Mme Michelle Demessine. … sur la décision du Président de la République de signer le traité dit « de stabilité, de coordination et de gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire ».

Car c’est bien de la signature de ce traité qu’il s’agira le 1er mars prochain. Vingt-cinq des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne l’adopteront solennellement, en marge de la réunion du Conseil. C’est cet événement qui fera date et qui sera le seul élément que l’Histoire retiendra de ce sommet.

À nos yeux, le grand danger de ce traité, que le chef de l’État signera au nom de la France, est d’être un nouvel instrument antidémocratique pour imposer, sous couvert de discipline budgétaire, la loi des marchés financiers aux États et aux peuples d’Europe.

Ce traité, concocté entre la Chancelière et le Président de la République, aggrave encore les quelques dispositions sur la gouvernance économique et le semblant de solidarité européenne contenus dans son « prédécesseur » de 2005. Le peuple français avait rejeté le précédent traité par référendum, et le chef de l’État le lui avait alors imposé par la voie parlementaire.

Aujourd’hui, nous refuserons le nouveau scénario qui s’annonce.

Dès maintenant nous dénonçons le danger d’une signature du chef de l’État. Nous refusons ce traité, car il est profondément antidémocratique et contraire à l’intérêt national, puisqu’il s’agit de limiter la souveraineté budgétaire des États et de leur dicter leur politique économique et sociale.

De surcroît, c’est de lui que procèdent tous les plans d’austérité qui sont imposés aux pays en difficulté en échange de financements pour tenter de payer leurs dettes.

Cette filiation montre également le lien incontestable et indéfectible qui existe entre les deux projets de loi autorisant la création du Mécanisme européen de stabilité, contre lesquels notre groupe a voté cet après-midi, et le traité que va signer le Président de la République.

En effet, la possibilité pour un État membre de l’Union européenne de participer à ce mécanisme, à ce fonds de soutien, est conditionnée à l’approbation du traité.

Ce n’est qu’à cette condition, en effet, que pourra être activé, à partir du 1er juillet, ce fonds monétaire européen qui a pour mission d’imposer l’austérité aux peuples dont les États n’arrivent pas à financer leurs dettes sur les marchés. C’est la carotte pour accepter les coups de bâtons !

L’intérêt du débat de ce soir pourrait être d’éclairer les enjeux et de montrer toutes les conséquences négatives pour notre pays, pour notre peuple, mais aussi pour l’Europe, d’une signature du chef de l’État.

Fruit de deux mois de laborieux compromis avec l’Allemagne, ce traité vise à instaurer une forme autoritaire de gouvernement économique de la zone euro en prétendant protéger cette dernière contre les attaques spéculatives des marchés financiers et faciliter les prises de décisions rapides qui ont tant fait défaut ces derniers mois.

De nouvelles règles communes, des budgets favorisant le développement économique et social des États membres, des solidarités concrètes entre les pays pour faire face à la puissance déstabilisatrice des marchés, voilà ce dont aurait besoin l’Europe !

Or ce qui sera avalisé par Nicolas Sarkozy à Bruxelles n’est qu’une fausse solidarité, qui enfoncera un peu plus encore les pays dans leurs difficultés.

Ce traité, bien que l’objectif affiché soit de lutter contre les marchés financiers pour protéger la zone euro de leurs attaques ne se donne, en réalité, pas les moyens de cette politique, et ce tout simplement parce que les gouvernements des pays membres n’en ont pas la volonté.

Tout au contraire, les dispositions prévues, que ce soit l’instauration de la règle d’or, ou plutôt comme l’a souligné tout à l’heure notre collègue Jean-Pierre Chevènement, de la « règle d’airain » interdisant tout déficit budgétaire, ou les sanctions automatiques contre les États contrevenants vont précisément dans le sens de la logique de l’austérité économique et sociale réclamée par les marchés.

Pourtant, l’expérience des derniers mois a démontré combien la mise en œuvre des politiques d’austérité était totalement inefficace pour résoudre la crise qui secoue l’euro.

Prenons garde : si cette crise n’était pas jugulée, elle détruirait les économies européennes les unes après les autres. C’est pour cela qu’il faut changer de méthode.

Si notre groupe est si vivement hostile à cette signature, c’est qu’il considère que la méthode et les politiques publiques qu’il inspire sont mauvaises et dangereuses pour les économies et les peuples. Elles vont même à l’encontre des objectifs affichés.

Ce sont justement ces politiques qui alimentent la crise. Ce sont ces politiques d’austérité qui, en comprimant la demande, font reculer l’activité, ce qui à son tour réduit les rentrées fiscales et creuse encore plus les déficits. Partout où elles ont été mises en œuvre, les résultats parlent d’eux-mêmes. Les pays se sont enfoncés dans la récession, ils ont subi un appauvrissement sans précédent, ils sont accablés par le chômage et atteints dans leur dignité même.

Tout cela s’accompagne d’un démantèlement systématique des services publics, des systèmes sociaux, du droit du travail, ce qui provoque la colère des peuples et prépare dans certains pays un véritable séisme social.

Peut-on parler de solidarité pour aider les pays menacés par les attaques des marchés financiers quand, par exemple, le produit intérieur brut de la Grèce a diminué de près de 20 % depuis le début de la crise, et que les salaires et les retraites, en baisse, seront bientôt au même niveau qu’en Roumanie ? Est-ce là le résultat d’une vraie solidarité européenne envers les victimes des marchés financiers ?

Les prévisions de la Commission européenne présentées jeudi dernier sont l’éclatante illustration de ce que ce mécanisme dit de « soutien » ne préconise qu’une austérité asphyxiant l’économie réelle et empêchant la croissance.

La Commission européenne a tout simplement annoncé la récession dans la zone euro, avec un recul du PIB de 0,3 %, et une quasi-absence de croissance dans l’Union. Huit des dix-sept États de la zone euro, la Grèce en tête, mais aussi le Portugal, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas et la Belgique seront en récession.

La France et l’Allemagne, quant à elles, comme l’ensemble des vingt-sept, ne connaîtront qu’une croissance infime de 0,4 % à 0,6 %.

Le Mécanisme européen de stabilité dont le Sénat, à l’exception de notre groupe, a accepté la mise en place, aggravera ces politiques, car il se fonde sur la même logique que son prédécesseur, le Fonds européen de stabilité. La seule différence, maintenant, est qu’il est pérenne et que les décisions seront plus rapides à prendre. Elles seront donc mieux imposées aux États.

On peut d’ores et déjà douter de l’avenir du MES, car Standard & Poor’s vient de le placer sous perspective négative. Par ailleurs, l’Allemagne a annoncé qu’elle ne céderait pas face à ceux qui demandent déjà le renforcement de ce prétendu pare-feu européen. Le sommet des membres de la zone euro consacré à cette question, prévu vendredi, vient d’ailleurs d’être ajourné.

Le dispositif lié à l’adoption du traité va au-delà de tout ce que l’on a connu jusqu’à présent au niveau européen en matière d’abandon de souveraineté, d’opacité et de recul démocratique.

Il implique une perte évidente de souveraineté budgétaire puisque c’est le regroupement des gouverneurs de ce fonds qui décidera du dépassement de son plafond, sans l’avis des Parlements nationaux.

Sous la direction du condominium franco-allemand, une mécanique implacable de contrôle et de corsetage des finances publiques nationales se met en place.

Mesurez bien, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, pour la fameuse troïka que sont la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI invité à participer à l’affaiblissement des économies européennes, ce qui se passe en Grèce est une expérience grandeur nature pour démanteler les droits démocratiques et sociaux partout en Europe. La Grèce est leur laboratoire. Et ce sont ces politiques, formalisées dans un traité, que le chef de l’État et votre gouvernement acceptent de faire inscrire dans le marbre des législations nationales !

Cette discipline budgétaire aveugle, contraint les États, sous prétexte de mieux maîtriser leurs finances publiques, à voter des budgets équilibrés en limitant leur déficit structurel à 0,5 % de leur PIB. Réclamée par l’Allemagne, cette règle est impitoyable avec ceux qui l’enfreindraient puisque des amendes sont prévues, allant jusqu’à 0,1 % du PIB, sans parler des sanctions quasi automatiques pour les pays affichant un déficit supérieur à 3 % du PIB.

Cette règle d’airain, plutôt que d’or, pourrait apparaître aux naïfs comme un élément d’une saine gestion des affaires publiques, comme cela a été dit à de nombreuses reprises à cette tribune. Il n’en est rien, car ses conséquences sont contraires à nos principes démocratiques.

Son principal danger est de limiter la souveraineté parlementaire sur le budget en nous obligeant, notamment, à soumettre à Bruxelles, préalablement à leur adoption, les projets de lois de finances. Il place ainsi les budgets nationaux sous la tutelle des institutions européennes, mais aussi indirectement du Fonds monétaire international.

Accepter cela, ce sera pour un gouvernement accepter d’avance de renoncer à la liberté de décider de la politique qu’il veut appliquer, à la liberté de mener une politique de transformation sociale. Tout se fera en vertu de dispositions contraignantes et permanentes venues d’ailleurs, et qui s’imposeront à nos lois de finances.

Dans ces conditions, que devient l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’un des fondements de la Constitution, aux termes duquel « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » ?

Qu’en est-il aussi de l’article 39 de la Constitution, qui dispose que « les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à l’Assemblée nationale » ?

Soumettre ainsi nos budgets à une institution supranationale composée de technocrates non élus est clairement incompatible avec nos principes constitutionnels. Je le répète avec force : les fondements même de ce traité heurtent fondamentalement les principes démocratiques énoncés dans la Constitution.

De ce point de vue, à la veille d’échéances électorales qui peuvent changer l’avenir de notre pays, il n’est pas souhaitable que le Président de la République sortant décide, seul, aujourd’hui, de mettre des principes constitutionnels en cause lors du prochain Conseil européen.

Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Cécile Cukierman. Très bien !

Mme Michelle Demessine. Lorsqu’il faudra, dans quelque temps, ratifier ce traité qui comprend tant de mesures néfastes pour l’intérêt national et pour les peuples d’Europe, il faudra consulter notre peuple pour qu’il s’exprime en toute connaissance de cause. Nos institutions le permettent, et le futur Président de la République, quel qu’il soit, devra choisir la voie du référendum !

Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations dont le groupe communiste, républicain et citoyen souhaitait vous faire part à la veille de ce Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le Conseil européen qui se réunira les 1er et 2 mars prochain va inévitablement se pencher sur la récession qui, selon la Commission européenne, frappera la zone euro en 2012.

La zone euro est la seule zone du monde qui verra diminuer son PIB. La Chine, elle, voit son PIB augmenter de 8,2 %, l’Amérique latine de 3,8 %, même les États-Unis connaîtront une hausse de 1,8 %, alors que leur dette, leur déficit public et leur balance extérieure sont beaucoup plus dégradés que ceux de la zone euro.

Il n’est pas nécessaire de chercher bien loin l’origine d’un tel état de fait. C’est la logique de l’euro elle-même qui est en cause. La monnaie unique comporte un vice congénital : elle juxtapose, en effet, dix-sept économies hétérogènes à l’ombre d’une Banque centrale européenne copiée sur le modèle de la Bundesbank allemande.

La priorité donnée à la lutte contre l’inflation enferme la zone euro dans un chômage structurel équivalent à 10 % de la population active. La surévaluation de l’euro nous a fait perdre 30 % de compétitivité par rapport aux États-Unis depuis 1999. Au sein même de la zone euro, la déflation salariale organisée en Allemagne a accru l’écart de quinze points entre ce pays et le reste de la zone euro.

L’endettement d’États de moins en moins solvables devait aboutir à la crise des dettes souveraines. Le cas de la Grèce n’est que l’arbre qui cache la forêt, car la fragilité de la zone euro s’enracine dans les déséquilibres commerciaux et les écarts de compétitivité, qui ne touchent pas que la Grèce.

On l’a dit cet après-midi, le MES n’est pas un pare-feu suffisant. À supposer qu’il soit capable de lever 500 milliards d’euros, comment ferait-il face à un possible défaut de l’Italie, dont la croissance, en 2012, sera négative, en baisse de 1,8 %, alors qu’elle devra lever encore 250 milliards d’euros de dette ?

M. Cohn-Bendit, dont l’influence s’est fait sentir cet après-midi sur plusieurs orateurs de la majorité présidentielle – cela nous permet de mesurer le temps passé depuis la mort du général de Gaulle ! – veut faire croire que ces 500 milliards d’euros pourraient servir d’amorce à la solidarité des peuples européens. Au mieux, soyons sérieux, ils ne serviront qu’à renflouer les banques !

M. Draghi met le malade sous morphine, mais cela n’ira pas sans effets pervers. Il ne suffit pas de donner de l’argent aux banques, on pourrait faire des avances aux États qui en ont besoin : ce serait mieux utiliser l’argent public.

Mal pensée dès le départ, la monnaie unique se révèle être un tonneau des Danaïdes où s’engloutira toujours davantage l’argent des contribuables.

Tout cela parce qu’on a voulu faire l’Europe en dehors des nations. Leur souveraineté monétaire a été aliénée à un aréopage de banquiers centraux qui n’ont de comptes à rendre à aucune instance procédant du suffrage universel. Tout cela me rappelle la formule lancée par Philippe Séguin en 1992, lors de la ratification du traité de Maastricht : « 1992 c’est l’anti 1789 ! » Eh bien, nous y sommes !

Certains nous parlent de « grand saut fédéral » ; je pense à M. Arthuis, que j’aime beaucoup par ailleurs – mais je constate qu’il n’est plus là pour entendre ma déclaration d’amour… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Trêve d’irréalisme ! Le système dans lequel on nous propose d’entrer est purement coercitif. Il ne comporte aucun élément de redistribution.

Le processus de dessaisissement des parlements nationaux s’est mis marche aussitôt la crise de l’euro déclarée. Je n’y reviens pas, c’était le « semestre européen » : stratégies budgétaires à moyen terme, vote de loi de finances triennales, Commission européenne saisie dès le mois d’avril d’un projet de budget que le Parlement vote autour du 20 décembre, etc. Est-ce cela la démocratie ?

Le Parlement européen a inclus, le 28 septembre 2011, le « semestre européen » dans un paquet « gouvernance économique », encore nommé « six pack » car comprenant cinq règlements et une directive, à quoi se sont ajoutés deux textes dits « two pack ».

S’est ainsi mis en place un appareil de surveillance précoce, de normes, bref, de contrôle et de supervision, visant à mettre sous tutelle les budgets des pays membres. On a même assisté à cette chose étonnante : M. Olli Rehn, commissaire européen aux affaires économiques, a envoyé au gouvernement de M. Berlusconi une lettre comportant trente-cinq conditions. Trente-cinq conditions, madame Demessine, c’est plus que vingt et une ! (Rires sur les travées du groupe CRC.) Trois jours après, M. Berlusconi était remplacé par M. Monti…

Les États se trouvent, de la sorte, dépouillés de leur souveraineté budgétaire : six pack, two pack, Pacte européen pour l’euro plus… Derrière le cliquetis des mots, on perçoit comme un bruit de chaînes ! (Sourires.)

Mais ce n’est pas encore assez puisque l’Allemagne entend généraliser le système de « frein à l’endettement » qu’elle a adopté en 2010. M. Sarkozy a accepté de le faire pour la France puisqu’il a proposé la fameuse « règle d’or » : une loi organique devrait désormais préciser le contenu de « lois-cadres d’équilibre des finances publiques », s’imposant aussi bien aux lois de finances qu’aux lois de financement de la sécurité sociale. C’est très compliqué ! Que deviennent, alors, le droit d’initiative parlementaire, le droit d’amendement, le rôle des commissions ? On ne sait plus !

M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de conclure.

M. Jean-Pierre Chevènement. Le TSCG européanise la règle d’or ; c’est un traité essentiellement disciplinaire, qui va au-delà de cette règle d’or. C’est un traité suicidaire, qui permet l’intrusion des institutions européennes dans le fonctionnement de la démocratie et qui comporte des sanctions automatiques. Je demande au Président de la République, si friand de référendums, de soumettre ce traité au référendum,…

M. Jean-Pierre Chevènement. … comme M. Fillon le lui a d’ailleurs suggéré, à juste titre.

Que devient le contrôle démocratique des parlements nationaux ? On entend parler d’une vague « conférence interparlementaire », qui n’aurait en fait qu’un droit d’information.

Au principe de souveraineté se substitue un principe d’inégalité, de hiérarchie entre les États, selon les moyens dont ils vont disposer.

En conclusion, je dirai que le projet de traité doit être révisé dans son objectif, fixé à l’article 3, et quant aux prérogatives des parlements nationaux, qu’il faudra restaurer. Il devra l’être également au regard des moteurs de croissance, qu’il faudra pouvoir mettre en marche : cela est possible en élargissant les missions de la Banque centrale, en remédiant à la surévaluation de l’euro, en lançant un grand plan européen d’investissements, financé par un emprunt européen sous forme d’eurobonds, et, enfin, en menant une politique de relance salariale dans les pays dont la compétitivité le permet.

La logique de Mme Merkel ne peut pas être de transformer l’Europe du sud en un vaste Mezzogiorno !

Qu’aurait dû faire M. Sarkozy ?

M. le président. Mon cher collègue, concluez !

M. Jean-Pierre Chevènement. Je termine, monsieur le président.

Il eût fallu organiser une grande conférence de presse, à la manière du général de Gaulle, et dire clairement que l’Europe a été, depuis le début, l’œuvre commune de la France et de l’Allemagne, à égalité. On ne peut pas accepter que cette égalité soit rompue.

L’Allemagne a le choix entre deux politiques : celle du cavalier seul, pour prétendument jouer dans la « cour des grands », qui ne débouche que sur l’éclatement de la zone euro et se retournera contre l’Allemagne elle-même ; ou bien la politique de l’« Allemagne européenne », dont rêvait Thomas Mann, dans une « Europe européenne », selon l’expression du général de Gaulle.

Seule cette seconde voie permettrait aux peuples européens de respirer et de défendre ensemble leurs intérêts vitaux sur la base d’un compromis qui les autoriserait à aller de l’avant. C’est cela qu’aurait dû faire M. Sarkozy et c’est, je l’espère, ce que fera le prochain Président de la République française ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le prochain Conseil européen, comme la plupart des sommets européens de ces deux dernières années, revêt une importance majeure. Il s’agit, une fois encore, de construire la réponse européenne à la crise. Avec certaines difficultés, certes, l’Union, à travers l’action de ses institutions et celle des États membres, met efficacement en place une nouvelle Europe, une Europe plus forte, plus stable, plus intégrée et plus contrôlée.

La crise que nous connaissons depuis 2008 a au moins eu l’avantage d’accélérer la mise en place d’une gouvernance économique et financière à l’échelon européen. C’est indéniable. Ce mouvement s’est fait parfois dans la douleur, souvent dans l’effort ou la mauvaise humeur, mais il existe et il a abouti à des chantiers inimaginables voilà encore deux ans. Et l’action volontariste du Président de la République, Nicolas Sarkozy, fut tout à fait décisive. Pendant cinq ans, la France a démontré que sa voix en Europe était respectée et que ses initiatives avaient rythmé l’agenda de l’Union.

Les avancées institutionnelles permises par la crise sont nombreuses.

D’un côté, les États européens se sont mobilisés, avec plus ou moins d’entrain, en faveur de leurs voisins les plus touchés comme la Grèce. À cet égard, les négociations de la semaine dernière, difficiles et inespérées, avec l’adoption d’un plan record, sont une preuve de cette mobilisation.

D’un autre côté, avec les autres institutions, les États se sont mis d’accord sur un ensemble de dispositions pour éviter que de telles situations ne se reproduisent à l’avenir. Les mesures concernent les acteurs et les pratiques du secteur financier, en particulier les banques, mais poussent aussi vers un encadrement plus strict des politiques budgétaires des États. Bref, nous allons vers un « fédéralisme budgétaire » européen, tout simplement par pragmatisme.

La crise financière, puis économique a révélé le manque de transparence du système financier, soumis à de mauvais calculs de risque dissimulés sous des montages complexes, et en proie à une spéculation nocive pour l’économie réelle. Aussi les régulateurs européens ont-ils décidé de légiférer pour introduire plus de transparence dans le système, afin, notamment, d’en diminuer les risques. Je pense à la surveillance accrue des acteurs financiers et à la régulation des produits et pratiques financières. Cette action a essentiellement été menée par les institutions communautaires, Commission en tête.

L’Union européenne s’est beaucoup mobilisée concernant les mesures de régulation à destination des banques. De nombreuses dispositions ont été mises en place pour consolider le système bancaire. D’autres dispositions ont été créées pour résoudre les futures crises ; on peut citer le projet d’une taxe bancaire ou l’amélioration des garanties des dépôts bancaires. Le changement des pratiques des banques est également à l’ordre du jour avec la limitation des bonus et du secret bancaire.

Avec ce nouvel arsenal normatif, les États ont ainsi montré à leurs citoyens que, désormais, les banques allaient devoir prendre leurs responsabilités.

Mais, en plus de cibler les dysfonctionnements du système financier et bancaire, les États ont su reconnaître leur propre responsabilité dans la crise budgétaire qu’ils ont essuyée et ils se sont attachés à empêcher qu’elle puisse se reproduire en mettant en place un contrôle plus strict de leurs agissements budgétaires. Ils ont aussi, bien que plus difficilement, fait jouer la solidarité pour venir en aide aux plus touchés d’entre eux, comme la Grèce.

Bien sûr, l’exemple le plus marquant et le plus significatif dans l’aide aux États en difficulté est la mise en place d’un fonds d’urgence, et sa transformation en mécanisme permanent de stabilisation. Cet instrument pérenne de réaction aux crises répond à une absolue nécessité.

À la gestion en urgence des conséquences d’une crise déclarée s’ajoute la volonté de la part de certains États, en particulier les plus rigoureux comme l’Allemagne, de responsabiliser les États de l’Union. Le sauvetage doit s’accompagner d’un durcissement du Pacte de stabilité, autant dans son volet préventif que dans son volet correctif. C’est l’origine de la mise en place du « semestre européen », qui est un contrôle a priori des budgets nationaux, inauguré dès février 2011.

Une nouvelle étape a été franchie par le très important Conseil européen du 30 janvier dernier : deux décisions majeures y ont été finalisées, ce qui en fait l’un des plus décisifs de cette période de crises que connaît l’Union Européenne depuis trois ans.

D’abord, le Pacte budgétaire : il a été approuvé par vingt-cinq États membres sur vingt-sept ; il doit être signé le 1er mars et sera opérationnel dès que douze États membres l’auront ratifié.

Ce pacte comprend un volet « discipline budgétaire », un volet « gouvernance économique » ainsi que, ne l’oublions pas, un volet « croissance et emploi ».

Le volet concernant la discipline budgétaire est ce que l’on pourrait appeler un « Pacte de stabilité et de croissance révisé » ayant pour but d’améliorer la gouvernance de la zone euro en soutenant les objectifs de l’Union en matière de croissance durable, de compétitivité, d’emploi et de cohésion sociale.

En ce qui concerne la gouvernance économique, il a été décidé que, deux fois par an, un sommet de la zone euro serait organisé pour débattre des stratégies relatives à la conduite des politiques économiques devant renforcer la convergence au sein de la zone. C’était essentiellement une revendication de la France ; la Pologne y était opposée et l’Allemagne s’était montrée réservée. Il nous appartient de faire vivre cet outil.

Le volet ayant trait à la coordination des politiques économiques au service de la croissance et de l’emploi est, à mes yeux, un point majeur de l’accord. Il est bien souligné que le volet « croissance et emploi » n’a pas été oublié au cours du Conseil de janvier.

L’addition de plans de rigueur budgétaire est un préalable au rétablissement de la confiance et de la compétitivité économique des États membres, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le nouveau président de la BCE, mais ce n’est pas suffisant. J’y reviendrai plus loin.

Lors du Conseil du 30 janvier, les chefs d’État et de gouvernement ont également approuvé le Mécanisme européen de stabilité. Son élaboration a été longue, voire laborieuse, mais nous arrivons enfin à un système pérenne de solidarité et de stabilité nous permettant de faire face à la déstabilisation de certains États européens.

Ce mécanisme permettra de doter la zone euro d’un instrument apte à intervenir pour juguler les crises de marché. II ne constitue pas la seule avancée – quoique celle-ci soit déjà majeure – dont la crise de la dette européenne accouche. Il est aussi nécessaire de tirer les enseignements de la période traversée, ce qui suppose à la fois de mettre en place une discipline efficace et respectée et de gommer les écarts de compétitivité qui ont pesé sur les finances publiques des États périphériques.

Comme cela a été souligné lors du sommet de la zone euro du 9 décembre 2011, le dispositif de solidarité créé par le MES est complémentaire de la volonté des chefs d’État et de gouvernement des États membres dont la monnaie est l’euro d’évoluer vers une union économique plus forte, comprenant un nouveau pacte budgétaire et une coordination accrue des politiques économiques.

Pour l’heure, la capacité des États de la zone euro et au-delà à constituer un front uni est démontrée par la réforme de la gouvernance et la création du Mécanisme européen de stabilité. Il est impératif que la France, qui a joué un rôle moteur à chacune des étapes de l’élaboration des réponses à la crise, donne l’impulsion en ratifiant, la première, les textes qui donnent corps à ces réponses. Cela vient d’être très récemment le cas pour le traité instituant le MES.

À ce sujet, je souhaite faire deux remarques, sans esprit de polémique. Je trouve d’abord que l’abstention de nos collègues socialistes sur la ratification du traité créant le MES est incompréhensible. Comment peut-on ainsi mettre de côté son idéal européen, que Jacques Delors a hier porté si haut, au profit de calculs politiques de circonstance ! J’y vois un singulier manque de prospective !

Ce mécanisme de solidarité n’est ni de droite ni de gauche : il est tout simplement la réponse européenne à la crise terrible que nous connaissons depuis plusieurs mois et qui met durement à l’épreuve le projet européen. II est un dispositif de solidarité, bien sûr complémentaire de la volonté des États membres de la zone euro d’évoluer vers une union économique plus forte, c’est-à-dire une union comprenant un nouveau pacte budgétaire et une coordination accrue des politiques économiques mis en œuvre par un nouveau traité, le TSCG.

Bien sûr que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre du MES sera conditionné à la ratification de ce nouveau traité par l’État membre concerné ! Encore heureux ! C’est la clé du système et la garantie de sa crédibilité.

J’ajoute que ces traités, comme tous les autres, engagent la France, et non simplement l’actuel gouvernement.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand le Parlement l’aura ratifié ! Il n’y est pas obligé ! On peut écouter le peuple avant !

M. Jean Bizet. On ne renégocie pas des traités à chaque changement de gouvernement ! Un traité engage la parole du pays qui l’a signé, et cela doit être clair pour tout le monde !

M. Jean-Pierre Chevènement. C’est aberrant ! Le général de Gaulle ne serait pas sorti de l’OTAN !

M. Jean Bizet. Il n’y a pas de place, aujourd’hui, pour la spéculation politique.

Là aussi, il y va de la crédibilité de la démarche et du mécanisme retenu.

On le voit, la mise en place progressive de la réponse européenne à la crise est indéniable. Nous avançons concrètement vers plus de coordination des politiques budgétaires nationales, vers plus de surveillance et de contrôle des acteurs de la finance (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.), vers plus de gouvernance économique, bref, vers un type de « fédéralisme budgétaire » à l’échelle européenne.

Je veux revenir un instant sur ce que disait tout à l'heure notre collègue Jean Arthuis à ce sujet. La famille politique à laquelle j’appartiens penche, vous le savez, du côté souverainiste plutôt que du côté fédéraliste. Mais, aujourd'hui, il faut faire preuve de pragmatisme, et c’est sans détour que je m’engage vers ce fédéralisme budgétaire, dont la mise en œuvre ne me paraît présenter aucune impossibilité.

Je pense donc que, pour bâtir cette croissance, il faut un marché intérieur dynamique et efficace. L’action de notre commissaire, Michel Barnier, est à cet égard remarquable.

Le marché unique a permis de créer de nombreux emplois, même si ce n’est pas encore suffisant, et d’accroître la compétitivité de l’Europe. Aujourd’hui plus que jamais, il reste notre atout majeur pour faire face aux défis de la crise économique.

Il existe cependant un large potentiel encore inexploité. Je pense à l’accès au financement des PME, à la mobilité des citoyens, aux droits de propriété intellectuelle, au marché unique des services, à la fiscalité ou la protection des consommateurs. Les propositions de la Commission européenne existent et c’est aux États membres de décider de leur mise en œuvre.

De nombreuses autres pistes peuvent être explorées. Ainsi, les fonds structurels sont un formidable outil de développement. Ne peut-on pas utiliser différemment les 240 milliards d’euros de la politique de cohésion, notamment pour la relance ? À mon avis, nous serions gagnants. Aux États membres de lancer des plans de rigueur et à l’Europe de mener une politique de relance pour l’Europe.

M. Jean Leonetti, ministre. Très bien !

M. Jean Bizet. La stratégie Europe 2020 constitue également un excellent vecteur de croissance, notamment en ce qui concerne les investissements dans la recherche, l’innovation et la formation. Cette stratégie s’inscrit parfaitement dans le contexte de réformes structurelles débattues récemment : la régulation financière, la coordination de l’Union économique et monétaire ou la gouvernance économique.

L’ensemble de ces opérations ne concerne pas seulement les institutions européennes. Elles doivent être discutées et relayées à tous les niveaux.

Le débat sur les euro-obligations est également lancé. Il s’agit de mutualiser la dette souveraine des États de la zone euro pour financer des dépenses d’avenir.

Cependant, des imprécisions et de nombreuses incertitudes demeurent, au-delà même des réticences allemandes, qui hypothèquent largement l’avenir de cet instrument financier, y compris sous son aspect d’outil de croissance et d’investissement.

La réflexion doit encore faire du chemin, mais, et je rejoins sur ce point Mme la rapporteure générale, je reste persuadé que l’émission d’eurobonds pourra présenter des bénéfices à terme, plus précisément lorsque la rigueur et l’orthodoxie budgétaire des États membres seront devenues la règle, moment qui n’est pas encore arrivé…

Le Conseil européen des 1er et 2 mars revêt donc une importance de premier plan. Avec le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité, ratifié voilà quelques heures par notre assemblée, et la future signature du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique, l’Europe a profondément réformé sa gouvernance. Elle a réagi à la hauteur de l’enjeu. Cela traduit un changement profond d’orientation dont nous avons du mal à mesurer les conséquences, lesquelles sont, à mon avis, considérables.

Avec le renforcement de l’intégration économique et budgétaire au travers d’une discipline accrue, mais aussi d’une convergence des compétitivités pour des objectifs de croissance partagés, on assiste à la mise en place d’un arsenal juridique et politique complet.

La crédibilité de cette démarche dépend évidemment de notre capacité collective à réagir et de notre unité à adhérer à ce projet commun. Il n’y a aucune place pour la polémique ou la spéculation. Il y va du destin de la France et de l’Europe. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.