M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si le projet de loi que nous examinons ne prétend pas résoudre le problème de l’emploi des jeunes dans son ensemble, il est assurément un élément déterminant d’une vaste politique publique de l’emploi, qui sera notamment complétée ultérieurement, je pense, par le contrat de génération. Il est aujourd’hui essentiel de discuter d’un texte consacré prioritairement aux jeunes qui cumulent des difficultés.

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le taux de chômage des jeunes est de 22,7 %, soit plus du double de celui que l’on observe dans la population globale. Si l’on s’intéresse particulièrement aux zones urbaines sensibles, ce sont alors 45 % des jeunes qui sont au chômage. Le constat est alarmant et justifie pleinement que l’on s’attache d’abord à ces jeunes sans qualification et issus des territoires fragiles, qui sont les plus exposés aux effets de la crise, à la précarité, à l’instabilité et au manque d’autonomie.

N’oublions pas non plus que l’échec scolaire d’un élève est un échec pour notre système éducatif et qu’il est alors du devoir de la République d’accompagner ces jeunes et de leur offrir des moyens d’insertion sociale et professionnelle. À mon sens, il est question non pas de donner une « seconde chance » à ces jeunes, mais de réparer l’absence de « première chance » !

Nous avons déjà expérimenté nombre de dispositifs destinés à accompagner les jeunes en difficulté vers l’emploi : contrats emplois-jeunes, contrats d’insertion dans la vie sociale, contrats aidés, contrats de professionnalisation. Certains ont été des réussites. Par exemple, dans les dix-huit mois suivant la fin d’un contrat emploi-jeune, seuls 1,6 % des bénéficiaires étaient au chômage. Mais ces dispositifs, aux succès inégaux, ont souvent été utilisés par les plus diplômés.

Pour préserver la philosophie des emplois d’avenir, nous devons nous garder de les étendre aux jeunes diplômés pour l’instant. Dans le texte initial, les emplois d’avenir étaient réservés aux jeunes âgés de seize ans à vingt-cinq ans titulaires au maximum d’un baccalauréat. Jamais une politique de l’emploi n’avait ciblé aussi précisément ce public. Cela me semble très positif, car ces jeunes non qualifiés ou peu qualifiés rencontrent des difficultés spécifiques qui nécessitent des réponses spécifiques. Je n’ignore évidemment pas la gravité du problème de l’entrée dans l’emploi des jeunes diplômés. Mais il sera traité ultérieurement par d’autres moyens plus adaptés. D’ailleurs, la commission a, dans sa grande sagesse, prévu une clause de revoyure au bout d’un an pour s’adapter le cas échéant à la situation.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Godefroy. Je voudrais insister sur la logique du système que nous mettons en place. Il va à rebours de la situation habituelle de l’entrée des jeunes dans l’emploi.

Les employeurs, quels qu’ils soient, ne « bénéficieront pas » du savoir pré-acquis par le jeune, mais ils s’engageront à transmettre le savoir, à donner l’envie et à permettre le retour à l’employabilité. C’est une autre philosophie, une autre approche. La formation est bien l’élément déterminant du dispositif, puisque tout emploi d’avenir devra comprendre une formation correspondant aux qualifications du poste et un tutorat, ainsi que la possibilité, et c’est très important, de voir les compétences acquises reconnues à l’issue du contrat.

L’objectif principal est donc de donner à ces jeunes une véritable qualification leur permettant l’accès non seulement à l’emploi, mais également à la validation des acquis de l’expérience, à la préparation de diplômes ou de concours.

En l’occurrence, l’intelligence de la démarche est de tenir compte des fortes disparités qui existent en la matière sur le territoire national. Sont visés ici, de manière prioritaire mais non exclusive, des territoires où se cumulent déjà toutes les difficultés sociales et économiques.

Il faut également, me semble-t-il, être très sensible à la reconnaissance du problème spécifique de l’emploi des jeunes handicapés, peu ou pas qualifiés, qui pourront avoir accès à ce dispositif jusqu’à l’âge de trente ans.

Pour ma part, je vois donc dans ce projet de loi une véritable occasion de donner à ceux qui se sont perdus dans le système à un moment donné de leur jeune vie la possibilité d’accéder à une formation et à une qualification les conduisant vers des emplois durables. Les emplois d’avenir seront créés dans des secteurs à fort potentiel de création d’emplois. C’est donc bien dans une démarche de long terme qu’ils s’inscrivent.

À l’évidence, les jeunes concernés trouveront mieux leur place dans un tel type de contrat, au lieu d’enchaîner divers contrats précaires et inscriptions à Pôle emploi sans perspective d’avenir. Et encore : quand ils sont inscrits ! Car certains disparaissent totalement, perdus, désocialisés.

Messieurs les ministres, vous aurez compris notre soutien à la démarche, qui illustre la volonté du Gouvernement de rénover profondément les politiques de l’emploi en France. On voit, par exemple, tout l’intérêt du dispositif pour renforcer le secteur de l’économie sociale et solidaire.

Je vous ferai simplement part de quelques réflexions.

Prenons le cas des potentiels employeurs. Les secteurs délimités recouvrent des domaines où le besoin d’emploi sera constant, voire en augmentation. La loi pourrait être plus précise sur ce point. Elle vise notamment les « activités présentant un caractère d’utilité environnementale ». Qu’entend-on véritablement par là ? Une telle notion vise-t-elle aussi bien un emploi de jardinier qu’un emploi dans les secteurs éolien, hydrolien, ou encore dans le démantèlement d’une centrale nucléaire ?

Si c’est le cas – j’avance sur la pointe des pieds, afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté dans mon propos –, il peut être regrettable que le secteur marchand soit marginal.

M. Philippe Bas. En effet, c’est regrettable !

M. Michel Sapin, ministre. Le secteur marchand est possible !

M. Jean-Pierre Godefroy. Il est effectivement possible ; je le souligne.

D’ailleurs, les taux d’aide de l’État sont fixés par le projet de loi. Je comprends parfaitement le souci du Gouvernement de ne pas créer d’effet d’aubaine en fournissant une main-d’œuvre à bon marché pour des entreprises qui n’en ont pas besoin, comme la grande distribution.

Reste qu’il y a un gisement important d’emplois environnementaux – j’insiste bien sur la spécificité – dans le secteur marchand. Je pense par exemple au secteur du bâtiment – le Gouvernement prévoit la construction de 500 000 logements par an –, mais aussi à quantité d’emplois qui seront créés pour le développement des parcs éolien et hydrolien : charpentiers, chaudronniers, soudeurs, mécaniciens, électriciens, électroniciens... Nous trouverons très rarement de tels emplois dans les collectivités territoriales. Pourtant, ils sont porteurs et accessibles à des jeunes non diplômés, susceptibles de promotion sociale.

M. Philippe Bas. Vous avez raison !

M. Jean-Pierre Godefroy. En outre, ils présentent directement, selon les termes du projet de loi, un caractère « d’utilité environnementale », tout en participant à la réindustrialisation de notre pays.

M. Michel Sapin, ministre. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Pierre Godefroy. Par ailleurs, à l’instar de nombre de mes collègues, je trouve inacceptable qu’un contrat saisonnier puisse être associé à un contrat d’avenir. Cela va directement à l’encontre de l’esprit de la loi, qui est de faire sortir les jeunes concernés de la précarité et de leur donner accès à des emplois pérennes.

On peut aussi regretter – certes, c’est un débat que nous avons de manière régulière, pas seulement sur ce texte – que les emplois d’avenir aient juridiquement la forme de contrats uniques d’insertion.

M. Michel Sapin, ministre. Qu’importe le flacon ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Godefroy. Cela aura pour effet de ne pas voir les publics concernés comptabilisés dans les effectifs de l’entreprise et d’exonérer ainsi l’employeur de certaines obligations.

De surcroît, cela empêche l’inspection du travail de vérifier que les emplois d’avenir ne viennent pas se substituer à des emplois qui auraient été créés de toute façon. Sans doute sait-on que ce fut parfois le cas dans d’autres dispositifs... J’ai donc déposé un amendement d’appel en ce sens, ce qui nous permettra de discuter de la question.

En tant que rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour les accidents du travail et maladies professionnelles, ou AT-MP, je note avec satisfaction que les cotisations patronales afférentes à cette branche ne feront pas l’objet d’une exonération. Voilà qui me renvoie à mon propos précédent sur les effectifs, les cotisations étant tout de même fonction de ces derniers.

J’en ai terminé avec ces quelques remarques destinées à ouvrir le débat.

Le texte prévoit très justement un suivi personnalisé professionnel et, le cas échéant, social du bénéficiaire du contrat d’avenir. Cet aspect est en effet crucial. Si des jeunes sont en difficulté aujourd’hui, c’est qu’ils ont manqué d’accompagnement auparavant. Il faut donc s’interroger sur la capacité des accompagnants à accomplir leur mission. Nous connaissons notamment les difficultés rencontrées par Pôle emploi. J’insiste d’ailleurs sur l’importance, au sein du dispositif, des maisons de l’emploi et de la formation, qui ont été fort maltraitées par le gouvernement précédent.

M. Michel Sapin, ministre. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Godefroy. De la même manière, nous savons que nombre de départements, notamment ceux dont la population est particulièrement défavorisée, sont déjà débordés par l’ampleur des problèmes sociaux qu’ils ont à traiter. La question des contrats d’avenir ne peut donc pas être détachée de celle des moyens affectés à la mise en œuvre des politiques d’emploi.

Mes chers collègues, vous aurez compris notre soutien militant à l’effort remarquable opéré en direction de ceux qui ont été laissés de côté. Ce texte, qui traite le problème de l’emploi des jeunes sous l’angle des contextes sociaux et géographiques, ouvrira de véritables perspectives, en France, à 150 000 jeunes d’ici à 2014. Pour ma part, je ne fais pas partie de ceux qui boudent 150 000 emplois ! Bien sûr, cela ne règle pas le problème du chômage, mais demandez donc aux jeunes s’ils ne sont pas preneurs d’une telle mesure !

Les emplois d’avenir donneront aux jeunes déscolarisés de façon précoce de l’espoir et la possibilité de construire des projets d’avenir – ils en manquent aujourd’hui cruellement –, donc un projet de vie. Et c’est essentiel pour eux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le présent projet de loi portant création des emplois d’avenir vient répondre à une attente essentielle des Français et à une priorité absolue de la nouvelle majorité parlementaire : l’avenir de la jeunesse.

Le devenir des jeunes a d’ailleurs été une priorité affichée par le candidat François Hollande. Il convient donc aujourd’hui de donner à ces derniers les moyens de notre ambition politique. Mes chers collègues, permettez-moi de citer à cet égard Georges Bernanos, qui écrivait : « Quand la jeunesse a froid, le reste du monde claque des dents. »

À l’inverse, redonner espoir à notre jeunesse, lui permettre d’accéder au marché de l’emploi, de prendre toute sa place et ses responsabilités, c’est sans aucun doute redonner confiance à l’ensemble de notre société. Il y a urgence, car la situation est critique. Comme cela a été dit, le taux de chômage des jeunes est supérieur à 15 % depuis plus de trente ans. Des mécanismes pour favoriser leur insertion dans l’emploi ont pourtant été mis en place par tous les gouvernements qui se sont succédé, avec des succès inégaux.

Du gouvernement Barre au gouvernement Fillon, des stages offerts aux jeunes en échange d’exonérations de charges sociales au contrat unique d’insertion, de nombreux dispositifs ont ainsi vu le jour. Pour autant, a-t-on tout essayé ? Assurément non ! À chaque crise, de nouvelles propositions, qui répondent au mieux à la situation du moment en matière de chômage et de précarité, sont à inventer ou réinventer.

Aujourd’hui, ne rien tenter d’ambitieux serait renoncer, pour le Gouvernement et sa majorité, à une promesse électorale de changement et, surtout, faire preuve d’une irresponsabilité coupable, dont nous serions, les uns et les autres, comptables, tant les chiffres sont éloquents et le constat sans appel. Le taux de chômage des jeunes atteint aujourd’hui 22 % ; il monte à 40 % parmi les jeunes sortis du système scolaire sans formation ou diplôme. À l’évidence, la hausse du chômage, qui frappe de plein fouet la jeunesse, est le produit de plusieurs facteurs, tant structurels que conjoncturels.

L’avenir de la jeunesse passe par un accès à l’éducation, à une formation adaptée pour chacun, à la santé, au logement et à un emploi durable. Il nous incombe de travailler ensemble pour apporter de nouvelles réponses dans chacun de ces domaines, en prenant en compte leurs évidentes interdépendances.

Toutes ces questions ne peuvent donc pas être traitées avec précipitation, de par la rigueur qu’elles imposent, les enjeux qu’elles représentent et les conséquences qu’elles emportent. Elles méritent un travail rigoureux s’inscrivant dans la durée et fondé notamment sur une concertation avec les partenaires sociaux.

Il n’en reste pas moins que des mesures d’urgence s’imposent aujourd’hui en matière d’emploi pour les jeunes les plus en détresse. Cette loi sera également un signal politique fort adressé à tous, jeunes et moins jeunes.

Avec une croissance en berne qui ne laisse présager aucune amélioration rapide en matière d’emploi, le dispositif des emplois d’avenir constitue bien une solution d’urgence pour ralentir ou, formons-en le vœu, endiguer l’augmentation continue du nombre de jeunes chômeurs. L’Observatoire français des conjonctures économiques l’a récemment rappelé, l’économie continuera de détruire des emplois tant que l’augmentation du PIB n’atteindra pas 1,5 %.

Dans ce contexte, le dispositif proposé par le Gouvernement constitue une bonne mesure de traitement social du chômage des jeunes peu ou pas qualifiés. Elle est nécessaire, même si elle n’est bien évidemment pas suffisante. D’autres mesures d’accompagnement et de renforcement devront suivre, nous l’avons tous rappelé. D’ailleurs, elles ont déjà été annoncées.

Contrairement au contrat unique d’insertion, qui proposait une perspective d’emploi assez courte, et dont l’expérimentation dans les collectivités locales a été trop peu généralisée, ce dispositif inscrit l’accès à l’emploi sur le long terme. C’est fondamental. Surtout, cela permet de tenir compte de la situation présente.

Contrairement aux emplois-jeunes, qui ont d’abord bénéficié à de jeunes diplômés au détriment des moins qualifiés, le dispositif des emplois d’avenir s’adresse en priorité à ceux qui sont sans diplôme ni qualification. C’est important, car cela prend en compte la situation actuelle. Rappelons en effet que 120 000 jeunes quittent chaque année l’école sans aucun diplôme.

M. Stéphane Mazars. Et seulement près de 30 % d’entre eux trouvent rapidement un emploi stable. Ces chiffres ne sont plus acceptables !

Toutefois, la mise en place des emplois d’avenir soulève quelques interrogations, à propos desquelles le Gouvernement pourra certainement nous rassurer. Ainsi, ces emplois s’adressent principalement aux employeurs que sont les associations et les collectivités territoriales. Or la tenue des états généraux de la démocratie territoriale, dont l’initiative revient au président de notre Haute Assemblée, a mis en exergue la fragilité et l’incertitude budgétaires rencontrées justement par nos collectivités. Aussi convient-il de s’interroger sur l’effectivité et le niveau du recours à ces emplois par celles-ci. Je rappelle également que certains jeunes ayant réussi un concours de la fonction publique territoriale n’ont toujours pas reçu d’affectation à ce jour.

J’en viens à l’exigence de formation. Le dispositif des emplois d’avenir concerne par principe des temps pleins, en CDI ou CDD sur une période de trois ans. L’issue des contrats à durée déterminée doit dès lors être envisagée, afin que chaque emploi ouvre véritablement sur une insertion durable au sein du marché de l’emploi. L’avenir du jeune devra donc être lié à une formation effective et de qualité, objectif qui ne sera atteint que par un accompagnement encadré et personnalisé de tous les bénéficiaires du dispositif.

Pour ce faire, monsieur le ministre, votre texte prévoit une sélection des employeurs en fonction, justement, de la formation offerte et du suivi assuré par les missions locales. Le rétablissement de 2 000 postes à Pôle emploi constitue à cet égard une mesure nécessaire. D’autres dispositions doivent suivre, afin d’assurer aux jeunes une préparation à la sortie du dispositif en cas de non-pérennisation de l’emploi après trois ans de contrat à durée déterminée.

Nul doute que ce texte soit perfectible. Je ne reviendrai donc pas sur la présentation faite par mon collègue Robert Tropeano de quelques-uns des amendements que nous avons déposés avec par plusieurs des membres du groupe RDSE.

Parce que notre République, celle-là même que les radicaux ont fondée, celle-là même qui a inscrit au fronton de nos institutions les mots « égalité » et « fraternité », ne peut laisser aucun de ses enfants sur le côté sans lui tendre la main et lui proposer des solutions concrètes pour accéder à l’emploi et à une vie meilleure, parce que la jeunesse de France, sans exclusive, doit être la force dynamique, inventive et constructive dont notre pays a plus que jamais besoin, les radicaux de gauche et la majorité des membres du RDSE apporteront leur soutien au présent projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous faisons tous le même constat : dans notre pays, le chômage des jeunes est chronique et anormalement élevé. Nous sommes aussi tous convaincus de la nécessité d’une action puissante consacrée à ce qui doit être la priorité absolue de nos politiques publiques. Et nous sommes tous conscients, notamment en examinant, non loin de chez nous, les résultats obtenus par des pays de référence, comme l’Allemagne, que le chômage des jeunes n’est pas une fatalité.

Ni la droite ni la gauche n’ayant jusqu’à présent brillé dans ce domaine, nous pouvons aborder ce débat de bonne foi, avec une humilité partagée, qui ne doit pas atténuer notre égale volonté de changer le cours des choses.

Je crains malheureusement que, par leur classicisme et la modestie des moyens que vous leur consacrez, vos propositions ne nous conduisent pas très loin. Je le déplore sincèrement, compte tenu de la gravité des enjeux. Si du moins les « emplois d’avenir », si mal nommés, n’étaient pas présentés comme une innovation majeure de la politique de l’emploi, nous pourrions les considérer pour ce qu’ils sont : un instrument supplémentaire, un outil d’appoint destiné à ne pas laisser en déshérence des jeunes sans qualification que notre système scolaire n’a pas su préparer à l’emploi.

Mais, et notre collègue Jean-François Husson l’a rappelé tout à l’heure, la panoplie est déjà très riche en la matière. À vrai dire, ce qui a manqué par le passé, c’est moins un traitement social qu’une évolution profonde de notre appareil de formation et de nos mécanismes d’entrée dans la vie active.

Or le texte que nous examinons aujourd’hui se borne à prolonger une longue tradition de politique de traitement social du chômage. Il vise à aménager le régime des contrats uniques d’insertion créé par la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion. Les emplois d’avenir rentreront dans ce moule : tous seront des contrats uniques d’insertion. Mes chers collègues, vous n’en vouliez pas – M. Marseille l’a rappelé tout à l’heure –, mais vous êtes aujourd’hui satisfaits de les trouver pour y greffer une variante des emplois-jeunes, ce qui prouve que l’outil n’était pas si mauvais !

Le Gouvernement a annoncé son intention de compléter ce volet de traitement social par un « contrat de génération », dont les termes feront l’objet d’une négociation entre les partenaires sociaux. Nous en débattrons le moment venu et nous évaluerons les précautions que vous prendrez pour éviter les effets d’aubaine sur lesquels Martine Aubry vous a justement alertés.

Il ne manquera plus alors que le principal. D’abord, une réforme en profondeur de l’éducation nationale, permettant d’orienter résolument les jeunes vers un métier. (Mme Michèle André proteste.). Ensuite, la prévention précoce des sorties sans qualification du système scolaire, qui concerne 120 000 jeunes par an. Enfin, une incitation puissante à l’embauche des jeunes par les entreprises, incitation assortie d’une simplification des règles du contrat de travail, car – nous devons tous en être conscients – la solution au chômage des jeunes viendra principalement de l’emploi dans le secteur privé.

Surtout, il manque une action résolue de traitement économique du chômage par une politique, à laquelle vous tournez malheureusement le dos. Elle consisterait, premièrement, à poursuivre la réforme du financement de la sécurité sociale pour qu’il ne pénalise plus l’emploi, deuxièmement, à mettre en place de nouveaux instruments de sauvegarde de l’emploi tournés vers la compétitivité de nos entreprises, et troisièmement, bien sûr, à cesser le matraquage fiscal des entreprises commencé à l’occasion du collectif budgétaire de juillet et dont vous annoncez l’amplification en loi de finances pour 2013. En agissant ainsi, vous pesez lourdement sur les prix de revient des produits français et vous pénalisez l’économie et l’emploi.

M. Michel Vergoz. Où étiez-vous hier ?

Mme Maryvonne Blondin. Et avant-hier ?

M. Philippe Bas. Ces éléments de contexte étant rappelés, j’ai conscience que la crise économique et financière que nous traversons ne facilite pas les choses. Elle rend encore plus nécessaire de tendre la main aux jeunes les plus en difficulté sans attendre la mise en œuvre et la réalisation d’un certain nombre de changements structurels que j’appelle de mes vœux.

« Nous sommes devant une crise d’une gravité exceptionnelle, une crise longue, qui dure depuis maintenant plus de quatre ans et aucune des grandes puissances économiques, même les émergentes, n’est épargnée. » Ces mots sont ceux du Président de la République à Châlons-en-Champagne, messieurs les ministres, et ils vous dispensent d’accabler vos prédécesseurs au moment où vous semblez tant peiner à trouver des voies nouvelles pour sortir de cette « crise longue ».

De notre côté, nous examinerons votre projet de loi dans l’esprit d’une opposition constructive. Mon vote dépendra de vos réponses et de l’accueil que vous réserverez à nos amendements.

Si vous imaginez que vos emplois d’avenir apporteront une contribution décisive aux problèmes du chômage des jeunes sans qualification, de mon point de vue, vous n’agissez ni assez vite ni assez fort. (M. Michel Vergoz rit.)

Vous avez voulu inscrire vos emplois d’avenir dans la postérité des emplois-jeunes ; ils n’en sont en fait que la miniaturisation.

Miniaturisation d’abord par la restriction des publics visés : il faut une faible qualification, ne pas avoir plus de vingt-cinq ans, connaître des difficultés particulières d’insertion avec, il est vrai, un accès plus ouvert dans certaines parties du territoire. Il n’est plus question en principe de prendre des bacheliers. Dommage pour ceux d’entre eux, nombreux aujourd’hui, qui piétinent aux portes de l’emploi et qui auraient apprécié d’être eux aussi aidés !

Miniaturisation ensuite par la nature du contrat proposé et par les aides à l’employeur : trois ans maximum au lieu de cinq pour les emplois-jeunes, une prise en charge de 75 % du salaire au lieu de 80 % pour les emplois-jeunes.

Et miniaturisation surtout en raison de la modestie du dispositif : votre projet initial prévoyait de créer « 300 000 emplois d’avenir à temps plein ». En janvier dernier, le candidat François Hollande n’évoquait plus que « dans un premier temps, 150 000 emplois d’avenir », soit deux fois moins que prévu. Et voici que, dans ce que vous présentez pourtant comme une réponse urgente au problème de l’emploi des jeunes, vous n’entendez consacrer à cette politique que 500 millions d’euros en 2013.

Si l’on divise cette somme par le coût annuel d’un emploi d’avenir pour l’État, c’est-à-dire douze fois 75 % du SMIC brut mensuel, soit 12 828 euros, cela fait 39 000 emplois en année pleine !

Certes, il faut tenir compte de la montée en régime progressive du dispositif : vous nous dites qu’il y a urgence, mais, en même temps, vous prévoyez une progression d’une telle lenteur que nous ne pouvons que douter des moyens que vous vous donnez. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Christiane Demontès. Qu’avez-vous fait pendant dix ans ? (M. Michel Vergoz renchérit.)

M. Philippe Bas. Au demeurant, quand vous annoncez que vous allez mobiliser au total 2,3 milliards d’euros en trois ans, nous devenons encore plus dubitatifs, car, cette fois, la montée en régime du dispositif sera largement achevée. Or, pour une seule année, avec 150 000 emplois d’avenir, il faudrait déjà plus de 1,9 milliard d’euros. Avec les crédits que vous annoncez, à supposer que vous soyez réellement capables de les mobiliser durablement dans la situation actuelle des finances publiques, vous ne pourrez avoir au même moment dans le dispositif que 60 000 jeunes en moyenne chaque année pendant trois ans.

Le Président de la République affirme que son devoir est de « dire la vérité aux Français » ; c’est aussi le vôtre. Car 60 000 jeunes, c’est déjà ça, mais cela ne fait pas 300 000, ni même 150 000 !

Mais je m’inquiète encore. Je crains que vous n’ayez même pas les moyens d’atteindre de tels chiffres revus à la baisse. Vous allez d’ailleurs être poussés à redéployer les crédits de la politique de l’emploi au détriment d’autres emplois aidés dont l’utilité n’est plus à démontrer dans cette période de crise.

Ils sont 520 000 aujourd’hui à bénéficier de ces contrats. Beaucoup sont des adultes chômeurs de longue durée, souvent chargés de famille. Entre les différentes souffrances sociales, nous ne devons pas avoir la fraternité sélective, à deux vitesses. Il ne faut pas déshabiller Pierre pour habiller Paul ! Puisque vous avez été capables de prendre l’engagement de consacrer 2,3 milliards d’euros en trois ans à vos nouveaux emplois-jeunes, nous avons besoin d’entendre un autre engagement : celui de sanctuariser les crédits consacrés aux contrats proposés aux chômeurs de longue durée, afin d’éviter un effet d’éviction que les partenaires sociaux, en particulier la CFDT, n’ont pas manqué de relever.