Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution présentée par M. Jean-Claude Gaudin et les membres du groupe UMP rappelle à juste titre l’excellence de la filière industrielle nucléaire française. Cependant, dès les premières lignes de l’exposé des motifs, le ton se fait accusateur, nos collègues dénonçant la remise en cause d’un prétendu consensus sur la politique énergétique de notre pays.

Il s’agit là d’une contre-vérité. En fait, ce sont les politiques libérales menées depuis des années qui ont trahi notre héritage national, bâti grâce aux investissements consentis en faveur du secteur énergétique par le général de Gaulle et par le ministre communiste Marcel Paul. Les politiques de droite ont contrevenu à l’intérêt supérieur de la Nation, en remettant en cause les préconisations du programme du Conseil national de la Résistance, notamment « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » et « le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol ».

Depuis dix ans, c’est au contraire une politique de déréglementation et de privatisation du secteur énergétique qui a été conduite, soumettant celui-ci à des exigences de rentabilité et de rémunération de l’actionnariat.

La majorité gouvernementale a ainsi privé le pays des investissements nécessaires en termes de recherche, d’entretien des installations, de renouvellement des réseaux de distribution et de transport.

La mise en concurrence des acteurs de la filière, le démantèlement du service public intégré, la filialisation, la privatisation de GDF, la généralisation de la sous-traitance, les cadeaux aux opérateurs privés : toutes ces décisions néfastes vont à rebours de la mise en œuvre d’une politique énergétique ambitieuse et durable.

De plus, les choix que vous avez faits ont eu des conséquences sociales dramatiques : 30 000 emplois ont été supprimés dans le secteur énergétique au cours des dix dernières années, au nom de la concurrence libre et non faussée. En outre, la précarité énergétique touche plus de 3,7 millions de foyers, alors que les générations d’hier s’étaient battues pour instaurer, notamment à travers la création du parc nucléaire, un droit à l’énergie pour tous.

Dans ce contexte, une véritable crise de confiance s’est installée parmi la population. Le drame survenu au Japon n’a fait que renforcer les craintes.

C’est à bon droit que les citoyens et les travailleurs demandent une information complète et transparente sur le niveau de sûreté et de sécurité des installations nucléaires.

Mais cela est encore trop à vos yeux. Après la catastrophe de Fukushima, M. Fillon n’a pas voulu entendre les syndicats et les partis politiques qui demandaient un audit de toutes les installations nucléaires, prenant en compte et analysant, au-delà des seuls critères techniques, les modalités d’exploitation, en lien avec les conditions de travail des salariés, ainsi que les missions confiées à la sous-traitance.

En effet, les objectifs de rentabilité financière ont imposé des contraintes organisationnelles et temporelles, engendré des contradictions entre impératif de sûreté et impératif de production. Pour les 35 000 salariés des sous-traitants du privé, qui supportent 80 % des risques professionnels sur les sites nucléaires, les garanties sociales ont été tirées vers le bas. Nous souhaitons donc l’arrêt de la sous-traitance dans le secteur nucléaire et demandons que ces salariés bénéficient, sans plus attendre, des mêmes garanties que ceux des entreprises électriques et gazières en termes de sécurité de l’emploi, de retraite, de suivi médical unique, de formation qualifiante de haut niveau.

Comme l’a rappelé l’ASN dans son avis du 3 janvier 2012, un des piliers de la sûreté repose sur le facteur humain. Cette question sociale est soigneusement éludée par la proposition de résolution, comme elle l’est par la politique gouvernementale, hélas !

Par ailleurs, la proposition de résolution souligne, à juste titre, l’importance de la filière industrielle nucléaire au regard de la réindustrialisation. Mais, à l’heure des bilans, il faut bien constater que vos politiques ont accentué la désindustrialisation du pays, et ce même dans des secteurs aussi pointus que le nucléaire. On pourrait multiplier les stèles portant, comme à Gandrange, l’inscription suivante : « Ici reposent les promesses de Nicolas Sarkozy. »

En ce qui concerne la filière nucléaire, je ne prendrai qu’un seul exemple, celui de la turbine de l’EPR de Flamanville. Les composantes de cette pièce importante sont fabriquées dans onze pays différents avant d’être assemblées à Belfort. Il y a douze ans, le site d’Alstom de cette ville regroupait plus de 6 500 salariés ; aujourd’hui, après avoir connu trois plans sociaux depuis 2001, il n’en compte plus que 2000.

En avril 2010, un accord avait été passé avec le Gouvernement, qui prévoyait le maintien de l’activité pour trois ans, en échange d’un agrément fiscal à hauteur de 66 millions d’euros. Quelques mois plus tard, la direction d’Alstom annonçait un plan de restructuration, comportant la suppression de 100 emplois à Belfort.

La production des ailettes a été délocalisée au Mexique et en Suisse, comme l’avait été celle des diaphragmes quelques années plus tôt. Le cœur de métier s’amenuise à vue d’œil sur le site, où la moyenne d’âge des salariés est de 46 ans, sans que de nouvelles embauches soient en perspective. Les savoir-faire disparaissent et la France perd son expertise, son expérience.

Enfin, à aucun moment n’est abordée, dans le texte qui nous est soumis, la question des déchets nucléaires. La Cour des comptes estime que les charges liées au démantèlement des centrales et à la gestion à long terme des déchets radioactifs sont très incertaines. Or, il est urgent d’investir dans la recherche sur le recyclage des déchets nucléaires.

Les enjeux, pour la filière industrielle nucléaire, sont nombreux et immenses ; les choix ne peuvent se faire qu’en associant l’ensemble de nos concitoyens à la réflexion. Les forces qui composent le Front de gauche proposent la tenue immédiate d’un débat public national sur la politique énergétique de la France,…

M. Didier Guillaume. Il faut l’organiser !

M. Dominique Watrin. … afin de remettre à plat les choix énergétiques et d’envisager une autre voie. Un vrai débat national sur le nucléaire civil doit s’ouvrir.

Les options possibles, multiples, comprennent la sortie progressive du nucléaire. Ce doit être au peuple, en dernière instance, de décider.

Nous sommes totalement opposés à la présente proposition de résolution, car nous exigeons, dès maintenant, la sécurisation du nucléaire, une complète maîtrise publique des installations, une élévation décisive, à l’échelon tant national qu’international, du niveau des garanties en matière de sûreté nucléaire. Notre pays a besoin d’une politique industrielle innovante, qui soit conduite dans le cadre d’une planification écologique, ainsi que d’un accroissement des moyens dédiés à la recherche publique pour le développement de filières cohérentes et pérennes dans le domaine des énergies nouvelles, tels le solaire, la géothermie, l’éolien.

La proposition de résolution est muette sur la question de la démocratie et de la transparence, qui doivent être garanties pour toutes les filières industrielles, notamment lorsqu’elles présentent des risques. Les citoyens, les élus, les salariés doivent être informés, bénéficier d’un droit de co-élaboration et de contrôle des décisions, d’alerte. Il faut évaluer l’impact écologique des productions et des risques industriels et sanitaires afférents.

En conclusion, vous l’aurez compris, le groupe CRC votera contre cette proposition de résolution, qui ignore l’exigence d’une maîtrise publique et d’une gestion sociale du secteur de l’énergie et ne propose aucun chemin vers la transition énergétique écologiquement responsable que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe, avec ses diverses sensibilités, considère depuis fort longtemps que le développement de la filière nucléaire industrielle française constitue une orientation très positive de la politique énergétique de notre pays, quels que soient les Présidents et les gouvernements qui se sont succédé. Je relève d’ailleurs que, dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, un hommage est rendu au général de Gaulle et à François Mitterrand.

Le développement de la filière nucléaire a eu des conséquences importantes pour l’indépendance de notre pays en matière de production d’électricité, le coût de cette dernière, l’emploi industriel, la recherche fondamentale… Ainsi, le récent rapport de la Cour des comptes sur la filière nucléaire souligne que, en France, le prix de production de l’électricité est de 49,5 euros par mégawattheure et que son prix à la consommation est de 40 % inférieur à la moyenne européenne.

M. Jean Bizet. C’est exact !

M. Jacques Mézard. On constate que les admirateurs de l’Allemagne ne sont pas les mêmes selon les sujets…

Considérer qu’il conviendrait de sortir du nucléaire par une décision brutale et que toute la planète en ferait autant n’est, selon nous, ni raisonnable ni réaliste.

M. Jean Bizet. Très juste !

M. Jacques Mézard. N’oublions pas l’avance perdue en matière de surrégénération ! N’éliminons aucune piste de recherche, s’agissant en particulier des centrales au thorium ou du générateur de quatrième génération – 650 millions d'euros ont d’ailleurs déjà été investis pour le démonstrateur Astrid –, qui représentent très vraisemblablement des voies en vue de régler, au moins en partie, la question des déchets produits par les centrales actuelles.

M. Gilbert Barbier. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. Cela n’exclut aucunement à nos yeux, bien au contraire, le développement d’un mix énergétique. Celui-ci est indispensable, à moins de faire le choix idéologique d’une politique de décroissance, qu’il faut alors assumer.

Bien sûr, le choix de l’énergie nucléaire impose que l’on renforce toujours davantage la sécurité, sans aucune concession et dans une totale transparence, ce qui n’a pas toujours été le cas ! Or, le manque de transparence permet malheureusement à certains de spéculer politiquement sur la peur de nos concitoyens, dans ce domaine comme dans d’autres, tels que le traitement des déchets ménagers, la nutrition, les OGM, et j’en passe…

M. Ronan Dantec. Amalgame !

M. Jacques Mézard. Cela est si vrai que nombre d’associations prétendant vouloir protéger l’environnement luttent contre l’implantation d’éoliennes et de parcs photovoltaïques ! Combien d’années de procédure seraient aujourd’hui nécessaires avant de pouvoir construire des barrages hydroélectriques ?

Cela étant, et soit dit en respectant démocratiquement les choix de stratégie des différents groupes, nous ne sommes pas davantage dupes des intentions des auteurs de la proposition de résolution que, voilà quelques jours, nous ne l’avons été de celles des promoteurs de la proposition de loi pénalisant la négation des génocides. Il est des questions qui justifient un large rassemblement, au-delà des clivages traditionnels. Celle de l’avenir de la filière nucléaire en est une ; elle mérite mieux qu’une manœuvre préélectorale.

En conséquence, la majorité de notre groupe ne prendra pas part au vote, tandis que certains d’entre nous voteront en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur diverses travées.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno.

Mme Chantal Jouanno. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas nécessairement le meilleur défenseur du nucléaire ; peut-être suis-je moins en pointe, à cet égard, que M. Guillaume ! Pour paraphraser un ancien Président de la République, je dirai que je ne suis pas favorable au « 100 % nucléaire », car il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier…

J’ajoute que nous ne pouvons pas préjuger des évolutions technologiques et des choix politiques à venir, ni dans un sens ni dans un autre. M. Dantec a évoqué le cas de l’Allemagne, mais le Royaume-Uni, à l’inverse, a décidé de relancer son programme nucléaire.

J’ai néanmoins signé cette proposition de résolution, car je souhaite qu’un débat approfondi puisse éclairer ce sujet.

J’observerai tout d’abord que la justification éventuelle de la sortie du nucléaire repose sur des arguments autres qu’écologiques. Je regrette à cet égard que la gauche ait réduit le débat sur l’écologie à la question de la sortie du nucléaire, parce que cela a fait régresser l’écologie politique.

Il est possible de défendre la sortie du nucléaire au nom des risques acceptables ou même du refus d’une vision linéaire du progrès, mais il est abusif de la justifier par des arguments écologiques. Qu’il s’agisse du volume d’émissions de gaz à effet de serre, de l’emprise au sol des installations, donc de l’incidence de celles-ci sur la biodiversité, ou même des rejets polluants en situation normale, le nucléaire présente souvent moins d’inconvénients que les autres énergies, en particulier fossiles. D’ailleurs, quelques grands noms de l’écologie ont exprimé leur préférence pour le nucléaire par rapport aux énergies fossiles : je pense à James Lovelock, l’inventeur de la théorie de Gaia, ou à Stephen Tindale, ancien secrétaire général de Greenpeace pour le Royaume-Uni.

Si la première des priorités doit être d’économiser l’énergie, il convient également de développer le mix énergétique le plus décarboné possible. Or, il n’y a que deux filières qui permettent d’atteindre cet objectif : le nucléaire et les énergies renouvelables.

Il n’est pas faux de considérer que le primat du nucléaire n’a pas été favorable aux économies d’énergie. En effet, l’électricité étant bon marché dans notre pays – elle est deux fois moins chère qu’en Allemagne, par exemple –, cela nous a amenés à développer trop fortement le chauffage électrique, ce dont nous nous mordons les doigts aujourd'hui.

M. Ronan Dantec. Très bien !

Mme Chantal Jouanno. De plus, cette situation a réduit la pertinence économique du recours à d’autres énergies.

Mais plutôt que d’opposer les différentes énergies, il s’agit aujourd’hui de les combiner. Tel était l’enjeu mis en exergue lors du Grenelle de l’environnement, dont les conclusions ont été approuvées ici à l’unanimité. L’objectif est de moins utiliser les énergies fossiles, tout simplement.

Dans cette perspective, la production des énergies renouvelables en France a progressé de 33 % ces trois dernières années, l’énergie solaire connaissant le développement le plus spectaculaire avec un triplement tous les ans. Près de 10 milliards d’euros leur sont consacrés chaque année. Le Syndicat des énergies renouvelables a lui-même reconnu que « la France s’est lancée ces dernières années dans un effort sans précédent d’équipements utilisant des énergies renouvelables ». Si des progrès restent à accomplir, par exemple pour l’éolien, il est indéniable que nous rattrapons notre retard et que nous le devons à l’engagement du Président de la République. Mes chers collègues, ne revenons pas en arrière, ne ranimons pas un débat aujourd’hui dépassé !

Je voudrais maintenant évoquer les conséquences qu’entraînerait une réduction trop rapide du recours au nucléaire. Il est impossible de fermer la moitié des réacteurs d’ici à 2025 sans renier nos engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et renoncer à nos objectifs de croissance. Je me fonde, pour affirmer cela, sur le rapport très complet publié le 15 décembre dernier par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, qui a été adopté à l’unanimité des présents, en l’absence, je dois à l’honnêteté de le dire, de nos collègues écologistes.

Permettez-moi d’exposer brièvement la teneur de ce rapport en lieu et place de Mme Procaccia, qui ne pouvait malheureusement être présente parmi nous cet après-midi.

Premièrement, il est indéniable que le recours au nucléaire a permis à notre pays de répondre, malgré l’épuisement de ses réserves d’énergie fossile, aux quatre priorités stratégiques suivantes : faire face au doublement, en trente ans, de la consommation électrique ; préserver notre indépendance énergétique ; favoriser le développement de notre tissu économique et industriel ; limiter les émissions de gaz à effet de serre.

M. Didier Guillaume. On est tous d’accord !

Mme Chantal Jouanno. Nous émettons deux fois moins de CO2 par point de PIB que nos voisins Allemands. En matière d’émissions de gaz à effet de serre par habitant, la situation est nettement meilleure en France qu’en Allemagne, pays qui possède des réserves considérables de lignite, couvrant ses besoins pour 350 ans et représentant ainsi pour lui un facteur de sécurité.

Si la France réduisait à 20 % de son bouquet énergétique la part du nucléaire, elle ne pourrait qu’accroître massivement ses importations de gaz, ce qui, selon le rapport de l’OPECST, lui coûterait 100 milliards d’euros chaque année et engendrerait un recul de son indépendance énergétique.

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas vrai !

Mme Chantal Jouanno. Cela figure dans le rapport de l’OPECST !

M. Jean Bizet. Adopté à l’unanimité !

Mme Chantal Jouanno. En outre, le volume de nos émissions de gaz à effet de serre doublerait. Enfin, 410 000 emplois directs ou indirects seraient mis en péril. Plutôt que de militer pour moins d’emplois dans la filière nucléaire et plus dans celle des énergies renouvelables, pourquoi ne pas viser le développement de l’emploi dans ce second secteur tout en maintenant, pour le moins, les effectifs dans le nucléaire ?

Mme Chantal Jouanno. Deuxièmement, le rapport montre que, à court terme, le développement des seules énergies renouvelables ne permettrait pas de compenser la fermeture des réacteurs.

Des obstacles technologiques demeurent, les filières des énergies renouvelables n’ayant pas encore toutes atteint le même degré de maturité. Si l’hydroélectricité et l’éolien terrestre sont aujourd’hui des technologies matures et presque compétitives, tel n’est pas encore le cas du photovoltaïque ou de l’éolien en mer.

Par ailleurs, il existe encore, pour les énergies renouvelables, des problèmes de déconnexion entre sites de production et lieux de consommation, dont le règlement impose un très fort développement des réseaux. Or les délais de construction des lignes à très haute tension sont d’environ dix ans, et donc bien supérieurs à ceux de mise en route des infrastructures.

Enfin et surtout, pour massifier le recours aux énergies renouvelables, les solutions de stockage de l’électricité et les smart grids devront progresser. Pour l’heure, les technologies ne sont pas encore au point.

Par conséquent, la substitution d’énergies renouvelables à l’énergie nucléaire n’est pas envisageable à moyen terme : le rapport de l’OPECST estime qu’une transition entre sources d’énergie prend au moins vingt-cinq ans.

Catherine Procaccia, qui s’est rendue au Japon après l’accident de Fukushima, souhaitait vous indiquer que la sortie rapide de ce pays du nucléaire devrait se traduire par une hausse de 20 % des émissions de gaz à effet de serre.

Dans ces conditions, l’OPECST envisage un ajustement du parc nucléaire au terme de la vie des réacteurs, au moment préconisé par l’ASN, dont tout le monde reconnaît aujourd’hui la compétence et l’indépendance. Si l’on substituait un réacteur de nouvelle génération à deux d’ancienne génération, la part de l’électricité d’origine nucléaire dans la production totale diminuerait pour s’établir entre 50 % et 60 % vers 2050, puis entre 20 % et 30 % à l’horizon 2100.

La filière nucléaire devra donc continuer à jouer un rôle au côté des autres sources d’énergie, qui ne pourront s’y substituer qu’au fur et à mesure de leur maturation. Il va naturellement de soi que la trajectoire équilibrée préconisée par les auteurs du rapport n’est crédible que si la sécurité fait figure de priorité absolue, quel qu’en soit le coût.

Dans un avis récent portant sur les évaluations complémentaires de sûreté après l’accident de Fukushima, l’ASN a préconisé une amélioration de la robustesse des centrales.

La mission a aussi formulé plusieurs recommandations visant à renforcer l’organisation de la sûreté nucléaire dans notre pays. Elles portent sur l’unification des moyens de l’ASN et, surtout, sur la limitation du recours aux cascades de sous-traitance. La mission en appelle à des efforts supplémentaires en termes de formation des personnels, de transmission de compétences, ainsi qu’à un recours maîtrisé à la sous-traitance, qui ne doit pas entraîner une dilution des responsabilités.

Troisièmement, la réalisation d’économies d’énergie est la première priorité citée dans le rapport de l’OPECST. Si cette problématique est aujourd’hui bien prise en compte dans le secteur du bâtiment, elle doit être considérée comme un enjeu fondamental au regard de la forte croissance des besoins en électricité induite par les évolutions technologiques, notamment le développement d’internet et de la voiture électrique, dont la définition de notre mix énergétique doit tenir compte. Je sais, monsieur le ministre, qu’un rapport sur ce sujet doit vous être remis.

Mes chers collègues, emprunter un autre chemin que celui de la raison se paiera soit par une augmentation de nos émissions de gaz à effet de serre, soit par une perte de points de croissance. On ne peut nier cette réalité.

Entre éthique de la conviction et éthique de la responsabilité, entre légitimes réserves face au nucléaire et conscience des risques d’une transition précipitée, une voie est possible, que présente le rapport de l’OPECST. Celle-ci ne satisfera peut-être pas les extrémistes des deux bords, mais elle me semble tout à fait conforme à l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR. – M. François Fortassin applaudit également.)

M. Jean Bizet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque j’ai pris connaissance de cette proposition de résolution, j’ai d’abord cru être en présence d’un document remontant à la fin du siècle dernier !

M. Jean Bizet. Eh non !

Mme Laurence Rossignol. En effet, ce texte, dont Mme Jouanno vient toutefois de nous donner une lecture plus ouverte, est un vibrant plaidoyer en faveur du « tout-nucléaire », de cette spécificité bien française qui fait que l’on ne peut guère parler de mix énergétique, tant notre production d’électricité est dépendante du nucléaire.

Il n’y a, pour les rédacteurs de cette proposition de résolution, pas d’après-Fukushima ; il n’y a pas de place pour le doute, fût-il scientifique, ni pour une analyse comparée des choix stratégiques français et de ceux qui ont été faits par d’autres pays, développés ou émergents.

Je voudrais tout d’abord m’arrêter sur l’affirmation selon laquelle le nucléaire étant une source d’énergie décarbonée, il permettrait de lutter contre le réchauffement climatique. Nous le savons tous, il s’agit d’un problème de dimension mondiale : à l’instar des nuages radioactifs, les émissions de CO2 ne connaissent pas les frontières.

L’énergie nucléaire est une solution nationale, franco-française, puisqu’elle ne représente qu’à peine 5 % de l’approvisionnement énergétique mondial. Même si les rêves les plus ambitieux des constructeurs de centrales nucléaires devaient se réaliser, cette part ne variera pas significativement, l’énergie nucléaire pouvant au mieux accompagner l’accroissement de la consommation énergétique mondiale. Le nucléaire n’est donc en rien une solution efficace dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Les auteurs de la proposition de résolution évoquent à la fois le développement international de la filière nucléaire et notre capacité à répondre aux besoins en énergie nucléaire de pays tiers.

S’il s’agit d’exporter l’électricité nucléaire, une telle ambition suppose une prolifération des réacteurs sur le territoire français, dont je doute que nos concitoyens soient demandeurs : notre pays est déjà celui qui compte le plus de centrales nucléaires par habitant, et je ne crois pas qu’ils souhaitent que l’on poursuive la mise en œuvre d’une stratégie visant à faire de la France le « grenier nucléaire » de l’Europe.

S’il s’agit d’exporter des centrales nucléaires, je voudrais attirer l’attention des partisans d’une telle voie sur les incertitudes pesant sur le carnet de commandes.

Dans nombre de démocraties, les opinions publiques sont maintenant quelque peu réticentes à accepter l’implantation de nouvelles centrales. Il reste donc, pour acheter nos centrales nucléaires, les dictatures ou les démocraties qui, comme l’Inde, refusent la mise en place d’une autorité de sûreté indépendante.

Or la transparence est une condition de la sûreté nucléaire mondiale. La France serait irresponsable de vendre des centrales nucléaires à des pays ne garantissant ni la transparence, ni la démocratie, ni un niveau de contrôle et d’organisation de la protection civile à la mesure du risque nucléaire.

Les auteurs de la proposition de résolution évoquent en outre une modification « sensible » de notre bouquet énergétique. Cela s’apparente davantage à une figure de style, à une concession à l’air du temps, qu’à l’expression d’une véritable volonté de changer la donne énergétique, d’autant que cette « modification sensible » devrait sauvegarder la prédominance de l’énergie nucléaire. Le texte est assez clair sur ce point.

Nous sommes bien là au cœur de la faiblesse du système énergétique français, dont toute l’architecture est organisée, depuis les années soixante-dix, autour de l’industrie nucléaire, par et pour elle.

Que constatons-nous aujourd’hui, avec une quarantaine d’années de recul ?

Tout d’abord, la France consomme davantage d’électricité que ses voisins, en particulier l’Allemagne, sans pour autant consommer moins de pétrole.

Ensuite, si le prix du kilowattheure est moins élevé en France qu’en Allemagne, la facture finale n’est pas pour autant moins lourde pour les ménages. Le modèle économique du nucléaire est un modèle de surconsommation : il faut consommer beaucoup pour produire beaucoup. Il est en cela difficilement compatible avec une maîtrise et une réduction de la consommation. Le fait que nos voisins Allemands n’aient pas emprunté la même voie que nous explique sans doute qu’ils aient pu abaisser significativement leur consommation d’électricité.

Enfin, la France est en retard en matière de développement des énergies renouvelables. Nos filières industrielles ont été grandement fragilisées, particulièrement au cours des cinq dernières années, par la mise en œuvre d’une politique erratique en matière de photovoltaïque et par la multiplication des obstacles au développement de l’éolien.