M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Devant vos collègues députés, j’avais pris l’engagement qu’elle soit disponible vingt-quatre heures après la promulgation de loi. Les services de la Chancellerie ont travaillé d’arrache-pied, en particulier la Direction des affaires criminelles et des grâces. Ils ont tenu compte de nos débats, du contenu des interrogations des uns et des autres, des engagements que j’ai pris devant vous, et ont commencé à rédiger cette circulaire au fur et à mesure du cheminement parlementaire du texte.

Nous avons fait une belle œuvre commune, je dirai même, avec un peu d’audace, de la belle ouvrage ! (Sourires.) Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier très sincèrement de la qualité de nos débats sur ce texte. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les présidentes de commission et de délégation, mes chers collègues, une lecture comparative du texte initialement adopté par le Sénat et de celui qui a été voté par l’Assemblée nationale, qui s’est largement « coulé » dans le premier, rend manifestes d’emblée, et une nouvelle fois, les signes réconfortants d’une authentique collaboration parlementaire, par-delà les différences de sensibilité politique, et dans le souci exclusif de garantir aux victimes de harcèlement sexuel la possibilité de faire entendre leur souffrance et d’obtenir la sanction de leurs harceleurs.

Il était urgent que les deux chambres comblent le vide juridique créé du fait de l’abrogation par le Conseil constitutionnel, en vertu de sa décision du 4 mai 2012 consécutive à une question prioritaire de constitutionnalité, de l’article 222-33 du code pénal définissant le délit de harcèlement sexuel.

La qualité des débats au sein des deux assemblées a traduit tout le soin mis par les parlementaires pour aboutir à un texte qui, nous l’espérons toutes et tous, sera définitivement à l’abri d’une nouvelle abrogation par le Conseil constitutionnel.

Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, et leurs équipes ont été à la hauteur d’une tâche difficile, et ont su travailler la main dans la main avec les parlementaires. À ce titre, je tiens à rendre hommage à leur travail.

Les modifications de fond et les rectifications rédactionnelles apportées par nos collègues députés ont contribué à améliorer la structuration du texte et à accentuer sa précision. En substituant au mot « agissements » celui de « comportements », nos collègues députés n’ont finalement fait que revenir au texte de notre commission des lois. Ils ont également reproduit in extenso la définition du harcèlement sexuel dans le code du travail. L’alignement des peines applicables en cas de harcèlement moral sur les sanctions prévues pour le harcèlement sexuel constitue, de même, une avancée substantielle.

Parmi les ajouts effectués par nos collègues députés, l’obligation d’un affichage, sur le lieu de travail, des articles du code pénal relatifs au harcèlement sexuel ou moral, de même que les dispositions en faveur d’une meilleure protection des victimes, relève bien sûr d’une sage et utile prophylaxie sociale.

Toutefois, j’émettrai quelques réserves quant à la prolifération des affichages qui risquent de tapisser les murs de nos entreprises ou de nos administrations, et de perdre, par l’effet de l’excès ou de la banalisation, une part de leur efficacité. (M. Jacques Mézard acquiesce.)

Personnellement, j’aurais préféré que les articles du code pénal relatifs au harcèlement moral et sexuel – ainsi que les dispositions de protection – soient fournis individuellement par le service des ressources humaines à chaque salarié embauché, avec son contrat de travail, sur simple papier libre. De fait, prenons garde de ne pas tomber dans le piège de ces photographies de poumons abîmés par la cigarette que l’on affichait autrefois sur les murs des couloirs des écoles : non seulement ces clichés n’empêchaient personne de fumer mais ils finissaient par être banalisés par le regard, n’étant même plus vus au sens propre du terme.

Il y aurait peut-être plus de solennité à accompagner les contrats de semblables documents, au moment même de leur signature, dans un souci de responsabilisation accrue des employeurs et des employés. D’ailleurs, aux États-Unis, les employeurs sont tenus de répondre chaque année à un questionnaire informatique destiné à mesurer leur degré de compréhension des réalités du harcèlement sexuel.

Par ailleurs, pour être militante anti-discriminations depuis de nombreuses années, je suis tout à fait satisfaite que la transphobie ait été reconnue comme une forme de discrimination dans le code pénal, dans le code du sport, dans le code du travail, dans la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, au deuxième alinéa de l’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et dans la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Peut-être aurions-nous pu accorder une place au terme de « transgenres », comme les associations le suggéraient initialement. Néanmoins, je ne suis pas certaine que ce mot eût été aisément compris par les magistrats. En effet, l’usage de ce vocable est encore peu répandu en France, si ce n’est dans certains milieux militants ou dans la recherche en sciences sociales. Dans le monde anglo-saxon, les mots de gender et transgender ont sans doute acquis une autre visibilité et une autre légitimité que les termes de « genre » et « transgenre » dans notre pays.

J’émettrai une ultime réserve concernant le libellé du sixième alinéa de l’article 2 quater dans la mouture de l’Assemblée nationale : l’accumulation des mots risque de rendre légèrement confuse la lecture du texte dans le code de procédure pénale. Ainsi peut-on lire cette formule : « des mœurs ou de l’orientation ou l’identité sexuelle ». Pour plus de clarté, il aurait sans doute été opportun de la rédiger ainsi : « des mœurs, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ».

En tout état de cause, sur la question de l’« identité sexuelle », la discussion conduite au Sénat, qui a impliqué les représentantes et les représentants de tous les groupes politiques, avait été exemplaire et avait témoigné de la volonté commune de réprimer la transphobie en droit français.

Enfin, la transphobie constitue désormais une forme pleinement reconnue de discrimination. Pour ma part, je me réjouis de cette heureuse rencontre entre les réflexions des législateurs et les attentes de la société civile.

Bien sûr, l’article 7 ajouté par les députés, en maintenant la compétence de la juridiction correctionnelle pour statuer sur une demande d’indemnisation, permet d’apporter une solution aux effets induits par l’abrogation résultant de la décision du Conseil constitutionnel en date du 4 mai 2012. Même si certains peuvent encore considérer ce dispositif comme fragile, il donne tout de même la possibilité aux tribunaux pénaux de demeurer compétents sur la demande de réparation de la partie civile dont ils auraient été saisis, alors que l’action publique est éteinte.

De surcroît, l’article 7 précise que ce dispositif n’est applicable qu’aux demandes d’indemnisation formulées avant la clôture des débats. Ainsi, les auteurs de harcèlement sexuel ne pourront plus se prévaloir de la seule décision du Conseil constitutionnel, tandis que les victimes pourront obtenir la réparation civile des préjudices subis. Cette évolution n’empêchera pas, naturellement, une personne accusée indûment de harcèlement sexuel de se défendre en invoquant l’article 226-10 du code pénal, réprimant la dénonciation calomnieuse. (Mme la garde des sceaux acquiesce.)

Madame la garde des sceaux, vous trouverez certainement la solution pour que les décisions des tribunaux puissent être appliquées par les divers conseils disciplinaires, au sein des institutions dont ils relèvent.

Vous l’aurez compris, le groupe écologiste se félicite de l’adoption par la commission mixte paritaire des dispositions du projet de loi restant encore en discussion, et ses membres voteront évidemment les conclusions qui nous sont soumises.

Pour conclure, en cette dernière séance de notre session extraordinaire, puis-je vous confesser que nos débats autour du harcèlement sexuel m’ont appris ou réappris, à moi, professeur d’université, toute la modestie que nous devons conserver devant les mots ? Dans une société qui se dit moderne, progressiste et démocratique, la loi est là, aussi et sans doute avant tout, pour défendre celles et ceux qui se trouvent momentanément en situation de faiblesse et de précarité. Or, pour ceux-là et pour celles-là, tout peut se jouer sur un simple mot, sur une simple formule.

C’est une évidence, me répondrez-vous ? Pas si sûr. J’ai beaucoup écrit dans ma vie, mais ces dix premiers mois au Sénat n’auront pas été de trop pour m’imprégner de cette vérité à la fois toute simple et essentielle. Peut-être savais-je déjà tout cela vaguement, mais désormais, je l’ai appris clairement, et grâce à vous tous. Merci, chers collègues, de m’avoir dispensé cette belle leçon, à mon âge avancé (Dénégations amusées sur plusieurs travées de l’UMP et du groupe socialiste.),…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On ne peut pas vous laisser dire cela !

Mme Esther Benbassa. … mais il n’y a pas d’âge pour apprendre, n’est-ce pas ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, voilà bientôt trois mois que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 222-33 du code pénal réprimant le harcèlement sexuel, a rendu son verdict et a décidé d’abroger ce texte.

On peut admettre que cette décision ait été justifiée en raison de l’imprécision de l’incrimination. Au jour de son abrogation, l’article 222-33 du code pénal définissait le harcèlement sexuel comme « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Il était le produit de strates législatives successives, ayant conduit à un assouplissement progressif des conditions d’incrimination et à une dilution de l’élément matériel du délit, si bien que c’est le verbe « harceler » qui contenait toute la substance de l’incrimination.

Du fait de cette imprécision, ce texte était difficilement applicable et souvent mal appliqué. En effet, ce flou a permis que de nombreuses plaintes pour agression sexuelle aient été requalifiées en harcèlement sexuel. Le Conseil constitutionnel ne pouvait donc que conclure que cet article 222-33 était contraire à la Constitution, en ce qu’il méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines.

Cela dit, si cette décision ne souffrait aucune critique sur le plan juridique, elle s’est révélée catastrophique pour de nombreuses victimes : le Conseil constitutionnel ayant jugé que sa décision s’appliquait sans délai, cette décision a emporté, dans le tourbillon de la suppression du texte de loi, non seulement les poursuites engagées, mais aussi les condamnations prononcées.

On sait tout le tort et toute l’injustice que cette décision brutale a pu causer aux victimes – majoritairement des femmes – dont les procédures étaient en cours : annulation de toutes ces actions sans recours possible à une autre plainte, préjudice moral et financier souvent irréparable, et, injustice suprême, annulation des condamnations prononcées et non encore exécutées.

En somme, tous les harceleurs qui n’avaient pas encore été définitivement condamnés ont été disculpés. Quelle déception, quelle humiliation, quelle amertume, quelle souffrance pour toutes ces victimes ! D’où l’importance des dispositions de l’article 7 du projet de loi, adoptées sur l’initiative de nos collègues députés, maintenant la compétence de la juridiction correctionnelle pour statuer sur les demandes d’indemnisation des victimes.

En effet, le fait que cette réparation puisse être obtenue devant le juge correctionnel épargnera à ces victimes le nouveau parcours du combattant que nécessiterait l’introduction d’une nouvelle action devant le juge civil.

Mais trêve d’amertume et de critiques ! Aujourd’hui nous pouvons nous réjouir.

Oui, nous sénateurs, pouvons nous réjouir d’avoir réagi rapidement, par la création d’un groupe de travail, dont les études préparatoires et les réflexions ont été en grande partie reprises par le Gouvernement.

Nous pouvons nous réjouir d’avoir voté un projet de loi cohérent qui, amélioré par l’Assemblée nationale, constitue un texte solide, précis, applicable immédiatement et traduisant de véritables avancées.

Parmi celles-ci, je souhaite – rapidement – citer la création de l’Observatoire national des violences envers les femmes, l’intégration de la vulnérabilité économique et sociale comme circonstance aggravante, le renforcement du droit des associations, ou encore la reconnaissance, comme facteur de discrimination, de l’identité et de l’orientation sexuelle. Bien entendu, je n’oublie pas toutes les autres dispositions, qui ont été largement évoquées par M. le président de la commission des lois ainsi que par vous, madame la garde des sceaux.

Je salue la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale et retenue par la commission mixte paritaire pour le II de l’article 1er. Les substantifs « ordres », « menaces » et « contraintes » posaient problème aux associations de défense des droits des femmes parce que trop proches de ceux de la définition de l’agression sexuelle et du viol ; les associations craignaient la requalification de ces derniers en harcèlement sexuel. Ce risque est écarté. De plus, madame la garde des sceaux, nous avons noté que vous vous engagiez à faire en sorte que la circulaire d’application de la loi insiste sur ce point.

On sait que le harcèlement sexuel est particulièrement prégnant dans le monde professionnel. Le projet de loi a pris en compte cette réalité, en complétant le code du travail : outre l’intégration in extenso de la définition du harcèlement sexuel, il impose l’affichage sur le lieu du travail des articles du code pénal concernés.

Pourquoi ces dispositions d’affichage sont-elles si importantes ? Parce qu’elles donnent du harcèlement sexuel une définition compréhensible par tous ; parce que, grâce à l’affichage, ces dispositions seront mieux connues des victimes ; parce que ces dernières pourront être efficacement soutenues par des associations compétentes ; mais aussi parce que ces dispositions seront connues des harceleurs potentiels ; parce que ceux qui n’étaient pas conscients que leur comportement relevait d’un délit passible de lourdes peines y réfléchiront peut-être à deux fois avant de prononcer des propos graveleux ou d’avoir des gestes et attitudes provocateurs.

Les dispositions de ce texte de loi vont non seulement dans le sens d’une réelle égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi dans celui d’une reconnaissance formelle du fait que les femmes ne sont pas des objets sexuels, qu’elles ont le droit au respect de leur dignité et qu’elles n’ont pas à subir ce qu’elles ne désirent pas.

Le combat pour protéger les femmes des violences sexuelles semble être sans fin. Quand les hommes de notre pays admettront que les femmes sont leurs égales, quand ils les respecteront sans les considérer avec condescendance, nous pourrons peut-être relâcher nos efforts. Mais un long chemin reste à parcourir !

Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir des propos ridicules et terriblement sexistes tenus à l’encontre de Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement, Cécile Duflot, il y a seulement deux semaines, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Muguette Dini. Quel exemple pour ceux que nous représentons !

On peut parfois être découragé, je suis parfois découragée, devant si peu de progrès !

Nous en sommes certainement en partie responsables, nous, les parents, pas toujours attentifs aux dérives verbales de nos fils, pas suffisamment réactifs pour protéger nos filles.

C’est la société tout entière qui a un devoir d’éducation à l’égalité sexuelle, au respect de l’autre, en particulier du plus faible.

Je sais que ce volet éducatif ne pouvait être pris en compte dans le cadre de cette loi et je compte sur vous, madame la ministre, pour que le sujet soit rappelé au ministre de l’éducation nationale.

Madame la ministre, je tiens à saluer votre réactivité face à la décision du Conseil constitutionnel. Je tiens aussi à saluer votre écoute, votre capacité à prendre en compte ce qui vous a paru améliorer votre projet de loi.

Je vous remercie pour toutes les victimes à venir d’avoir su rapidement proposer et faire voter ce texte.

Madame la ministre, je souhaite terminer mon propos en insistant sur l’urgence de travailler à une évolution des délais de prescription de l’action publique des délits et crimes en général, ainsi qu’à une nouvelle échelle des peines. Les victimes de violences sexuelles nous le demandent et nous devons évoluer en ce sens pour mieux les aider à se reconstruire.

Mais aujourd’hui, madame la ministre, le groupe de l’Union centriste et républicaine, que je représente, votera les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce texte. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais à mon tour saluer le travail que nous avons toutes et tous accompli, au-delà des clivages politiques, et qui a permis un débat très approfondi. Il est vrai que nous étions animés d’une grande ambition, celle d’aboutir à une loi qui devrait permettre aux victimes de harcèlement sexuel d’être mieux protégées, s’agissant du volet répressif, du moins.

Pour ce qui concerne l’aspect préventif, tout aussi important – si ce n’est plus –, nous avons entendu et saluons les engagements que vous avez pris, madame la garde des sceaux, ainsi que votre collègue Mme Najat Vallaud-Belkacem, pour aller vers la création d’un observatoire national des violences faites aux femmes.

Un tel observatoire jouera certainement un grand rôle dans la prévention, dès lors qu’il sera, bien évidemment, accompagné de campagnes de sensibilisation. En effet, outre la sanction des auteurs, des moyens importants doivent être mis en œuvre pour informer, sensibiliser, et faire progresser la société sur le sujet du harcèlement mais aussi sur toutes les autres formes de violences sexuelles, afin de les faire reculer.

Je crois pouvoir dire que le groupe communiste républicain et citoyen a largement pris sa part dans l’élaboration de ce projet de loi. Bien évidemment, nous avons eu des divergences sur certains points – je pense notamment aux éléments constitutifs de l’acte unique assimilé au harcèlement, à la majorité sexuelle retenue comme seuil pour la circonstance aggravante du harcèlement commis sur mineurs, mais ces divergences auront eu le mérite de nourrir le débat et ne manqueront pas d’alimenter les réflexions des magistrats.

Je ne reviendrai pas en détail sur ces divergences, qui ont déjà fait l’objet de longues discussions. Je m’attarderai plutôt sur deux autres points qui revêtent, me semble-t-il, une dimension symbolique assez particulière.

Premier point, je me réjouis de la prise en considération de la précarité économique ou sociale de la victime de harcèlement, au titre des circonstances aggravantes.

En effet, prenant appui sur des amendements déposés par plusieurs d’entre nous, l’amendement du Gouvernement admet comme circonstance aggravante « la particulière vulnérabilité ou dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale, apparente ou connue de l’auteur ».

Cette vulnérabilité revêt, il est vrai, un sens particulier dans les cas de harcèlement sexuel, malheureusement trop souvent commis par des personnes qui abusent de la situation précaire de la victime, que ce soit dans le milieu du travail, dans la recherche d’un logement ou dans la vie quotidienne.

Un signal fort leur est envoyé dans ce texte. Et puisque le débat a déjà eu lieu sur la pertinence de cette circonstance aggravante et des mots qui la définissent, nous pourrons à l’avenir, dans d’autres textes et pour d’autres infractions, veiller à ce que l’on ne profite pas impunément de la précarité économique ou sociale d’une personne.

Second point, je salue la prise en compte de la « transphobie » comme discrimination punie par la loi. Longtemps ignorée, la situation des personnes transgenres ou transsexuelles qui vivent dans notre pays a été longuement abordée dans notre hémicycle. J’ai moi-même, prenant la parole sur l’article 1er lors de la précédente lecture au Sénat, tenu spécifiquement à introduire ce sujet.

Même si les termes « identité sexuelle » ne sont pas pour nous les plus appropriés – nous en avons débattu –, la prise en compte de la situation des personnes concernées est un premier pas, qui devra bien sûr, être suivi d’évolutions législatives importantes pour les droits des personnes « trans », notamment en matière d’état civil.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous avons tous condamné le choix qui a été fait d’une abrogation immédiate de l’article 222-33 du code pénal et avons déploré très fortement ses conséquences. Cette abrogation immédiate a fait tomber toutes les affaires de harcèlement sexuel pendantes devant les juridictions pénales.

Cette situation a été douloureusement ressentie par les victimes qui avaient eu le courage de dénoncer leurs harceleurs. Ces personnes étaient, pour beaucoup, en procédure depuis de nombreuses années. Il était donc impératif de trouver une solution. C’est chose faite, puisque l’Assemblée nationale n’a pas hésité à bousculer - très légèrement - les règles juridiques en ce sens.

Désormais, le nouvel article 7 prévoit le maintien de la compétence de la juridiction correctionnelle pour statuer sur une demande d’indemnisation lorsque, en raison de l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal résultant de la décision du Conseil constitutionnel, le tribunal correctionnel, ou la chambre des appels correctionnels, constate l’extinction de l’action publique.

Cet article permettra aux victimes d’obtenir une réparation des préjudices subis en leur évitant le parcours du combattant que représenterait pour elles l’introduction d’une nouvelle action devant le juge. Il envoie par ailleurs – là aussi dans une certaine mesure, car l’action pénale reste, elle, éteinte – un message aux auteurs de harcèlement : ils ne peuvent aujourd'hui se satisfaire de la décision du Conseil constitutionnel et nous nous en réjouissons !

Au-delà du harcèlement sexuel, je pense que nous devrons prochainement nous pencher sur les conséquences des décisions rendues par le Conseil constitutionnel en réponse à des questions prioritaires de constitutionnalité, et - pourquoi pas ? - réfléchir plus largement sur le Conseil constitutionnel, sur sa composition, ses pouvoirs, son rôle.

En tout état de cause, madame la garde des sceaux, vous l’aurez compris, mon groupe votera bien évidemment les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous félicitons tous du travail qui a été accompli et dont nous examinons aujourd’hui les conclusions.

Il est à l’honneur du Sénat de s’être immédiatement saisi de la question du harcèlement sexuel. Le groupe de travail qui a été mis en place a su mener avec célérité une large concertation associant l’ensemble des acteurs impliqués dans la lutte contre le harcèlement.

Je me réjouis tout autant, madame la garde des sceaux, que le Gouvernement ait été à l’écoute des propositions des parlementaires de toutes sensibilités, sans sectarisme ni préjugés sur un sujet qui dépasse les clivages partisans, et il est heureux que tous les groupes aient pris toute leur part à l’élaboration de ce texte.

De même, l’Assemblée nationale a conforté l’analyse du Sénat, ce qui démontre la qualité du travail accompli, tout en l’améliorant grâce à l’instauration d’un dialogue constructif. Sans doute est-ce là la véritable coproduction législative que d’aucuns appelaient de leurs vœux.

Enfin, pour ceux qui doutent encore de l’utilité du bicamérisme, le parcours de ce projet de loi illustre de façon exemplaire les raisons pour lesquelles le dialogue des assemblées est indispensable à l’œuvre permanente d’approfondissement de notre État de droit.

Sur le fond, peu de dispositions, madame la garde des sceaux, restaient en discussion au stade de la commission mixte paritaire, tant la convergence de vues entre nos deux chambres était patente.

J’aborderai plus spécifiquement trois points.

En premier lieu, je me réjouis que les remarques formulées par les membres du groupe du RDSE en première lecture aient été prises en compte dans la version finale du texte.

Je pense en particulier au nouveau délit dit de « chantage sexuel », dont les éléments matériels tels qu’ils étaient définis à l’origine pouvaient prêter à une certaine confusion avec ceux qui caractérisent les tentatives de viol ou d’agression sexuelle et que pose l’article 222-22 du code pénal.

La frontière était ambiguë.

Je note toutefois avec satisfaction que la commission des lois de l’Assemblée nationale, suivie par la CMP, a préféré éviter ce risque de confusion. La rédaction adoptée rend désormais impossibles les éventuelles déqualifications qui auraient pu subvenir et altérer la répression du chantage sexuel.

Il appartiendra désormais aux juges du fond de préciser les éléments constitutifs de la notion de « toute forme de pression grave ».

En deuxième lieu, le Sénat avait travaillé avec beaucoup d’attention à mettre en place une nouvelle définition pénale du harcèlement sexuel. La densité et la qualité des débats l’ont très bien illustré.

Nous avions cependant prêté moins d’attention à l’harmonisation de cette définition, ainsi que de celle du harcèlement moral, avec les autres branches du droit, notamment pour ce qui concerne le droit du travail et, par ricochet, le droit de la fonction publique.

Sur ce point, nos collègues députés ont parfaitement complété notre travail en apportant les précisions utiles et nécessaires ; je songe en particulier à l’extension du champ du harcèlement hors du cadre du travail, ou encore aux stagiaires. J’observe au demeurant qu’il faudra un jour nous pencher très sérieusement sur la question des stagiaires dans les relations de travail.

Enfin, ma troisième observation résulte directement des effets de la décision du Conseil constitutionnel.

Nous avons été nombreux à faire remarquer que l’abrogation immédiate de l’article 222-33 du code pénal par le Conseil constitutionnel n’a pas été sans engendrer quelques effets dommageables sur les procédures en cours. Si la solution retenue se justifie en droit, cela n’empêche pas qu’avec l’avènement de la question prioritaire de constitutionnalité va certainement s’ouvrir un débat plus large (M. Jean-Jacques Hyest fait un signe d’assentiment.) sur la modulation dans le temps des effets des décisions du Conseil constitutionnel, au nom du principe de sécurité juridique.

Certes, le Conseil constitutionnel n’a jamais reconnu de façon explicite ce principe, mais le Conseil d’État comme la Cour de justice de l’Union européenne l’ont érigé en principe général du droit.

Le débat est loin d’être clos.

C’est d’ailleurs sur ce fondement que l’article 7 du présent texte permet au juge, vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, malgré l’extinction de l’action publique qui résulte de la décision d’abrogation, de statuer sur l’indemnisation de la victime.

Gageons que ce dispositif n’a pas vocation à être pérennisé en raison de son caractère circonscrit à une situation particulière.

Madame la ministre, je terminerai en disant que le groupe du RDSE, dans son unanimité cette fois, se satisfait du texte que nous nous apprêtons à voter. J’appelle néanmoins de mes vœux que l’avenir nous évite d’avoir à légiférer dans l’urgence, même si – cela a été souligné par M. le président de la commission des lois –en la circonstance, celle-ci pouvait se justifier, à la suite d’une déclaration d’inconstitutionnalité.

Pour cela, la montée en puissance de la question prioritaire de constitutionnalité impose plus que jamais au législateur de travailler avec la rigueur et la précision que requièrent notre bloc de constitutionnalité et, plus largement, notre État de droit.

Je termine, madame la ministre, en vous remerciant de la célérité avec laquelle vous avez tenu à régler ce problème dès votre installation.

J’ajoute que nous éprouvons tellement de difficultés à obtenir des textes d’application lorsque nous votons un projet de loi qu’il y avait pour nous quelque chose de rafraîchissant à vous entendre nous annoncer la parution de la circulaire d’application dès la promulgation du présent texte. Nous vous en remercions aussi, madame la garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. M. Yves Détraigne applaudit également.)