M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai le souvenir d’avoir joué ici, à cette même tribune, le rôle de Cassandre lors du débat préalable du précédent Conseil. J’étais en effet inquiet quant à nos perspectives en matière d’environnement, de croissance et d’emploi. Mais j’étais plus largement inquiet encore quant à notre capacité collective à esquisser une coordination a minima de nos politiques industrielles et énergétiques autrement que par la dérégulation.

Lorsque j’analyse les conclusions du dernier Conseil européen, le terme qui me vient naturellement à l’esprit est celui de « contraste » – je n’ai pas dit « changement » !

« Contraste » des termes des débats comparés aux précédents Conseils dits de la « dernière chance », « contraste » en matière de résultats, « contraste », enfin, en matière de perspectives.

Ce Conseil aura donc été décisif à plus d’un titre.

Décisif, car il est à la hauteur du moment. Bien entendu, le chemin menant à une Europe plus en phase avec les urgences qui travaillent le monde reste long et parsemé d’embûches. Néanmoins, les postulats du débat, les solutions esquissées par le « pacte pour la croissance et l’emploi » sont conformes au pragmatisme dont les Européens doivent enfin faire preuve en ces temps troublés. Le paradigme de « l’austérité » comme axiome unique de nos politiques budgétaires et unique porte de sortie possible a vécu, et c’est heureux ! Comment croire en effet que, en contractant les moyens de la puissance publique jusqu’à la priver de son potentiel d’impulsion, il était possible de renouer avec la prospérité économique ?

Comme l’a souligné le Premier ministre, « le vote des Français a pesé ». La campagne présidentielle a permis de mettre en lumière l’impérieuse nécessité, non pas de décréter la croissance, mais d’en réunir les conditions. Bien évidemment, cela ne peut se faire qu’à l’échelle européenne !

Ce sommet rompt donc avec la longue litanie des « sommets de la dernière chance ». Et le moins que l’on puisse dire est que ce Conseil et ses protagonistes ont été, cette fois, à la hauteur du moment. En effet, les nations européennes traversent l’un de ces moments que nous autres, élus de terrain, de par nos rythmes, savons mesurer.

En effet, le fait essentiel qui nous préoccupe dans l’immédiat est bien l’aggravation de la crise économique, financière et sociale de l’Union européenne.

Doit-on alors préparer nos territoires à une crise durable ou peut-on espérer une nouvelle vague de croissance dans les prochaines années ?

Plus largement, les crises que nous traversons remettent en cause notre place privilégiée sur le plan économique, linguistique et culturel. En somme, notre position dans le monde n’est plus prédominante, et nous sommes donc mis au défi d’écarter les risques de catastrophe économique, sociale et environnementale.

Dans un tel contexte, le message politique du dernier sommet montre que le rapport de forces entre les peuples et les marchés a évolué et nous éclaire sur le chemin à suivre.

Ce sommet aura été celui des solutions permettant tout à la fois de répondre à l’urgence et d’ouvrir des perspectives d’une relance de la construction européenne. En effet, en parcourant les conclusions, je décèle les jalons d’une coordination des politiques économiques, financières et budgétaires. Et nous savons tous qu’ils sont le préalable à plus d’intégration !

Un Conseil décisif, car il a également été à la hauteur des urgences qui exigent des solutions immédiates et pragmatiques : il a apporté des réponses aux situations d’urgence que traversent l’Espagne, menacée par l’effondrement bancaire, et l’Italie, confrontée à une impasse financière.

L’extension du Mécanisme européen de stabilité aux pays qui ne sont pas soumis aux programmes d’assistance financière aura un effet dissuasif sur les marchés financiers. Le MES pourra ainsi recapitaliser « en direct » les banques en difficulté et éviter, de ce fait, d’alourdir les dettes souveraines. Cela représente donc une étape supplémentaire nous menant, je l’espère, à la mutualisation des dettes européennes. N’en déplaise à l’Allemagne, nous ne pourrons en faire l’économie !

Dans ce même registre, je note aussi la présence d’éléments autorisant à terme une intégration bancaire. En effet, la mise en place d’une supervision intégrée des banques de la zone euro pilotée par la Banque centrale européenne participe de cette évolution heureuse.

Enfin – je dis bien enfin ! –, je ne peux que saluer la mise en œuvre d’une taxation sur les transactions financières que nous avions moult fois défendue ici, sur les travées socialistes.

Ces solutions recèlent donc de belles perspectives. En ce domaine, jamais Conseil européen n’aura été aussi décisif. En effet, les conclusions du Conseil européen ne se contentent pas de citer le mot « croissance » une trentaine de fois. Le pacte pour la croissance et l’emploi est assorti de moyens et d’avancées importantes.

À ceux qui considèrent comme quantité négligeable la mobilisation de 1 % du PIB européen, je fais observer que le bon fonctionnement de l’économie et des institutions financières repose aussi et, parfois, avant tout sur les anticipations positives et la confiance.

Le néolibéralisme des années quatre-vingt a vécu, le balancier penche désormais de l’autre côté. Grâce à l’action du Président de la République, l’objectif de croissance est désormais au cœur des débats et les lignes bougent au sein des enceintes internationales et a fortiori européennes.

Sur les apports de ce pacte, je retiens, là encore, plusieurs avancées structurantes à mettre rapidement en œuvre, qui demanderont, à terme, d’être approfondies. Et je vous demanderai tout à l’heure, monsieur le Premier ministre, quel sera le rôle ou l’apport du Parlement dans ce domaine.

En effet, le volet dédié à la croissance permet d’envisager une meilleure coordination des politiques économiques des États membres. Tel est, en tout cas, le sens du pilotage des projets. Que ce soit le renforcement des moyens, avec l’augmentation du capital de la BEI à hauteur de 10 milliards d’euros, ou le renforcement de l’action du Fonds, ces éléments auront un effet multiplicateur bénéfique. Vous l’avez expliqué plus longuement tout à l’heure, monsieur le Premier ministre.

Sur le long terme, certaines propositions devront être approfondies.

D’abord, l’achèvement du marché intérieur de l’énergie d’ici à 2014, dont le corollaire environnemental est encore à parfaire. En effet, la directive Efficacité énergétique reste, pour nous, très insuffisante. Si la partie « Infrastructures » semble promise à faire l’objet d’un accord, la coordination reste inexistante et ces éléments ne constituent en aucune manière la politique énergétique européenne nous mettant à l’abri des aléas géopolitiques et économiques.

Ensuite, des avancées notables sont également à noter en matière d’innovation. Elles visent le renforcement de notre compétitivité et la montée en gamme de notre économie. Nous voyons, là encore, l’esquisse d’une coordination qui devra être approfondie, tout particulièrement par un renforcement de la politique commune de recherche et développement.

Enfin, l’affirmation que « la politique fiscale devrait contribuer à l’assainissement budgétaire et à une croissance durable » permet d’envisager l’harmonisation tant attendue, qu’il s’agisse de la taxation des produits énergétiques, de l’assiette commune à l’impôt sur les sociétés ou de la révision de la fiscalité des revenus de l’épargne. Reste qu’il faudra être vigilant et faire en sorte que cela ne reste pas lettre morte !

J’émets cependant une réserve s’agissant de « l’approfondissement du marché unique par l’élimination des obstacles qui subsistent ». Cela suppose, selon mon interprétation, la relance des processus de dérégulation, comme en témoigne la nouvelle communication de la Commission sur la directive Services. Une telle mesure me semble inadéquate et à contretemps à l’heure où les Européens sont à la recherche de normes communes, de suppléments d’harmonisation. Ils sont dans l’attente d’un renforcement des coordinations économiques et, au final, de plus d’intégration en respectant, en particulier, la réciprocité.

L’histoire de la construction européenne nous enseigne que les processus harmonisation-intégration doivent être menés de front et être prioritaires.

Une question reste également ouverte, monsieur le Premier ministre : quel doit être le rôle des parlements nationaux et des institutions pour accompagner cette inflexion stratégique ? La résolution européenne adoptée le 6 mars dernier par le Sénat fournit les éléments d’un renforcement du contrôle démocratique de la gouvernance économique et financière. Et je parle sous le contrôle du président de la commission des affaires européennes !

Je puis vous assurer, monsieur le Premier ministre, que, en tant que parlementaire, notre volonté de vous accompagner dans ce moment historique est totale tant la cohérence de ce pacte avec votre programme gouvernemental est évidente. Il s’agit en effet d’une reprise de la construction d’un édifice européen toujours plus intégré et solidaire, tel que les pères fondateurs l’auraient sans doute souhaité. Car il ne suffit pas de dire « Europe ! Europe ! » ; ce qu’il faut, c’est la faire ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

(Mme Bariza Khiari remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, chers collègues, notre débat d’aujourd’hui s’inscrit, pour la commission des finances, en ouverture de ce que nous pourrions appeler notre « session budgétaire estivale », qui se poursuivra dans cet hémicycle avec l’examen du projet de loi de règlement des comptes pour l’année 2011, le débat sur les orientations des finances publiques pour 2013, sans oublier, bien entendu, l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2012.

Il est incontestable que la crise de la zone euro constitue la toile de fond de tous ces débats à venir.

La nécessité de montrer que les Européens savent tirer les conséquences du partage d’une monnaie justifie encore plus que chacun des États d’une même zone monétaire conduise une politique budgétaire responsable.

Au fond, à la commission des finances, nous nous posons depuis deux ans, avant chaque Conseil européen, la même question : les décisions qui seront prises vont-elles améliorer ou, au contraire, rendre plus difficile le respect par la France de sa trajectoire budgétaire, sa capacité à rembourser sa dette et, donc, la protection de sa souveraineté budgétaire ?

À l’aune de ces critères, il ne fait pas de doute que la direction prise ces derniers jours est une bonne direction !

Depuis des mois, les États refusaient d’aborder les vraies questions et espéraient s’en tirer avec des solutions techniques sophistiquées mais incompréhensibles, qui n’ont jamais convaincu personne et que les gouvernements faisaient semblant de défendre.

Il faut dire les choses comme elles sont : le débat sur la croissance imposé par François Hollande a modifié les termes du débat européen.

Je ne m’étends pas sur le débat national, mais je veux saluer la démarche du Premier ministre de venir rendre compte lui-même de ce qui s’est passé à Bruxelles. Les Conseils européens ne sont pas des réunions diplomatiques, mais font partie de notre vie politique nationale. Merci au Gouvernement d’accorder du prix à l’association du Parlement à tous ces débats !

La discussion entre les États paraît aussi avoir évolué.

La zone euro ne donne plus le sentiment d’être une forteresse assiégée, qui se barricade en espérant que la bataille s’arrêtera d’elle-même. Elle semble capable de surmonter les divergences autrement que par la paralysie.

Au-delà de ce constat d’un état d’esprit nouveau, dont nous nous félicitons, quels sont les apports de ce sommet ?

Désormais, la bonne gestion des finances publiques n’est plus considérée comme une fin en soi, mais comme l’une des composantes d’une politique de croissance équilibrée. En conséquence, les textes budgétaires dont l’Europe s’est dotée ont été complétés par un pacte de croissance. L’ensemble tend ainsi à devenir plus mobilisateur. Nous attendons d’en connaître les conséquences concrètes dans notre ordre juridique interne et pour l’organisation de nos débats budgétaires.

Par ailleurs, la taxe sur les transactions financières est actée même si l’on peut regretter qu’elle ne se fasse pas à vingt-sept. À ce sujet, monsieur le Premier ministre, vous avez énuméré les pays qui adhéraient à ce dispositif. Peut-être faudra-t-il s’interroger sur l’assiette qui sera utilisée, puisque le thème a été abordé hier, lors de l’audition du ministre de l’économie par la commission des finances ? Nous attendons d’en savoir un peu plus sur ce sujet.

Il faut par ailleurs noter que la notion de participation du secteur privé n’est plus mise en avant. Au contraire, il a été explicitement décidé que le MES serait traité comme tous les autres créanciers des banques espagnoles, ce qui a vocation à rassurer les investisseurs.

Il faut enfin se féliciter que, en matière de solidarité financière, on passe petit à petit de la théorie à la pratique. À quelques jours du démarrage opérationnel du MES, et sous réserve de l’analyse qu’en fera la Cour constitutionnelle allemande, les États ont précisé ses modalités de fonctionnement.

Certes, la recapitalisation des banques et les rachats de dettes figurent déjà dans le traité sur le MES. Mais ils deviennent plus concrets et, lorsqu’ils seront utilisés, ils créeront les conditions politiques permettant de vraiment remédier aux deux défauts du système actuel : l’absence de licence bancaire pour le MES et la taille trop réduite de nos « pare-feux », qui pénalise la crédibilité de l’ensemble.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Car il est évident que, pour remplir sa mission en période de crise sur les marchés, le MES doit pouvoir se financer ailleurs que sur ces marchés, eux-mêmes en crise, en se refinançant auprès de la BCE. Il est sûr que son action sur le marché secondaire des dettes souveraines n’aura un impact significatif sur les taux que si elle est conduite à une échelle suffisante.

Évidemment, pour nos partenaires allemands, cette évolution sera difficile à accepter, et il faudra l’accompagner de modifications institutionnelles et d’une plus grande intégration des politiques budgétaires. C’est le sens des travaux que le Conseil a confié au président Van Rompuy et qui doivent déboucher d’ici à la fin de l’année.

C’est aussi l’enjeu de l’union bancaire, dont nous débattrons au Sénat dès la rentrée en examinant la proposition de directive sur les résolutions bancaires, qu’il faudra bien coordonner avec les décisions prises par les États de la zone euro.

Nous avons intérêt à accepter ces débats sur le plan européen, car c’est par cette voie que nous obtiendrons la mutualisation des dettes et que – j’y insiste aujourd’hui, alors même que, ce matin, trois instituts de conjoncture annonçaient l’entrée en récession de la zone euro ! – nous sortirons des recettes uniques reposant sur l’austérité, dont nous voyons, en Espagne, les conséquences inquiétantes.

Nous avons aussi le devoir d’ouvrir ces débats sur le plan national, car leurs implications en termes de souveraineté sont essentielles.

En résumé, mes chers collègues, le Conseil européen de la semaine dernière a redonné espoir à ceux qui désespéraient des Européens. Mais les décisions prises n’auront pas d’effet concret à court terme. Si la dynamique politique n’est pas entretenue, nous n’aurons assisté qu’à un sommet de plus. Aux Européens de prendre leurs responsabilités et d’être à la hauteur des attentes qu’ils ont suscitées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de dix minutes au porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Le Gouvernement répondra ensuite aux commissions et aux orateurs.

Puis nous aurons un débat interactif et spontané pendant une heure.

Dans la suite du débat, la parole est M. Jean-Pierre Chevènement, pour le groupe RDSE.

M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, la France se trouve aujourd’hui dans une situation très difficile, dont sa désindustrialisation, continue depuis près de trois décennies, l’érosion de sa compétitivité et, enfin, un chômage frappant 10 % de sa population active sont les symptômes les plus significatifs. C’est pourquoi, comme les autres parlementaires du mouvement républicain et citoyen, je soutiens l’effort nécessaire auquel appelle le Gouvernement pour réorienter l’Europe et redresser l’appareil productif. À titre personnel, j’apprécie la détermination du Premier ministre : un discours de vérité peut seul, aujourd’hui, créer la confiance avec le pays.

La situation dégradée de l’économie française résulte principalement – il faut tout de même bien le dire ! – de choix de dérégulation effectués il y a plus de vingt ans dans le cadre de l’Acte unique.

Je n’ai pas besoin de rappeler le choix qui a été le mien en 1992 quant à la création d’une monnaie unique. Nous voyons aujourd’hui les effets négatifs d’un transfert de la souveraineté monétaire de dix-sept pays très différents par leurs structures à une Banque centrale aux statuts copiés sur ceux de la Bundesbank allemande.

C’est tout ce passif qu’il nous faut aujourd’hui remonter ensemble par un effort de dialogue et par la réunion de toutes les bonnes volontés : comment regagner les quinze à vingt points de compétitivité perdus par rapport à l’Allemagne depuis la création de la monnaie unique ? La dévaluation aujourd’hui n’est plus possible. Il faut donc retrouver des marges de manœuvre. Cela ne sera pas possible par une sorte de déflation interne. Il faudra donc faire évoluer profondément les règles de la monnaie unique. C’est ce que le Président de la République a commencé à faire lors du sommet européen des 28 et 29 juin derniers.

François Hollande a su trouver, sur le thème de la croissance notamment, des convergences non seulement avec le Président Obama, mais aussi, en Europe, avec nos partenaires : l’Italie de M. Monti et l’Espagne de M. Rajoy en particulier, sans oublier l’Allemagne avec le gouvernement de laquelle des compromis dynamiques ont été passés.

Au lieu de mettre systématiquement ses pas dans ceux de Mme Merkel, François Hollande, à la différence de son prédécesseur, a cherché à nouer un dialogue constructif avec l’ensemble de nos partenaires. Ce premier sommet a été un succès du point de vue de l’opinion publique, et il a été salué comme tel par les marchés financiers. La France, non seulement n’a pas été isolée, comme le prévoyaient des oiseaux de mauvais augure, mais il est apparu qu’il était possible d’amener Mme Merkel à faire des concessions dont l’ampleur reste, certes, encore à vérifier. De ce sommet, François Hollande est sorti à son avantage.

Je passerai rapidement sur le plan de croissance qui résultera de l’augmentation des prêts de la BEI – 60 milliards d’euros –, du redéploiement des fonds structurels – 55 milliards d’euros – et d’une innovation, les « project bonds », pour un montant encore limité de 4 à 5 milliards d’euros. Mais il faut bien commencer !

À supposer que ces moyens nouveaux puissent être rapidement mis en œuvre, leur montant égal à 1 % du PIB européen ne pourra cependant pas contrebalancer l’effort de restriction réclamé au nom du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance négocié par M. Sarkozy, ni la récession déjà amorcée, comme vient de le rappeler M. Marc. Il est donc indispensable que d’autres moyens soient mis en œuvre : relance salariale dans tous les pays dont la compétitivité le permet ; relance monétaire à travers des prêts de la BCE, mieux ciblés pour financer l’économie réelle. Par ailleurs, l’abaissement du taux d’intérêt directeur de la BCE à moins de 1 % devrait intervenir incessamment. Ce sera un signe positif. Le robinet monétaire doit couler si le robinet budgétaire est fermé : c’est l’évidence.

Il faut souligner enfin que l’euro reste une monnaie surévaluée qui pénalise nos exportations. Tout devrait donc être fait pour amener l’euro à retrouver un cours au moins égal à son cours de lancement qui était, je vous le rappelle, de 1,16 dollar, afin de relancer la compétitivité des économies européennes.

Le sommet européen des 28 et 29 juin a également abouti à deux mesures importantes : la recapitalisation directe des banques, notamment espagnoles, par le Mécanisme européen de stabilité, dès lors qu’une supervision bancaire à l’échelle de la BCE aura été instituée ; le rachat direct par le MES de titres de la dette publique sur le marché secondaire, pour alléger, autant que faire se peut, la pression de taux d’intérêt exorbitants, comme ceux exigés de l’Italie par les marchés financiers.

D’autres résultats ont été obtenus. Il en va ainsi de la mise en place d’une taxe sur les transactions financières pour les États qui le décideront : au moins neuf dans le cadre d’une coopération renforcée. Reste à fixer la destination du produit de cette taxe. Il me semble que celui-ci pourrait utilement abonder les ressources du MES.

Monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, je tiens à insister sur le fait suivant : les ressources du MES – 700 à 800 milliards d’euros en théorie, si l’on ajoute le solde disponible du FESF – ne sont pas suffisantes, eu égard aux besoins prévisibles des États sous tension et des banques les plus fragiles. Il est intenable pour l’Italie ou l’Espagne de devoir continuer à emprunter à dix ans à 6 %.

Il est regrettable que le MES n’ait pas été adossé aux ressources en principe illimitées de la Banque centrale européenne, comme l’a également déploré M. Marc, à juste titre. Seul un tel adossement, grâce à l’octroi au MES d’une licence bancaire, permettrait de décourager la spéculation.

Il faut rendre le MES « bancarisable ». Cette expression, si elle n’est pas très jolie, dit bien ce qu’elle veut dire ! Ne l’oublions pas, ses ressources viennent des États et d’émissions que ceux-ci seront amenés à garantir, comme le rappelait il y a quelques mois Mme Bricq, alors rapporteure générale de la commission des finances du Sénat. Cela signifie que le contribuable français garantira pour un montant de 142 milliards d’euros les prêts ou les interventions que le MES sera amené à effectuer, si on fait le total du capital appelé et du capital appelable.

Je ne pense pas que l’on puisse indéfiniment alourdir pour des montants aussi considérables la dette de la France. Les Français sont prêts à répondre à l’appel que le Premier ministre a lancé, non pas pour remplir un tonneau des Danaïdes, mais pour permettre le redressement productif du pays. L’Allemagne s’est engagée, rappelons-le, à hauteur de 190 milliards d’euros. Elle devrait accepter, comme M. Marc l’a suggéré, et je joins ma voix à la sienne, que la Banque centrale européenne garantisse la stabilité financière du système monétaire et pas seulement la valeur de la monnaie, en recourant au besoin à la création monétaire. Ce « saut qualitatif » se produira inévitablement, selon moi, à l’occasion d’une crise de plus grande ampleur.

Il semble que les conditionnalités des futures interventions du MES doivent encore être précisées. Je souhaiterais que le Gouvernement nous éclaire sur le mémorandum d’accord qui doit être signé. En effet, la France est à la fois un pays du nord et un pays du sud de l’Europe. En tant que pays du Sud, elle est susceptible d’être aidée par le MES ; en tant que pays du Nord, elle sera amenée à contribuer.

La mise en place d’une supervision bancaire sous l’égide de la BCE portera inévitablement atteinte aux prérogatives de la Banque de France. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le projet d’union bancaire ?

J’en viens, pour finir, au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, signé le 20 mars dernier. Ce traité donne à la Commission de Bruxelles des pouvoirs de décision en matière budgétaire. Je me suis déjà exprimé sur ce sujet à cette tribune. Le transfert des pouvoirs budgétaires aux institutions de Bruxelles pose la question du rôle du Parlement dont je vous rappelle, mes chers collègues, que la raison d’être historique s’enracine dans le contrôle de l’impôt.

Un tel transfert ne doit pas signifier l’acheminement vers ce que Jürgen Habermas mais aussi, chez nous, Hubert Védrine ont appelé une « Europe postdémocratique » : une Europe où des technocrates, européens ou non, se substitueraient aux élus du peuple. C’est tout le problème de la légitimité démocratique qui se pose dans une Europe où, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, la démocratie s’exprime essentiellement dans le cadre national.

Certains évoquent, sans y avoir sérieusement réfléchi, un grand saut fédéral. J’ai toujours dit que ce grand saut serait un saut dans le vide. D’ailleurs, un économiste, M. Bruno Amable, vient de rappeler que ce serait un saut mortel pour la protection sociale. En effet, la solidarité en Europe reste nationale à 97,5 %. Souvenez-vous, mes chers collègues, que le budget européen représente 1 % du PIB, alors que le niveau des prélèvements obligatoires atteint 40 % en moyenne – 46 % en France.

On ne peut pas aller vers une harmonisation totale des transferts à l’échelon européen. Ce serait ouvrir la voie à des résistances nationales parfaitement justifiées, car, comme le rappelle M. Amable, chaque système, historiquement constitué à l’échelon national, comporte des niveaux de protection et des spécificités irréductibles. Je suis sûr que, si vous voulez bien y réfléchir, je n’aurai pas besoin de vous convaincre.

Si donc l’uniformisation est une impasse, l’intégration solidaire comporte, elle, des limites inévitables.

On ne peut pas davantage appeler fédéral un système de régulation budgétaire essentiellement coercitif.

Plus pratique est le projet d’un fonds de rédemption pour une fraction de la dette publique pouvant aller jusqu’à 60 % du PIB de chaque pays.

François Hollande a proposé un système d’eurobonds. Mais ce projet inspire à l’Allemagne des réticences que l’on peut comprendre et dont, d’ailleurs, on a bien été obligé de prendre acte : l’Allemagne n’est pas prête à donner aux pays les moins compétitifs et les plus endettés une carte de crédit qui s’imputerait sur son propre compte.

Un tel système de mutualisation limitée, appelé fonds de rédemption, impliquerait évidemment s’il voyait le jour, comme je le souhaite, des contrôles et des garanties – bref, des disciplines. Le problème de la légitimité démocratique se poserait alors de nouveau.

Pour conclure, je veux souligner que le vrai problème entre les pays de la zone euro est la différence de leurs niveaux de compétitivité et l’ampleur des déséquilibres commerciaux entre eux.

Mes chers collègues, comment résoudre ce casse-tête ? J’ai proposé qu’on étudie sérieusement, pour l’avenir à moyen terme, le modèle d’une monnaie commune plutôt qu’unique.

Il n’est pas interdit de rechercher des solutions innovantes aux crises de la zone euro, qui ne sont malheureusement pas derrière nous.

De sommet de la dernière chance en sommet de la dernière chance, les dirigeants de la zone euro ont su reculer les échéances. Mais rien ne peut dispenser d’une réflexion d’ensemble sur l’avenir à long terme de la zone euro.

Le Parlement doit être mieux informé des projets de la Commission européenne, qu’il s’agisse du document dit des quatre présidents, de la supervision bancaire, d’un futur système de garantie des dépôts des épargnants ou du projet européen de résolution des crises bancaires. Pour le moment, c’est la Commission européenne qui veut s’ingérer dans la procédure budgétaire. Il serait temps que, à l’inverse, les parlements soient saisis des projets de la Commission européenne !

Il est trop tôt, messieurs les ministres, pour apprécier complètement la portée des avancées réalisées lors du sommet européen des 28 et 29 juin. Mettons à profit les mois d’été pour évaluer plus justement les progrès à réaliser en Europe en matière de solidarité et de démocratie.

L’Europe européenne que nous voulons se fera à partir des réalités, qui sont d’abord nationales. Nous faisons confiance à M. le Président de la République, élu par la nation, pour ouvrir un chemin conforme à la maxime de Jaurès : « Aller à l’idéal et comprendre le réel ». (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)