compte rendu intégral

Présidence de M. Didier Guillaume

vice-président

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt du rapport d'une commission d'enquête

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean Desessard un rapport fait au nom de la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques, créée le 8 février 2012, sur l’initiative du groupe écologiste, en application de l’article 6 bis du Règlement.

Ce dépôt est publié au Journal officiel, édition « Lois et décrets », d’aujourd'hui jeudi 12 juillet 2012. Cette publication constitue, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.

Ce rapport sera imprimé sous le n° 667 et publié le mercredi 18 juillet 2012, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.

3

Débat sur la politique commune de la pêche

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique commune de la pêche.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que ce débat a pour base deux propositions de résolution européenne adoptées sur le rapport de la commission des affaires économiques, l’une sur la réforme de la politique commune de la pêche, l’autre sur la prise en compte par l’Union européenne de la réalité de la pêche des régions ultrapériphériques françaises.

Ces propositions sont devenues résolutions du Sénat le 3 juillet dernier.

Le débat sur ces deux textes n’ayant pu se tenir à la fin de la session ordinaire, le Gouvernement a bien voulu l’inscrire à l’ordre du jour de la session extraordinaire.

La tenue d’un débat d’initiative sénatoriale au cours d’une session extraordinaire est suffisamment exceptionnelle pour que nous le relevions, et je tiens, avec le président du Sénat, à en remercier le Gouvernement.

Cette initiative consacre les travaux approfondis menés par nos collègues de la commission des affaires économiques, de la commission des affaires européennes et de la délégation à l’outre-mer, présidée par M. Serge Larcher, qui s’associent, je n’en doute pas, à ces vifs remerciements.

La parole est à M. Bruno Retailleau, rapporteur.

M. Bruno Retailleau, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs Joël Guerriau et Serge Larcher, mes chers collègues, je voudrais à mon tour saluer l’inscription à l’ordre du jour d’une session extraordinaire de ce débat sur la politique commune de la pêche, ou PCP. Cela va permettre au Sénat d’exprimer sa propre vision sur cette réforme, d’entendre la position que les deux ministres vont défendre au nom du Gouvernement et surtout de réaffirmer solennellement une conviction et une ambition.

Ce qui est en jeu avec la réforme de la politique commune de la pêche – vous le savez, messieurs les ministres –, c’est tout simplement l’ambition maritime de la France. Par le passé, nos pêcheurs ont eu trop souvent le sentiment désagréable de n’être qu’une sorte de variable d’ajustement dont les intérêts étaient sacrifiés sur l’autel des marchandages européens.

Cette réforme de la politique commune de la pêche est d'ailleurs assez emblématique des contradictions de l’action européenne. Elle l’est à deux titres.

Au-delà des 12 milles côtiers, nous partageons des eaux communes avec d’autres flottes, et il faut bien sûr des règles communes. Mais si nous partageons des mêmes règles, nous savons très bien que le respect de celles-ci diffère grandement selon les pays membres, les contrôles dépendant de chaque pays.

Un autre exemple emblématique, ou plutôt un contre-exemple, est l’unanimité du constat de la nécessité de réformer la PCP. Cependant, Mme Damanaki s’y est mal prise, faisant preuve de trop de dogmatisme : plutôt que de bâtir un consensus autour de la réforme, elle a bâti une sorte de consensus contre la réforme, laquelle a suscité une insatisfaction quasi générale non seulement des professionnels de la mer, mais aussi – nous l’avons constaté lors de nos nombreuses auditions – bien au-delà du cercle des professionnels.

La position de notre groupe de travail, composé de membres de la commission des affaires économiques, de la commission du développement durable et de la commission des affaires européennes, est partagée – je tiens à le dire – au-delà de nos sensibilités et de nos différences partisanes. Nous l’avons construite ensemble, et je voudrais à ce titre remercier très chaleureusement pour leur assiduité et leur implication mes collègues Odette Herviaux, Charles Revet, Gérard Le Cam et Joël Guerriau.

Il s’agit d’une position partagée, mais critique, ce qui n’étonnera pas dans cette enceinte puisque, voilà trois ans, lorsque la Commission avait commencé à tracer des pistes dans un Livre vert, le Sénat avait déjà adopté une résolution critique. Pour critique qu’elle soit, notre position se veut un véritable projet pour la pêche, une vision plus équilibrée, tout aussi exigeante que celle de la Commission en matière environnementale, mais plus ambitieuse sur le plan social et sans doute aussi plus dynamique sur le plan économique.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. C’est bien dit !

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Avant de présenter le contenu de la réforme et de nos propositions, je voudrais m’attarder brièvement – c’est en effet le point de départ de la réforme – sur le diagnostic opéré par Mme Damanaki.

Ce diagnostic tient en un double constat : l’état des ressources halieutiques est très dégradé – il ne faut pas se le cacher, un certain nombre de stocks sont effectivement très dégradés – et la flotte est trop importante. Cependant, on a parfois la fâcheuse impression que la commissaire en déduit qu’il n’y a pas assez de poissons parce qu’il y a trop de pêcheurs. C’est ce constat, simpliste et schématique, que je voudrais m’attacher à nuancer.

En ce qui concerne l’état des ressources halieutiques, tout d'abord, la surpêche sur certains stocks est avérée. En revanche, il faut se méfier des termes et des chiffres.

S’agissant tout d’abord des termes, quand on parle aujourd'hui de surpêche, on fait référence au concept de rendement maximal durable, ou RMD, qui est un seuil au-deçà duquel l’exploitation ne peut pas être maximisée sur une biomasse. Quand la Commission évoquait la surpêche, en 2002, elle faisait référence à un concept beaucoup plus dangereux, qui pouvait mettre en cause la sécurité biologique d’une espèce. Par conséquent, les mots ont un sens.

Les chiffres en ont également un : au sens du rendement maximal durable, 75 % des stocks font l’objet d’une surpêche, et c’est considérable ; au sens du concept de danger biologique, 32 % des stocks font l’objet d’une surpêche.

Je rappelle également que l’Europe est responsable d’environ 5 % des prises au niveau mondial.

Je tiens à indiquer, mes chers collègues, que moins de la moitié des stocks font l’objet d’une évaluation scientifique sérieuse, ce qui est extrêmement peu.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Or nous avons des situations très disparates selon les zones, selon les pêcheries. Certaines pêcheries sont menacées, d’autres se sont améliorées : je citerai la sole dans le golfe de Gascogne, l’églefin, le hareng ou le lieu noir en mer du Nord, le cabillaud en mer Baltique. Il faut donc absolument apporter ces nuances dès que l’on aborde ce difficile constat.

Cette prudence doit s’accompagner d’une coexpertise, comme mes collègues et moi-même l’avons proposé : il faut systématiquement associer les professionnels à l’expertise scientifique. L’exemple de la sole est à cet égard significatif : cela permet à la fois d’apaiser le débat, puis d’aboutir à de vrais résultats.

En ce qui concerne l’état des lieux de la pêche en France, le constat est dramatique. Mes chers collègues, en France, la pêche, notamment artisanale, va mal. Je citerai quelques chiffres : nous avons perdu en dix ans 21 % des navires, des navires qui sont de plus en plus vétustes, leur moyenne d’âge étant de vingt-cinq ans. Nous sommes passés en deçà du seuil critique des 20 000 emplois de marins pêcheurs. Nos importations ont augmenté de 50 % en dix ans et représentent aujourd'hui plus de 70 % de la consommation française.

Le constat de la Commission n’est donc pas totalement faux, mais son manque de nuances a pu entraîner des mesures qui nous ont paru vraiment excessives.

J’en viens maintenant au contenu de la réforme et à nos propositions pour ce que nos collègues ultramarins appellent « la France continentale » ; M. Serge Larcher, quant à lui, traitera de la pêche ultramarine. Je voudrais, en sept points, présenter le contenu de la réforme et, surtout, nos propositions. Nous sommes très désireux de connaître les positions que le Gouvernement entend défendre sur ces différents points, monsieur le ministre délégué.

La première proposition, le rendement maximal durable, ne pose pas de problème sur le principe. Nous y sommes, je crois, tous favorables. En revanche, sur la question du rythme, vous le savez, fixer une date butoir en 2015 reviendrait à fermer près de la moitié des pêcheries, avec des conséquences sociales dramatiques. Le sommet de Nagoya s’est par ailleurs donné jusqu’à 2020 pour atteindre le RMD. Bien sûr, il faut atteindre le RMD le plus tôt possible, quand cela est possible, avec une date butoir en 2020, mais dans le cadre de plans de gestion pluriannuels. Nos pêcheurs ont en effet besoin d’un horizon qui ne soit pas celui des marchandages annuels en conseil des ministres de la pêche, et ce après des études sérieuses, crédibles, en particulier des études d’impacts sociaux et économiques.

La deuxième proposition concerne l’interdiction des rejets. Certes, il y a trop de rejets, mais l’interdiction pure et simple de ceux-ci nous semble une fausse bonne idée parce qu’elle manque son objectif. Ce n’est pas en ramenant à terre des poissons morts que nous améliorerons l’état des stocks. C’est même d’ailleurs plutôt l’inverse : il vaut mieux parfois rejeter le poisson pour entretenir le cycle de la vie plutôt que de le ramener à terre.

Cette idée peut en outre être dangereuse. En effet, elle peut encourager le développement de la pire des filières, à savoir la pêche minotière. Par ailleurs, les bateaux ne sont pas conçus pour cette pêche, et la sécurité des marins pourrait être mise en cause par un surpoids dans les cales. Nous voulons réaffirmer l’idée juste de la réduction des rejets, mais il nous paraît préférable de développer la sélectivité des engins. Comme disent nos marins pêcheurs, « il vaut mieux trier au fond plutôt que sur le pont ».

La troisième proposition concerne les concessions de pêche transférables. Sur ce point, la commissaire a réussi à faire émerger une position unanime contre la mesure ! Qu’il s’agisse des associations, des professionnels, des pouvoirs publics, nous n’avons pas recueilli un seul avis positif sur les concessions de pêche transférables : tous les interlocuteurs y sont opposés ; nous-mêmes y sommes opposés !

Cette proposition est inacceptable puisqu’elle débouche sur la marchandisation des droits de pêche, sur la privatisation d’un bien collectif : les stocks halieutiques. Elle déboucherait aussi, comme on l’a constaté dans les pays du Nord qui ont expérimenté les concessions transférables, sur une concentration des armateurs, les plus petits vendant aux plus importants et aux plus riches ces droits de pêche.

Le principe de subsidiarité doit conduire chaque pays à gérer la répartition des droits de pêche. En France, vous le savez, nous sommes attachés à notre gestion des droits de pêche collective à partir des organisations de producteurs.

La quatrième proposition concerne la modernisation de la gouvernance de la pêche. À cet égard, notre position rejoint celle de la Commission. Celle-ci propose une fois de plus une approche pluriannuelle, ce qui est positif, et l’association des conseils consultatifs régionaux.

Néanmoins, cette position ne nous paraît pas suffisamment précise, car elle laisse selon nous une trop grande place aux actes délégués. Nous préférerions une orientation plus claire. Nous souhaiterions ainsi que la Commission ne puisse s’écarter des propositions émises par les conseils consultatifs régionaux, dont les avis seraient impératifs et non pas consultatifs.

J’en viens au cinquième point, à propos duquel je souhaite non pas formuler une critique, mais constater un manque. Nous disons « oui » au développement durable, à condition que celui-ci s’appuie sur un triptyque : l’environnement, l’économie et le social. Or la réforme ne dit rien, ou presque rien, sur le social.

Nous voulons donc réaffirmer, et ce de façon unanime, que la réforme doit absolument avoir pour objectif une harmonisation par le haut en matière de protection sociale et de conditions de travail, lesquelles sont difficiles. À cet égard, de toutes les professions, monsieur le ministre, celle de marin-pêcheur est celle qui paie le plus lourd tribut. Une telle harmonisation est donc nécessaire pour mettre fin à la spirale du dumping social.

La cinquième proposition concerne l’Organisation commune des marchés. Je pense qu’on ne peut qu’accompagner la Commission dans sa volonté de donner au consommateur une information plus précise, à condition que cette dernière soit pertinente. Ainsi, il nous semble préférable de faire figurer sur les étiquetages non pas la date de capture, laquelle ne veut rien dire, mais la date de débarquement.

De même, nous appelons de nos vœux la création d’un écolabel, qui constituerait une avancée importante non seulement pour les prises dans nos propres eaux, mais également pour tous les produits importés. Le consommateur réclame un tel label et il a raison. Nous devons lui donner la transparence sur les produits à laquelle il a droit.

En revanche, la nouvelle OCM ne doit pas jeter à l’eau des instruments de régulation des marchés, comme le stockage, lequel est un filet de sécurité. Sa disparition après 2019 ne serait pas une bonne chose, au moment même où il est par ailleurs question d’outils de régulation pour la PAC. De tels outils sont importants, car ils sont des instruments de régulation des marchés.

La septième proposition concerne le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, lequel remplace le Fonds européen pour la pêche, le FEP, et servira aussi à financer la politique maritime intégrée. Si nous sommes favorables à un tel fonds dans l’ensemble, nous sommes réservés sur deux points.

Notre première réserve porte sur l’enveloppe consacrée à la pêche. Deux enveloppes seront fusionnées pour créer ce Fonds. Or nous souhaitons rééquilibrer la part consacrée à la pêche. Il nous faudra nous battre, monsieur le ministre délégué, pour que la politique maritime intégrée, qui est importante, dispose bien sûr de ressources ; mais cela ne doit pas se faire aux dépens de la pêche, car, sans pêche, il n’y a pas de politique maritime du tout.

La seconde réserve tient au fait que le Fonds ne doit pas être un simple outil de reconversion de nos marins pêcheurs en dehors de la filière. Sans doute avons-nous atteint un seuil critique en matière de recrutement : il devient en effet de plus en plus difficile de recruter des jeunes, la culture de la pêche passant de moins en moins. Le Fonds doit donc être également un outil nous permettant, par exemple, de soutenir l’installation de jeunes marins-pêcheurs, de moderniser notre flotte, laquelle est trop vétuste et parfois peu sûre, et de rendre les moteurs des bateaux moins dépendants du gasoil : cela, c’est du développement durable.

Je n’ai jamais été un adepte des déchirages de navires de pêche, mais je considère toutefois que, dans certains cas extrêmes, les plans de sortie de flotte ne peuvent être totalement exclus. Je tenais à le rappeler. Je pense que le rapporteur de ce projet de règlement au Parlement européen est sur la même ligne. Il est par ailleurs significatif que les propositions qui nuancent, voire qui contrent, les mesures proposées par la commissaire européenne suscitent un large consensus au Sénat.

Monsieur le ministre délégué, je pense que de nombreux États et parlementaires européens – j’en suis sûr pour avoir pris contact avec mes collègues au Parlement européen – sont prêts à soutenir ces positions plus équilibrées.

Mes chers collègues, messieurs les ministres, la réforme proposée par Mme Damanaki est selon nous beaucoup trop rigide pour être efficace et trop globale pour être adaptée à la diversité des situations et des pêches en Europe. Nous partageons bien sûr la volonté de préserver nos ressources halieutiques, mais nous ne pouvons rester indifférents à la manière d’y parvenir.

Encore une fois, la marchandisation des droits de pêche est inacceptable, inadmissible, comme l’est la casse délibérée de l’outil de pêche artisanal européen, cette forme de pêche étant indispensable à l’équilibre des territoires sur le littoral, et pas seulement en France.

En conclusion, nous comptons sur vous, monsieur le ministre délégué, vous qui appartenez comme tous les Français à ce que Marc Elder avait un jour appelé, dans un très beau roman, « le peuple de la mer », pour défendre la vision d’une pêche encore dynamique, car nous ne voulons pas la sacrifier à d’autres intérêts.

Je suis sûr que nos propositions rencontreront un écho favorable auprès de nombreux États. (Applaudissements.)

M. le président. J’invite chacun des orateurs à respecter son temps de parole : compte tenu de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, qui débutera cet après-midi à quinze heures, il nous faudra interrompre ce débat à treize heures.

La parole est à M. Serge Larcher, rapporteur.

M. Serge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, c’est la première fois que nous évoquons dans cet hémicycle les questions spécifiques à la pêche ultramarine. En tant que fils de marin-pêcheur, je m’en réjouis ; en tant que président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, je ne peux manquer d’y voir une nouvelle preuve du profond attachement de la Haute Assemblée à nos outre-mer. Je remercie le Gouvernement d’avoir permis l’organisation de ce débat aujourd’hui, pendant la session extraordinaire.

Je me réjouis par ailleurs de la présence parmi nous de deux membres du Gouvernement. Je vous adresse, messieurs les ministres, mes félicitations pour vos nominations respectives, ainsi que mes plus sincères vœux de réussite dans vos fonctions au service de la République. Vous comprendrez aisément que je salue plus particulièrement la présence parmi nous de M. le ministre des outre-mer.

Je me réjouis également, monsieur le ministre, de l’évolution de l’intitulé de votre ministère. Ce changement de dénomination est loin d’être anecdotique : il montre que l’outre-mer se conjugue au pluriel, comme l’avait souligné le Sénat dès 2009, sur l’initiative de nos collègues guyanais, lors du débat sur la LODEOM, la loi pour le développement économique des outre-mer.

Ce débat sur la politique commune de la pêche arrive aujourd’hui à point nommé : les discussions sur la réforme de la politique commune de la pêche battent en effet leur plein à l’échelon européen.

Les principaux volets de cette réforme, présentés à l’instant par notre collègue Bruno Retailleau, ne trouvent pas à s’appliquer aujourd’hui dans nos outre-mer, et je n’y reviendrai donc pas. Les discussions sur la réforme de la PCP ont été cependant l’occasion pour notre délégation sénatoriale de rédiger une proposition de résolution européenne visant à obtenir la prise en compte des spécificités de la pêche ultramarine par l’Union européenne.

Cette proposition de résolution européenne est devenue résolution du Sénat le 3 juillet dernier, après avoir été approuvée à l’unanimité par la délégation sénatoriale à l’outre-mer, puis adoptée à l’unanimité également par la commission des affaires européennes et, enfin, par la commission des affaires économiques.

En tant que rapporteur de la commission des affaires économiques sur ce texte, il me revient donc de vous présenter les enjeux de la PCP pour la pêche de nos outre-mer, ainsi que les recommandations figurant dans cette résolution.

Je souhaite souligner en premier lieu les spécificités de la pêche ultramarine. Ce secteur est vital pour le développement économique de nos outre-mer.

Première observation : je vous rappelle, mes chers collègues, que nos outre-mer contribuent au statut de puissance maritime de la France. Comme vous le savez, notre pays dispose de la deuxième surface maritime mondiale, après les États-Unis, avec plus de 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, ou ZEE, grâce aux outre-mer.

Le poids de la pêche ultramarine au sein de la pêche nationale est loin d’être négligeable : les départements d’outre-mer représentent ainsi près de 35 % de la flotte artisanale française et 20 % des effectifs de marins-pêcheurs à l’échelon national. La Martinique constitue quant à elle le premier département de France en matière de pêche artisanale.

Deuxième observation : en matière de pêche, comme dans bien d’autres domaines, il y a non pas un, mais des outre-mer. Chaque département d’outre-mer a ses spécificités en matière de pêche. En analysant la situation département d’outre-mer par département d’outre-mer, on remarque ainsi que la pêche dans les départements antillais est quasi exclusivement artisanale et très majoritairement côtière.

La pêche de Guyane comprend trois flottilles : la pêche industrielle crevettière, qui traverse aujourd’hui une grave crise ; la pêche artisanale ciblant le poisson blanc ; la pêche au vivaneau effectuée sous licences communautaires par des navires vénézuéliens.

La pêche réunionnaise comprend également trois composantes : la pêche artisanale côtière ; la pêche palangrière exercée dans les zones économiques exclusives de La Réunion, des îles Éparses, mais également de Madagascar ; la pêche hauturière, dans les zones maritimes des terres australes et antarctiques françaises, les TAAF, ciblant la langouste et la légine.

À Mayotte enfin, le plus jeune des départements français, une flotte thonière cohabite avec une flottille artisanale de 800 pirogues et de 250 barques.

Troisième observation : la pêche ultramarine joue un rôle économique et social vital dans les outre-mer.

En 2008, on comptait 2 880 marins pêcheurs embarqués dans les départements d’outre-mer. C’est un nombre important, notamment dans des collectivités qui connaissent un taux de chômage très élevé.

La pêche constitue surtout le troisième secteur économique en Guyane et, en Guadeloupe, son poids en termes de chiffre d’affaires est proche de celui des filières de la banane ou de la canne à sucre.

En raison de son caractère essentiellement vivrier, le secteur entretient enfin un véritable lien social.

Quatrième et dernière observation : la pêche ultramarine dispose d’un véritable potentiel de développement reconnu par l’ensemble des acteurs.

Le développement de ce secteur est certes freiné par de nombreux handicaps : le coût du carburant, les difficultés de financement des entreprises, la pollution, aux Antilles, des côtes par la chlordécone, ou encore, en Guyane, la pêche illégale pratiquée par des pêcheurs brésiliens et surinamais.

Un des handicaps de la pêche ultramarine me soucie particulièrement : l’insuffisance des structures de transformation et de commercialisation. Il s’agit d’un défi majeur pour le développement de la pêche, notamment dans les Antilles. Ce défaut d’organisation de la filière explique par exemple que les produits locaux de la mer n’ont pas accès à la restauration collective. Comment accepter, alors que la problématique de la vie chère est plus que sensible dans nos outre-mer, que les enfants martiniquais ne mangent à la cantine que des poissons importés, le plus souvent en provenance de l’Hexagone ? Il est selon moi indispensable que les acteurs locaux se mobilisent sur cette question.

À côté de ces handicaps, le secteur de la pêche dispose d’atouts considérables.

Le premier d’entre eux est la présence de ressources halieutiques relativement abondantes et bien souvent sous-exploitées. La Commission européenne l’a d’ailleurs elle-même reconnu dans une communication d’octobre 2008 : elle indiquait alors que « les [régions ultrapériphériques] possèdent [...] des ressources halieutiques riches et relativement préservées ».

La pêche dispose également d’atouts tels que le savoir-faire des marins-pêcheurs et le dynamisme de la consommation locale, les ultramarins étant notamment de grands consommateurs de produits de la mer.

Au terme des travaux menés tant par la délégation sénatoriale à l’outre-mer que par le rapporteur de la commission des affaires économiques que je suis, la conclusion est claire : la pêche dispose d’un potentiel de développement important dans les départements d’outre-mer. Ce constat s’applique d’ailleurs également à l’aquaculture, à condition qu’elle se structure.

Après ce rapide panorama de la situation de la pêche ultramarine, je tiens à souligner que les réalités de cette pêche ne sont aucunement prises en compte aujourd’hui par l’Union européenne.

Les dernières réformes de la politique commune de la pêche ont conduit à des restrictions importantes, expliquées par la surcapacité des flottes européennes eu égard à la raréfaction de certaines ressources halieutiques. Or ce constat ne correspond en rien à la réalité ultramarine, comme je l’ai indiqué précédemment.

Pourquoi, dans ces conditions, appliquer les mêmes règles outre-mer et en Europe continentale ? Les règles de gestion de la ressource sont « euro-centrées », c’est-à-dire pensées par et pour l’Europe continentale.

Plusieurs règles de la PCP paraissent ainsi clairement inadaptées aux réalités de la pêche des départements d’outre-mer, quand elles ne nuisent pas au développement de ce secteur.

Disant cela, je pense notamment à l’interdiction des aides à la construction, à l’interdiction du financement des dispositifs de concentration de poisson ancrés collectifs, outils au service d’une pêche sélective et durable, ou encore à l’interdiction des aides au fonctionnement.

L’interdiction des aides à la construction constitue, à mes yeux, la meilleure illustration de l’inadaptation des règles de la PCP aux réalités ultramarines. Les professionnels estiment en effet qu’il s’agit de la principale entrave au développement de la pêche ultramarine. L’application de cette interdiction aux régions ultrapériphériques, ou RUP, conduit d’ailleurs à des effets pervers, contraires aux objectifs de la PCP. Elle empêche en effet la mise en service de bateaux plus écologiques, donc moins consommateurs de carburant, plus sûrs et moins destructeurs de lagons.

L’application de toutes ces restrictions aux régions ultrapériphériques est d’autant plus aberrante que, dans le même temps, dans le cadre du volet externe de la PCP, l’Union européenne conclut avec certains pays de l’environnement régional des DOM des accords de partenariat de pêche, dits APP, qui conduisent à subventionner le développement du secteur de la pêche dans ces pays potentiellement concurrents. Madagascar et l’Union européenne viennent ainsi de signer un accord de partenariat de pêche qui prévoit le versement par l’Union européenne de 550 000 euros par an pour le développement de la pêche malgache.

Quelle est la cohérence entre le volet interne et le volet externe de la PCP ? Pourquoi refuser aux DOM ce que l’Union européenne octroie allègrement à Madagascar ?