M. Roland du Luart. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. C’est une grande idée que de vouloir instaurer la paix par le commerce et par le développement économique. Il me semble important de s’engager rapidement dans cette voie, malgré les difficultés. Comme Jean Jaurès, je pense que la tristesse est réactionnaire et que seule la joie est républicaine. En tant que républicain et que fondateur du premier groupe d’études sénatorial sur l’Afghanistan, je crois fermement en ce traité.

Par le passé, indépendamment de sa participation à l’intervention militaire, la France a déjà beaucoup fait pour ce pays. Nos ONG y sont présentes depuis longtemps et connaissent bien la situation. Nous avons ainsi consacré 10 millions d’euros à la relance de la culture du coton dans les provinces de Kunduz et de Balkh, et si l’Institut médical français pour l’enfant de Kaboul, inauguré en 2006, est certes financé par des ONG, son extension sera assurée par un prêt concessionnaire de l’Agence française de développement, l’AFD.

Bien plus modestement, le Sénat a participé, juste après l’arrivée au pouvoir d’Hamid Karzaï, à la création d’un collège, grâce à l’aide apportée par MM. Poncelet et Lambert, alors respectivement président du Sénat et président de la commission des finances. Ce collège, comportant une classe mixte, a permis d’accueillir 1 200 élèves, dont 400 filles.

Je ne doute pas que le traité dont nous examinons aujourd'hui le projet de loi de ratification permettra de mener des actions de bien plus grande ampleur.

Bien sûr, monsieur le ministre, nous n’ignorons pas que la crise qui frappe notre pays rendra certainement les choses plus difficiles. Pour mémoire, alors que nous avions pris l’engagement en 2005, au G8 de Gleneagles, de consacrer 0,7 % du PIB à l’aide publique au développement, nous n’en sommes aujourd’hui qu’à 0,5 %.

Au-delà des aspects assez classiques de coopération que je viens d’évoquer, le traité du 27 janvier 2012 comporte aussi une dimension sécuritaire. En effet, il est important d’accompagner le processus de transition pour que l’ensemble des responsabilités en matière de sécurité incombent aux autorités afghanes d’ici à 2014, conformément à ce qui a été décidé lors du sommet de l’OTAN de Lisbonne, en 2010.

Cela me conduit naturellement à évoquer la question de l’engagement militaire de la France en Afghanistan depuis 2001, qui a malheureusement coûté la vie à quatre-vingt-sept de nos soldats, auxquels nous rendons hommage. Le Président de la République a décidé d’avancer à la fin de 2012 le retrait des troupes françaises d’Afghanistan ; il a confirmé cette décision lors du sommet de Chicago.

Nous avions pour objectifs d’éradiquer les camps d’Al-Qaïda et de renverser le pouvoir taleb, qui apportait un soutien à l’organisation terroriste. Nous avons franchi cette étape grâce au courage et au sens du devoir de nos soldats et de tous ceux de la coalition, l’armée française ayant contribué à chasser les talibans de Kaboul. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, Al-Qaïda a été chassée d’Afghanistan. Le pays s’est doté d’une constitution. La France, pour sa part, a créé un pôle de relative stabilité dans la province de Kapisa et dans le district de Surobi. Les militaires français ont entamé et poursuivront, après le retrait des unités combattantes, la formation des officiers afghans. J’espère que le gouvernement afghan conservera le bénéfice de ces actions.

Quoi qu’il en soit, la présence militaire française est désormais inappropriée dans son format actuel, et nous avons eu raison d’avancer la date du retrait de nos troupes. Les missions initiales étant accomplies, laisser tous les soldats français, soit 3 500 hommes, sur le terrain pourrait placer notre pays dans la posture d’un occupant.

Ce sont donc 2 000 soldats français qui devraient quitter cette terre d’Asie centrale à la fin de l’année, dans des conditions restant à définir. En tout état de cause, la question de la sécurité de nos troupes est préoccupante. Peut-on compter sur l’armée nationale afghane ? Quel rôle peut jouer le Pakistan, maintenant que le port de Karachi est de nouveau ouvert à l’OTAN ?

Mes chers collègues, hier, la France s’est engagée sans états d’âme sur le terrain afghan, pour tenter de stabiliser un pays qui portait les germes de notre propre déstabilisation. Les attentats, les enlèvements d’occidentaux, l’affaire Merah ont illustré, de manière dramatique, le danger du maintien de foyers terroristes, ici ou ailleurs.

Aujourd’hui, nous allons quitter ce pays, sans toutefois l’abandonner. C’est l’objectif du traité d’amitié et de coopération du 27 janvier 2012, dont nous nous apprêtons à autoriser la ratification.

Avant de conclure, je tiens à dire, monsieur le ministre, que mon sentiment sur l’action des pays occidentaux en Afghanistan est malgré tout partagé. Je ne sais s’il s’agit d’un échec ou d’un succès : il me semble que ce n’est ni complètement l’un, ni complètement l’autre. Certes, nous avons chassé les talibans ; certes, nous avons contribué à donner une constitution à ce pays ; certes, nous avons posé les bases d’une démocratie. Toutefois, alors que nous avions été accueillis en libérateurs quand nous sommes arrivés en Afghanistan, il y a dix ans, on sent bien, aujourd’hui, que la population et les autorités afghanes souhaitent notre départ. Que s’est-il donc passé entre-temps ? Quel comportement avons-nous eu, nous qui voulions apporter la paix, la démocratie, la liberté, le développement économique ? Je pense que la communauté internationale doit s’interroger sur ce point.

Par ailleurs, ce pays est-il vraiment complètement stabilisé ? La proximité du Pakistan, le rôle de ses services spéciaux nous laissent un peu perplexes. Monsieur le ministre, vous l’avez dit, l’Afghanistan ne fera pas la paix tout seul, sans le Pakistan, sans l’Inde, sans la Chine, sans l’Iran…

En outre, dans quelles conditions seront répartis les quelque 16 milliards de dollars d’aide que l’on envisage de déverser sur ce pays ? À qui cet argent sera-t-il attribué, et pour quoi faire ? Ces interrogations sont légitimes quand on connaît le degré de corruption atteint dans ce pays. Il convient d’être lucides, de ne pas perdre de vue la vérité.

Nous allons passer d’une aide militaire à une aide civile, dans le droit fil de ce qui a toujours guidé une partie de notre politique étrangère au cours de ces dernières années : la construction de la paix.

En 1984, s’adressant au corps diplomatique, François Mitterrand tint les propos suivants : « Nous n’avons pas un seul soldat hors de nos frontières qui n’ait d’autre mission que de préserver des vies humaines, que de contribuer à rétablir des équilibres et, si ces pays, par la suite, désirent notre contribution pacifique à leur développement, il leur suffira de nous le demander. » Je souscris à ces paroles de l’ancien Président de la République. La France a participé au rétablissement d’un certain équilibre en Afghanistan, ce pays nous demande maintenant de contribuer à son relèvement économique et social.

Construisons donc la paix : l’adoption du projet de loi que vous nous avez présenté, monsieur le ministre, participe de cette démarche. C'est la raison pour laquelle le RDSE approuvera la ratification du traité généreux et ambitieux signé entre la France et l’Afghanistan le 27 janvier dernier. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Didier Boulaud. Nous l’avons à l’œil ! (Sourires.)

M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UMP s’associe à l’hommage que M. le président Carrère et M. le ministre ont rendu à notre ancien collègue Jean François-Poncet. Sa personnalité particulièrement attachante, son immense courtoisie, sa très grande largeur d’esprit ont été rappelées. Nous sommes nombreux ici à avoir bénéficié de son expérience d’ancien ministre et de grand commis de l’État, de ses analyses toujours pertinentes et exigeantes, notamment au sein de la commission des affaires étrangères. Nous conserverons tous le souvenir de ce grand parlementaire, qui aura donné une très belle image de la Haute Assemblée.

Le Gouvernement a choisi d’inscrire à l’ordre du jour de la première session législative de la nouvelle mandature l’examen du projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Afghanistan signé le 27 janvier dernier par le président Karzaï et le président Sarkozy. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette initiative, symbolique à plusieurs titres.

Elle illustre tout d’abord la continuité de l’État : la parole et la signature de la France sont respectées, au-delà des changements politiques que nous venons de connaître. J’y vois la marque d’un État démocratique.

Cette initiative est aussi une manifestation de réalisme. Il semble bien loin, le temps de la campagne électorale, quand nos amis de gauche n’avaient pas de mots assez durs pour qualifier la politique extérieure de la France sous le précédent quinquennat…

M. Didier Boulaud. Ça commence à déraper ! (Sourires.)

M. Christian Cambon. Force est de constater que le principe de réalité l’emporte aujourd’hui !

Loin d’abaisser la France sur la scène internationale, ce traité prouve, s’il en est encore besoin, que le président Sarkozy avait fait depuis longtemps l’exacte analyse de ce conflit.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais oui ! Il avait tout bien fait !

M. Christian Cambon. Persuadé que la réponse militaire aux actions terroristes des talibans était certes nécessaire, mais insuffisante, l’ancien Président de la République a d’abord décidé d’anticiper à la fin de 2013 le retour de notre contingent. Mais il avait aussi voulu ce traité pour engager la France aux côtés de l’Afghanistan sur la voie du développement et de la paix. C’est en effet la seule réponse d’avenir pour que les populations reprennent en main leur destin et tournent enfin le dos à la pauvreté et à son corollaire, l’extrémisme.

Monsieur le ministre, vous demandez aujourd’hui au Parlement d’autoriser la ratification de ce traité : nous prenons acte de cette bonne décision et nous vous apporterons notre soutien.

En effet, nous entendons adopter aujourd’hui l’attitude qui est la nôtre au sein de la commission des affaires étrangères et de la défense, dont je souhaite saluer le président, Jean-Louis Carrère, pour la qualité du travail que nous effectuons ensemble : celle d’une opposition responsable, fidèle à ses convictions et à ses engagements, mais qui saura aussi accompagner et soutenir le Gouvernement chaque fois qu’il défendra les intérêts supérieurs du pays et que ses projets iront dans la bonne direction.

Nous avons trop souvent subi, dans le passé, le spectacle affligeant d’une opposition de gauche enfermée dans ses propres certitudes (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Hélène Lipietz. Et la droite ?

M. Christian Cambon. … pour ne pas choisir aujourd’hui une autre voie, plus conforme aux intérêts de la France et à l’idée que nous nous faisons du débat parlementaire.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Didier Boulaud. Le changement, c’est maintenant !

M. Christian Cambon. Mes chers collègues, ce traité mérite amplement d’être ratifié, car il apporte une réponse concrète, diverse et réaliste au formidable besoin de développement du peuple afghan.

La France n’a cessé, en quatre-vingt-dix ans, de renforcer ses relations amicales avec l’Afghanistan. La coopération mise en place a permis la création de lycées, le développement d’une action en faveur de l’archéologie ou encore un soutien humanitaire, mis en œuvre dès 1979. Durant toutes ces années, nous avons su mettre le savoir-faire français au service des populations afghanes.

Aujourd’hui, le développement de l’Afghanistan est un enjeu crucial pour l’avenir de la région et l’éradication des groupes d’islamistes radicaux. C’est en ce sens que la France souhaite accroître son engagement, par le biais de ce traité qui scelle notre coopération pour les vingt années à venir. Cet acte solennel établit ainsi les bases de nouvelles relations avec l’Afghanistan, afin que notre investissement dans cette région du monde particulièrement troublée perdure au-delà du retrait de nos troupes.

Par ce traité, la France s’engage aux côtés des forces gouvernementales dans une coopération bilatérale, notamment en matière d’agriculture, d’éducation, de lutte contre la drogue, de combat en faveur de la santé, mais aussi de gouvernance.

Même s’il est illusoire et vain de tenter d’imposer un système démocratique occidental à un pays de culture tribale et ancestrale très différente, notre effort doit néanmoins porter sur la gouvernance de cet État.

Qu’il s’agisse de la condition des femmes – M. le ministre a rappelé l’effroyable assassinat en public pour adultère d’une femme, le 11 juillet dernier – ou de l’accès de tous à l’éducation, nous désirons donner aux nouvelles autorités toute l’assise nécessaire pour faire assurer le respect de l’État de droit. Pour cela, le traité prévoit une collaboration accrue entre nos deux pays dans le domaine des institutions.

Toutefois, si ces buts sont louables, de nombreuses inquiétudes subsistent quant à la mise en œuvre de ce traité.

Le premier sujet d’inquiétude tient au coût financier de nos engagements. En effet, pour les cinq prochaines années, 308 millions d’euros de crédits d’aide civile au développement sont prévus à la suite de la conférence de Tokyo. C’est une somme considérable, monsieur le ministre : 50 millions d’euros par an pour un seul pays, alors que la France consacre en moyenne à chacun des quatorze pays les plus pauvres, cibles prioritaires de la coopération, à peine plus de 10 millions d’euros par an !

Au moment où les difficultés budgétaires ne cessent de s’accumuler, au point que le Gouvernement annonce ces jours-ci un vaste plan de rigueur concernant tous les Français, comment pourrez-vous tenir de tels engagements financiers ? Sachez que nous serons particulièrement attentifs à la réponse que vous nous apporterez sur ce point.

Notre deuxième sujet d’inquiétude a trait à la sécurité de nos militaires et de nos coopérants : l’État français a bien évidemment une responsabilité à cet égard.

Le nouveau Président de la République a décidé d’accélérer le retrait logistique de nos troupes : nous en prenons acte, mais nous craignons que ce retrait ne s’effectue dans la précipitation. Cette décision hâtive n’expose-t-elle pas nos troupes à des risques d’attentats et d’agressions, comme s’évertuent à le souligner de nombreux experts ?

Nous sommes également préoccupés par la sécurité des personnels dédiés à la coopération civile. Comme vous le savez, les groupes terroristes n’ont aucun scrupule à s’en prendre à la sécurité et à la vie des Français engagés dans les organisations non gouvernementales ; l’exemple du Sahel est, hélas, frappant à cet égard.

Certes, le traité leur garantit des immunités de juridiction et sécurise les conditions d’intervention de l’Agence française de développement, présente à Kaboul depuis des années : c’est une bonne chose, qui était attendue depuis longtemps. Cependant, les effectifs des troupes qui resteront sur place, avec des missions précises, seront-ils suffisants pour assurer leur sécurité ? Ce point continue de nous inquiéter.

Enfin, notre vigilance porte aussi sur l’efficacité de notre aide. Même si d’indéniables progrès ont été réalisés, principalement en matière d’infrastructures et de développement économique, l’Afghanistan reste frappé par la corruption, les rivalités idéologiques et le commerce institutionnalisé de la drogue, qui constituent autant d’obstacles au redressement durable et autonome de ce pays.

En particulier, nous craignons fortement la persistance d’infiltrations de rebelles talibans au sein des forces afghanes, d’autant qu’un retour des talibans au pouvoir favoriserait dans les pays voisins, notamment au Pakistan, la montée de l’islamisme radical.

Pour que notre aide soit efficace, votre action diplomatique, monsieur le ministre, devra donc privilégier l’implication des grandes puissances voisines – Pakistan, Iran, Chine et Russie –, sans le concours desquelles la paix ne reviendra pas.

De même, notre dispositif d’aide au développement se doit d’être le plus efficace possible. Malheureusement, la Cour des comptes vient de publier un rapport dans lequel elle dénonce l’éclatement de cette aide et un effet de saupoudrage. Dans le cas de l’Afghanistan, il semblerait même que nous atteignions des sommets d’irréalisme : on ajoute la dispersion à la pénurie pour achever de priver notre action de toute lisibilité.

En tant que rapporteurs pour avis des crédits de la mission « Aide au développement », Jean-Claude Peyronnet et moi-même insistons sur le fait qu’il faut impérativement rationaliser notre dispositif et évaluer de façon régulière les actions conduites si nous voulons être efficaces. Je tiens à saluer, à cet instant, l’action menée en ce sens par notre collègue Henri de Raincourt lorsqu’il était ministre de la coopération. Son successeur, Pascal Canfin, qui a eu l’élégance et la courtoisie de nous recevoir, nous a déclaré qu’il faisait de l’évaluation, de la transparence et de la lutte contre la corruption des priorités de la coopération internationale : l’Afghanistan est un terrain d’application tout trouvé pour cette politique, et nous l’aiderons bien évidemment à la mettre en œuvre.

Monsieur le ministre, le Gouvernement devra relever trois défis pour réussir à rendre ce traité utile et productif.

Le premier d’entre eux sera celui de la gouvernance : dans un pays où la corruption endémique empêche toute avancée, il y a fort à craindre que l’aide internationale ne se perde dans les sables mouvants du népotisme et de la concussion qui gangrènent tout l’appareil d’État. Aussi, monsieur le ministre, à quelles conditions comptez-vous soumettre l’octroi de notre aide ? Les élections doivent se tenir en 2014 et en 2015 : pensez-vous pouvoir influer sur l’action du gouvernement afghan pour que des réformes profondes favorisent la sincérité du scrutin et endiguent la corruption ?

Il nous faudra aussi faire émerger des activités économiques diversifiées. Il s’agit là de développer des activités de substitution à la culture du pavot. Je partage sur ce point l’analyse du président Carrère : il convient d’être optimistes face à ce défi, au demeurant fort difficile à relever si l’on considère que le chiffre d’affaires lié à cette production se situe, selon les instances internationales, entre 1 milliard et 4 milliards de dollars. Cela étant, M. Carrère a rappelé avec raison que les paysans afghans ne recueillaient qu’une faible part de ces sommes.

C’est à juste titre que l’on a fait du développement agricole du premier pays producteur d’opium et d’héroïne l’une des pierres angulaires du traité, afin de tenter d’assurer un revenu de substitution aux exploitants agricoles. Le traité retient toutes les bonnes options : mise en culture du coton, irrigation, mécanisation, électrification, élevage, enseignement agricole. Les jalons sont posés, saurons-nous les exploiter ? Nous aurons besoin de toute la compétence de nos coopérants pour y parvenir. Vous devrez savoir les soutenir, monsieur le ministre, et leur donner les moyens d’agir.

Un autre défi concerne l’amélioration des conditions de vie et la protection des libertés, qui devront être constantes durant ces vingt prochaines années, et bien au-delà.

S’agissant de l’accès aux soins, de l’accès à l’éducation, de la préservation du patrimoine architectural et culturel, le traité, là encore, ouvre la voie et trace la route. Les moyens suivront-ils ? Il ne faudrait pas que les grandes réalisations, comme l’hôpital pour la mère et l’enfant de Kaboul, cachent la triste réalité d’un délabrement des infrastructures sanitaires dans les campagnes. La situation des femmes et des enfants afghans sera notre critère pour mesurer les progrès accomplis.

Enfin, il est légitime d’espérer, avec un tel effort de coopération, que les entreprises françaises pourront accéder au marché de la reconstruction et du développement de l’Afghanistan. Trop souvent, hélas ! la France consent des efforts de coopération importants, mais se voit supplantée par bien d’autres pays lorsqu’il s’agit de bénéficier des fruits de la reconstruction. Il conviendra donc de préserver les intérêts de la France et ceux de nos entreprises. À cet égard, l’exemple d’Haïti est riche d’enseignements. Vous nous préciserez, monsieur le ministre, ce que vous comptez faire en ce sens.

Mes chers collègues, le 27 janvier dernier, la France s’est solennellement engagée dans une nouvelle dynamique aux côtés du peuple afghan. Il revient désormais au nouveau gouvernement de donner une portée concrète aux promesses d’aide au développement contenues dans ce traité. Nous serons là pour vous accompagner dans un esprit constructif, monsieur le ministre, mais nous serons aussi, vous le comprendrez, particulièrement vigilants.

La France a apporté une contribution majeure à la lutte contre le terrorisme en Afghanistan : 3 500 de nos soldats y ont servi avec courage et abnégation ; surtout, quatre-vingt-sept d’entre eux y ont fait le sacrifice de leur vie, et nous leur rendons une nouvelle fois un hommage unanime. Ces sacrifices ne doivent pas rester vains : il faut que nos soldats, que les familles de nos disparus sachent que le prix immense qu’ils ont payé permettra un jour à l’Afghanistan de vivre en paix et dans la prospérité. Ce jour-là, ce jour-là seulement, le don de leur vie aura trouvé un sens ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur de nombreuses travées de l’UCR, du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Jean François-Poncet, homme d’État du plus haut niveau, était un ami. Au nom de notre groupe, je m’incline avec respect devant sa mémoire.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à autoriser la ratification d’un traité d’amitié et coopération : l’amitié, magnifiée par la fraternité des armes, caractérise la longue tradition des relations franco-afghanes ; la coopération ne fut pas, jusqu’à présent, à la hauteur des besoins de l’Afghanistan, le sera-t-elle désormais ?

Lorsqu’on aborde le sujet de l’Afghanistan, on éprouve une certaine gêne et le sentiment d’un immense gâchis. Nous avons fêté le dernier 14 juillet dans la Kapisa ; nous allons partir avec la blessure d’un échec douloureux, alors que quatre-vingt-sept de nos soldats ont donné leur vie pour combattre un mouvement terroriste et lutter pour les droits de l’homme : à mon tour, je leur rends hommage.

Nous allons partir ; il n’y avait sans doute pas d’autre voie. En dépit de l’effort militaire considérable réalisé, l’Afghanistan risque de devenir la base terroriste que veulent constituer les talibans, avatars d’Al-Qaïda. Vous me semblez optimiste, monsieur le ministre, lorsque vous nous dites que cette organisation a été éradiquée. Chez le commandant Massoud, un prisonnier, chef taleb, m’affirmait leur volonté de transformer les États d’Asie centrale en émirats. Dès l’annonce du retrait, les prémices de ce djihad se sont manifestées par des attentats suicides au Kazakhstan, pays où se côtoient paisiblement toutes les religions et des dizaines de nationalités. Pour que cette paix perdure, il est essentiel d’intensifier considérablement la coopération militaire avec les pays d’Asie centrale.

Craignons les métastases du fondamentalisme, craignons la gangrène de la corruption, craignons les trafics de drogues dans cette région cruciale pour la paix et la sécurité, trait d’union entre l’Asie et l’Europe, au sous-sol riche de puissantes réserves d’hydrocarbures et de minéraux.

Nos standards occidentaux ne peuvent être imposés. Nous avons pu constater les conséquences très négatives de l’affirmation de cette volonté. L’arrogance et la condescendance occidentales ont profondément blessé le peuple afghan. Certains ont osé assimiler à une croisade notre action contre le terrorisme. Notre présence militaire a été perçue comme une force d’occupation et a rapproché les nationalistes des talibans.

Pourtant, se résigner au pessimisme est stérile, et si onze années de présence internationale ne peuvent se conclure par la prophétie du grand poète afghan Sayd Bahodine Majrouh selon laquelle « demain sera l’enfer comparé à aujourd’hui », nous devons néanmoins prendre garde. Espérons et agissons pour que la coopération internationale, régionale et bilatérale, en effervescence depuis le lancement du processus d’Istanbul en novembre dernier, contribue à changer le contexte.

C’est le sens de ce traité, qui vise à mettre en place une véritable coopération civile avec l’Afghanistan, au moment de la transition. Il dépoussière nos liens bilatéraux, mais ne répétons pas les erreurs passées, apportons les services de base, l’eau, l’électricité, province après province, village après village, internet aussi, pour que les jeunes Afghans intègrent pleinement la jeunesse mondiale. Ces actions coûteront beaucoup moins cher que la guerre et les résultats en seront infiniment meilleurs. Mais surtout, contrôlons de près l’utilisation des fonds. J’ai vu des ONG construire à des coûts dix fois moins élevés que d’autres les mêmes habitations. Ce gâchis a exaspéré les populations. Éradiquons la culture du pavot en lui substituant des cultures subventionnées, pour tarir le trésor des chefs de guerre.

Pourquoi un « traité d’amitié et de coopération », alors que l’Allemagne, les États-Unis, l’Australie et la Turquie ont signé avec l’Afghanistan des partenariats stratégiques ? M. le ministre délégué chargé du développement s’est rendu à Kaboul en juin. Quelle est l’implication réelle de notre pays dans le processus d’Istanbul ? Y aura-t-il un nouveau représentant spécial pour l’Afghanistan ? Pour renforcer notre présence, nous avons besoin d’alliances régionales, et nous devons prendre enfin conscience de la réalité très forte d’un monde indo-persan. Dans cet esprit, le processus d’Istanbul, la conférence de Kaboul « Cœur de l’Asie », en juin dernier, la conférence de Tokyo sur l’Afghanistan, il y a dix jours, mettent en place une collaboration nouvelle et étroite entre l’Afghanistan et l’ensemble des autres pays de la région. C’est indispensable, car c’est la seule voie efficace.

Les sept mesures de confiance sont pilotées chacune par un État de la région. Ainsi, le Pakistan et le Kazakhstan coordonnent la gestion des catastrophes, les Émirats arabes unis organisent la lutte contre le terrorisme, la Russie et l’Azerbaïdjan mènent le combat contre la drogue, le Turkménistan et l’Azerbaïdjan articulent les infrastructures régionales, l’Inde met en place les plans commerciaux, l’Iran prend en charge l’éducation.

L’Iran est incontournable. Aucune solution n’est possible sans lui. N’oublions pas que beaucoup de pays de la région ont de bonnes relations avec lui. N’oublions pas que l’Iran et l’Afghanistan n’ont formé qu’un seul pays. L’Iran fera tout pour éviter la constitution d’un bastion salafiste sur son flanc est. Nous avons là un intérêt majeur en commun avec lui. Les ennemis de nos ennemis peuvent dès maintenant devenir non pas encore des amis, mais du moins des partenaires. C’est là une occasion unique de réintégrer l’Iran dans la coopération internationale. Il serait irresponsable de ne pas la saisir pour faire participer ce pays au processus de paix au Moyen-Orient, région où il joue un rôle capital. Ce serait une faute grave. J’ajouterai qu’une intervention d’Israël contre l’Iran serait très lourde de conséquences ; elle provoquerait l’embrasement général des peuples musulmans contre l’Occident, assimilé à un allié d’Israël.

L’Inde est un autre pays essentiel. Elle appuiera tout gouvernement qui luttera contre le fondamentalisme islamiste, mais, pour que cet appui ne soit pas qu’un moyen de contrer le Pakistan et pour amener ce dernier à lutter ouvertement contre les talibans, il faut que la communauté internationale incite l’Inde à trouver une solution plus équilibrée au Cachemire.

Les pays d’Asie centrale, je le répète, sont très inquiets. Ils doivent contenir les mouvements islamistes qui commencent à les ébranler par des attentats terroristes. Le Tadjikistan a connu une guerre civile entre islamistes et anciens communistes dans les années quatre-vingt-dix. L’Ouzbékistan, pays le plus peuplé, compte deux partis islamistes : le Hizb ut-Tahir, basé à Londres, et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan, qui prône l’établissement du califat et la lutte armée. Ce pays partage avec ses voisins le Kirghizstan et le Tadjikistan la vallée du Ferghana, plaque tournante de nombreux trafics et poudrière islamiste. Une coopération militaire très étroite avec chaque État de la région est, je le répète, absolument indispensable. J’invite M. le ministre de la défense à s’y rendre dès que possible et souvent, car il ne pourra créer la confiance qu’en démontrant l’intérêt de la France pour ces territoires par une présence renouvelée et en développant des relations personnelles avec ses homologues. De même, une coordination étroite avec la diplomatie russe, qui connaît l’Afghanistan depuis des siècles, pacifiquement ou militairement, doit être instaurée.

Mettons en place la coopération étroite prévue par ce traité. Malgré celui-ci, le retrait apparaîtra comme une victoire des salafistes, une revanche d’Al-Qaïda sur le monde occidental chrétien, et sera exploité comme telle. Son incidence sur l’ensemble du monde musulman, sur les grands équilibres régionaux, en particulier au Moyen-Orient, va vraisemblablement perturber fortement une zone stratégique déjà très instable. Je serais heureux de connaître les actions diplomatiques que vous entendez mener pour éviter que ce qui est notre échec soit exploité comme un triomphe par nos adversaires.

Le moment est venu, pour les Afghans, de prendre leur destin en main. On l’espérait, on l’attendait et on le redoutait à la fois. La conférence de Tokyo du 8 juillet a promis des fonds internationaux, à hauteur de 16 milliards de dollars d’ici à 2015 : c’est considérable ! Pourront-ils vraiment être utilisés par ce pays ?

L’Afghanistan est défini comme un « pont terrestre », un « rond-point » de l’Asie. Les États-Unis ont élaboré leur vision de la nouvelle Route de la soie en juillet 2011 ; l’Afghanistan en est le cœur. Soyons tous convaincus que la stabilité de la région est liée à celle de l’Afghanistan.

Le Président de la République a dit avec beaucoup de justesse et d’émotion à nos soldats que « dans chaque ligne de notre traité d’amitié avec l’Afghanistan, dans chaque action de coopération programmée, à travers chaque enfant qui apprendra notre langue […], il subsistera quelque chose de votre courage, quelque chose de votre humanité, quelque chose aussi de la vie de vos camarades tombés au combat ».

Il nous revient d’être aux côtés de nos amis Afghans, avec les mots du Voyageur de minuit de Majrouh : « Vigilance, Amis : ce chemin qui existe à peine, qui peut-être n’existe pas, est le bon et le seul, celui de la liberté. Prenez-le. » Le groupe UCR votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UCR, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et du groupe socialiste.)