M. Daniel Reiner. Que des pays simples !

M. Alain Juppé, ministre d'État. Cette idée a été reprise au bond lors de la conférence d’Istanbul du 25 novembre dernier. Elle est désormais inscrite à l’ordre du jour international ; nous continuons à y travailler.

Tels sont les différents plans sur lesquels nous agissons avec détermination. Nous voulons offrir aux Afghanes et aux Afghans un avenir, et empêcher, sur cette terre, le retour de menaces non seulement pour le peuple afghan, mais aussi pour nos sociétés. N’oublions pas que nous défendons nos intérêts lorsque nous nous battons contre le terrorisme international. C’est une mission juste que servent nos soldats, avec un professionnalisme et un courage auxquels vous avez tous rendu hommage. J’y ajoute le mien. Comme M. Boulaud l’a souligné, quitter avec précipitation l’Afghanistan serait une très mauvaise attitude, quasi déshonorante pour l’armée française.

Je souhaite maintenant aborder, en réponse plus précisément à M. Carrère, la question de l’Asie, continent qui constitue, vous avez raison, monsieur le président de la commission, un volet majeur de toute politique étrangère. Il y a au moins trois raisons à cela.

Tout d’abord, l’Asie est une zone de tensions : elle compte quatre puissances nucléaires, dont plusieurs connaissent des différends frontaliers ; elle est le théâtre de crises complexes et multiformes – Afghanistan, Corée du Nord.

Ensuite, l’Asie est aussi le moteur de la croissance mondiale. Elle offre un potentiel unique d’exportation et d’investissement.

Enfin, l’Asie, dont six États font partie du G20, joue un rôle politique international croissant. Les puissances asiatiques sont incontournables sur tous les dossiers internationaux.

Prenant la mesure de ces mutations, dès les années quatre-vingt-dix, la France a structuré une politique ambitieuse à l’égard de l’Asie.

Avec plusieurs acteurs particulièrement proches, elle a conclu des partenariats stratégiques, qui fournissent un cadre à des coopérations renforcées dans des domaines d’intérêt national.

Tel a été récemment le cas avec l’Australie où une mission sénatoriale se rendra prochainement, ce dont je me réjouis. Ce pays, géographiquement lointain, est proche de nous dans bien des domaines. Lors de la visite que j’y ai effectuée voilà peu de temps – la première d’un ministre des affaires étrangères français depuis celle de Claude Cheysson, soit depuis 1983 –, j’ai été très impressionné par le changement d’attitude de l’Australie à l’égard de la France. Vous vous en souvenez sans doute, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque j’étais Premier ministre, nous avions relancé quelques expérimentations qui nous ont brouillés avec les Australiens, dont l’un des objectifs était de nous exclure de la zone. Aujourd’hui, a contrario, l’Australie exprime son attachement à la présence française dans la région, car cette présence est un élément de stabilité et de sécurité. Nous avons donc tout intérêt à développer ce partenariat stratégique avec l’Australie.

Nous faisons de même avec l’Indonésie, où le Premier ministre s’est rendu pour signer un partenariat stratégique.

Dans le Pacifique Sud, nous agissons donc en faveur de la sécurité régionale et internationale.

Sur le plan politique, nous contribuons à la démocratisation et au renforcement de l’État de droit, que ce soit en Chine, à travers notre dialogue sur les droits de l’homme, ou en Birmanie, où j’ai vécu récemment des moments d’une grande intensité. Le jour de mon arrivée à Rangoon, le Gouvernement birman venait de libérer plus de 650 prisonniers, dont la quasi-totalité étaient des prisonniers politiques. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec plusieurs d’entre eux. J’ai surtout eu une longue discussion avec Aung San Suu Kyi, que j’ai décorée de la légion d’honneur. Elle m’a fait part de sa conviction selon laquelle le nouveau gouvernement est réellement engagé sur la voie de la libéralisation et de la démocratisation. Les entretiens que j’ai eus le lendemain avec le Président de la République et le président des deux chambres du Parlement m’ont conforté dans cette certitude.

Toutefois, l’affirmation asiatique est telle que nous devons davantage inscrire nos efforts dans un cadre européen.

D’abord, nous devons établir une relation euro-asiatique équilibrée, fondée sur le principe de réciprocité, c’est-à-dire restaurer les conditions d’une relation économique loyale avec des partenaires dont le développement, qui peut inquiéter, est aussi riche de promesses. En interne, l’Europe doit renforcer sa compétitivité par une politique industrielle forte et des investissements massifs dans les activités de recherche et de développement.

Ensuite, nous devons instaurer avec l’Asie une relation responsable, dans laquelle son gain de puissance lui donne non seulement de nouveaux droits, mais aussi de nouvelles responsabilités. Si, d’un côté, nous devons adapter les structures de gouvernance à l’affirmation de nos partenaires asiatiques – Conseil de sécurité, G20, FMI –, nous devons aussi, de l’autre, les amener à relever avec nous les défis mondiaux. Leur participation croissante aux opérations de maintien de la paix va dans le bon sens. Il faut aller plus loin, par exemple, en matière de lutte contre le changement climatique ou de résorption des grands déséquilibres financiers.

Pour terminer, j’évoquerai l’Afrique, sujet qui, vous le savez, me tient particulièrement à cœur.

Je souhaite dire très respectueusement à Mme Tasca que j’ai été profondément déçu par son intervention, qui n’est que la répétition de ce que l’on entend dire depuis vingt ans à propos de l’Afrique, mais qui ne correspond plus à la réalité. Vous êtes encore dans le XXe siècle, madame la sénatrice !

Mme Catherine Tasca. Pourquoi pas au XIXe ? Lisez ce qui est dit de M. Balkany dans Le Parisien aujourd’hui !

M. Alain Juppé, ministre d'État. Nous attachons au continent africain une très grande importance, tout simplement parce qu’il s’agira du continent du XXIe siècle et qu’il s’affirmera, très certainement, sur tous les plans.

J’ai déjà effectué en un an quatre voyages en Afrique et je me suis rendu dans une douzaine de pays africains. L’Afrique est un partenaire avec lequel nous entretenons des relations modernisées, décomplexées.

M. Alain Juppé, ministre d'État. Parce que c’est la condition du développement, nous voulons, pour elle et avec elle, faire progresser la paix, l’unité, la démocratie sur tout le continent.

Je le dis clairement, madame Tasca, sans ingérence, la France espère un renouvellement des élites africaines conforme aux progrès de la démocratie, que nous appelons de nos vœux.

Je pense, tout d’abord, à la Côte d’Ivoire. Présenter la visite d’État du président Ouattara comme la poursuite de nos relations depuis vingt ans avec l’Afrique n’a aucun sens. Merci de me donner un argument en or en faisant allusion à la signature d’un accord de défense !

M. Christian Cambon. Tout à fait !

M. Robert del Picchia. Avant, il n’y avait pas d’accords !

M. Alain Juppé, ministre d'État. Pendant des décennies, nos accords de défense avec les pays africains étaient secrets et comportaient des clauses d’assistance aux gouvernements en place. C’est ce que l’on appelait la « Françafrique ».

A contrario, l’accord que nous avons signé avec la Côte d’Ivoire – et à peu près avec tous les autres pays africains aujourd’hui, à part le Sénégal, État avec lequel une signature est en cours de négociation – est public, il ne comporte plus aucune clause secrète et se fonde essentiellement sur des actions de formation des forces de sécurité locales. Il ne contient en aucune manière des garanties de soutien à tel ou tel gouvernement.

Vous êtes également particulièrement mal inspirée, madame Tasca, en évoquant le maintien d’une présence militaire en Côte d’Ivoire, car depuis l’an dernier nous avons divisé cette présence par trois ou par quatre. Je comprends parfaitement que certains puissent éprouver de la nostalgie pour l’ex-président Gbagbo, mais je puis vous assurer que nous faisons confiance au président Ouattara, qui a engagé avec beaucoup de courage un processus de réconciliation nationale et de reconstruction de son pays. (M. Robert del Picchia applaudit.)

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Alain Juppé, ministre d'État. C’est la preuve que, aujourd’hui, la politique africaine de la France est innovante et fondée sur des principes démocratiques ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Tasca. Avec M. Balkany ?

M. Alain Juppé, ministre d'État. Je pense aussi au Sénégal. Il est tout à fait paradoxal de nous accuser de soutenir le régime en place. Les messages que j’ai reçus de Dakar ne vont pas exactement dans ce sens, madame la sénatrice !

Quand j’indique que nous n’avons pas à nous ingérer dans les affaires du Sénégal, qu’il revient aux Sénégalais de choisir leur futur président de la République, que nous n’avons pas de candidat pour la future élection présidentielle, que la France souhaite seulement que celle-ci soit transparente, loyale et permette à toutes les sensibilités sénégalaises de s’exprimer, et quand j’ajoute que la relève des générations devra bien un jour se produire, je ne suis pas sûr – je suis même certain du contraire –que Dakar interprète ce discours comme un encouragement au statu quo ! Lorsque je m’exprime en tant que ministre des affaires étrangères, c’est la voix de la France que je fais entendre, c’est le point de vue du Président de la République et du Gouvernement que je relaie.

Une fois de plus, notre attitude à l’égard des événements qui se déroulent au Sénégal prouve bien que nous avons actualisé, modernisé, démocratisé notre politique à l’égard de l’Afrique.

La France est aussi engagée plus que jamais pour aider les Africains à faire face par eux-mêmes aux défis de leur sécurité. Notre dispositif militaire a été adapté. Je rappelle que nous formons les forces africaines qui partent en Somalie au titre de l’Union africaine. Désormais publics et dépourvus de clause automatique d’assistance, la quasi-totalité de nos accords de défense ont été renégociés.

L’horizon de la politique de la France en Afrique est celui du continent tout entier. L’Afrique non francophone est, elle aussi, une zone prioritaire de notre action, comme en témoignent la visite d’État du président Zuma en mars dernier, les partenariats stratégiques que nous avons signés avec le Kenya et l’Afrique du Sud, les voyages que j’ai pu effectuer en Éthiopie, au siège de l’Union africaine, pays où le Président de la République s’était également rendu l’année dernière, ou encore au Nigéria.

Dans le même esprit, nous soutenons sans réserve l’intégration régionale et continentale, qu’elle soit politique ou économique. C’est une priorité pour l’Afrique dans le monde globalisé qui est le nôtre. Les liens que nous avons noués avec l’Union africaine, la CEDEAO ou la SADC et la place que nous avons donnée à l’Afrique au G8 ou au G20 en sont quelques manifestations.

Compte tenu de l’actualité, permettez-moi de dire un dernier mot sur le Mali, pays au sujet duquel M. Boulaud m’a interpelé. La rébellion touarègue a remporté récemment d’importants succès militaires au nord du fleuve Niger. Quels qu’en soient les motifs, nous considérons ce recours à la force inacceptable dans une démocratie comme le Mali. Un cessez-le-feu immédiat est impératif.

Parallèlement, il importe de traiter la question touarègue au fond, ce qui suppose un dialogue entre Bamako et toutes les parties concernées. J’en ai fait part au président Touré. Je salue, en cet instant, son sens de l’unité nationale, qu’il a manifesté dans un discours récent, et je suis confiant dans la capacité du peuple malien à préserver son modèle démocratique. À ce propos, vous avez évoqué, monsieur le sénateur, l’accord d’Alger de 2007.

Peut-être n’ai-je pas répondu à toutes les questions qui m’ont été posées, notamment par M. Boulaud, en particulier sur la situation dans les Balkans où nous essayons également de prendre des initiatives. Nous souhaitons, par exemple, que la Serbie obtienne le plus rapidement possible le statut de candidat à l’Union européenne, car il est important de soutenir dans ce pays les énergies qui se tournent vers l’Europe et non les forces extrémistes ou nationalistes.

Je remercie Jean-Louis Carrère d’avoir constaté que le Quai d’Orsay fait tant avec si peu. On n’a jamais autant cité de papiers écrits de ma modeste plume que la tribune que j’ai cosignée en 2010 avec Hubert Védrine dans laquelle nous déplorions le fait que le ministère des affaires étrangères soit beaucoup « toisé ». Je n’ai pas changé d’avis depuis, même si j’ai essayé de modifier la trajectoire, non sans succès d’ailleurs. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ces différents points devant votre commission à plusieurs reprises.

Cela étant, si le Quai d’Orsay fait si bien avec si peu, c’est que notre outil diplomatique est de très grande qualité. Je voudrais rendre hommage – fait rare –, à cette tribune, au métier de diplomate, qui prête parfois à des considérations quelque peu ironiques, lesquelles témoignent seulement d’une méconnaissance complète des réalités de la profession. Nos diplomates ne prennent plus le thé à dix-sept heures dans les pays où ils sont affectés. Ils sont très engagés dans notre diplomatie économique et dans notre stratégie d’influence.

C’est parce que notre corps diplomatique et l’ensemble des agents du ministère sont très professionnels, de grande qualité et totalement investis dans la défense des intérêts et de l’image de la France que – j’ai été heureux de l’entendre dire par des membres de la Haute Assemblée qui ne soutiennent pas forcément l’action du Gouvernement – la voix de la France est aujourd’hui attendue et entendue ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec ce débat de politique étrangère.

Nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

16

Débat sur le rapport annuel du contrôle de l'application des lois

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport annuel du contrôle de l’application des lois, organisé à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission sénatoriale.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si, pour la première fois sous cette forme, a lieu un débat en séance plénière sur le rapport annuel de l’application des lois – il avait été demandé l’année dernière par un groupe de notre assemblée mais il est désormais institué –, c’est que l’application des lois, au-delà de toute technicité, de toute approche partisane, est un enjeu démocratique majeur.

La loi fonde, assoit, irrigue la République, l’institution comme la somme d’individus qu’elle organise. En créant des égaux, la loi cimente et justifie notre société. Dès lors, sa fabrique doit être exigeante, sûre, vérifiée et vérifiable, et ce du début à la fin du processus. Elle doit l’être depuis ses premières élaborations dans les cabinets ministériels ou les bureaux du Parlement, jusqu’aux quartiers de nos villes et dans les campagnes de nos territoires où elle s’applique.

La première condition de notre égalité républicaine est l’effectivité de la loi. Notre premier dessein doit donc être la recherche de l’infaillibilité de cette effectivité.

Si la loi, dans son esprit ou dans sa lettre, n’est pas appliquée faute de directives réglementaires, de moyens humains, institutionnels ou matériels, alors le lien qui unit les citoyens à leurs représentants, à leur Parlement est abîmé. Par conséquent, c’est le lien qui rassemble les citoyens aux autres citoyens qui est également affecté.

Ainsi, veiller à la mise en application des lois dépasse grandement les objectifs, pourtant essentiels, de « stabilité et sécurité juridique », d’équilibre entre le législatif et l’exécutif, ou même de cohérence entre les paroles et les actes des dirigeants politiques. Veiller à la mise en application des lois est un élément de restauration de la confiance des citoyens dans la loi, dans la politique en général, et, ce faisant, un élément de la restauration de la confiance des citoyens dans leur volonté même de vivre ensemble.

Dans son Traité du gouvernement civil, le philosophe anglais John Locke était sans équivoque : « Il n’est pas toujours nécessaire de faire des lois, mais il est toujours nécessaire de faire exécuter celles qui ont été faites. »

Mme Isabelle Debré. C’est vrai !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale. Voilà ce à quoi nous allons nous atteler !

D’évidence, l’application des lois, dans sa dimension réglementaire, est une discipline juridique complexe. Néanmoins, pour parvenir à l’envisager dans sa globalité, nous devons nous poser certaines questions simples : la loi est-elle appliquée ? Si tel n’est pas le cas, pourquoi ? Où sont les blocages ? Comment les résoudre ? Si elle est appliquée, les effets recherchés sont-ils réellement obtenus ? Répondent-ils aux besoins ciblés ? Les moyens programmés ont-ils été apportés ? Suffisent-ils ? Sans sombrer dans l’itération, peut-on améliorer le dispositif ? En d’autres termes, le contrôle de l’application des lois doit évaluer la loi à l’aune de la réalité et du terrain.

J’en viens au bilan qui nous occupe aujourd’hui.

Pour l’année 2010-2011, des 33 lois requérant un suivi réglementaire, 8 lois, soit 24 %, ont reçu l’intégralité de leurs textes d’application ; 21 lois, soit 64 %, sont partiellement mises en application et 4 lois, soit 12 %, attendent la totalité de leurs décrets.

S’agissant de la treizième législature dans son ensemble, 59 % des 131 lois promulguées nécessitant des décrets d’application sont totalement appliquées, 37 % le sont partiellement et 3 % ne le sont pas du tout.

Monsieur le ministre, à propos de ce bilan chiffré, permettez-moi de formuler une remarque, en réalité presque un rappel de ce qu’il était convenu de faire ensemble pour éviter que ne se reproduisent les malentendus de l’année dernière. En effet, il avait été convenu entre votre ministère et les services du Sénat que la période considérée pour établir ce bilan annuel s’arrêterait au 31 décembre 2011. Or si notre rapport respecte cet accord tacite, dirons-nous, tant dans votre communication solennelle en conseil des ministres que dans vos interventions dans la presse, vous annoncez des chiffres allant jusqu’au 31 janvier 2012.

Je comprends la précipitation d’une fin de législature et votre ardeur à vouloir rattraper le retard accumulé, parfois par vos prédécesseurs, mais, à l’avenir, il serait bienvenu d’en rester à des bases communes. Comment comparer les pointages de la Haute Assemblée et ceux de votre ministère si ce dernier ne respecte pas les bornes qui avaient été posées ?

D’ailleurs, cet épisode met drastiquement en lumière l’urgence qu’il y a à harmoniser les bases de données de votre ministère et du Sénat. C’est une demande officielle de notre part : les tableaux de bord du suivi de la mise en application des lois devraient être transmis au Sénat spontanément, sans que nous ayons à les quémander auprès de vous, et en temps réel. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à prendre cet engagement aujourd’hui ?

Bien entendu, quand un décret est publié, nous l’avons en temps réel, grâce au Journal Officiel, au site Légifrance, mais le processus de suivi, que vous maîtrisez, monsieur le ministre, doit nous être transmis. Quand tel décret est enlisé au Conseil d’État ou dans telle administration, vous saisissez vos propres collègues ministres et leur demandez d’agir. C’est bien ainsi que vous procédez. Nous avons besoin de savoir, décret par décret, à quelle étape en est le texte pour jouer notre rôle de contrôle, pour demander à telle ou telle administration d’accélérer le processus. C’est à cette condition que nous pourrons exercer notre mission de contrôle en toute indépendance sans être obligés de nous en remettre à vos décisions et aux résultats de vos actions. Nous ne voulons pas jouer un rôle de contrôle « après coup ».

Par ailleurs, et pour en finir avec la question des dates à prendre en considération, la commission recommande une nouvelle fois, compte tenu de l’objectif des six mois que vous avez retenu pour la publication des décrets – c’est l’objectif du Premier ministre que vous avez réaffirmé –, que les bornes fixées soient davantage en relation avec le calendrier parlementaire. Il serait donc opportun que soient retenues les dates du 30 septembre et du 31 mars plutôt que celles du 30 juin et du 31 décembre, qui ne sont guère pertinentes par rapport au calendrier parlementaire.

Cela étant, un examen plus détaillé de ces chiffres révélerait le caractère en partie « optique » de cette consolidation, mais je vous accorde volontiers que ce rapport et vos résultats témoignent d’une amélioration significative. La création du comité de suivi, la régulation que vous avez entreprise, les réunions interministérielles, la nomination d’un commissaire à l’application des lois, ou encore l’incitation à tenir le délai de six mois sont autant d’initiatives qui, sans aucun doute, ont pesé sur ce résultat.

Admettez avec moi que le Parlement a contribué à cette amélioration. Les douze rapports de l’Assemblée nationale, les questions écrites ou orales au Gouvernement, les débats organisés au cours des semaines de contrôle, la création même de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois participent également de ce bon résultat pour cette année.

Toutefois, malgré cette avancée, je le répète, significative, je ne vois pas de motif à verser dans le triomphalisme. Une telle attitude est de toute façon mauvaise, car, même en cas de bons résultats, le triomphalisme est démobilisateur. En tout état de cause, nous sommes encore loin du compte. Passer d’un taux d’application des lois de 20 % à 64 % n’est pas mal, mais à l’aune d’un objectif de 100 %, 64 %, cela reste insuffisant.

L’objectif principal, à savoir la publication des décrets dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, demeure très insuffisamment rempli : il l’est à 42 %, pourcentage très éloigné de l’objectif de 100 % que s’est fixé le Gouvernement.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Il s’était fixé beaucoup d’objectifs inatteignables !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale. Il faudrait que tous les décrets soient publiés dans les six mois suivant la promulgation. Vous pouvez dire que, sur l’année écoulée ou sur l’ensemble de la législature, 80 % des lois ont vu leurs décrets publiés, mais dans les six mois suivant la promulgation, ce taux, je le répète, n’est que de 42 %. C’est donc forcément insuffisant par rapport à l’objectif fixé.

Le rattrapage pour ce qui concerne les lois les plus anciennes semble stagner.

La remise des rapports du Gouvernement au Parlement s’avère franchement défectueuse. Pour une large majorité, ceux-ci ne sont tout simplement pas remis. Quant aux rapports sur la mise en application des lois, ils sont souvent remis hors délai et leur précision est assez aléatoire, comme je l’avais démontré au secrétaire général du Gouvernement. Un rapport de six lignes nous a, par exemple, été transmis pouvant se résumer ainsi : tel décret est publié ; tel autre ne l’est pas. Pour notre information, cela faisait peu. De vrais rapports détaillés nous éclaireraient.

Je n’entrerai pas dans la vaine discussion visant à savoir si les rapports commandés au Gouvernement sont trop nombreux. Ils sont inscrits dans la loi ; ils doivent être réalisés. Je réponds ainsi à ceux qui reprochent aux parlementaires de demander systématiquement des rapports et de s’étonner ensuite de ne jamais les voir paraître.

Mme Isabelle Debré. Vous en demandez tout le temps !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale. Dès lors que, dans son principe, le rapport a été accepté par le Gouvernement et inscrit dans la loi par le Parlement, il doit être remis. Il est vain d’arguer du fait que nous avons nous-mêmes demandé ces rapports pour décharger le Gouvernement de sa responsabilité.

Enfin, du point de vue de la qualité des textes d’application, le chantier est immense. Des élus de tous bords politiques témoignent très fréquemment de la complexité de certains décrets d’application, qui peuvent même aller jusqu’à être contraires à l’objet de la loi. Dans le rapport, nous citons même un cas extrême : le législateur a dû modifier une loi pour la mettre en conformité avec les circulaires préfectorales d’application, car avaient été prises sur la base de ces circulaires des mesures sur lesquelles il n’était pas possible de revenir !

Je laisse à chaque président de commission le soin de présenter ses propositions ; j’en viens aux autres recommandations de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

En amont, il serait nécessaire de mieux préparer les lois, d’effectuer des études d’impact approfondies et d’annoncer systématiquement, dès le dépôt des projets de loi, le nombre et la nature des mesures réglementaires envisagées.

En aval, la sortie des lois du Parlement doit être comprise non plus comme le terme du processus démocratique de leur conception, mais bien comme le début du compte à rebours de leur mise en application, laquelle doit être la plus rapide et la plus fidèle possible.

À propos des rapports, nous estimons que, comme pour les mesures réglementaires, un délai « raisonnable » devrait être fixé.

Cela étant, je n’entends accabler personne. La réflexion sur la production législative, depuis les études d’impact jusqu’à la publication des décrets, devra être menée tant au Gouvernement qu’au Parlement et associer tous les groupes politiques, car nous pouvons faire beaucoup ensemble.

En la matière, une idée reçue persiste parfois à juste titre. Notre pays est atteint d’une forme insidieuse d’inflation législative. Le problème vient non pas du nombre de lois promulguées chaque année, qui reste relativement stable, mais du nombre de dispositions contenues dans chaque loi, qui a littéralement explosé.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale. Une loi comportait, en moyenne, 22 articles en 1990, contre 33 en 2000 et 41 en 2009. On le constate bien, la progression est impressionnante !

Le secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lavisgnes, nous faisait remarquer lors de son audition le 10 janvier dernier, que « en 2010, un projet – ou une proposition de loi – déposé au Parlement avec 18 articles était au final adopté avec 37 articles, passant ainsi de 6 000 à 12 000 mots. » Constatant cette dangereuse évolution, M. Lavisgnes s’est autorisé un verdict sans appel : « Nos lois sont à la fois lourdes et imprécises ! »

Je ne partage pas complètement ce jugement, car le Parlement est amené à améliorer et enrichir les lois : cela peut le conduire à compléter le texte par de nouveaux articles, même s’il est vrai qu’il serait certainement plus productif de remplacer que d’ajouter.

Si nous sommes d’accord pour dire que la longueur des textes a « explosé », il ne faudrait pas, pour autant, en déduire que la solution serait de prendre acte des projets de loi tels que proposés, la majorité des textes examinés émanant du Gouvernement.

Devant l’ampleur de la tâche à accomplir, monsieur le ministre – et je ferai la même remarque à vos successeurs –, nous serons extrêmement vigilants et proactifs quant à la publication des décrets, des arrêtés et même des circulaires, et ce tant sur les délais que sur le fond.

Mais notre activité ne saurait se résumer au pointage et à la vérification des textes opérant la mise en application de la loi. Notre commission ne saurait être une banale agence comptable ou une quelconque « police des décrets ».

Si le fonctionnement de notre commission dépend de l’instruction générale du bureau du Sénat, notre mandat comme notre ambition vont bien au-delà et s’enracinent dans les trois principes énoncés à l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »

C’est dans ces trois domaines que nous mènerons, dans l’année qui vient, notre programme de contrôle de l’application des lois, notamment des lois emblématiques dont je parlerai en conclusion. La prochaine fois, je présenterai un rapport qui ne sera plus essentiellement statistique et quantitatif, mais qui intégrera le travail qualitatif de tous nos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)