M. Jacques Mézard. Comment, dans ce registre, ne pas parler des recours abusifs ? Je pense non seulement aux recours réalisés par des escrocs qui en monnayent le retrait contre espèces sonnantes et trébuchantes, mais aussi aux recours d’associations ou de particuliers protégeant en fait des intérêts très particuliers au mépris de l’intérêt général.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !

M. Jacques Mézard. Cela donne lieu souvent à des années de procédure, de conflits. Il faut que les recours abusifs soient lourdement sanctionnés financièrement.

Autre préoccupation de fond : il faut lutter contre le mitage et favoriser la densification, y compris dans les zones rurales vers les bourgs-centres ; c’est fondamental pour l’organisation des services collectifs : école, santé, transport, eau, assainissement. Dans les villes, construire en hauteur ne doit pas être iconoclaste et des façades recouvertes de chlorophylle ne devraient pas vous déplaire, madame la ministre ! Le plus difficile sera de faire passer le message aux architectes des Bâtiments de France !

Deux mots encore pour définir notre approche de la politique du logement et de l’urbanisme.

Sur la question des loyers, la vraie solution est d’augmenter l’offre, de construire ; nous devons freiner la spéculation, mais ne pas décourager les investisseurs (MM. Pierre Hérisson et Daniel Dubois applaudissent.), dont les particuliers, qui d’abord recherchent une ressource sécurisée.

Par ailleurs, bien sûr, nous devons accélérer le processus visant à rendre des logements neufs et anciens économes en énergie. Vous voyez que nous pouvons avoir des points de convergence, madame la ministre. C’est non pas une transition, mais une vraie mutation, avec des process techniques innovants, un challenge industriel et le développement ou la création de nouvelles filières.

Nous serons enfin attentifs au sort de nos amendements, en particulier concernant notre souci de voir supprimer le prélèvement pour le potentiel financier des organismes d’HLM. C’est ainsi que nous nous forgerons une opinion définitive sur ce projet de loi qui témoigne quand même d’avancées tout à fait intéressantes. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. Christian Favier applaudit également.)

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Toujours un peu d’humour, Jacques !

M. le président. La parole est à M. François Calvet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. François Calvet. Madame la ministre, à ce même banc, vous déclariez le 10 juillet dernier que la loi du 20 mars 2012, que vous avez souhaité abroger, « n’a donné lieu qu’à un simulacre de concertation » et qu’elle avait été adoptée dans la précipitation.

M. Roland du Luart. C’est dire !

M. François Calvet. Permettez-moi aujourd’hui de vous retourner ce compliment ! En effet, le texte qui nous est proposé aujourd’hui est inscrit au Sénat dans la plus grande précipitation, ne permettant aucun travail préparatoire des commissions, ni aucun respect des délais d’amendement.

En revanche, ce texte que nous avons découvert voilà moins d’une semaine a fait l’objet de nombreuses annonces dans la presse. Nous pouvions d’ailleurs lire dans Le Parisien du 3 septembre que le journal avait obtenu une copie du texte en exclusivité. Les parlementaires apprécieront...

Je rappelle que notre commission des affaires économiques a été convoquée ce matin pour une discussion en séance qui démarre l’après-midi même. Dans le même temps, nous devons examiner la proposition de loi pour une stratégie foncière publique en faveur du logement, ajoutée en dernière minute à l’ordre du jour et composée de dix-sept articles !

L’examen dans ces conditions de deux textes de lois dans la précipitation et justifiant la convocation d’une session extraordinaire du Parlement alors que nous sommes sur un domaine où toute décision prise ne peut produire d’effet concret avant vingt-quatre mois minimum nous laisse perplexes !

Le changement n’est donc pas dans les méthodes, malgré les déclarations régulières du Président de la République et du Gouvernement, et avouez que les modalités d’examen de ces deux textes n’ont rien de normal !

Avec votre projet de loi, vous nourrissez de grandes ambitions en faveur de la construction de logements ; nous ne pouvons que nous en réjouir.

Vous annoncez un objectif de 150 000 logements sociaux par an. C’est un vrai changement, car je rappelle que, sous le gouvernement de M. Jospin, alors que la France était en période de croissance, seulement 40 000 logements sociaux par an étaient construits. Le gouvernement Fillon a financé 120 000 logements sociaux en 2009, 130 000 en 2010, record absolu depuis trente ans, et 120 000 en 2011 dans une période de crise. Je vous souhaite de faire aussi bien, à défaut de faire mieux.

Reste que, pour atteindre votre objectif de 500 000 logements, vous devrez compter sur la construction de 350 000 logements privés par an ; en période de crise, je pense que ce sera compliqué.

Le patron d’un grand groupe de construction qui table sur les ambitions gouvernementales pour soutenir son activité se demandait la semaine dernière d’où viendrait l’argent permettant de construire 500 000 logements par an. (M. Serge Dassault applaudit.)

Mme Catherine Troendle. Tout à fait !

M. François Calvet. Nous nous posons la même question. Durant les années de crise, le nombre de logements construits est toujours en nette diminution. À titre d’exemple, on n’a construit que 291 000 logements en 2009, en pleine crise, contre 464 000 en 2007, année d’embellie économique. Le nombre de logements construits en 2012 devrait s’établir autour de 310 000 compte tenu d’un recul des mises en chantier sur les premiers mois de l’année de 20 % par rapport à 2011.

Pour tenter de répondre à la forte attente en matière de logement des Français, vous proposez une politique de la carotte et du bâton : accroissement de l’offre foncière et lourde mise à contribution des collectivités locales appuyée par une forte augmentation des pénalités en cas de non-respect des obligations de construction de logements sociaux.

Dans le titre Ier, vous proposez un accroissement de l’offre foncière par une cession pouvant aller jusqu’à la gratuité des terrains de l’État et de ses établissements publics pour des opérations de logement social. Cela pourrait concerner 900 sites et 2 000 hectares pour la construction de 110 000 logements d’ici à 2016. C’est un choix fort de la part l’État, mais qui se respecte, que de se priver de recettes au profit des entreprises qui vont construire et des personnes qui pourront bénéficier de logements sociaux à loyer très modéré.

Bien entendu, je relaie une certaine inquiétude : celle que suscite, en période de disette budgétaire, le choix de l’État de se priver de recettes exceptionnelles.

Le quotidien Les Échos titrait avec raison, le 6 septembre dernier : « La cession du foncier de l’État risque de se heurter aux réticences des ministères ». Tout le monde connaît les réticences de Bercy lorsqu’il s’agit de brader des biens publics.

Mais l’article 2 du projet de loi me paraît beaucoup plus sensible : il concerne la cession, aux mêmes conditions, de terrains d’établissements publics comme Réseau Ferré de France – RFF –, la SNCF, l’Assistance publique ou Voies navigables de France. Selon le ministre chargé des transports, il y va de 350 hectares pour RFF et de 120 hectares pour la SNCF.

Je trouve cette obligation de cession à vil prix gênante dans la mesure où les entreprises concernées sont lourdement endettées et retirent de la vente de leurs terrains des bénéfices qui permettent d’améliorer leur situation financière. (Mme Évelyne Didier s’exclame.)

La vente de ces « délaissés ferroviaires » aurait ainsi rapporté à RFF 120 millions d’euros en 2009, 156 millions d’euros en 2010 et 100 millions d’euros en 2011. L’endettement de RFF progressant de 1 milliard d’euros par an, est-il pertinent de lui imposer la cession gratuite de son foncier ? Nous ne le pensons pas.

J’en viens au titre II. Avec l’effort consenti par l’État et ses établissements publics pour libérer du foncier, vous envisagez la construction de 110 000 logements sociaux d’ici à 2016, soit 36 600 logements par an, étant précisé qu’il paraît peu envisageable de comptabiliser le premier logement avant 2013. Aussi, nous sommes loin de votre objectif de 150 000 logements sociaux par an !

Ce projet de loi fait donc reposer l’essentiel de la contribution à la construction sur les collectivités locales. Cela a toujours été le cas et il n’y a là rien de choquant.

Les collectivités ont fait beaucoup d’efforts, depuis le vote de la loi SRU, pour tendre vers l’objectif de 20 % de logements sociaux.

Mme Évelyne Didier. Pas toutes !

M. François Calvet. Le rythme important de construction de ces dernières années – avec un record de 130 000 logements sociaux en 2010 – le démontre.

Il n’en demeure pas moins que, malgré les efforts de la plupart des communes pour répondre aux objectifs de rattrapage imposés par la loi, moins de 50 d’entre elles auraient atteint le taux de 20 % depuis 2001.

Les communes, même volontaristes, rencontrent de vraies difficultés pour trouver et acquérir le foncier. (Mme Catherine Troendle opine.) En outre, les recours se multiplient, tandis que de nouvelles normes et de nouvelles contraintes environnementales accroissent les zones inconstructibles. (Mme Catherine Troendle opine de nouveau.)

Sur toutes ces questions, votre texte reste muet.

Vous relevez à 25 % le taux de logements sociaux par commune. Soyez certains que de très nombreuses communes ne pourront atteindre cette exigence !

À la lecture de votre étude d’impact – concernant notamment l’article 7 du projet de loi – et des exemples qu’elle contient, il s’avère que, à partir de 2014, pour atteindre les objectifs triennaux fixés par la nouvelle réglementation, certaines communes ne pourront plus réaliser que des logements sociaux.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !

M. François Calvet. Quelle place restera-t-il pour la promotion immobilière, qui permet, en lien avec les opérateurs HLM, de maintenir dans nos communes la mixité que nous appelons tous de nos vœux ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. En lien avec les opérateurs HLM ? Cela reste à prouver !

M. François Calvet. Le scénario que vous proposez n’est pas tenable.

Je vais prendre l’exemple concret d’une commune qui souhaite, d’ici à douze ans, répondre à l’ensemble des besoins de sa population et, par conséquent, développer une offre de logements diversifiée.

Il s’agit du Soler, commune de 7 000 habitants dont je suis le maire. Sur la base d’un taux à 25 %, cette commune affiche un déficit de 512 logements sociaux. En fonction de son rythme de croissance démographique et au regard des différents documents de planification – schéma de cohérence territoriale, plan local d’urbanisme –, elle devra produire en douze ans 1 050 logements sociaux, soit près de 60 % de sa production totale de résidences principales et, par là même, son premier ghetto social ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !

M. François Calvet. Au-delà de la question de la diversité de la production et donc de la mixité sociale, je doute vraiment que l’État puisse assurer le financement de ces logements dans le cadre des aides à la pierre.

Sur la base d’un financement moyen de l’État de 2 700 euros par logement, il faudrait une dotation de 2 835 000 euros pour les douze ans à venir afin que cette petite commune puisse remplir ces obligations.

À l’échelle de l’agglomération de Perpignan, les premières simulations laissent penser qu’il va falloir produire près de 18 000 logements locatifs sociaux en douze ans. Cette production imposée par la loi devrait donc, sous réserve que le niveau des aides de l’État ne bouge pas, bénéficier de près de 50 millions d’euros d’aides directes de l’État.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est bien le problème !

M. François Calvet. Il serait sans aucun doute intéressant de faire une projection pour l’ensemble des communes – actuelles et futures – concernées par la loi SRU.

À l’échelle nationale, nous ne croyons pas que les 120 millions d’euros annoncés suffisent à répondre aux besoins de financement que vous allez créer.

Au-delà de cette question du financement direct, je me demande également si nos collectivités vont pouvoir continuer à garantir les prêts qu’octroie la Caisse des dépôts et consignations à ces opérations, même si les garanties octroyées au logement social n’entrent actuellement pas dans les ratios Galland.

M. François Calvet. Vous allez nous répondre, madame la ministre, que vous avez augmenté le plafond du Livret A, mais cela ne règle en rien l’incapacité croissante des collectivités à garantir ces prêts. Vous n’êtes pas sans savoir que cette question est essentielle dans le dispositif de financement du logement social.

Par conséquent, ce projet de loi pose le problème du financement ambitieux de cette politique en faveur du logement social et n’apporte pas de vraie réponse.

Au lieu de nous soumettre des solutions permettant à ces communes de progresser, vous proposez de relever à 25 % le seuil de logements sociaux et, surtout, de multiplier par cinq le prélèvement d’une commune faisant l’objet d’un arrêté de carence, en relevant le plafond de l’amende à 10 % des dépenses de fonctionnement de cette dernière.

Nous nous demandons vraiment ce que les communes qui rencontrent des difficultés objectives pour produire des logements sociaux vont pouvoir faire lorsque leur budget de fonctionnement sera amputé de 10 % !

De fait, votre dispositif revient à créer une double imposition sur les collectivités et une autre imposition, « en cascade », sur le contribuable.

En confiant au préfet le pouvoir de décider du montant du prélèvement, vous assurez un contrôle de l’État sur le rendement de ce nouvel impôt.

Vous vous contentez de brandir une menace financière contre les maires qui n’atteindraient pas les nouveaux objectifs définis par la loi en matière de logements sociaux, sans proposer de vraie solution aux problèmes qu’ils rencontrent.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !

M. François Calvet. Mes chers collègues, les maires apprécieront !

Sur ce point, qui fait l’objet des articles 8 et 10, il nous semble important de souligner que, si vous articulez clairement la délégation des aides à la pierre octroyée aux EPCI avec la perception des pénalités découlant de l’application de la loi SRU, la majoration de ces dernières dans le cadre des arrêtés de carence viendra alimenter le fonds national de développement d’une offre de logements locatifs sociaux.

Dès lors que vous faites reposer l’essentiel de l’effort sur les collectivités locales, pourquoi ne pas reverser l’intégralité de ces pénalités aux EPCI actifs en matière de logement ?

Ce nouvel abondement d’un fonds national par les communes témoigne bien du caractère de nouveau prélèvement puisque, d’une part, bien peu de municipalités seront en mesure de répondre aux objectifs que vous fixez et, d’autre part, ce nouvel impôt majoré viendra de fait abonder le budget de l’État.

Madame la ministre, sachez d’abord que le groupe UMP regrette le caractère coercitif du dispositif proposé, qui, au-delà de la dimension prélèvement supplémentaire au bénéfice de l’État, nous semble peu réaliste. Il aurait sans doute été préférable d’aller au bout de l’application de la loi SRU actuelle et de la généralisation du taux de 20 % en se penchant sur les vrais freins à la construction.

Aussi le groupe UMP a-t-il un certain nombre de propositions à vous faire afin d’adoucir cette potion amère que vous proposez aux maires.

Nous souhaitons que la dimension du logement social se fasse dans une acceptation plus large.

Nous souhaitons que les logements ayant une fonction sociale soient comptabilisés dans les 25 %.

M. François Calvet. C’est le cas des hébergements d’urgence, que vous supprimez. C’est aussi le cas des places prévues pour les gens du voyage, qui mobilisent du foncier, des infrastructures, de l’argent public et dont la vocation sociale n’est pas contestable.

La majorité des locataires de logements sociaux aspirant à devenir propriétaires d’un logement (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC.), il nous paraît également légitime d’inclure l’accession sociale à la propriété dans le calcul des 25 %.

Enfin, depuis la loi SRU de l’année 2000, le contexte législatif a fait évoluer la stratégie en matière de production de logements locatifs sociaux.

En effet, la montée en puissance des EPCI en matière d’habitat – compétence obligatoire pour les communautés d’agglomération et les communautés urbaines – a conduit nos collectivités à se doter d’outils de coordination des politiques d’aménagement intégrant la production de logement. Il devient nécessaire que la loi prenne en compte cette réalité en permettant la mutualisation des obligations de production de logements sociaux au niveau intercommunal.

Pour conclure, nous considérons, madame la ministre, que vous auriez dû réfléchir à une offre globale de logements en France sur la base du parcours résidentiel ainsi qu’aux difficultés rencontrées sur le terrain par les collectivités locales.

Nous comprenons qu’il soit plus efficace, en termes de communication, d’annoncer l’augmentation de 5 % du nombre de logements sociaux, leur réalisation d’ici à cinq ans et la multiplication par cinq des pénalités pour les communes que de s’atteler aux vrais problèmes rencontrés par les collectivités locales en matière d’urbanisme et de logement.

Il n’en demeure pas moins que, pour atteindre votre objectif de 500 000 logements par an, il vous manquera 350 000 logements. Pour ce volet essentiel de l’offre de logement, rien n’est proposé.

Comment faire revenir les investisseurs institutionnels ? Comment relancer l’investissement locatif privé, qui représente 50 % de la construction ? Comment enrayer la multiplication des recours contre les permis de construire ?

Tous les Français sont favorables à ce que de nombreux logements soient construits, à condition que ce soit loin de chez eux.

Une loi juste, ce n’est pas celle qui a un effet sur tous ; c’est celle qui est faite pour tous. Tel n’est pas le cas de ce projet de loi !

Par conséquent, vous comprendrez que le groupe UMP ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Valérie Létard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je rappelle à mes collègues qui siègent à la droite de cet hémicycle les procédés à la hussarde qui ont eu cours ici par le passé.

Mme Catherine Procaccia. Qu’en savez-vous ? Vous n’étiez pas encore sénateur ! (Rires sur les travées de l’UMP.)

M. Joël Labbé. Ils ont la mémoire courte !

M. Jean-Claude Carle. Si nous avons la mémoire courte, vous, vous n’avez pas de mémoire du tout !

M. Joël Labbé. Ce projet de loi concerne deux points importants : d’une part, la mobilisation du foncier et, d’autre part, le renforcement des obligations de production de logement social. Loin des effets d’annonce, il contient donc des mesures de fond.

Est-il besoin de vous rappeler ces quelques chiffres que nous venons d’apprendre ? Ces dernières années, la pauvreté s’est accrue dans notre pays de manière dramatique : 800 000 personnes supplémentaires sont ainsi passées sous le seuil de pauvreté en deux ans. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste.) Désormais, plus de 14 % de la population disposent d’un niveau de vie inférieur à ce seuil,…

Mme Gisèle Printz. Grâce à qui ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. À cause de qui ?

M. Joël Labbé. … soit 8,6 millions de personnes, dont 3,3 millions d’enfants.

Cette pauvreté se traduit notamment par des difficultés de logement : selon la Fondation Abbé Pierre, 3,6 millions de personnes sont mal-logées en France et 10 millions sont touchées par la grande crise du logement.

Cette situation est due non seulement à l’insuffisance d’une offre locative accessible aux populations à faible revenu, mais aussi à une forme de crise du « vivre ensemble », laquelle provoque des attitudes de peur, voire de rejet à l’égard des populations pauvres ou différentes.

C’est sur ce plan que les collectivités publiques et les élus locaux doivent plus que jamais jouer pleinement leur rôle, avec volontarisme et responsabilité. Il s’agit de maintenir la cohésion sociale dans notre pays.

Aujourd’hui, le droit au logement, droit reconnu fondamental, opposable, impose à la collectivité, à toutes les collectivités, non plus une simple obligation de moyens, mais aussi, et surtout, une obligation de résultat, tout comme pour les droits à l’accès aux soins ou à l’accès à l’éducation. Voilà qui nous ramène aux principes fondamentaux énoncés par la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement [...] ».

La loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement le confirmait dans son article 1er : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation. » Nous sommes au cœur du sujet !

L’État se devait de réagir, et de réagir vivement, pour garantir à tous de quoi vivre dignement, et en priorité aux plus faibles, aux plus modestes. Cette session extraordinaire montre que le Gouvernement s’est attelé à cette tâche : demain, en présentant un projet de loi créant les emplois d’avenir ; aujourd’hui, en proposant ce projet de loi qui n’en restera pas là, vous le savez, madame la ministre, car nous aurons à travailler sur le fond. Nous aurons à discuter des mesures indispensables contre la rétention foncière privée ou de la nécessité d’une forte taxation des plus-values sur les terrains privés urbanisables. Nous aurons donc de quoi débattre sur le fond dans un avenir prochain.

Madame la ministre, vous n’avez pas tardé à prendre en compte ce sujet fondamental, facteur de cohésion sociale, et avez engagé la France à donner un toit, contre un loyer décent, à ceux qui en ont le plus besoin. C’est une première réponse à la crise du logement. En effet, le logement n’est pas un produit de marché parmi d’autres : chacun doit avoir un toit selon ses besoins, chacun doit avoir un loyer selon ses revenus.

Nous continuons aujourd’hui un travail commencé en l’an 2000 par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, qui portait si bien son nom, et qu’il faut simplement parfaire et relancer. Cette loi créait une exigence de solidarité pour qu’aucune ville n’exclue plus les pauvres de son territoire ; elle proposait le modèle de la mixité sociale et non plus celui du ghetto, les riches d’un côté, les pauvres de l’autre.

Bien que malmenée par certaines villes et certaines communes – minoritaires, il faut le préciser –,…

M. Philippe Dallier. Vous êtes gentil !

M. Joël Labbé. … la loi a produit ses effets : le logement social s’est quand même développé, mais insuffisamment.

Après dix années au pouvoir des tenants de l’idéologie de « la France des propriétaires » – on s’en souvient encore ! –, la conséquence est une forte augmentation des prix de l’immobilier : ils n’ont jamais été aussi hauts alors que, dans le même temps, la pauvreté s’aggravait. Pire qu’une politique de laisser-faire, la politique menée a été inflationniste, elle a gonflé une bulle immobilière qui a surtout profité aux spéculateurs, avec, pour résultat, plus de 100 000 personnes chaque année vivant dans l’angoisse de se retrouver à la rue, doublement victimes, de la hausse des prix de l’immobilier, d’une part, et de la crise qui réduit leurs revenus, d’autre part. Il est devenu trop cher de se loger. Pour beaucoup, le logement social et ses loyers modérés sont devenus la seule solution pour échapper à la folie du marché.

Le logement social réalisé a rempli sa mission de solidarité : il a permis heureusement à des millions de personnes de résister à la crise, mais il manque encore plus d’un million de logements sociaux, comme l’ont dit plusieurs orateurs. L’objectif que vous avez fixé avec le Gouvernement, madame la ministre, pour pallier le retard, est de construire 150 000 logements sociaux chaque année. Vous pouvez compter sur notre soutien actif pour mener à bien cette politique humaniste d’intérêt national.

Le projet de loi que vous nous soumettez pose les bases de cette ambition, notamment en mobilisant le foncier public en faveur du logement.

Dans les zones tendues, où les prix sont trop élevés, mobiliser le foncier de l’État permettra à de nombreux projets de logements sociaux de sortir de terre. Ce coup de pouce nécessaire à la construction de logements sociaux au centre de nos villes permettra également de les densifier, d’en assurer la mixité sociale et d’éviter l’étalement urbain.

Cette mobilisation des terrains de l’État n’est pas un gaspillage, mais un investissement : la mise en construction de ces terrains permettra aussi, en partie, une relance du secteur du bâtiment, nécessaire en termes d’emplois et de recettes fiscales futures.

M. Pierre Hérisson. C’est vrai !

M. Joël Labbé. Le projet de loi renforce aussi les nécessaires pénalités financières demandées aux villes qui ne jouent pas le jeu de la mixité sociale et qui ont refusé de contribuer, jusqu’à présent, à la solidarité nationale – et ce ne sont pas les villes les plus pauvres !

Dans l’intérêt de toutes et de tous, nous, sénateurs et sénatrices écologistes, souhaitons voir réussir cette rentrée, c’est-à-dire que l’effort de construction de logements sociaux bénéficie en priorité à ceux qui en ont le plus besoin et que la mixité sociale devienne une réalité sur l’ensemble du territoire. Nous proposerons des amendements en ce sens, afin que la loi soit la plus juste possible, appliquée partout, dans la recherche de l’intérêt général. Nos amendements iront dans le sens d’une grande exigence, à la hauteur des enjeux.

Nous souhaitons également qu’il soit mis fin aux abus de certaines agences immobilières. En 2007, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes révélait que 77 % d’entre elles étaient en infraction. Il est nécessaire de combattre ces abus, notamment ceux des « agences de listes », ces « vraies-fausses » agences immobilières qui font payer entre 150 euros et 400 euros l’accès à une liste de petites annonces, sans garantie de résultat.

Nous demanderons au Gouvernement de lutter également contre la vacance des logements et des bureaux, réelle incohérence économique, sociale et écologique. Il est temps d’en finir avec la spéculation immobilière qui rend plus rentable un immeuble vide qu’un immeuble loué et habité. Il est inconcevable, en ces temps de crise du logement, que la recherche égoïste du profit fasse monter les prix et descendre à la rue les ménages.

Je souhaite que l’État s’empare aussi, si nécessaire, de cet outil qu’est la réquisition, afin de faire baisser les prix. Cet outil régulateur permettra aux spéculateurs de renouer avec des profits modestes, mais stables et suffisants. Les professionnels de l’immobilier doivent redevenir des investisseurs utiles à la société, dont la fonction est de loger et non de spéculer.

Il faudra aussi interdire, à terme, les ventes à la découpe qui poussent des locataires louant le même appartement depuis des années à déménager car ils n’ont pas les moyens d’acheter le logement qu’ils louent et qu’un spéculateur veut vendre pour empocher ses profits.

L’encadrement des loyers, enfin, est attendu avec impatience par des millions de locataires, notamment les plus jeunes, qui payent des loyers beaucoup plus lourds que leurs aînés.

Les associations de l’hébergement et du logement, la Fondation Abbé Pierre, Droit au logement, ou encore Jeudi noir qui a réquisitionné aujourd’hui, en plein Paris, un des nombreux immeubles vacants, nous rappellent qu’il faut « un toit pour vivre », et non pour survivre !

Au-delà de ce texte qui répond à une véritable urgence, il faudra, dans un futur proche, faire évoluer la législation pour qu’elle s’adapte à la demande croissante de logements alternatifs, certes très minoritaire, mais qui va grandissant, répondant aux attentes de cette population qui choisit de vivre autrement, dans des logements dont l’impact est très faible sur l’environnement, mais qui ne trouvent pas leur place dans les règles d’urbanisme. Il faudra aussi répondre à une autre attente minoritaire également, celle des jeunes agriculteurs qui souhaitent s’installer autrement : ils doivent pouvoir bénéficier de logements implantés dans des zones agricoles. Enfin, très rapidement, il faudra trouver des solutions à l’immense douleur provoquée par l’attente des personnes en situation de demande d’asile.

L’abbé Pierre disait : « On ne peut pas, sous prétexte qu’il est impossible de tout faire en un jour, ne rien faire du tout ». Madame la ministre, mes chers collègues, le chantier du logement est vaste et long : nous ne ferons pas tout en un jour, mais nous réamorçons aujourd’hui une véritable politique publique du logement, tant attendue. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Mme Mireille Schurch applaudit également.)