M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous abordons la dernière étape d’une longue séquence européenne par la discussion du projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, qui vient après l’examen, voilà une dizaine de jours, du projet de loi autorisant la ratification du TSCG.

Le Gouvernement, conformément à l’engagement du Président de la République, nous soumet donc un projet de loi organique. Cette solution qui, je le rappelle, a été validée a priori par le Conseil constitutionnel, consulté sur l’initiative du Président de la République, a le mérite de la simplicité. La précédente majorité, quant à elle, proposait de procéder à une révision constitutionnelle visant à créer une nouvelle catégorie de lois : les lois-cadres d’équilibre des finances publiques. Cela aurait introduit une complexité supplémentaire, un objet nouveau dans notre paysage constitutionnel : était-ce nécessaire ?

La proposition du gouvernement de Jean-Marc Ayrault a donc le mérite de la simplicité.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est surtout que vous n’avez pas la majorité des trois cinquièmes au Congrès !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Surtout avec vos amis politiques !

M. François Trucy. C’est un hold-up !

M. Richard Yung. Cela ne vous fait pas plaisir de l’entendre, mais avouez que ce que vous proposiez était une véritable usine à gaz !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous êtes motivés par de pures considérations arithmétiques !

M. Richard Yung. Aujourd'hui, il s’agit de fonder le dispositif sur un instrument déjà consacré par la Constitution, à savoir les lois de programmation des finances publiques. Partant, le Gouvernement fait preuve de responsabilité, de pragmatisme et d’efficacité.

De ce point de vue, sa proposition se distingue de celle de François Fillon, qui aurait eu pour résultat d’instrumentaliser la Constitution. La réforme constitutionnelle envisagée n’avait en fait qu’un but : masquer la détérioration des finances publiques au cours des dernières années en inscrivant dans la Constitution un taux magique de 3 % du PIB pour le déficit public, qu’il aurait d’ailleurs probablement fallu modifier dans l’avenir. Il s’agissait aussi de faire oublier le doublement de la dette publique, laquelle est passée de 800 milliards d’euros en 2002 à 1 700 milliards d’euros en 2012, soit près de 90 % du PIB, tandis que, dans le même temps, tous les autres indicateurs macroéconomiques connaissaient une grave détérioration : arrêt progressif de la croissance, augmentation du taux de chômage, passage dans le rouge des comptes publics, dégradation de notre balance commerciale, déficitaire de 72 milliards d’euros cette année alors qu’elle présentait un excédent de quelque 3 milliards d’euros en 2002.

Madame Des Esgaulx, vous nous avez donné toutes les recettes qu’il faudrait suivre. Que ne les avez-vous appliquées au cours des dix dernières années !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous vous y êtes opposés !

M. Richard Yung. Vous n’aviez pas la majorité, peut-être ? En réalité, votre principe, c’est faites ce que je dis, pas ce que je fais ! En effet, vous avez augmenté les dépenses publiques et détérioré l’ensemble des équilibres économiques.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La crise, ça vous dit quelque chose ?

M. Richard Yung. Nous allons nous trouver d’autres maîtres en économie ! Mme Beaufils a cité Adam Smith : c’est une référence que nous respectons tous.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Une référence très libérale !

M. Richard Yung. Oui, mais il a aussi été l’inspirateur de Karl Marx pour ce qui concerne la théorie de la valeur. Mme Beaufils a rappelé son observation en réponse aux plaintes des commerçants anglais quant au niveau des salaires, trop élevé selon eux. Cent cinquante ans plus tard, rien n’a changé : ce week-end, un groupe de patrons exprimait les mêmes plaintes dans le Journal du dimanche

Madame Des Esgaulx, vous nous reprochez par ailleurs de ne pas écouter la Cour des comptes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’écoutez rien de ce qui ne vous convient pas !

M. Richard Yung. Par vos propos, madame Des Esgaulx, vous semez le trouble parmi nos partenaires européens, en prétendant que nous n’aurions en réalité aucune intention d’appliquer la politique annoncée. Une telle attitude n’est pas responsable et porte préjudice à l’économie française.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mme Des Esgaulx n’est pas responsable des propos tenus par M. Bartolone ! Elle ne les a pas inventés !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’écoutez pas non plus M. Gallois ! Vous n’écoutez personne !

M. Richard Yung. Je ne suis pas le porte-parole de M. Bartolone ; il est assez grand pour vous répondre lui-même.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Dites que j’ai menti !

M. Richard Yung. MM. les ministres sauront également vous répondre tout à l’heure.

La mise en œuvre des dispositions du présent projet de loi organique aura des effets positifs sur les trois institutions impliquées dans la procédure budgétaire, à savoir le Parlement, le Gouvernement et le Conseil constitutionnel.

Il s’agit d’un dispositif respectueux de la souveraineté du Parlement en matière budgétaire.

M. Roland Courteau. Bien sûr !

M. Richard Yung. La loi de programmation des finances publiques constitue en effet un instrument de cadrage à moyen terme qui respecte les prérogatives du Parlement. Contrairement aux lois-cadres d’équilibre des finances publiques, les lois de programmation n’auront pas d’autorité supérieure à celle des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale, comme l’ont longuement expliqué M. le rapporteur général de la commission des finances et M. le ministre.

Ainsi, le législateur financier conservera toutes ses marges de manœuvre lors de l’examen, chaque année, des textes financiers. En d’autres termes, le Parlement ne sera pas entravé par le carcan d’une quelconque règle d’or. Il s’agit donc bien d’une avancée pour la démocratie parlementaire dans notre pays.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Richard Yung. Nous savons tous qu’un parlement bien informé et éclairé vote des lois de qualité. C’est pour cette raison que le présent projet de loi organique prévoit d’accroître et d’améliorer l’information du Parlement tout au long de la procédure budgétaire.

Tout d’abord, la formalisation du contenu des projets de loi de programmation des finances publiques permettra au Parlement de mieux apprécier la cohérence de ces textes avec les engagements européens de la France.

La description des modalités de calcul du solde structurel et de l’effort structurel, ainsi que la présentation de la méthodologie d’évaluation du PIB potentiel, qui figureront dans le rapport annexé au projet de loi, nous seront particulièrement précieuses. Ces notions constituent en effet le cœur de la loi de programmation.

Sur ces questions de méthode, messieurs les ministres, je souhaiterais connaître l’état d’avancement des travaux qui se déroulent actuellement au sein du comité de politique économique du Conseil ECOFIN. Plusieurs orateurs l’ont souligné, il est important que nous convergions en la matière à l’échelon européen.

Ensuite, l’enrichissement du projet de loi de finances d’un article liminaire comprenant un tableau synthétique concernant l’ensemble des administrations publiques donnera au Parlement une vision globale du solde structurel.

L’analyse des prévisions de solde – structurel, conjoncturel et effectif – figurant dans cet article liminaire sera de plus facilitée par la fusion de tous les rapports joints au projet de loi de finances de l’année en un seul et unique document retraçant l’ensemble des finances publiques.

Enfin, le Parlement bénéficiera des éléments d’appréciation contenus dans les avis du Haut Conseil des finances publiques ou fournis à l’occasion des auditions de son président par les commissions parlementaires.

Toute l’architecture du projet de loi organique repose sur le Haut Conseil des finances publiques, dont la création est probablement la proposition la plus innovante contenue dans ce texte. Cette instance a pour vocation de garantir une appréciation aussi sereine et fondée que possible des hypothèses de croissance du PIB, de l’évolution des dépenses et des déficits budgétaires structurels.

La recherche d’un jugement fondé sur l’expérience et la technicité, plutôt que sur la volonté de plier les chiffres aux exigences de la politique suivie, est quelque chose de nouveau dans la gestion des finances publiques françaises.

C’en sera fini de ces réunions à la direction du Trésor qui se concluaient, comme un conclave au Vatican, par l’apparition d’une fumée blanche annonçant un taux de croissance de 3 % ou de 4 %…

Mme Nathalie Goulet. Si seulement…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On est plus proche de 0,2 %, actuellement !

M. Richard Yung. Je parle du passé, monsieur le président de la commission des finances !

Je ne sais pas si l’on peut proclamer « habemus papam », mais c’est du moins un progrès, en termes de clarté et de transparence, pour la démocratie et la sincérité des comptes. Je crois que tout le monde en conviendra.

Un point qui mérite considération tient aux conditions de nomination des membres du Haut Conseil des finances publiques. Elles doivent garantir leur compétence et leur impartialité. Je ferai tout à l’heure, à l’article 8, une proposition visant à renforcer cette neutralité.

Par ailleurs, conformément à l’alinéa 2 de l’article 3 du TSCG, le mécanisme de correction prévu à l’article 16 du présent projet de loi organique « respecte pleinement les prérogatives » du Parlement. En effet, en cas d’écarts importants par rapport à la trajectoire budgétaire, il reviendra au Gouvernement de prendre des mesures de redressement, qui seront ensuite débattues au Parlement.

Ce dernier sera également libre de valider ou d’amender les mesures de correction proposées par le Gouvernement à l’occasion de l’examen du projet de loi financier déposé après le déclenchement du mécanisme de correction. Le Parlement jouera donc pleinement son rôle.

Le présent texte permet en outre de mieux valoriser les débats budgétaires pré-estivaux au Parlement.

L’obligation, pour le Haut conseil des finances publiques, de rendre un avis en vue du dépôt du projet de loi de règlement va contribuer à revaloriser deux débats budgétaires qui suscitent habituellement peu d’intérêt, à la veille de l’intersession estivale : je veux bien sûr parler de la discussion du projet de loi de règlement et du débat d’orientation des finances publiques. Ils seront désormais l’occasion, pour le Parlement, d’examiner les éventuels écarts importants à la trajectoire, de se prononcer sur les motifs invoqués par le Gouvernement et de prendre position sur les éventuelles mesures de correction proposées par le Gouvernement.

Par ailleurs, le Parlement sera davantage associé à la procédure du « semestre européen ».

Je me réjouis de constater que le projet de loi organique ouvre la voie à un renforcement du contrôle démocratique de la coordination des politiques économiques et budgétaires, dans le cadre de ce que l’on appelle la procédure du « semestre européen ».

Mme Élisabeth Guigou a fait adopter un amendement confirmant la possibilité, pour l’Assemblée nationale et le Sénat, d’organiser des débats sur les « documents produits par le Gouvernement et par les institutions européennes ». Cela signifie que, à l’avenir, nous pourrons nous prononcer non seulement sur les programmes nationaux de stabilité et les programmes nationaux de réforme, mais aussi sur l’examen annuel de croissance, les lignes directrices de la Commission européenne et les recommandations de celle-ci. Le Parlement pourra donc s’exprimer à toutes les étapes du semestre européen. Cela représente, me semble-t-il, un progrès important.

Enfin, le présent texte comporte un dispositif concourant à l’amélioration de la stratégie de finances publiques du Gouvernement.

Bien que les avis du Haut Conseil des finances publiques soient consultatifs, le Gouvernement sera politiquement contraint d’en tenir compte. À défaut, il risquerait de perdre tout crédit aux yeux du Parlement et de l’opinion publique. Pour autant, il sera soumis à une obligation de moyens, et non à une obligation de résultat, dans la mesure où le caractère automatique du mécanisme de correction des écarts tient seulement à son déclenchement.

En outre, la prise en considération du solde structurel permettra au Gouvernement de bénéficier de plus grandes marges de manœuvre.

Je note avec satisfaction que le Gouvernement a inscrit le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, que nous allons discuter en commission cette semaine et en séance publique la semaine prochaine, dans le cadre prévu par le présent projet de loi organique. L’Assemblée nationale l’a judicieusement adapté aux dispositions organiques qu’elle a récemment adoptées. Ainsi, l’objectif d’effort structurel annuel des administrations publiques figure désormais dans le corps même du projet de loi.

Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques sur les effets du présent projet de loi organique, relatifs en particulier à l’activité et au travail de contrôle et de proposition du Parlement, que je tenais à formuler. Le groupe socialiste soutient et votera le projet de loi organique qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.

M. Alain Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juin 2001, le Parlement adoptait un texte qui allait changer en profondeur les pratiques de la discussion budgétaire : je veux parler de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Ce texte a indéniablement revalorisé le rôle du Parlement et rendu les lois de finances plus lisibles et plus transparentes.

Aussi, plutôt que de réduire le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui à une simple traduction du fameux traité budgétaire européen ratifié il y a peu par la France, je crois qu’il faut au contraire le resituer dans un cadre historique plus large, pour en mesurer toute la portée.

En effet, si le présent projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques ne constitue pas un tournant historiquement aussi important que l’adoption de la LOLF, il en est en quelque sorte le prolongement.

Il apporte en effet des réponses à des questions que la LOLF avait laissées en suspens, malgré le travail de grande qualité réalisé conjointement par le gouvernement d’alors et le Parlement, en associant majorité et opposition.

Je pense par exemple à la logique pluriannuelle de la gestion des finances publiques, que la LOLF visait à encourager mais qui est aujourd’hui en échec. Le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, en renforçant et en précisant le rôle des lois de programmation des finances publiques, permettra de donner tout son sens à cette programmation pluriannuelle.

Une des raisons de l’échec actuel des programmations en matière de finances publiques tient au biais systématique consistant à se fonder sur des hypothèses de croissance beaucoup trop optimistes.

Or l’absence d’évaluation indépendante des prévisions macroéconomiques qui sous-tendent les lois de finances constitue un frein à l’exercice de ses prérogatives par le Parlement et à une gestion véritablement moderne des finances publiques.

Cela a été suffisamment dénoncé sur toutes les travées de cette assemblée, à l’occasion de l’examen des différents textes financiers, pour que l’on puisse, me semble-t-il, saluer la création d’un organisme indépendant chargé de vérifier la crédibilité de ces prévisions macroéconomiques : le Haut Conseil des finances publiques.

Encore faut-il que cette instance soit réellement indépendante, dans la désignation de ses membres comme dans sa réflexion, et qu’elle fasse preuve d’une véritable efficacité ! Dans le cas inverse, il ne faudra pas hésiter à revenir sur sa création. Quand on connaît le coût pour nos finances de l’addition de toutes ces autorités, ce serait un comble de tolérer un tel organisme s’il n’apporte pas une réelle plus-value à la construction du budget de la nation.

Malgré cette réserve, je félicite M. le rapporteur général de la commission des finances pour l’adoption en commission de son amendement tendant à préciser les modalités de fonctionnement du Haut Conseil des finances publiques, afin de mieux garantir son indépendance à l’égard de l’exécutif. Il était en effet indispensable de revenir sur l’ineptie qui consistait à laisser à un décret pris par le Gouvernement le soin de les définir !

Quoi qu’il en soit, disposer d’hypothèses macroéconomiques fiables est un progrès important. C’est même une nécessité démocratique. Nous rattraperons donc notre retard sur ce point par rapport à nos voisins, notamment le Royaume-Uni.

Ce projet de loi organique reprend d’autres innovations intéressantes prévues par le TSCG. Ainsi, il introduit le « pilotage structurel » des finances publiques. Or, comme mes collègues du RDSE l’ont souligné lors de la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité, il ne fait aucun doute qu’un objectif de solde structurel est plus pertinent économiquement.

Par ailleurs, des améliorations apportées à l’Assemblée nationale, mais aussi en commission des finances au Sénat, méritent d’être soulignées. Je pense notamment aux hypothèses de PIB potentiel, lesquelles constituent un élément important. Les députés ont renforcé les prérogatives du Parlement, et surtout ont garanti sa meilleure association aux procédures européennes.

Finalement, ce projet de loi organique est une « boîte à outils », selon l’expression de M. le ministre de l’économie et des finances, qui permettra d’améliorer le pilotage de nos finances publiques et d’en garantir la maîtrise.

« Réduire la dette publique pour préparer l’avenir », tel est le sous-titre choisi par le ministre de l’économie et des finances pour la loi de programmation pour les années 2012 à 2017, que la Haute Assemblée examinera la semaine prochaine et qui anticipe l’adoption du présent projet de loi organique. C’est en effet un enjeu majeur, un objectif que nous devons tous partager, indépendamment de l’adoption de tout traité ou autre norme.

En effet, une dette et un déficit trop élevés, c’est non seulement une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de nos enfants, mais aussi un handicap pour le présent. On ne le voit que trop clairement aujourd’hui, tant nos marges de manœuvre sont limitées – je ne peux me résoudre à les qualifier d’inexistantes ! – pour mener des politiques publiques ambitieuses au bénéfice de nos concitoyens et de nos territoires.

C’est pourquoi il n’y a pas d’autre solution dans l’immédiat que de combattre le déficit et la dette, en évitant toutefois de tomber dans une spirale d’austérité qui annihilerait la croissance, sans laquelle rien n’est possible.

Depuis le Conseil européen de juin dernier, grâce à François Hollande, la croissance est la nouvelle perspective de la France et de l’Europe. C’est dans ce cadre, plus vaste, qu’il faut resituer le présent projet de loi organique. Pour retrouver le chemin de la croissance, il faut avant tout, cela a été dit, rétablir la confiance. C’est bien là le premier mérite de ce texte.

Efficacité, transparence, mais aussi responsabilité : tels étaient les mots-clés de la LOLF, il y a plus de dix ans. C’est cette logique qui régit aujourd’hui le projet de loi organique soumis à notre examen. Garantir la crédibilité des engagements de l’État constitue une nécessité.

Sur les travées du groupe UMP, on a demandé au ministre de l’économie et des finances s’il était sûr que tout se passerait comme il l’a dit. Ce qui est sûr, aujourd’hui, c’est que l’ancienne majorité nous a légué un surcroît de dette de 600 milliards d’euros, 1 million de chômeurs supplémentaires et un taux de déficit public que nulle règle d’or, d’argent, de bronze ou d’acier n’est venue limiter ! Cela, c’est une certitude !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est surtout une belle caricature !

M. Alain Bertrand. Six mois après l’élection présidentielle, on ne peut tout de même pas demander au ministre de l’économie et des finances de prévoir avec certitude l’évolution de la situation pour les deux cents ans à venir !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On ne parlait pas de cela !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Profitez-en bien, vous serez moins fiers dans un an ! Profitez de la jeunesse de votre pouvoir !

M. Alain Bertrand. En conclusion, la très grande majorité des membres du RDSE votera le présent projet de loi organique. Il s’agit non pas de déléguer une quelconque partie de notre souveraineté budgétaire à l’Allemagne ou à l’Europe, ni de renoncer à nos objectifs en matière de croissance et de compétitivité, mais d’exprimer notre confiance en la capacité de François Hollande et de son gouvernement à faire bouger l’Europe, à rétablir les équilibres financiers qui ont été dégradés sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Il s’agit pour nous de répondre, par le biais de politiques nationales et européennes, aux besoins de nos concitoyens en matière d’emploi, de revenus, d’éducation, de santé, afin de rendre la France plus solide, plus efficace et plus juste. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est beau, la foi !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, membre de la commission des affaires étrangères, spécialiste du Golfe persique et du Caucase, je sollicite votre indulgence, n’étant pas une spécialiste des finances publiques. Néanmoins, depuis que j’ai été élue sénateur, je suis très attentive à la discussion des lois de finances, et M. le président Marini pourrait attester de mon assiduité.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !

Mme Nathalie Goulet. C’est donc avec un vif intérêt que j’ai pris des cours accélérés,…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous n’en aviez pas besoin !

Mme Nathalie Goulet. … la rigueur dans la gestion des finances publiques étant devenue une seconde nature dans le département de l’Orne, qui a à sa tête un ancien ministre délégué au budget, ancien président de la commission des finances du Sénat, père de la LOLF : je veux parler de notre excellent président Alain Lambert, désormais membre de la Cour des comptes.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Grande référence !

Mme Nathalie Goulet. Ce département est, vous l’aurez compris, exemplaire !

Lorsque l’on parle de finances publiques, il s’agit non pas seulement des finances de l’État, mais bien des comptes de l’ensemble des « administrations publiques ». Pour l’avenir de notre monnaie, les finances publiques, au sens de la comptabilité nationale, ce sont les comptes de l’État, ceux de la sécurité sociale, des administrations de sécurité sociale, ainsi que ceux des collectivités territoriales et des administrations publiques locales.

Monsieur le ministre, la fragilité du présent projet de loi organique résulte du caractère encore trop fragmenté de la programmation, de la gouvernance et de la gestion des finances publiques, qu’il est pourtant supposé renforcer.

À l’heure de l’interdépendance, chaque année grandissante, des comptes publics et de la croissance du nombre des politiques partagées, cette fragmentation est aussi regrettable que dangereuse pour notre avenir.

Comment pouvons-nous prétendre renforcer notre crédibilité auprès de nos partenaires européens et nous obliger à respecter durablement nos engagements si ce projet de loi organique n’embrasse pas l’ensemble des finances publiques au sens du périmètre de Maastricht ?

Dans l’immédiat, la mise en œuvre d’une nécessaire vision d’ensemble de nos finances est freinée par la lettre de l’article 34 de la Constitution. Mais il reste indispensable de faire progresser la transparence financière, et le présent projet de loi peut tendre à cet objectif en nous permettant d’utiliser tous les instruments à notre disposition.

Je pense, par exemple, aux annexes qui peuvent être ajoutées aux lois financières. À ce titre, il me semble insuffisant de nous contenter de prendre en compte les seuls soldes, sans décomposition en recettes et en dépenses.

Par ailleurs, le manque de visibilité, lors du passage entre les différentes comptabilités budgétaires, générales et nationales, empêche le suivi régulier de l’exécution de nos comptes à l’aune du programme de stabilité. Plus grave encore, rien n’est réglé s’agissant de l’opacité – disons plutôt l’absence inacceptable de transparence – dans les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales.

De ce point de vue, l’émergence d’une loi de finances des collectivités territoriales aurait quelque mérite. Cette idée se heurte au principe d’autonomie, cher aux élus mais dont la portée est en pratique réduite à sa plus simple expression, tant la dépendance financière est grande. D’ailleurs, le défaut de l’un entraînerait immanquablement le défaut de l’autre

Compte tenu de la fragmentation de la gouvernance, comment pourrions-nous souscrire à un régime de sanctions financières commun, sauf à ce que vous confirmiez, monsieur le ministre, la responsabilité financière solidaire et indéfinie des administrations publiques relevant du périmètre de Maastricht ?

Si l’unicité de la gouvernance n’est pas renforcée, on pourra légitimement douter de la portée effective des dispositions du présent projet de loi organique. La programmation et la gouvernance des finances publiques ne seraient alors qu’une formule creuse figurant dans l’intitulé du texte, et si j’osais, me référant au titre d’une chronique du professeur Bouvier, cosignée par Alain Lambert, je vous dirais, monsieur le ministre : « La transparence, c’est maintenant ! » (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin.

M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Marie-Hélène Des Esgaulx a exprimé très clairement la position de notre groupe : si nous sommes favorables à la mise en place d’une trajectoire d’équilibre de nos finances publiques, comme nous y engage désormais le TSCG, dont nous avons autorisé la ratification, nous nourrissons des doutes sérieux sur la pertinence des moyens que le Gouvernement entend utiliser pour atteindre cet objectif. Nous aurons l’occasion de discuter de ce sujet de manière approfondie lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2013.

À ce stade, dans le cadre de l’examen du présent projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, je souhaiterais mettre l’accent sur les limites que nous sommes en passe d’atteindre, si elles ne l’ont pas déjà été, en matière d’endettement public.

En première approche, nous pourrions nous réjouir que la charge de la dette publique diminue, particulièrement en cette année 2012, puisqu’elle a baissé par rapport aux projections de la loi de programmation et aux prévisions de la loi de finances initiale.

Ainsi, selon les chiffres du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2013, la charge de la dette – c’est-à-dire les intérêts – représentera 46,3 milliards d’euros en 2011.

Malheureusement, il ne s’agit là que d’un effet de perspective. En effet, actuellement, nous bénéficions de taux d’intérêt, notamment à court terme, historiquement bas. Ce fait s’explique par une situation économique meilleure que celle de nos voisins de la zone euro, l’Espagne et l’Italie par exemple. Permettez-moi d’insister sur ce point, ce n’est donc qu’au regard de la situation de ces pays que les titres émis par la France sont devenus des valeurs refuges et sont assortis de faibles taux de rémunération : notre économie n’est pas pour autant repartie sur un trend favorable. La nuance est d’importance et dissimule les plus grands risques pour l’avenir.

D’ailleurs, en volume, la charge de la dette demeure le deuxième poste de dépenses du budget de l’État, juste après l’éducation nationale, et notre endettement, c’est-à-dire le stock d’encours, continue d’augmenter : cette année, la dette publique s’élèvera à 89,9 % du PIB ; l’année prochaine, elle devrait atteindre 91,3 % du PIB.

La structure de notre dette, marquée par une croissance de la part des titres indexés sur l’inflation et un accroissement de l’endettement à moyen et à long termes, n’est d’ailleurs pas sans susciter des inquiétudes quant à l’évolution future des charges de remboursement.

Nous sommes ainsi en train de franchir le seuil des 90 % du PIB, dont les historiens de l’économie Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont démontré la dangerosité. Certes, ce taux n’est pas un absolu et ne détermine pas un niveau de soutenabilité de la dette publique ; mais, au regard des travaux menés par les deux économistes précités, il apparaît comme la limite prudentielle au-delà de laquelle la dette menace les perspectives de croissance.

Les pièges de l’endettement public sont nombreux, connus et d’une totale actualité.

Il y a d’abord le risque de la captation de l’épargne privée au détriment de l’investissement des entreprises. Au-delà de l’augmentation des prélèvements fiscaux, c’est d’ailleurs le plus grand risque que le projet de loi de finances pour 2013 fait peser sur l’avenir de notre économie. Avec la croissance de l’endettement public, n’y a-t-il pas une menace d’attrition des ressources de l’épargne active destinée au financement des entreprises ? La santé de celles-ci dépend non seulement du niveau de leurs coûts, mais aussi des possibilités de financement de leur essor ou de leur maintien en activité.

Malheureusement, cet endettement public finance pour l’essentiel des dépenses courantes, et non de l’investissement. Cela signifie que la diminution des fonds prêtables correspond non pas à une simple substitution du public au privé dans l’investissement, mais à une véritable destruction d’épargne.

Si l’on ajoute à cela l’effet restrictif que ne manquent pas de provoquer les nouvelles règles de Bâle III, on peut craindre un décrochage de l’offre d’épargne destinée aux investissements actifs. Nous risquons alors de devoir constater une sorte de maladie de langueur de notre économie.

Réduire les déficits et l’endettement est donc devenu aujourd’hui un impératif, du fait de la crise européenne de la dette souveraine et de la sensibilité des réactions des marchés. C’est le seul moyen de retrouver des marges de manœuvre et d’assurer l’indépendance nationale. Dans cette perspective, des efforts sont nécessaires ; ils ne peuvent que s’inscrire dans la durée. C’est pourquoi nous sommes favorables à la détermination d’une règle d’or organisant une baisse tendancielle du niveau de déficit et d’endettement.

Réduire la dette est un chemin difficile, je le concède, parce que nous nous trouvons dans une situation tout à fait nouvelle. En effet, historiquement, des dettes d’une telle ampleur, apparues le plus souvent après des guerres, n’ont été résorbées que par la croissance, par l’inflation ou par la dévaluation, ces deux dernières pouvant être combinées.

Or il est clair que le recours à l’inflation ou à la dévaluation, au sein de la zone euro, est aujourd’hui une voie impossible. Cela supposerait de modifier les objectifs d’intervention macroéconomique de la BCE et, surtout, de convaincre l’Allemagne, où le précédent d’une période d’hyperinflation entre les deux guerres mondiales, avec ses conséquences politiques, est de triste mémoire.

Hormis l’inflation, il nous reste quelques outils, dont il faut panacher habilement l’usage. Quels sont-ils ?

Je citerai, tout d’abord, le maintien de taux d’intérêt bas le plus longtemps possible. C’est tout le sens des interventions de la BCE, mais cela ne dépend pas de nous et de tels taux ne seront de toute façon pas éternels, eu égard au contexte international, notamment sur le plan pétrolier.

Je mentionnerai ensuite la réduction du déficit primaire, l’augmentation des impôts, le soutien à la croissance potentielle. Or c’est bien au regard de ces trois derniers moyens que l’action du Gouvernement paraît pécher par manque d’ambition et de cohérence.

Monsieur le ministre, vous misez tout sur l’augmentation des impôts, au risque de créer un choc tel que, finalement, les rentrées fiscales ne seront pas au rendez-vous et n’atteindront pas le niveau espéré, surtout avec un taux directeur de l’équilibre de nos finances fixé à 0,8 % l’an prochain !

Vous parlez beaucoup de soutien à la croissance potentielle, mais le passage à l’acte est lent à se manifester. La croissance potentielle est celle que recèle la combinaison de nos ressources en facteurs de production, en travail, en capital et en innovation. Le cœur du potentiel de croissance correspond, à un moment donné, à la population active, à l’investissement et à la productivité que permet le progrès technique.

Sur ces différents plans, nous sommes en panne. Certes, la population active évolue quelque peu, mais elle est affectée par le chômage et, dans maints secteurs, ses qualifications sont inadaptées. Le capital lié à l’investissement est affecté par le manque de perspectives des chefs d’entreprise et la raréfaction des sources de financement. Quant à la productivité des facteurs, elle s’est effondrée depuis des années.

En conséquence, le potentiel de croissance, qui était estimé voilà encore une dizaine d’années à un peu plus de 2 %, n’est plus que de 1,2 % ! Voilà la réalité qu’il faut empoigner ! Et cela ne se fera pas en sept jours ! C’est sur les perspectives offertes aux chefs d’entreprise qu’il faut jouer dès maintenant, car c’est de cette catégorie, vilipendée par le Gouvernement, que dépend la décision d’investir. Que vous le vouliez ou non, l’enclenchement d’un processus de croissance est lié au degré d’optimisme de ceux qui investissent. Ce n’est pas en faisant la morale aux chefs d’entreprise que l’on améliorera les perspectives de croissance ! En ce domaine, la morale n’ajoute rien au raisonnement économique !