M. Jacques Legendre, rapporteur. On ne peut passer sous silence la question de la nomination des présidents de l’audiovisuel public par le Président de la République. Je considère quant à moi que cette mesure a effectivement mis fin à l’hypocrisie préexistante. Qui contesterait que les choix ont été plutôt de bons choix ?

La vérité est que l’existence d’un État actionnaire de l’entreprise à 100 % crée forcément des doutes sur les relations potentiellement dangereuses que la télévision publique et les politiques entretiendraient.

La vérité est aussi que France Télévisions mène ses missions en toute indépendance, et je mets au défi quiconque de projeter des images des journaux ou magazines d’information de France Télévisions particulièrement favorables à l’ancien président de la République ou à l’ancienne majorité.

En fait, ce que l’on peut souligner, c’est que les personnes qui ont été nommées sont à la fois compétentes, consensuelles et incontestées. C’est, pour ma part, le bilan simple et visible par tous que je tire de la mesure. La nomination en cours de Mme Marie-Christine Saragosse à la tête de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF, se fait, au demeurant, selon une procédure similaire. Nous n’avons évidemment aucun procès a priori à instruire à Mme Saragosse. Je suis certain qu’elle ne sera pas non plus contestée.

Évoquons enfin les sujets qui ne fâchent pas. Ils sont à mettre au crédit de la loi et du précédent gouvernement.

Les dispositions relatives aux services de médias audiovisuels à la demande ont permis de faire entrer la télévision de rattrapage et la vidéo à la demande à la fois dans notre corpus juridique et dans notre quotidien. Leur développement et leur succès sont aujourd’hui frappants, tant pour les services de rattrapage devenus très accessibles par nos concitoyens que s’agissant des supports de vidéos à la demande, qui ont pris des formes originales et séduisantes pour l’utilisateur.

L’accessibilité des programmes aux personnes aveugles ou malvoyantes – c’est important ! – a aussi été particulièrement renforcée. Le législateur s’y est employé avec l’adoption de cinq articles dédiés dans la loi. Il a choisi de laisser le choix des moyens au régulateur pour les chaînes privées et à l’État pour les chaînes publiques, et de l’accompagner avec une mesure incitative de valorisation de l’audiodescription dans la contribution à la création.

Cette méthode a été efficace. Dès l’année prochaine, nous pourrons avoir un programme audiodécrit par soirée sur le paysage audiovisuel français, ce qui sera une amélioration remarquable pour les personnes en situation de handicap visuel. On comprendra que, humainement, nous y soyons tous très attachés.

La question de la promotion de la diversité de la société française a été enfin particulièrement bien traitée par la loi. La volonté de promouvoir cette diversité multiple d’origine, de genre ou de catégorie socioprofessionnelle, à la fois en matière de programmation audiovisuelle et de gestion des ressources humaines des éditeurs, a conduit le législateur à introduire pas moins de cinq dispositions dans la loi, pour des résultats que le CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, a jugé positifs dans son dernier rapport sur le sujet.

Il faut dire que l’autorité s’est, là encore, bien emparée de la loi en imposant des engagements précis aux chaînes de télévision. Une mesure cliquet notamment impose aux chaînes d’être chaque année meilleures dans le baromètre établi par l’autorité.

Si le bilan de la loi n’est pas parfait dans l’ensemble des secteurs, reconnaissons que, sur ce sujet, elle est une belle réussite qui symbolise à la fois les vertus du volontarisme législatif et l’importance des autorités d’application.

C’est au bénéfice de ces observations, reprises dans le rapport, que j’ai soutenu son adoption. J’espère que ces quelques analyses vous auront permis de constater que bien des mesures de la loi du 5 mars 2009 ont trouvé un terrain d’application favorable. Je crois même qu’elle a bien lancé la télévision de l’avenir. Mais de prochains textes sur ce sujet nous permettront certainement de dégager des voies d’amélioration. Il y a évidemment toujours des améliorations à apporter, une actualisation de la loi à faire. Je n’en attends pas moins de la présente majorité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Hervé Maurey applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de souligner la très grande qualité et l’importance du travail des auteurs de ce rapport concernant la loi de mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. Ce document offre notamment un éclairage très pertinent sur la situation financière actuelle de l’audiovisuel public, en particulier la fragilité de son mode de financement.

Cette insécurité provient, en premier lieu, des contestations devant la Cour de justice de l’Union européenne de la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet, taxe supposée initialement compenser la suppression de la publicité entre vingt heures et six heures du matin sur France Télévisions. L’invalidation éventuelle, et pour tout dire fort probable, de cette taxe censée rapporter chaque année 350 millions d’euros pourrait, selon ce rapport, coûter à l’État près de 1 milliard d’euros.

Dans ces conditions la question du financement de la réforme qui nous occupe aujourd’hui se pose cruellement. En effet, la redevance ou contribution à l’audiovisuel public, qui constitue historiquement la principale source de financement de la télévision publique, est menacée d’un déclin annoncé de son assiette fiscale telle qu’elle est définie actuellement.

À notre sens, celle-ci demeure trop étroite ; elle exclut notamment les téléviseurs des résidences secondaires à un moment, précisément, où le taux d’équipement des ménages dans ce domaine commence à régresser du fait de nouvelles pratiques qui conduisent un nombre croissant de personnes à suivre les programmes télévisuels à partir d’un terminal d’ordinateur.

En effet, si une augmentation du niveau de la contribution à l’audiovisuel public vient d’être annoncée par le Gouvernement, elle ne compensera guère plus que l’inflation et, surtout, elle n’est pas en mesure de contrebalancer la baisse des recettes de la télévision publique, notamment celle de France Télévisions, dont les recettes seront amputées de plus de 80 millions d’euros dans le prochain budget.

C’est d’autant plus vrai que le rendement d’une autre taxe destinée à pallier la suppression de la publicité, la taxe sur la publicité des chaînes privées, s’avère bien plus faible que prévu. Au lieu des 94 millions d’euros que l’État espérait récolter, ce ne sont finalement que 27 millions d’euros qui ont pu être prélevés en 2009 et des sommes encore moindres les années suivantes. La raison en est que la seconde source de revenus de la télévision publique que constitue la manne publicitaire est aujourd’hui de plus en plus incertaine.

La suppression de la publicité en soirée sur le service public n’a d’ailleurs pas eu les effets escomptés...

M. André Gattolin. ... sur les ressources des télévisions privées, ce qui explique pour partie le faible rendement de la taxe compensatoire qui leur était accolée.

Le contexte de crise économique que nous traversons actuellement a, en effet, des incidences fortes sur les investissements télévisuels des annonceurs.

Au premier trimestre de cette année, l’Institut de recherches et d’études publicitaires, l’IREP, évalue à 4,2 % le recul de la publicité sur les chaînes de télévision françaises publiques et privées et projette que, sur l’ensemble de 2012, la récession sera d’environ 2 %, estimation à mon avis assez optimiste.

En matière d’investissements publicitaires, les télévisions généralistes souffrent de la concurrence croissante des chaînes de la TNT et de la montée en puissance d’Internet sur le marché publicitaire.

Dans ce contexte concurrentiel exacerbé, on peut qualifier d’irresponsable la volonté de la précédente majorité d’avoir voulu, coûte que coûte, attribuer six nouvelles autorisations de chaînes commerciales sur la TNT, dans un marché publicitaire en récession.

En résumé, la télévision publique est aujourd’hui en proie à un effet de ciseaux inquiétant qui voit ses deux principales ressources décliner assez durablement.

De fait, on peut dire que la réforme de l’audiovisuel public de 2009 a été mal menée, car conduite dans la précipitation.

Déjà, à l’époque, notre collègue Marie-Christine Blandin avait insisté sur le fait que si nous saluions le principe de la suppression partielle de la publicité sur France Télévisions, une vigilance toute particulière était de mise quant aux modes de compensation financière qui allaient être instaurés.

J’en viens à présent à la gouvernance de l’audiovisuel public.

En la matière, aucun modèle culturel n’a véritablement été défini et on ne peut pas dire que la qualité soit clairement au rendez-vous des programmes du service public.

France Télévisions souffre aujourd’hui d’une absence de véritable projet éditorial et de gestion stratégique de ses moyens et de son organisation.

Pour rationaliser son offre globale, le groupe avait opté voilà quelques années pour un principe d’horizontalité entre ses différentes chaînes, un peu sur le modèle anglo-saxon de la BBC.

L’actuelle direction a remis de la verticalité – une gestion par chaîne –, mais sans opter clairement pour l’une ou l’autre des deux solutions. Résultat : cette logique hybride d’organisation mêlant horizontalité et verticalité multiplie les centres de décisions, entraînant un manque flagrant de contrôle des coûts opérationnels de la structure.

Mme Catherine Tasca. C’est certain !

M. André Gattolin. Le service public achète beaucoup de programmes à des sociétés de production rattachées à des groupes internationaux, ce qui renchérit leurs coûts. Quand une émission est achetée à un producteur extérieur appartenant à un groupe international, la holding prend d’emblée 20 % de marge. Ensuite, la société locale prend également au moins 20 %. Le résultat, c’est que, aujourd’hui, pour nombre d’émissions achetées par France 2 et France 3, les marges extérieures des producteurs dépassent 40 % du coût de chaque émission. C’est assez insupportable !

Pendant ce temps-là, nous découvrons dans la presse qu’une fusion des rédactions de France 2 et France 3 est soudainement envisagée et que certains n’hésitent pas à prescrire des coupes brutales dans les emplois et les moyens consacrés aux programmes régionaux de France 3.

Alors oui, dans un contexte budgétaire très difficile, des économies sont à faire au sein de France Télévisions, mais celles-ci ne se trouvent pas dans un amoindrissement des missions de service public.

Le groupe écologiste pense qu’il est temps de poser les questions de fond. Comment l’audiovisuel public peut-il se distinguer du secteur privé ? N’est-il pas temps de revenir sur l’externalisation massive de la production et de la création ?

Dans l’immédiat, commençons déjà par obliger la télévision publique à travailler uniquement avec des sociétés de production extérieures qui publient leurs comptes, ce qui présenterait l’avantage de mettre en lumière les bénéfices exorbitants de certaines de ces structures et de les remplacer par des producteurs locaux ou nationaux tout aussi efficaces et moins coûteux.

Par ailleurs, on peut craindre que, derrière le fiasco annoncé de la « taxe télécoms » à Bruxelles, se profile l’annonce d’un possible retour de la publicité après vingt heures. Et là, nous disons aux tenants d’un rétablissement de la publicité : « N’en attendez pas trop ! »

Par absence de véritable projet éditorial visant à satisfaire tous les publics, France 2 et France 3 ont vu leur audience singulièrement régresser auprès de deux cibles stratégiques : les actifs de 25 à 59 ans et les femmes de moins de 50 ans.

Il s’agit là des deux principales cibles recherchées par les annonceurs. Elles composent également une large part de la population. En l’espace de trois ans, France 2 a vu son audience marchande décliner de 50 %.

Un retour de la publicité après vingt heures allégerait certes la facture, mais dans une proportion qui serait loin de représenter le même niveau de ressources d’avant la réforme de 2009.

En conclusion, nous voulons insister sur un point : la télévision publique française ne souffre pas seulement d’un sous-financement flagrant, elle souffre également d’une sous-gouvernance, car elle a été trop souvent confiée à des dirigeants – pardonnez-moi de le dire – dont les compétences restaient à démontrer.

Il est urgent, à notre sens, que les pouvoirs publics s’attachent à remédier à ces deux problèmes lors des prochaines lois qui verront le jour dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la grève massive qu’ont menée aujourd’hui les salariés de l’audiovisuel public, le rassemblement qui a eu lieu cet après-midi devant notre assemblée tout comme la présence, ce soir, dans nos tribunes, de leurs représentants syndicaux illustrent bien l’enjeu du bilan que nous avons à tirer de la réforme de 2009.

Ce bilan intervient alors que France Télévisions vient d’informer ses salariés de la suppression de 500 nouveaux postes et qu’une baisse brutale de son budget est annoncée par le Gouvernement.

Les effets cumulés de ce bilan et de ces annonces peuvent s’avérer désastreux, voire entraîner des ruptures pour l’avenir de France Télévisions. La situation est donc particulièrement inquiétante et les salariés viennent à juste titre de tirer le signal d’alarme.

En réalité, la loi de 2009 a mis en péril le service public de l’audiovisuel en le confrontant à une double crise : une crise économique et une crise de confiance.

La crise de confiance est notamment – mais pas seulement – le résultat du mode de désignation des présidents de l’audiovisuel public. Ceux-ci étant désormais nommés directement par l’exécutif, les liens créés avec le pouvoir politique sont devenus trop ténus pour que les décisions prises puissent échapper à cette dépendance. On le voit ces derniers jours avec l’incapacité du P-DG de France Télévisions à réagir pour défendre les moyens du service public et ses salariés, contrairement à ce qu’il disait voilà quelques jours encore. Cette incapacité est l’illustration de cette situation.

Crise de confiance, mais surtout crise de financement et de vision stratégique. Évidemment, on ne peut faire un bilan de la réforme de 2009 sans évoquer la suppression de la publicité télévisuelle, qui en était l’objectif affirmé et qui a en réalité, on le voit aujourd’hui, profondément affecté les finances de France Télévisions. À l’époque, nous avions déjà alerté sur ce point : la condition expresse devait être d’assurer des ressources pérennes alternatives.

Entendons-nous bien : nous partageons l’objectif d’une télévision publique dégagée de la contrainte marchande afin de privilégier une offre indépendante et de plus grande qualité. Mais force est de constater que les conditions de mise en œuvre de cette suppression n’ont servi en réalité qu’à fragiliser les finances de France Télévisions, sans pour autant ni modifier significativement le contenu de sa programmation ni la dégager des contraintes de l’audimat.

Le risque de déstabilisation était d’ailleurs tellement manifeste dans ces conditions que la suppression de la publicité ne s’est appliquée qu’après vingt heures. Si tel n’avait pas été le cas, la catastrophe serait déjà survenue.

S’agissant des effets sur les programmes, la suppression de la publicité ne permet pas de conclure à de véritables changements éditoriaux ni à une modification notable de la qualité des programmes. La réforme de 2009 avait d’ailleurs, et fort peu logiquement, autorisé le parrainage et les placements de produit qui envahissent la soirée, ce qui a d’autant réduit l’impact de la suppression de la publicité.

En vérité, la tyrannie de l’audience a dans les faits continué à jouer à plein.

Résultat pour France Télévisions : la réforme de 2009 a entraîné une déstabilisation financière sans gain qualitatif.

La loi de 2009 avait prévu de nouveaux dispositifs censés compenser la baisse de ressources financières consécutive à la suppression de la publicité, mais ils sont aujourd’hui tous remis en cause. Non seulement le taux de la taxe sur le chiffre d’affaires des recettes publicitaires qui a été créée et affectée à France Télévisions n’a cessé de diminuer au fil des lois de finances, passant de 3 % initialement à 0,5 % aujourd’hui, mais encore son rendement a diminué du fait d’une conjoncture économique défavorable et de l’effondrement des recettes publicitaires.

Cela impacte donc doublement le budget de France Télévisions : le montant de la taxe est plus faible qu’escompté et celle-ci souffre de la baisse des revenus publicitaires en journée.

D’ici à la fin de l’année 2012, on estime que ce sont environ 60 millions d’euros de revenus publicitaires qui manqueront à France Télévisions.

Quant à la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet, également créée pour compenser la baisse des ressources publicitaires, elle est aujourd’hui ouvertement menacée par la Commission européenne, qui devrait rendre une décision au cours de l’année 2013.

La logique de concurrence aveugle véhiculée par la Commission européenne ainsi que le lobbying des fournisseurs d’accès à Internet auront malheureusement porté leurs fruits, empêchant la mise en place de mutualisations pourtant légitimes.

Il est en effet à redouter, dans ces conditions, que la Commission invalide cette taxe. Cela entraînerait un manque de 250 millions d’euros par an pour France Télévisions et l’État devrait alors rembourser au moins 1 milliard d’euros – il est même question de 1,3 milliard d’euros pour les trois années précédentes.

Il est dit que le Gouvernement aurait provisionné cette somme ; dans le contexte budgétaire actuel, sur quels budgets ces sommes seraient-elles prélevées ?

Enfin, il était prévu que le Gouvernement compense les pertes de recettes publicitaires par l’affectation d’une dotation budgétaire annuelle d’un montant de 450 millions d’euros. Or non seulement cet engagement n’a jamais été respecté, pas même la première année au motif des « surperformances » de la régie publicitaire de France Télévisions, mais, entre 2008 et 2011, il a manqué au total 86 millions d’euros de dotations publiques promises.

L’ensemble de ces constats est pour nous sans appel. Nous ne pourrons pas sortir France Télévisions des difficultés actuelles en bricolant, a fortiori en portant par surcroît des coups de hache dans son budget. C’est à la mise en chantier urgente d’une nouvelle loi qu’il faut s’atteler au plus vite afin de remettre sur le métier une solution d’ensemble pour la pérennisation des ressources de France Télévisions. Il y va de la responsabilité de la gauche et de son ambition pour le service public de l’audiovisuel.

Au lieu de cela, comment comprendre que le Gouvernement ait annoncé ces jours-ci une diminution brutale du budget de France Télévisions qui représenterait une perte supplémentaire de 85 millions d’euros ? Si cette mesure était confirmée au cours du prochain débat budgétaire, ce serait là une baisse historique du budget de France Télévisions. Elle poserait plus que jamais la question de la survie d’un service public de la télévision performant et de qualité.

La réflexion sur les financements nouveaux ne peut donc pas, dans ces conditions, se réduire à la seule augmentation de la redevance, surtout dans le contexte fiscal que nous abordons.

La réforme de 2009 a déjà conduit, récemment, à l’annonce de la suppression au sein de France Télévisions de 500 nouveaux emplois en plus des 650 départs déjà enregistrés cette année – il paraît même que le P-DG a annoncé vouloir poursuivre dans cette voie ! –, sans compter les fins de contrats à durée déterminée et de contrats de pigistes.

La réforme de 2009 a également précipité l’annonce récente par la direction de sa volonté de fusionner les rédactions de France 3 et France 2 au détriment des missions de la première et pousse chaque jour à la mise en cause des moyens de production, singulièrement des moyens de production régionaux.

S’agissant de Radio France, si la baisse de ses moyens n’est « que » de 3 millions d’euros, les emplois ne sont pas non plus épargnés.

Dans ces conditions, nous ne pouvons être que surpris par les annonces gouvernementales. Surtout au moment où de nouveaux canaux de diffusion sont attribués aux chaînes privées, comment imaginer que la gauche porte ce type de projets pour le service public et remette à plus tard une grande et ambitieuse réforme de l’audiovisuel ?

Voulons-nous aggraver les conséquences d’une loi mal ficelée déjà en 2009 ou sortir de l’ornière à laquelle celle-ci a conduit ?

Par conséquent, c’est en reposant la question de l’ambition et des missions de service public qu’il faut indéniablement songer à dégager de nouvelles recettes pérennes pour France Télévisions et, pour les mêmes raisons, revoir le mode de désignation des présidents de l’audiovisuel public.

Des réformes fondamentales pour l’indépendance et la démocratisation des médias publics sont urgentes. Au-delà, c’est la remise en chantier de toutes les pistes de financement qui est nécessaire, le préalable étant, à nos yeux, la remise en cause immédiate des coupes budgétaires annoncées. À défaut, la confiance serait rompue avec les personnels de France Télévisions, sans lesquels aucun redressement ne sera possible.

Concernant la contribution à l’audiovisuel public, une remise à niveau reste nécessaire. Comment y parvenir ? par un élargissement aux résidences secondaires ? par l’augmentation de quatre euros déjà annoncée ? Je pose la question, car cela mérite discussion, mais, en tout état de cause, dans le contexte d’austérité actuel, toute mesure fiscale nouvelle devra intégrer des éléments de progressivité et s’inscrire dans une réforme fiscale plus globale, allant vers une réelle justice.

Alors que le taux de la redevance française est inférieur au taux européen moyen, ne pourrait-on envisager une augmentation par palier, avec des exonérations pour les foyers les plus démunis ?

Et faut-il envisager un retour de la publicité après 20 heures ?

M. le président. Il est temps de vous orienter vers votre conclusion, mon cher collègue.

M. Pierre Laurent. Certaines organisations syndicales le proposent, faute d’autres financements. Ce n’est pas la piste que nous privilégions, vous le savez, mais la situation mérite l’examen de toutes les propositions.

En revanche, et malgré le lobbying des chaînes de télévisions privées et le contexte de réduction des ressources publicitaires, nous pensons qu’il faudrait rétablir le taux de la taxe sur les chiffres d’affaires publicitaires au niveau prévu par la loi de 2009.

Au-delà, les rapports entre France Télévisions et les producteurs privés doivent être revus en profondeur pour redonner au service public la maîtrise des droits sur ce qu’elle finance, d’autant que France Télévisions – c’est un enjeu de taille – a une obligation d’investissements de 470 millions d’euros par an dans la production télévisuelle et cinématographique, investissements qui nourrissent, de fait, les producteurs privés.

Enfin, il faut continuer à travailler sur d’autres pistes, dont la taxe sur les agrégateurs de contenus, la fameuse « taxe Google ».

Telles sont les quelques brèves, trop brèves remarques que je souhaitais formuler. Une chose est sûre, et je terminerai sur ce point, le bilan de la loi de 2009 ne laisse d’autre option qu’une refonte profonde et rapide de la loi. Des pistes sont possibles, le calendrier est urgent. Il faut que la gauche agisse ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a peu, la Cour des comptes rappelait, à propos de France Télévisions, l’exigence de « préserver l’équipe dirigeante des atermoiements et revirements qui ont affecté la stratégie de l’entreprise au cours des dernières années ». En 2010, je reprenais ces propos en conclusion du rapport d’information sur les comptes de France Télévisions établi notamment au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. C’était un premier bilan de la réforme, et je regrette que vous ayez omis de le mentionner, monsieur Assouline.

Or, que constate-t-on depuis quelques mois ? La presse se fait le relais de déclarations discordantes au sein du Gouvernement sur ce dossier. Retour de la publicité après 20 heures, évolution de la contribution à l’audiovisuel public : on a eu droit à plusieurs annonces contradictoires qui ont inquiété le secteur.

De quoi avons-nous besoin, en réalité ? Que l’on garde le cap, certes compatible avec les contraintes liées à la crise économique. Ce cap, pour nous, est clair : adapter le service public aux enjeux de notre temps, marqué ces dernières années par le bouleversement du paysage audiovisuel avec, notamment, l’arrivée des nouvelles chaînes de la TNT et des mutations technologiques profondes et toujours plus rapides.

Le passage en entreprise unique sur le point d’aboutir ces jours-ci, l’instauration du global media, un nouveau cahier des charges et des missions, un bouquet de chaînes pertinent libéré de la tyrannie de l’audimat via la publicité, sont autant de questions toujours d’actualité ; le réaffirmer est un préalable.

La présentation officielle du projet de loi de finances pour 2013 aura un peu clarifié la position gouvernementale. Nous en reparlerons lors de la discussion de ce texte. Une chose est sûre, cependant : c’est le premier budget de l’audiovisuel public sous une majorité de gauche depuis dix ans ; mais, surtout, c’est la première fois que l’on constate une baisse des dotations à l’audiovisuel public ! Notre collègue David Assouline n’avait sans doute pas forcément cela en tête ces derniers mois... (M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois s’exclame.)

Je note l’abandon du retour de la publicité après 20 heures. Tant mieux, parce que, au-delà de la question de principe, vu l’état actuel du marché publicitaire, très dépressif, non seulement cela n’aurait pas produit les effets escomptés, mais, surtout, compte tenu de l’arrivée des six chaînes supplémentaires, cela aurait encore plus bouleversé l’équilibre du marché. Rappelons que, pour 2012, les pertes publicitaires pour France Télévisions sont évaluées à 50 millions d’euros.

Le groupe centriste était, je tiens à le rappeler, défavorable à cette arrivée précoce des chaînes supplémentaires avant que le modèle économique imaginé lors de la réforme de 2009 ne soit pleinement stabilisé.

Pour en revenir à l’application de la loi proprement dite, la question qui reste posée à ce jour est d’abord celle des financements, j’ai déjà eu l’occasion de le redire lors de la discussion du dernier projet de loi de finances en proposant un moratoire sur la suppression de la publicité avant 20 heures jusqu’en 2016.

Lors de l’examen de la loi de 2009, Michel Thiollière et moi-même, en tant que corapporteurs de ce texte, nous interrogions déjà. Nous avions ainsi fait inscrire dans le texte le principe de mise en œuvre d’un comité de suivi pour venir renforcer l’expertise sur cette question. Conscients que l’évolution de l’économie du secteur et de la crise conditionnerait celle du financement du service public audiovisuel, nous voulions ce comité, composé de quatre députés et de quatre sénateurs, afin de faciliter une application cohérente de la loi.

Le décret permettant la création du comité n’est toujours pas paru. Je le regrette, car les travaux de cette instance auraient éclairé efficacement la réflexion sur les évolutions nécessaires en matière de financement.