M. Louis Nègre. On travaille jusqu’au bout !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Une fois de plus, on ne peut que déplorer qu’une proposition de loi puisse constituer le moyen, pour le Gouvernement, de faire adopter par le Parlement des mesures sans se soumettre aux obligations qui sont les siennes lorsqu’il dépose un projet de loi. Ainsi, j’insiste sur ce point, aucune concertation formelle des partenaires sociaux n’a eu lieu, alors que ce texte encadre le droit de grève. Comment l’accepter ? Le Conseil d’État n’a pas rendu d’avis, alors que ce texte soulève de sérieuses questions de constitutionnalité.

M. Louis Nègre. C’est une proposition de loi, pas un projet de loi !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Nous ne disposons d’aucune étude d’impact pour mesurer le nombre de salariés touchés et les conséquences sur les branches concernées.

M. Roger Karoutchi. Depuis quand doit-on le faire pour une proposition de loi ?

M. Claude Jeannerot, rapporteur. De son côté, l’Assemblée nationale n’a pas fait jouer son protocole de consultation des partenaires sociaux et sa commission des affaires sociales ne s’est même pas saisie du texte pour avis.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui, c’est dramatique ! Cela montre la volonté de dialogue social !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Voila pourquoi la commission des affaires sociales ne peut que marquer son désaccord face à cette proposition de loi.

Les incertitudes juridiques restent nombreuses. Y a-t-il véritablement proportionnalité entre la supposée atteinte à l’ordre public causée par la grève et la sérieuse remise en cause de ce droit constitutionnellement protégé par le préambule de la Constitution de 1946 ? Ce court texte symbolise une période de conquête et de reconnaissance pour tous des droits économiques et sociaux voulus par le programme du Conseil national de la Résistance, qui est, malheureusement, bien loin derrière nous.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est sûr !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Le Président de la République s’en réclamait pourtant au mois de novembre dernier, mais c’était alors pour stigmatiser les plus fragiles. Quelle ironie ! Je laisse aux Sages du Conseil constitutionnel le soin de trancher cette question au fond.

Nous n’avons pas rejeté le texte pour respecter l’accord politique sur l’examen des propositions de loi inscrites dans le cadre de l’ordre du jour réservé au Sénat. Je suis toutefois convaincu, mes chers collègues, qu’il n’appartient pas au législateur de supplanter les partenaires sociaux ; il lui revient de les inviter au dialogue, ce qui aurait pu être le cas s’ils avaient été préalablement consultés.

M. Jacky Le Menn. Absolument !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Je ne doute pas de leur capacité d’aboutir, par la voie conventionnelle, à des accords généralisant un mécanisme d’alerte sociale dont l’efficacité sera alors certainement plus probante. J’en ai même la conviction ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus que tout autre, ce texte nécessite que l’on distingue le fond et la forme.

Sur la forme d’abord, je souhaite faire part de mon profond regret quant aux conditions dans lesquelles ce texte a été examiné à l’Assemblée nationale.

M. Jean Bizet. Ça décolle mal !

M. Roger Karoutchi. On espérait mieux !

M. François Fortassin. Je n’en doute pas. (Sourires.)

M. Louis Nègre. Attention à l’atterrissage !

M. François Fortassin. La proposition de loi a en effet été renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, et non à la commission des affaires sociales. Je me demande bien pourquoi.

M. Louis Nègre. Cela concerne les transports !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Non, il s’agit du droit de grève !

M. François Fortassin. Sans doute était-ce pour éviter de devoir entreprendre une discussion préalable avec les organisations syndicales compétentes. En tout cas, je ne doute pas, monsieur le ministre, qu’avec votre habileté coutumière vous parviendrez à éclaircir ce mystère.

M. Thierry Mariani, ministre. Je vous expliquerai pourquoi !

M. François Fortassin. Quoi qu’il en soit, cette méthode pose un problème, d’autant que l’examen de ce texte arrive à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle. Or quand il s’agit de sujets sensibles, tout le monde sera d’accord pour dire qu’il vaut mieux ne pas les traiter dans l’urgence.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !

M. François Fortassin. Peut-être vouliez-vous nous prendre au piège. Après tout, ce serait de bonne guerre, mais nous ne tomberons pas dans le panneau. Malgré votre habilité et votre habitude des joutes oratoires...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et des coups en douce !

M. François Fortassin. ... sachez que, là, la ficelle est un peu grosse !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Oh oui !

M. François Fortassin. Sur le fond ensuite, nous n’avons pas d’hostilité de principe. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)

M. Thierry Mariani, ministre. Il fallait commencer par là !

M. François Fortassin. Il est évident que la plupart de nos concitoyens qui sont des usagers du transport aérien – je le suis moi-même – n’acceptent pas facilement d’être pris au piège comme dans une souricière dans les aéroports. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

N’applaudissez pas trop vite, mes chers collègues, vous risquez d’être déçus par la suite !

M. Louis Nègre. Peut-être, mais c’est toujours ça de pris !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. S’ils avaient remédié à tout ce qui contrarie nos concitoyens, cela se saurait !

M. François Fortassin. Si vous aviez véritablement voulu aboutir à une situation qui ne mette pas à feu et à sang les organisations syndicales et les usagers, il fallait prendre le temps et, bien sûr, engager un véritable dialogue social.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas leur fort !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça fait longtemps qu’on en parle !

M. François Fortassin. Alors, pourquoi ne l’avez-vous pas fait avant ?

M. Christian Cambon. On en parle depuis vingt ans !

M. Michel Vergoz. Vous êtes au pouvoir depuis dix ans !

M. François Fortassin. Ce texte sera perçu comme une limitation du droit de grève, quoi que vous en disiez.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il met le feu aux poudres !

M. Thierry Mariani, ministre. Ce n’est pas une limitation du droit de grève !

M. François Fortassin. Le fait de le dire, monsieur le ministre, ne suffit pas à nous convaincre.

M. Thierry Mariani, ministre. J’ai toujours été incompris ! (Sourires.)

M. François Fortassin. Pour toutes ces raisons, et parce que nous regrettons que vous n’ayez pas privilégié la restauration du dialogue social, le groupe du RDSE, dans sa très grande majorité, votera la motion tendant à opposer la question préalable déposée par notre collègue Georges Labazée. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin un texte législatif qui se préoccupe des usagers des transports aériens !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On attend un texte qui se préoccupe des salariés !

Mme Catherine Procaccia. Nous avons tous en tête les images répétées de centaines, parfois de milliers de passagers entassés dans les aérogares, la plupart du temps installés à même le sol, avec enfants, valises, fauteuils roulants pour les plus âgés, qui attendent de savoir s’ils vont pouvoir ou non décoller.

M. Bruno Sido. Pensez aux enfants !

Mme Éliane Assassi. Vous allez nous faire pleurer !

Mme Catherine Procaccia. Oui, contrairement à vous, madame, je pleure sur le sort des usagers ! (Très bien ! sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pleurez donc plutôt sur ceux qui n’ont pas de logement, sur ceux qui n’ont pas de salaire !

Mme Catherine Procaccia. Rendez-vous professionnels manqués, marchés ratés, vacances avortées, voyages scolaires compromis exaspèrent les uns, dépriment les autres, d’autant plus que, s’ils avaient été informés en amont de l’annulation d’un vol, les passagers auraient pu ne pas se présenter au comptoir de la compagnie aérienne et avoir un peu moins le sentiment d’être les otages d’un conflit qui ne les concerne pas. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

En plus, dans le transport aérien, ce sont de multiples professions qui interviennent et peuvent concourir à perturber le voyage : pilotes, personnels navigants commerciaux, contrôleurs, bagagistes, agents de sécurité, personnel au sol, assistance technique de l’avion, etc.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Et quand il y a des intempéries ?

Mme Catherine Procaccia. Finalement, à la SNCF ou à la RATP, c’est beaucoup plus simple !

Je suis donc très satisfaite de voir qu’un texte d’origine parlementaire est enfin inscrit à l’ordre du jour de nos travaux...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon, c’est un texte d’origine parlementaire ?

Mme Catherine Procaccia. ... et tient compte des avancées qui ont fait leurs preuves dans le transport terrestre de voyageurs.

Je suis également fière d’avoir été, en 2007, le rapporteur de la loi rendant obligatoire le dialogue social et favorisant la prévention des conflits.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a pas de quoi !

Mme Catherine Procaccia. Ce texte a démontré que respect du droit de grève pour les uns et liberté de circuler et de travailler pour les autres étaient tout à fait conciliables.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme Catherine Procaccia. Après quatre ans, le bilan est positif. La procédure de concertation préalable et obligatoire avant toute grève aurait permis d’éviter entre 40 % et 50 % des grèves, selon les chiffres que j’ai obtenus de votre prédécesseur, monsieur le ministre, lorsque j’ai fait inscrire un débat sur ce thème au mois de janvier 2010.

M. Thierry Mariani, ministre. Absolument !

Mme Catherine Procaccia. Ce succès choque nos collègues communistes, qui voudraient même, à l’occasion de ce texte, supprimer la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est le comble !

Mme Catherine Procaccia. Belle approche sociale !

Dès 2007, contre l’avis du Gouvernement, j’ai fait adopter un article jetant les bases d’une possible extension aux autres secteurs de transport de passagers, si le système se révélait efficace.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Étendez cette disposition à tous les secteurs, ne vous gênez pas !

Mme Catherine Procaccia. En 2010, lors du débat sur l’évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports, j’avais bien senti le manque d’enthousiasme du secrétaire d’État chargé des transports, qui semblait ne pas vouloir réengager des débats stériles, car déjà tranchés, sur la constitutionnalité de la déclaration individuelle de grève quarante-huit heures à l’avance, qui permet aux transporteurs d’évaluer le trafic au regard du nombre de salariés présents.

Tel est bien en effet l’objet de la loi. En fonction des grévistes qui se sont déclarés, un plan de circulation est établi et les usagers sont informés.

C’est la raison pour laquelle près de soixante-dix sénateurs ont par deux fois cosigné la proposition de loi que j’ai déposée. Malheureusement, en quatre ans, le Sénat n’a pas trouvé de créneau pour inscrire l’examen de ce texte à l’ordre du jour de ses travaux. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Je félicite donc M. Mariani d’avoir accepté de travailler sur la proposition de loi de M. Diard. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

De toute façon, compte tenu de l’attitude de la nouvelle majorité sénatoriale, il était clair que, si ma proposition de loi avait été inscrite au Sénat, elle n’en serait pas ressortie « vivante ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Prenez-vous en à vos collègues !

Mme Catherine Procaccia. C’est à l’image de ce qui s’est passé en commission, où Mme la présidente de la commission et la majorité ont préféré faire rapporter ce texte « doublement UMP », puisque d’origine UMP et inscrit dans un créneau réservé à l’UMP, par un collègue socialiste, alors que, dans la foulée, les deux autres propositions de loi, dont les rapporteurs ont été désignés ce jour-là, ont été confiées au groupe politique qui en était l’auteur.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais c’est un projet du Gouvernement !

Mme Catherine Procaccia. La proposition de loi, qui a été adoptée à l’Assemblée nationale, aurait pu ressortir améliorée du Sénat. Tel est en tout cas l’esprit dans lequel, avec mes collègues de l’UMP, nous avions travaillé. Mais les amendements déposés par la majorité sénatoriale n’ont pas fait dans la subtilité : il s’est agi pour l’essentiel d’amendements de suppression. Et ne parlons pas de l’inutilité d’en déposer autant – un sur chaque article aurait suffi -, car je n’ignore pas votre objectif, mes chers collègues : empêcher que ce texte soit examiné en commission mixte paritaire. Je pense que les Français apprécieront votre attitude !

M. Christian Cambon. Tout à fait !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour l’instant, c’est plutôt la vôtre !

Mme Catherine Procaccia. Après plusieurs grèves dans les aéroports, vous avez délibérément choisi de continuer à les livrer pieds et poings liés à des grévistes qui font peu de cas de leur sort. Je ne sais pas si, en période électorale, la majorité sénatoriale de gauche fait le bon choix stratégique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) D’autant que les grèves à Air France et dans les aéroports se déclenchent toujours, comme par hasard, au moment des vacances scolaires – trois fois en 2011 – et surtout en hiver, alors qu’il est encore plus difficile d’attendre un avion dans un aéroport glacé que quand il fait beau.

Mme Éliane Assassi. Et les pauvres qui dorment dans la rue en hiver ?

Mme Catherine Procaccia. Accroître la prévisibilité du trafic avant une grève et informer les passagers relèvent du bon sens, du pragmatisme et de l’intérêt que chacun devrait porter à autrui.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Votre bon sens est sélectif !

Mme Catherine Procaccia. Certes, je n’ai jamais été marxiste (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.),…

M. Roger Karoutchi. Bravo ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Procaccia. … mais j’ai du mal à faire entrer la grève des pilotes d’Air France dans le schéma traditionnel de la lutte des classes, qui reste chère à certains d’entre vous.

La grève de la semaine dernière, avec toutes ces annulations « à chaud », me conforte dans l’idée qu’il faut adopter ce texte, car ce n’est pas la première fois qu’au moment de l’embarquement une partie des passagers n’est finalement pas autorisée à monter dans l’avion. Cette mésaventure est arrivée à un groupe d’écoliers : au pied de la passerelle, le couperet est tombé, laissant une partie de la classe au sol. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. Quel scandale !

Mme Catherine Procaccia. Imaginez le désarroi des enfants et des enseignants qui ont dû se séparer pendant un vol ainsi que le coût pour les parents, puisque ce voyage ne leur a pas été remboursé.

Je le dis haut et fort : ces pratiques sont inqualifiables. Elles relèvent du banditisme, pas de la revendication sociale.

Mme Catherine Procaccia. C’est la raison pour laquelle je soutiens la disposition que certains appellent « dédit ». Il est en effet de notoriété publique que la pratique de se déclarer gréviste, puis de se présenter au travail est répandue. Le transporteur, qui a calibré son service, ne peut alors plus le réajuster et les transports sont donc systématiquement sous-dimensionnés.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Avez-vous fait grève une fois dans votre vie ?

Mme Catherine Procaccia. Tous les moyens sont bons quand on est en grève, me direz-vous. J’estime pour ma part que l’éthique et le respect des autres sont tout aussi essentiels.

M. Christian Cambon. Très bien !

Mme Catherine Procaccia. Cette pratique conduit ainsi à une sous-estimation systématique du trafic aérien quand les contrôleurs sont en grève.

Telles sont les raisons qui me conduisent, au nom du groupe de l’UMP, à souhaiter voir ce texte adopté.

Reste que, avec tous mes collègues qui ont cosigné ma proposition de loi, nous voulons aller plus loin que l’obligation d’information des passagers uniquement lors de périodes de grève.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est clair, vous voulez interdire le droit de grève !

Mme Catherine Procaccia. Nous souhaitons introduire l’obligation d’information des passagers lors de perturbations météorologiques, à l’instar de la mesure qui figure dans la loi de 2007. Ce sera au moins un point sur lequel j’aurai recueilli l’attention de la commission...

L’an passé, lorsque des milliers de passagers se sont trouvés bloqués par le gel et la neige pendant plusieurs jours, ne croyez-vous pas que cette disposition aurait été utile ?

M. Thierry Mariani, ministre. Absolument !

Mme Catherine Procaccia. Malheureusement, une nouvelle fois, on a laissé s’agglutiner les pauvres passagers, trop nombreux pour être logés dans des hôtels, alors que la technologie météorologique offre une information fiable.

Dois-je également vous rappeler l’immense pagaille provoquée, en avril 2010, par le nuage de cendres échappé de ce fameux volcan islandais ?

Je souhaite aussi aller plus loin en rendant obligatoire une procédure de prévention des conflits pour les destinations relevant bien d’une mission de service public.

Le rapport remis au Parlement en 2010 a certes souligné que « le service public de transport aérien est limité aux liaisons sous obligations de service public imposées par l’État ou, le cas échéant, par les collectivités territoriales », mais aussi que les liaisons assurant la continuité territoriale en relevaient bien.

L’outre-mer et la Corse ne sont pas les seuls départements et territoires concernés, car le droit dérivé européen reconnaît l’existence d’un service public en matière de transport aérien. Ainsi, il permet la substitution du cadre concurrentiel pour éviter l’enclavement d’une région et faciliter la continuité territoriale. En conséquence, de nombreuses liaisons soumises à obligation de service public pourraient être desservies par des avions. Je vous propose donc de réintroduire par amendement cette disposition pour le transport aérien.

Mais surtout, avec tous mes collègues, particulièrement ceux élus dans les régions du pourtour méditerranéen, nous souhaitons étendre le principe des négociations préalables et de la déclaration individuelle de grève aux transports maritimes de voyageurs. (MM. Jacques Gautier et Louis Nègre applaudissent.) Une telle obligation y serait plus facile à appliquer que dans le secteur aérien, car beaucoup moins d’acteurs entrent en jeu. Par ailleurs, les effectifs concernés sont moins importants et des outils juridiques préexistent.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous voulez faire disparaître les transports maritimes ?

Mme Catherine Procaccia. En 2007, bon nombre d’entre vous ont accepté de retirer leurs amendements, parce que nous estimions utile d’attendre d’avoir du recul sur l’application de la loi sur le dialogue social.

J’ai entendu que l’application de ces règles aux transports maritimes de voyageurs était juridiquement possible depuis 2010, mais qu’il n’y avait pas suffisamment de conflits. Les Corses et les Guadeloupéens, qui connaissent régulièrement des grèves, apprécieront.

Monsieur le ministre, vous avez accepté de débattre de cette proposition de loi, et même si elle n’est pas d’origine sénatoriale, je vous en remercie.

Les vacances scolaires de février battent leur plein. Quant aux multiples candidats de gauche, eux, ils battent le pavé ! Si la majorité sénatoriale fait en sorte d’enterrer cette proposition de loi, j’ai au moins la satisfaction de me dire que les Français sauront qui en porte la responsabilité. Elle n’en tirera donc pas bénéfice. Je ne crois pas non plus que les salariés d’Air France, qui ne sont pas tous des grévistes, loin s’en faut, la remercieront de continuer l’entreprise de démolition d’une compagnie déjà en difficulté financière. (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.) Il ne nous reste plus qu’Air France comme compagnie aérienne.

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Il n’y a pas qu’Air France !

Mme Catherine Procaccia. Allez-vous continuer à vous arc-bouter sur des positions juridiquement et politiquement indéfendables. Faites donc preuve d’un peu d’ouverture…

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Si c’est l’ouverture à la concurrence…

Mme Catherine Procaccia. … oui, à l’image du ciel, qui est ouvert à la concurrence.

Laissez-vous porter par l’intérêt des passagers, pas par celui d’une minorité de salariés ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, je tiens à dire à Mme Procaccia qu’elle n’a pas le monopole de l’empathie avec les usagers coincés à l’aéroport. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Nous avons tous été sensibles aux images diffusées à la télévision. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Desessard. Mais, à la différence de vous, mes chers collègues, on garde la tête froide pour voir ce qu’on peut faire. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. Oui, rien !

M. Jean Desessard. Tentons d’analyser votre démarche.

Cette proposition de loi procède non seulement d’une volonté d’affichage politique, mais elle est aussi marquée par le non-dit. Certes, elle a été déposée en novembre, mais c’est après la grève des agents de sécurité, et non des pilotes, de plusieurs aéroports, qui avait perturbé le trafic aérien pendant les vacances de Noël qu’elle a été mise à jour.

Soyons clairs : nous sommes tous pour le droit à l’information et pour que les usagers ne soient pas bloqués dans les aéroports ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tirez-en les conséquences !

M. Jean Desessard. Cette proposition de loi est arrivée à point nommé, c’est-à-dire au moment où tout le monde était ému par cette situation. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que ce gouvernement fait des lois médiatiques.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il le fait à chaque fois !

M. Jean Desessard. Dès qu’un événement se produit dans la société, il fait une loi ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Michel Vergoz. Des fois, il l’annonce même au journal de 20 heures !

M. Jean Desessard. Voilà pour l’affichage politique !

Venons-en au non-dit.

Monsieur le ministre, vous avez parlé du droit des usagers à circuler librement…

M. Louis Nègre. Il a valeur constitutionnelle !

M. Jean Desessard. … et aussi du respect du droit de grève. Il faudrait donc pouvoir faire grève, mais sans que cela ne gêne personne… (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Comme vous n’osez pas dire que vous voulez porter atteinte au droit de grève, vous trouvez des formules et des moyens pour le limiter.

Madame Procaccia, votre discours était quand même sensationnel à cet égard ! (Marques d’ironie et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Thierry Mariani, ministre. C’est vrai !

Mme Catherine Procaccia. Merci de le dire !

M. Jean Desessard. Vous accusez, comme toujours, les grévistes d’être responsables de tout. Or le dialogue social doit se faire à deux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Une grève résulte d’un conflit entre le patronat et les salariés. À quel moment avez-vous fait porter une responsabilité, même minime, sur les patrons, dans cette affaire ?

M. Jean Desessard. Dans votre logique antisociale, vous souhaitez obliger les salariés à se déclarer individuellement grévistes quarante-huit heures avant le début de la grève,…

M. Jean Desessard. … puis à ne reprendre le travail que vingt-quatre heures après l’avoir décidé. Vous semblez ignorer que, lorsqu’on est en grève, on souhaite que le dialogue social aboutisse : on discute, on fait des concessions.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement !

M. Jean Desessard. Pour vous, tout cela ne sert à rien : même en cas d’accord, les salariés doivent rester grévistes et ne pas être payés. Belle conception du dialogue social !

En interdisant à chaque salarié de se rétracter moins de vingt-quatre heures avant le début de la grève, sous peine de sanction, vous faites peu de cas du dialogue social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils n’y croient pas au dialogue social, ils sont pour le monologue patronal !

M. Jean Desessard. Vous parlez d’un dispositif de dialogue social préventif, mais vous durcissez les possibilités de se mettre en grève ou de la terminer rapidement lorsqu’elle est engagée.

Cette proposition de loi tend à mettre en œuvre une réforme aux dépens des seuls salariés, puisque aucune sanction n’est envisagée pour le patron qui n’aurait pas négocié. Cette réforme se fera aussi aux dépens des usagers puisqu’elle rend difficile la reprise du travail.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas vrai !

M. Jean Desessard. Vous parlez de dialogue social, mais vous n’avez même pas pris la peine de consulter les partenaires sociaux avant de proposer cette réforme.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement !

M. Jean Desessard. Il aurait pourtant été intéressant que les premiers concernés donnent leur avis.

M. Francis Delattre. Vous êtes un Khmer vert !

M. Jean Desessard. Pis, en appelant à la « sauvegarde de l’ordre public » au nom de la protection de la santé et de la sécurité des personnes, la droite fait un amalgame dangereux en considérant les mouvements sociaux de personnels comme des troubles à l’ordre public.

M. Jean Desessard. Je trouve cette assertion incompatible avec nos principes républicains.

La grève est un droit civique, un droit salarial. Les grévistes qui contestent une réforme ou un plan de licenciement ne sont pas des terroristes. La droite, qui a tendance à les désigner comme des preneurs d’otages, l’oublie souvent.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela fait dix ans qu’elle parle ainsi !