clairement que celui-ci n’est pas opérationnel et qu’il nécessite encore du temps et des investissements pour être mis au point. Construire un système national sécurisé pour l’identité de nos concitoyens sur la base d’un concept dont la faisabilité n’est pas acquise n’est ni sérieux ni responsable et oblige à rejeter cette proposition.

Deuxième fragilité, la fragilité juridique : le lien faible est un concept protégé par un brevet. Si le cahier des charges du projet en fait mention, il y a donc un réel risque de contentieux porté par des entreprises concurrentes.

En outre, le lien faible permet seulement de constater qu’il existe une usurpation d’identité. Cela ne permet pas de remonter à l’identité du fraudeur. C’est une limitation sérieuse au regard de l’objectif de la loi. Au contraire, le lien fort permet de remonter jusqu’à l’usurpateur via ses empreintes. Ainsi, seul le lien fort répond aux objectifs que nous recherchons.

De plus, il est faux de considérer que le lien fort serait de nature à porter atteinte aux libertés fondamentales reconnues à chacun de nos concitoyens. Le texte que je vous propose de rétablir aujourd’hui comporte en effet toutes les garanties nécessaires au respect de ces libertés.

D’abord, il y a ce que le Conseil d’État et la CNIL ont recommandé en matière d’enregistrement de données, c’est-à-dire une limitation à deux empreintes digitales et l’absence de reconnaissance faciale.

Ensuite, il y a ce que la CNIL impose comme garanties en matière d’utilisation des fichiers, c’est-à-dire un accès à la base restreint aux seuls agents de l’agence nationale des titres sécurisés avec une traçabilité de ces accès, des données segmentées pour une meilleure protection et une sécurité des transmissions et contre les intrusions.

Enfin, il y a les garanties que la loi impose dans la restriction de l’usage de la base.

La première garantie légale, recommandée par la CNIL, consiste à interdire toute interconnexion de la base TES avec d’autres fichiers publics. Cela revient à clairement limiter l’usage de la base TES pour tout objectif autre que celui de la protection de l’identité.

La deuxième garantie réside dans la liste limitative des trois cas où la remontée des empreintes à l’identité est autorisée.

Premier cas, logiquement, au moment de la délivrance ou du renouvellement du titre, afin d’en garantir la bonne fabrication et la remise à la bonne personne.

Deuxième cas, sous contrôle du procureur, dans le seul cadre des infractions pour usurpation d’identité, ce qui correspond à l’objectif initial de la loi.

Troisième et dernier cas, toujours sous contrôle du procureur, pour permettre l’identification de victimes d’accidents collectifs ou de catastrophe naturelle.

Ces garanties inscrites dans la loi sont importantes. Elles sont même plus fortes que celles qui sont théoriquement apportées par le lien faible.

Mesdames, messieurs les sénateurs, à l’inverse du texte qui a été adopté par la commission mixte paritaire, la version à laquelle l’Assemblée nationale était parvenue à l’issue de la deuxième lecture inscrivait dans notre droit les moyens de véritablement protéger l’identité de nos concitoyens sans porter atteinte à leurs libertés fondamentales.

Je le sais, la solution que nous vous proposons n’est pas la réponse à toutes les dérives, à toutes les atteintes que l’homme est capable d’inventer pour dérégler l’organisation de la République. Mais faisons en sorte d’avoir le maximum de garanties. C’est ce que nous vous proposons.

Par conséquent, dans l’intérêt de nos compatriotes, je vous demande de revenir à la version de l’Assemblée nationale, en adoptant l’amendement déposé par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est la troisième fois que la proposition de loi relative à la protection de l’identité, que j’ai déposée avec mon collègue Michel Houel, revient en discussion devant la Haute Assemblée.

Les deux lectures initiales n’ont pas été vaines, puisque les points de vue de l’Assemblée nationale et du Sénat se sont considérablement rapprochés, positionnant sans doute à son point d’équilibre le curseur entre les deux ardentes obligations qui nous incombent : la protection de l’identité de nos concitoyens, d’une part, et la protection des libertés publiques, d’autre part.

Chacun reconnaît aujourd'hui l’importance croissante de l’usurpation d’identité, la relative facilité avec laquelle elle peut être perpétrée, les conséquences terribles qu’elle peut engendrer pour les victimes, c'est-à-dire plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens chaque année, et le vide juridique dont elle a jusqu’à présent largement bénéficié.

Les moyens pour s’opposer efficacement à cette forme particulièrement perverse de délinquance, porte ouverte à de multiples infractions, de l’escroquerie bancaire au terrorisme en passant par la fraude aux prestations sociales et le trafic d’êtres humains, ne sont pas légion. La biométrie est la seule technologie permettant l’identification de personnes parmi des masses humaines de plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’individus. La rencontre entre biométrie et informatique, en décuplant la puissance de cette technique d’identification, a révolutionné ses possibilités d’utilisation.

Par chance, les entreprises de notre pays se sont affirmées depuis longtemps déjà comme les plus performantes au monde dans cette discipline. Ces dernières semaines, j’ai cru entendre, de droite à gauche en passant par le centre, chanter les mérites des technologies françaises. Voilà donc un exemple supplémentaire que je propose aux uns et aux autres.

Mes chers collègues, le seul différend qui persiste aujourd'hui entre l’Assemblée nationale et le Sénat, et que la commission mixte paritaire n’a pas permis de dissiper, porte sur un seul article et, plus précisément, sur la pertinence d’un fichier à lien faible ou à lien fort.

Pour ceux qui ne seraient pas encore familiarisés avec de telles expressions, en dépit de l’exemple des tiroirs à chaussettes de notre rapporteur (Sourires.), je rappelle que le lien fort fait correspondre à chaque enregistrement d’identité une seule donnée biométrique.

Avec le lien faible, il n’est plus possible de connaître la donnée biométrique d’une personne à partir de son identité ni de procéder à l’identification d’une personne à partir d’une donnée biométrique. Comme le qualifient ses créateurs eux-mêmes, il s’agit d’un système dégradé, dont les potentialités ne sont bien sûr pas les mêmes. Ainsi, si le lien faible permettra d’attester de l’identité d’une personne, de constater l’usurpation d’identité, il peinera à permettre l’identification des fraudeurs. En particulier, si le fraudeur est le premier à déclarer son identité, il sera quasi impossible de le détecter.

Comme l’a indiqué Mme le rapporteur, dans cinq ou dix ans, chacun sera dans la base, à l’exception des enfants.

Mme Virginie Klès, rapporteur. Non ! Pas à l’exception des enfants !

M. Jean-René Lecerf. La carte d’identité n’étant pas obligatoire,…

Mme Virginie Klès, rapporteur. Si !

M. Jean-René Lecerf. … permettez tout de même que l’on se préoccupe également des cinq ou dix ans à venir !

Au contraire, le lien fort permettra de remonter en un clin d’œil jusqu’à l’usurpateur par ses empreintes.

Cela ouvre en outre d’autres virtualités, comme la reconnaissance de personnes désorientées, de victimes de catastrophe ou l’identification d’une personne à partir de traces retrouvées sur une scène de crime. Mais rien n’empêche le législateur de dresser des barrières juridiques afin de limiter les usages au strict nécessaire.

Lors de la deuxième lecture de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, nos collègues députés ont largement répondu aux recommandations de la CNIL et du Conseil d'État, comme aux préoccupations du Sénat.

Les empreintes prélevées et enregistrées ont été limitées à deux. La reconnaissance faciale et l’interconnexion de la base TES avec tout autre fichier sont interdites. La remontée des empreintes à l’identité n’est autorisée que dans trois cas limitativement énumérés : la délivrance ou le renouvellement du titre, l’hypothèse des seules infractions pour usurpation d’identité sous le contrôle du procureur de la République, l’identification, sous ce même contrôle, des victimes d’accident collectif ou de catastrophe naturelle.

Notre collègue Serge Blisko reconnaissait lui-même en commission mixte paritaire que l’Assemblée nationale avait « finalement adopté un texte beaucoup moins attentatoire aux libertés publiques qu’en première lecture », même s’il ajoutait que cette nouvelle rédaction ne le rassurait « pas tout à fait ». J’ai connu des critiques plus véhémentes…

Mes chers collègues, le lien faible ne faisait en aucune manière partie du dispositif que Michel Houel et moi-même avions souhaité instaurer dans notre proposition de loi. Il n’est utilisé dans aucun pays au monde. Et même ceux qui y ont songé, comme Israël, y ont renoncé. Ses inventeurs eux-mêmes n’en recommandent plus l’usage, faute de croire réellement à ses vertus opérationnelles.

Pouvons-nous réellement engager notre pays dans des investissements significatifs avec le risque d’un résultat décevant qui pénaliserait les victimes et nous exposerait au risque d’être totalement dépassés par nos partenaires européens et mondiaux, alors que le compromis auquel l’Assemblée nationale est parvenue et qu’elle a rétabli sur amendement du Gouvernement lors de la discussion du texte de la commission mixte paritaire concilie l’efficacité du lien fort avec le respect scrupuleux des libertés publiques ? Nous ne le croyons pas.

C'est la raison pour laquelle le groupe UMP votera l’amendement du Gouvernement. Les « 340 voix contre 4 », dont la mienne, de la deuxième lecture étaient fondamentalement – M. le président de la commission des lois le sait bien – les voix des absents, mobilisées par la seule grâce du scrutin public !

En conclusion du rapport de 2005 d’une mission d’information de la commission des lois sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, je notais que la sécurisation de l’identité n’était pas antinomique de la sauvegarde des libertés et que, tout au contraire, protéger l’identité d’un individu, c’était protéger les droits attachés à sa personne, comme le droit de propriété ou la liberté d’aller et venir, et sécuriser les relations contractuelles.

Pas plus qu’en 2005 je ne saurais me ranger aux côtés d’un certain nombre de personnes, certes de bonne volonté, qui invoquent aujourd'hui encore, au nom de la période de l’Occupation, un droit à la dissimulation d’identité. Beaucoup de temps a passé depuis, et une telle préoccupation ne me semble vraiment plus d’actualité dans l’Europe démocratique qui est aujourd'hui la nôtre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie, à mon tour, M. le président de la commission des lois des différentes mises au point fort appropriées qu’il vient de formuler au sujet de la procédure.

Les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la protection de l’identité sont déjà obsolètes, puisque l’Assemblée nationale a fait le choix d’amender ce texte.

Je le rappelle, la commission mixte paritaire avait retenu pour l’article 5 la rédaction issue des travaux du Sénat, qui établissait non pas un lien fort, mais un lien faible entre les données d’identité et les données biométriques. Pourtant, nos collègues députés de la majorité gouvernementale ont adopté un amendement de M. le rapporteur rétablissant le lien fort.

Certes, des assouplissements ont été insérés dans le texte. Je pense, notamment, au passage de huit à deux du nombre des empreintes digitales enregistrées dans la base, conformément aux préconisations du Conseil d’État. Cependant, le cœur du dispositif reste le même.

Du point de vue de la méthode, de telles pratiques ne sont pas très honnêtes et sont contraires à la mission spécifique de la commission mixte paritaire, censée représenter à parité l’Assemblée nationale et le Sénat.

Sur le fond, nous restons extrêmement réservés, pour ne pas dire plus, sur l’idée de créer un fichier généralisé recouvrant l’ensemble des données civiles et biométriques des bénéficiaires de la carte nationale d’identité.

C’est la raison pour laquelle nous avons demandé de manière constante et récurrente la suppression pure et simple de l’article 5.

Une telle suppression aurait permis d’instituer une carte nationale d’identité électronique, sans pour autant créer un fichier attenant, comme cela se pratique, notamment, en Allemagne. C’est du reste la solution recommandée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, dans son avis du 25 octobre dernier.

Par ailleurs, dans sa délibération du 11 décembre 2007, la CNIL considère comme légitime « le recours […] pour s’assurer de l’identité d’une personne, à des dispositifs de reconnaissance biométrique dès lors que les données biométriques sont conservées sur un support dont la personne a l’usage exclusif ». Nous regrettons donc que ces arguments n’aient pu trouver grâce aux yeux de nos collègues parlementaires.

En conclusion, les raisons qui justifient notre vote contre la proposition de loi de MM. Lecerf et Houel sont principalement de deux ordres.

Premièrement, nous sommes opposés à la création d’un fichier intrusif, qui permettra le contrôle de l’ensemble de la population. La CNIL a encore fait savoir récemment qu’elle était extrêmement réservée au sujet de la création de ce fichier.

Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, elle considère que la création de fichiers contenant des données biométriques, pour des citoyens ne faisant l’objet d’aucune poursuite judiciaire en cours, constitue une violation manifeste des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et contrevient à la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l’Europe.

Elle estime ainsi que « le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées […] ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».

L’adoption de cette proposition de loi ouvrirait donc la voie à des recours devant la CEDH, créant ainsi inutilement de l’insécurité juridique.

Deuxièmement, nous sommes opposés à la présence, certes facultative, mais néanmoins lourde de sens, d’une puce de service sur la carte nationale d’identité.

À ce titre, la CNIL a paru également extrêmement réservée et a formulé un avis très judicieux. Elle tire, ainsi, un signal d’alarme en estimant que la puce optionnelle, si elle est une idée légitime, ne doit pas faire oublier qu’elle peut permettre « la constitution d’un identifiant unique pour tous les citoyens français ainsi que la constitution d’un savoir public sur les agissements privés ». Elle indique également que « de telles fonctionnalités ne devraient pas permettre le suivi des personnes sur internet ou l’exploitation par l’État d’informations sur les transactions privées effectuées par les citoyens ».

Nous partageons cette analyse et nous ne cautionnons pas le mélange des finalités entre intérêt régalien et intérêt commercial. La citoyenneté, dont la carte nationale d’identité est un symbole fort, ne peut être confondue avec le e-commerce sans porter une atteinte importante à l’idée même que nous nous faisons d’un État républicain.

Convenons, également, que les parlementaires ont subi un fort lobbying poussant à l’intégration de cette puce, promesse de profits importants pour quelques entreprises spécialisées… (Mme Catherine Procaccia proteste.) C’est la vérité, ne vous en déplaise, madame Procaccia !

De même, mes chers collègues, je ne peux m’ôter de l’esprit qu’il s’agit une nouvelle fois d’un transfert de charges rampant de l’État vers les collectivités, principalement vers les communes. Le Gouvernement et sa majorité parlementaire n’ont de cesse de faire des communes des annexes des préfectures, en leur transférant des missions de plus en plus importantes, sans pour autant leur accorder les moyens financiers nécessaires. Par ailleurs, sur les 36 000 communes que compte notre pays, seulement 2 000 seront habilitées à délivrer la carte d’identité nationale électronique, ce qui augure de fortes disparités géographiques et sera certainement source de complexité pour nos concitoyens.

Nous regrettons qu’il y ait, une nouvelle fois, un fossé entre les objectifs affichés par un texte de loi et la finalité inavouée du Gouvernement !

Ce texte marque une nouvelle étape dans la dérive sécuritaire de la politique gouvernementale. Il permet la création d’un énième fichier prétendument anti-délinquance, qui se révélera, comme les autres, participer du fichage généralisé de la population et faire peser de lourds risques sur les libertés publiques.

Nous voterons contre cette proposition de loi et, bien évidemment, contre l’amendement déposé par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l’examen en première lecture au Sénat de cette proposition de loi relative à la protection de l’identité, le groupe RDSE s’était félicité de l’initiative prise par nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel pour mettre en place des instruments susceptibles de renforcer la lutte contre la fraude à l’identité.

La cause est juste, personne ne le conteste et chaque jour en apporte la preuve : nous observons des cohortes, voire des légions d’attaques ou d’atteintes à la vie privée des personnes et à leur intégrité !

À cause juste, remèdes justes : c’était l’objet du texte initial dont ma collègue Anne-Marie Escoffier avait souligné la pertinence et le juste équilibre, auquel M. le rapporteur et la Haute Assemblée avaient apporté une vigilance particulière pour empêcher que ne soit créé un fichier national où l’ensemble de la population française, soit plus de 60 millions de personnes, serait bel et bien répertorié. Tout l’équilibre du texte était contenu dans son article 5, qui retenait le principe de la constitution d’une base biométrique selon la technique du lien faible. En un mot, il était impossible de la détourner de son objet.

Le texte de l’Assemblée nationale permet, lui, je le rappelle, de croiser les données identitaires de base avec les empreintes biométriques et les images faciales numérisées.

Le texte soumis à la commission mixte paritaire a confirmé les points de vue opposés des deux assemblées, chacune soutenant son analyse.

Le groupe RDSE est trop attaché aux garanties fondamentales des libertés publiques pour accepter des dispositifs de ce type, qui, progressivement et insidieusement, envahissent le champ de notre vie privée.

D'ailleurs, nos réticences sont aussi celles du Conseil d’État, malgré les rectifications apportées au texte, de la CNIL – cela a été rappelé – et de la Cour européenne des droits de l’homme.

On ne peut laisser la technique faire la loi sans le dire. Au contraire, c’est au Parlement de choisir la technique adaptée à l’objectif visé, et seulement à lui : ici, le but est d’éviter l’usurpation d’identité tout en garantissant la protection de la vie privée. Les deux doivent aller de pair.

J’ai bien entendu les arguments qui ont été avancés tout à l’heure, notamment par M. le ministre et par mon collègue Jean-René Lecerf. Néanmoins, ce n’est pas parce que le problème est grave que n’importe quelle solution doit s’imposer, surtout si le remède est pire que le mal – je pense aux détournements d’objectifs.

Sauf erreur de ma part, il s’agit, ici, de permettre de vérifier que le porteur du titre d’identité en est bien le titulaire légitime. Il ne s’agit en aucun cas de créer un fichier de police supplémentaire ni de prendre des dispositions permettant d’améliorer la balance commerciale de la France.

En conséquence, le groupe RDSE, dans sa grande majorité, votera contre la proposition qui nous est faite. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien des choses ont déjà été dites et nous avons déjà débattu de cette question en novembre dernier.

Je réaffirmerai certains principes et certaines convictions du groupe socialiste, qui ont, jusqu’à présent, recueilli l’assentiment de la majorité du Sénat.

La préoccupation de notre assemblée, lors des précédentes lectures du texte, était d’assurer un bon équilibre entre la protection des libertés individuelles et celle de l’identité. Il s’agissait, en particulier, de garantir la protection contre l’usurpation d’identité.

Le Gouvernement, à l’occasion de la mise en place des cartes d’identité biométriques, souhaite créer un fichier à lien fort, ce qu’aucun autre pays n’a prévu de faire jusqu’à présent. Il s’agirait de constituer une base établissant un lien clair et précis entre, d’une part, l’identité des personnes, et, d’autre part, leurs empreintes biométriques.

Or ce type de fichier à lien fort peut conduire à d’énormes dérives. Une caméra de surveillance, des empreintes relevées par-ci par-là permettent de repérer les déplacements et de déterminer les activités de n’importe qui. Les libertés individuelles sont donc, à l’évidence, menacées par ce type de fichier.

C’est pourquoi le Sénat a proposé une voie médiane permettant d’éviter que la base de données ne devienne un fichier de police.

Soyons clairs, le lien faible protège parfaitement des risques d’usurpation d’identité, puisqu’il permet les détections de fraudes. Pourquoi aller au-delà, d’autant qu’établir un lien fort, aujourd’hui pour lutter contre l’usurpation d’identité, demain pour protéger les citoyens d’autres délits, fait courir à l’ensemble de la population un risque réel de fichage, ce dernier pouvant être détourné de son objectif initial ?

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons le maintien d’un lien faible. L’actualité judiciaire de ces derniers mois, le détournement de certains fichiers et l’usage abusif de certaines « fadettes » ont fait naître de larges soupçons au sein de la population.