M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, notre débat de ce jour nous donne l’occasion inédite d’aborder publiquement des questions qui, jusqu’à présent, étaient étudiées par chaque commission avant qu’une synthèse de leurs travaux fasse l’objet d’une communication interne du président du Sénat. C’est à mon sens une initiative heureuse de la nouvelle commission spécifiquement chargée du contrôle de l’application des lois, dont le Sénat a récemment décidé la création.

En effet, cet exercice est fondamental pour mesurer le degré de difficulté pratique d’application de la législation que nous votons, mais plus encore pour savoir si les lois adoptées cette année et au cours des précédentes sessions s’appliquent réellement. Cela devrait aller de soi, mais qu’en est-il exactement ?

Au cours de la session ordinaire 2010-2011, sur les 48 lois adoptées par le Parlement, 7 ont été examinées au fond par la commission des affaires sociales, portant toutes sur des sujets « lourds », mais également variés : ce furent, entre autres, la réforme des retraites, la gestion de la dette sociale, la bioéthique ou les soins psychiatriques, sans oublier la loi annuelle de financement de la sécurité sociale.

De plus – les sénatrices et sénateurs déjà élus avant le mois de septembre dernier s’en souviennent –, l’activité législative s’est poursuivie de manière intense au cours de la session extraordinaire qui a suivi, puisque 5 autres lois ont été adoptées dans notre secteur de compétence. Ces textes, majoritairement issus d’initiatives parlementaires, ne font cependant pas partie du champ de mes propos, puisqu’ils figureront dans les statistiques de l’année prochaine.

Ce cadre étant posé, j’en viens à l’application des lois proprement dite.

La première observation est plutôt encourageante : le taux d’application des textes votés l’an dernier est plus satisfaisant que celui de l’année précédente. Toutefois, les comparaisons se trouvent biaisées, le bilan étant établi cette année à la date du 31 décembre, tandis que la pratique habituelle arrêtait les compteurs au 30 septembre. Le délai supplémentaire de trois mois accordé à l’exécutif pour qu’il dispose des six mois auxquels il a droit pour publier ses décrets a naturellement contribué à améliorer le résultat d’ensemble.

Ainsi, sur les 7 lois que j’ai mentionnées, 2 sont déjà entièrement en vigueur : la loi organique relative à la gestion de la dette sociale, qui était d’application directe, et la loi complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale, dont les six mesures qu’elle appelait sont rapidement parues ; 4 le sont en grande partie, à hauteur de 81 % en moyenne, soit un taux particulièrement élevé qu’il convient de souligner. C’est notamment le cas de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, applicable à 72 %, et de la loi portant réforme des retraites, applicable à 84 %.

En revanche, la dernière loi relative à la bioéthique doit être considérée comme non-applicable en l’absence totale de parution des décrets correspondants. Certes, cet état de fait était prévisible, car la complexité des mesures réglementaires nécessaires avait conduit le secrétariat général du Gouvernement à annoncer qu’elles ne commenceraient à intervenir qu’à compter de mars 2012. Pour autant, au regard d’un texte aussi essentiel qui affecte directement l’activité de nos chercheurs et dont l’adoption a été très tardive par rapport à l’échéance initiale, on ne peut que déplorer cette situation.

Pour en revenir à des considérations générales, les lois votées cette année dans notre secteur appelaient 168 mesures d’application, soit presque trois fois plus que l’an dernier. Cela correspond au tiers des mesures requises par l’ensemble des lois adoptées par le Parlement durant cette session. Je me dois de souligner cette particularité des lois sociales, qui nécessitent un grand nombre de mesures réglementaires. Cette constatation appelle une question : est-il légitime, monsieur le ministre, de laisser à l’exécutif un champ aussi vaste pour compléter les textes que nous votons ?

Mes hésitations se fondent notamment sur ces fameux décrets d’application de la loi portant réforme des retraites, dont nous avions été nombreux à dénoncer qu’ils ne correspondaient pas à l’esprit du législateur.

Nous aurions tous à y gagner si la co-élaboration des décrets entre les parlementaires et l’exécutif, mesure que vous avez évoquée, monsieur le ministre, voyait le jour.

J’en reviens aux 168 mesures d’application susvisées. L’objectif a été atteint à 78 % par les services concernés ; ils ont assuré la publication de 130 textes. C’est un résultat spectaculaire et un record jamais atteint en la matière. Je nuancerai toutefois mon propos en rappelant le délai supplémentaire accordé cette année à l’exécutif, qui améliore indéniablement ce résultat d’ensemble.

J’observe aussi que les mesures effectivement publiées ont respecté, dans 62 % des cas, le fameux délai de six mois prévu par une circulaire de 2008 du Premier ministre. Ce taux n’était que de 50 % l’an dernier, ce que nous avions déploré. Cela étant, des marges de progression appréciables subsistent.

Pour ce qui concerne les lois plus anciennes, la situation est plutôt favorable, même si des cas particuliers plus singuliers perdurent.

J’observe d’abord que quelques lois restent insuffisamment applicables. Ainsi, aucun des trois décrets attendus depuis presque deux ans pour l’application de la loi relative à la création des maisons d’assistants maternels n’a encore été pris. Certes, ces maisons n’en ont pas besoin pour être mises en place et fonctionner, mais ce retard est fâcheux s’agissant d’un dispositif législatif issu d’une initiative parlementaire, et ce d’autant que lesdits décrets concernent les liens entre les parents et les assistants maternels.

Les lois de financement de la sécurité sociale pour 2007, 2008 et 2009 ne sont toujours pas pleinement applicables, leur taux d’application s’établissant respectivement à 77 %, à 92 % et à 84 %. S'agissant de textes aussi fondamentaux, il est fort regrettable que le travail ne soit pas achevé.

Ensuite, si le Gouvernement porte son effort sur certaines lois emblématiques, comme la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, ou la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie – cette dernière nécessite apparemment un toilettage –, c’est aux dépens d’autres textes, qu’il semble avoir oubliés. Il en est ainsi de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui stagne à 47 % d’application, 46 mesures sont toujours en attente, ou encore de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, dont le taux d’application stagne depuis plusieurs années à 51 %, avec 62 mesures toujours en attente.

Ne faudrait-il pas envisager, dans ces situations qui durent plus que de raison, que le Gouvernement revienne devant le Parlement pour trouver une issue constructive ? La loi elle-même pourrait être améliorée si son application pose des difficultés pratiques qui n’avaient pas été pressenties lors de son adoption.

Je dirai enfin quelques mots sur les rapports régulièrement demandés au Gouvernement. Les statistiques confirment notre sentiment qu’ils sont bien peu opérants. Sur les 101 rapports prévus par les lois examinées par la commission des affaires sociales entre 2007et 2011, seuls 22 ont été effectivement remis au Parlement.

Ce chiffre illustre les limites de la méthode, même s’il s’agit bien souvent de la seule façon, pour les parlementaires, d’attirer l’attention du Gouvernement sur un sujet sans encourir les foudres de l’article 40 de la Constitution. Il serait nécessaire et légitime, à mon sens, que nous réfléchissions ensemble à cette manière de procéder.

En conclusion, pour permettre à notre nouvelle commission de renforcer l’effectivité de la législation en vigueur, nous avons souhaité lui confier le contrôle de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, sur laquelle nous avons beaucoup travaillé et à laquelle nous attachons une attention extrême. En effet, bien qu’adoptée voilà sept ans, elle ne remplit toujours pas les objectifs qui avaient été alors fixés : je pense notamment aux difficultés de scolarisation des enfants par manque d’auxiliaires de vie scolaire, ou encore aux problèmes d’accessibilité des locaux.

Peut-être nous faudra-t-il adopter des textes complémentaires ou ajuster ceux qui ont déjà été votés… Selon moi, il revient à notre nouvelle commission d’en juger. Cela étant, monsieur Assouline, la commission des affaires sociales continuera de se préoccuper de ces sujets, dans un esprit de parfaite collaboration, par la voix de Claire-Lise Campion et Isabelle Debré.

Nul doute que ce travail collectif, mis en œuvre dans un esprit constructif, nous permettra d’améliorer l’application des lois votées par le Parlement. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le bilan 2010-2011 de l’application des lois relevant de la compétence de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication révèle trois particularités : un faible nombre de textes, des lois exclusivement d’origine parlementaire et des délais de mise en application plus performants pour les lois récentes.

Au cours de la dernière session ont ainsi été promulguées la loi relative aux activités immobilières des établissements d’enseignement supérieur, aux structures interuniversitaires de coopération et aux conditions de recrutement et d’emploi du personnel enseignant et universitaire, la loi relative au prix du livre numérique et la loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016.

Notre activité n’a pas diminué : la période de référence a changé, et des textes importants comme la loi relative à la régulation du système de distribution de la presse ou celle visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs, texte qui vient d’être adopté conforme par l’Assemblée nationale, ne sont pas pris en compte dans ces statistiques, sans compter celles qui sont en instance à l’Assemblée nationale, qu’elles concernent les œuvres visuelles orphelines ou le patrimoine.

On observe une montée en puissance de notre capacité d’initiative parlementaire depuis la révision constitutionnelle. Aucun projet de loi n’a été envoyé par le Gouvernement à la commission de la culture au cours de la dernière session. En effet, les textes traitant de sujets politiquement sensibles ont été présentés dès le début du quinquennat, qu’il s’agisse des universités, de l’audiovisuel ou encore de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet.

Nous avons constaté, pour la période récente, des délais plus courts de parution des décrets.

Ainsi, 16 textes d’application sont parus depuis le 1er octobre 2010 dans les secteurs de compétence de la commission, qui ont permis de rendre applicables ou quasi-applicables l’ensemble des lois promulguées depuis le début de la treizième législature.

Si, dans le domaine de l’éducation, les lois de 2009 tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d’association lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence et de 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire ont vite été déclinées, pour le secteur culturel et la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite « loi HADOPI », il aura fallu attendre le décret du 11 avril 2011 encourageant une offre légale de téléchargement !

Pour ce qui est de la loi du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques, la parution du décret relatif au comité de suivi de la loi, composé notamment de deux sénateurs, nous permet de suivre sur le terrain les difficultés rencontrées.

Quant à la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections, les restitutions ont commencé depuis la publication du décret en Conseil d’État relatif à la commission scientifique nationale des collections.

La loi du 9 juin 2010 encadrant la profession d’agent sportif est devenue applicable dans l’année. Cinq décrets et arrêtés déclinent la loi du 10 mars 2010 relative au service civique.

Hélas, force est de constater que les décrets parus ne concernent jamais, à de rares exceptions près, les lois adoptées auparavant. Ces lois, votées sur l’initiative des précédents gouvernements, ne relèvent manifestement plus des priorités gouvernementales.

Ainsi, pour la loi du 13 juillet 1995 de programmation du « nouveau contrat pour l’école », le décret censé déterminer les conditions d’application des « contrats d’association à l’école » fait toujours défaut.

J’évoquerai également la loi du 6 mars 2000 visant à renforcer le rôle de l’école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants. Il est consternant que le décret d’application devant fixer les modalités exactes d’organisation des visites médicales ayant pour objet de détecter les cas d’enfants maltraités et des séances annuelles d’information et de sensibilisation n’ait toujours pas été pris, malgré nos demandes répétées.

Quant à la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, pourtant défendue à l’époque par l’actuel Premier ministre, trois décrets en Conseil d’État sont toujours attendus concernant les conditions de recrutement, de formation et d’exercice des fonctions spécifiques des directeurs d’école maternelle et élémentaire, les conditions d’indemnisation de la formation continue des enseignants ou les conditions d’application du code de l’éducation dans les établissements français d’enseignement à l’étranger.

La loi du 4 janvier 2002 relative à la création d’établissements publics de coopération culturelle, les EPCC, initiative du Sénat, a rencontré un grand succès sur le terrain puisque 100 EPCC ont été créés. Or nous attendons toujours le décret concernant les écoles et l’arrêté relatif aux directeurs de ces établissements.

Le secteur de la communication n’est pas épargné. Il manque un décret et un arrêté pour l’application de la loi de 2000.

Pour la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, il manque le dernier décret relatif à la fixation des obligations spécifiques en matière de diffusion et de production des futures chaînes « bonus » dont bénéficieront les opérateurs historiques. Certes, le Gouvernement a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale un projet de loi tendant à abroger ces dispositions, afin de prendre en compte l’avis motivé rendu par la Commission européenne.

Je vous ai interrogé à plusieurs reprises sur ce sujet, monsieur le ministre, mais sans succès. Il me paraît surprenant que le Sénat soit tenu à l’écart du débat alors que le CSA a lancé en octobre dernier un appel à candidatures pour la diffusion de six nouvelles chaînes en haute définition sur la TNT et qu’il délivrera les autorisations avant la fin du mois de mai 2012. Ou bien le CSA les rend éligibles, et des doutes se feront jour sur les chances égales des autres candidats, ou bien le risque existe que de coûteuses indemnisations soient demandées.

En ce qui concerne la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, si une dizaine de décrets ont été publiés en 2010, le décret fixant le cahier des charges de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France, lequel est en piteux état, et le décret relatif au comité de suivi sont toujours attendus. Je me réjouis donc que la nouvelle commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, présidée par David Assouline, ait décidé d’être attentive à ces décrets.

Dans le secteur du sport, il manque encore des décrets à la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.

Enfin, il y a des lois dont l’application se heurte aux réalités du terrain. La loi sur le service minimum d’accueil illustre cette situation. Certaines municipalités ne sont pas en mesure de l’appliquer, d’autres refusent de le faire. Par ailleurs, plusieurs propositions de loi ont été déposées pour l’abroger pour les communes de moins de 2 000 habitants.

Quant aux rapports qui doivent être déposés sur le bureau du Parlement, vingt-deux sont en attente depuis l’année 2000. La loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures en a supprimé quatre.

Il est donc permis de s’interroger sur le peu de cas que le Gouvernement fait du vote du Parlement et du besoin exprimé par les élus de disposer de données fiables.

Où en est l’application de la DADVSI, la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information ? Qu’en est-il du projet de plateforme publique de téléchargement ? Pas de rapports !

Où en sont les négociations conduites avec les partenaires sociaux et tendant à la création d’un congé de service civique ? Pas de rapport !

Le contrôle s’effectue également grâce aux tables rondes, aux auditions sur l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens ou grâce aux comités de suivi, qu’il s’agisse des comités internes à la commission ou de ceux qui sont prévus par la loi.

Il est nécessaire que le Gouvernement installe ces derniers, associant professionnels et élus, en les dotant d’un secrétariat indépendant du Parlement, à la manière des comités de suivi de la loi LRU, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, ou de la préparation des ordonnances sur le cinéma qui ont été très utiles. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l'économie.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de l’économie, qui, comme toutes les autres commissions permanentes, a contribué à nourrir le rapport annuel sur l’application des lois grâce à ses observations et à ses nombreuses données, ne peut que saluer la qualité du travail envisagé par le président David Assouline et se réjouir de l’organisation de ce débat en séance publique. Il prolonge celui que nous avons déjà eu en commission de l’économie au mois de janvier.

Pour l’année parlementaire écoulée, et dans les secteurs relevant de la compétence de la commission de l’économie, dans sa configuration actuelle, monsieur le ministre, six nouvelles lois ont été promulguées, contre dix en 2009–2010.

Plus remarquable, 204 textes d’application ont été publiés, contre seulement 109 l’an dernier. Avec ce quasi-doublement, le nombre de mesures prises pour mettre en application les lois dont la commission de l’économie assure le suivi a atteint un niveau record. Je suis persuadé que cela tient à l’initiative que vous avez prise, monsieur le ministre, d’instaurer un comité de suivi.

Ce record témoigne, certes, des indéniables efforts engagés par vous-même, monsieur le ministre. Les années précédentes ont été celles d’une lente prise de conscience des retards importants accumulés jusqu’ici, et cette année voit enfin les initiatives des différents ministères, sans doute contraints par vous et par le comité que vous avez instauré, porter leurs fruits. Le rattrapage est réel, il faut le saluer.

Néanmoins, la hausse sans précédent du nombre de textes d’application est aussi la conséquence plus mécanique de la mise en application progressive des grandes « lois fleuves », dont le Sénat et la commission de l’économie en particulier ont eu à connaître.

Sans remonter jusqu’à la loi de modernisation de l’économie, la loi LME, vous savez que nous avons successivement examiné au cours des précédentes années parlementaires la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite « loi MOLLE », la loi « Grenelle II » et la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

Très longues et considérablement enrichies au cours de la navette, ces lois nécessitent un nombre particulièrement important de textes d’application. Le Gouvernement aura souvent eu besoin d’un à deux ans pour procéder aux consultations préalables. L’essentiel des textes réglementaires concernant ces lois n’a finalement pu être publié que cette année.

Pour la commission de l’économie, le bilan annuel fait d’abord apparaître plusieurs motifs de satisfaction, mais in cauda venenum !

En premier lieu, le taux d’application global des lois récentes a progressé, sans toutefois atteindre les 100 % promis par le Gouvernement.

M. Patrick Ollier, ministre. Presque 100 % !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Il s’établit, au 31 décembre 2011, pour notre commission, monsieur le ministre, à 64 %. Autrement dit, il vous reste une marge de progression au cours des quelques mois qu’il reste. Ainsi, 25 mesures réglementaires d’exécution ont été prises sur les 39 requises.

En deuxième lieu, les efforts du Gouvernement ont permis de réduire le stock de lois en attente de mesures d’application. (M. le président de la commission des affaires étrangères s’exclame.) Pour l’instant, cher collègue Carrère, j’évoque les seules lois relevant de la compétence de la commission que je préside. Je n’extrapole pas à d’autres lois, dont le sort est peut-être différent. (M. le président de la commission des affaires étrangères sourit.)

Le nombre de lois totalement inapplicables a drastiquement diminué cette année pour ce qui nous concerne. Seule une loi n’a toujours pas été mise en application à ce jour – je reviendrai sur ce cas – alors que, l’an dernier, trois lois étaient inapplicables.

La mise en œuvre des lois partiellement applicables s’est elle aussi globalement améliorée : 23 lois ont ainsi fait l’objet d’au moins une mesure d’application ; elles n’étaient que 18 l’an dernier.

La loi Grenelle II représente ainsi à elle seule près de la moitié des décrets adoptés sur la période. Elle affichait au 31 décembre un taux d’application de 45 %, de nombreuses mesures étant par ailleurs en instance de publication. Même s’il subsiste des divergences ponctuelles entre les décomptes du Gouvernement et ceux de la commission, je salue la communication régulière d’échéanciers, qui permettent d’établir un dialogue constructif entre nos services.

En troisième lieu, je relève avec satisfaction que deux lois sont devenues totalement applicables au cours de l’année grâce à l’adoption des dernières mesures attendues : d’une part, la loi du 15 juin 2011 visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Île-de-France, qui avait fait l’objet d’un certain consensus ; d’autre part, la loi du 9 mars 2010 tendant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation, rendue applicable par un décret de janvier 2011.

Ces améliorations indéniables sont malheureusement ternies – je vous avais prévenu, monsieur le ministre – par trois tendances regrettables, que je vous invite à endiguer pendant le temps qu’il vous reste.

Mme Isabelle Debré. Qu’est-ce que cela veut dire ? (Sourires.)

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Premièrement, et c’est là notre principal motif d’inquiétude, l’application des lois et des dispositions issues d’initiatives parlementaires n’est pas satisfaisante.

Sur les six lois suivies par la commission de l’économie et promulguées au cours de l’année parlementaire, trois sont issues de propositions de loi d’origine sénatoriale. Cette proportion importante traduit la place nouvelle désormais réservée à l’initiative parlementaire dans le partage de l’ordre du jour des assemblées, tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle de 2008.

Nous devons cependant nous montrer extrêmement attentifs à l’avenir sur la mise en application des textes d’initiative sénatoriale. Il ne faudrait pas que les lois issues d’initiatives parlementaires soient moins bien traitées que les textes du Gouvernement par les départements ministériels en charge d’élaborer les textes réglementaires.

Pour ne mentionner qu’un seul exemple incitant à la vigilance, je me contenterai de vous rappeler, monsieur le ministre, qu’aucun des quatre articles – une loi parfaite ! – de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer qui prévoient simplement des mesures réglementaires n’est aujourd’hui applicable !

Le Gouvernement n’a même pas transmis dans les temps le rapport sur la mise en application de cette loi. Or ce rapport aurait permis, six mois après la promulgation de la loi, de disposer au moins d’un échéancier prévisionnel d’adoption des mesures encore attendues.

Au-delà de ce cas particulier, je souhaiterais avoir l’assurance, monsieur le ministre, que, de façon générale, les services ministériels sont correctement mobilisés pour assurer la pleine application des textes d’initiative parlementaire et que les projets de loi et les propositions de loi ne bénéficient pas d’un traitement différencié.

Deuxièmement, de trop nombreuses lois plus anciennes, partiellement applicables, n’ont fait l’objet d’aucune mesure réglementaire d’exécution cette année. C’est ainsi que treize lois n’ont pas vu leur taux d’application s’améliorer cette année. Quatre articles de la loi LME attendent toujours, par exemple, leurs mesures réglementaires d’application.

Le Gouvernement, qui a pris des engagements ambitieux concernant l’application des lois récentes, ne risque-t-il pas de négliger les textes réglementaires d’application des lois plus anciennes ? Autrement dit, vous traitez le flux, monsieur le ministre, mais il existe un problème de stock.

Troisièmement, je dois, cette année encore, comme mon prédécesseur Jean-Paul Emorine, déplorer les très nombreuses lacunes dans le dépôt des rapports au Parlement par le Gouvernement. Au mieux, ces rapports sont toujours remis très tardivement, au pire, ils sont inexistants. À cet égard, je donnerai deux exemples : seul un rapport sur les douze prévus par la loi Grenelle II a été remis à ce jour. Neuf rapports de la loi LME sont encore attendus, cinq d’entre eux auraient dû paraître avant le 31 décembre 2011.

S’il revient en premier lieu aux parlementaires d’être raisonnables dans leurs demandes de rapports – j’y veille pour les textes relevant de la commission que je préside –, il me semble que le Gouvernement devrait consentir un réel effort de suivi en la matière. Peut-être serait-il également judicieux de s’assurer que nos propositions de loi ne nécessitent pas de mesures réglementaires pour être appliquées. Ce serait beaucoup plus simple : le problème serait réglé en amont.

Plusieurs pistes d’amélioration pourraient être explorées, et il appartiendra naturellement à la nouvelle commission d’en étudier l’opportunité.

Pourquoi ne pas inciter le Gouvernement à communiquer aux commissions permanentes plus souvent et en amont les projets de décret d’application ? Nous nous assurerions ainsi que les administrations centrales respectent non seulement la lettre, mais surtout l’esprit des lois que nous votons. Je pense en particulier aux textes sur l’urbanisme, dont les dispositions sont fréquemment interprétées de façon différente sur le plan local, et ce selon les humeurs ou la pression atmosphérique...

Ne faudrait-il pas recourir à des « clauses couperet », prévoyant la caducité des dispositions législatives non mises en application dans un délai raisonnable ? C’est ce que j’appellerai la loi « biodégradable » !

Mes chers collègues, pour conclure, je tiens à souligner combien, sous des abords parfois arides, le suivi de la mise en application des lois est une composante importante de notre pouvoir de contrôle de l’action du Gouvernement. Je souhaite bon courage au président Assouline et aux membres de la nouvelle commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, qui doivent s’atteler à cette tâche. Je forme le vœu que leur travail permette au Parlement de contribuer à l’amélioration tant de la qualité normative que de la sécurité juridique, auxquels nos concitoyens, sur le terrain, sont attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)