M. Stéphane Le Foll, ministre. Notre but, c’est au contraire d’éviter l’isolement.

L’ensemble des pays d’Europe centrale sont prêts à soutenir la PAC. Toutefois, si vous leur dites : « On poursuit la PAC, mais on vous abandonne totalement sur la politique de cohésion », vous n’aurez plus le moindre soutien ! Cela, il faut bien le comprendre. Au demeurant, je vous rappelle que la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède ainsi que l’Allemagne ne seront pas les premiers à monter au front pour défendre la PAC. (M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.)

Ainsi, je vous l’affirme de manière claire et sincère : la politique conduite en la matière par le précédent gouvernement nous conduisait à l’échec ! A contrario, notre stratégie nous place au cœur du débat et nous permet de nouer des alliances avec de nombreux autres pays. La ligne franco-espagnole a été d’une solidité remarquable. L’Italie a suivi, et nous avons pu, avec la Pologne, garantir un équilibre général au niveau budgétaire.

C’est la bonne stratégie, j’en suis pleinement convaincu, pour avoir moi-même exercé les fonctions de vice-président du Parlement européen : sur ce sujet, je sais ce qu’il fallait faire, et surtout ce qu’il ne fallait pas faire – à savoir ce que vous aviez commencé à faire avant que nous n’arrivions aux affaires, au mois de mai.

En second lieu, je vous répondrai sur la question laitière. La contractualisation est en cours, dans le cadre du paquet « lait », après la crise majeure qu’a connue la filière en 2008. Sachez cependant que la contractualisation ne résout en rien le problème posé dans le domaine de la production laitière.

À cet égard, deux questions se posent. Premièrement, que se passe-t-il après les quotas laitiers ? Sur ce plan, la France va prendre des initiatives. Deuxièmement, la contractualisation instaurée par la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche devra évoluer à l’avenir.

En effet, le dispositif que vous avez mis en œuvre n’est pas suffisant, notamment en ce qui concerne la prise en compte des indicateurs de prix : le contrat doit permettre aux agriculteurs de disposer d’une visibilité plus grande qu’à l’heure actuelle. C’est tout l’enjeu des groupes mis en place au niveau de FranceAgriMer. Ces derniers rendront leurs conclusions à la fin de l’année. Dès lors, nous modifierons le système existant pour permettre aux producteurs de s’organiser et faire en sorte qu’ils puissent peser sur les arbitrages en termes de quantités et surtout de prix. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour la réplique.

M. Jean Bizet. Monsieur le ministre, vous comprendrez aisément que je ne souscrive pas à la première partie de votre analyse.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je le comprends !

M. Jean Bizet. Par ailleurs, vous avez clairement affirmé qu’il existait un axe fort entre la France et l’Espagne. Pourquoi pas ? Toutefois, à mon sens, celui-ci s’est constitué au détriment d’un axe bien plus fort lorsqu’il s’agit de faire avancer l’Europe : je songe naturellement au couple franco-allemand. Nous verrons bien comment se termineront les négociations, puisqu’elles doivent se conclure à l’unanimité.

J’admets volontiers qu’il faut nouer un certain nombre d’alliances. C’est ce qu’avait fait votre prédécesseur, M. Bruno Lemaire,…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Non !

M. Jean Bizet. … mais ce n’est pas du tout ce que j’ai cru percevoir depuis que vous êtes à la tête de ce ministère. Nous verrons bien ! Donnons-nous rendez-vous dans quelques mois.

Quant à la contractualisation, il est évident qu’elle n’en est qu’à ses débuts. L’utilisation des indicateurs de tendance est fondamentale pour la vitalité et la pérennité des contrats qui doivent lier les agriculteurs et les entreprises. Sur ce sujet également, j’attends d’observer les résultats. Je souhaite que des messages forts soient spécifiquement adressés à la profession agricole, dont les membres ont besoin d’être soutenus pour pouvoir se regrouper : de fait, c’est le seul moyen de peser dans la détermination de la valeur ajoutée au sein de la filière.

M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.

M. Gérard Roche. Monsieur le ministre, comme de nombreux collègues députés et sénateurs, comme de nombreux agriculteurs français, et comme vous, je le sais, je suis préoccupé par les négociations européennes relatives au budget de la PAC.

Les coupes proposées par le président de l’Union européenne sont inadmissibles. Elles amputent notamment de 4,7 % le financement du premier pilier de la PAC, et de près de 4,9 % le montant consacré au paiement des aides directes.

Je salue votre volonté de limiter la diminution du budget consacré à la PAC. Cet engagement de la France pour son agriculture est nécessaire. Vous devez être ferme et constant – je sais, du reste, que vous le serez – comme l’ont été vos prédécesseurs, dont il faut saluer l’action.

Néanmoins, je suis particulièrement inquiet concernant le niveau et le modèle de redistribution du soutien direct. La convergence prévue à compter de 2015 équivaudrait à une forme d’uniformisation de ces aides par le bas. Elle pourrait donc entraîner une restriction du soutien à l’hectare pour nos agriculteurs et, partant, pénaliser les plus fragiles d’entre eux.

Au passage, mes chers collègues, je vous signale que, lorsqu’un producteur laitier de mon département, la Haute-Loire, se rend à Paris, il doit vendre dix litres de lait pour pouvoir s’offrir un café dans un bar des Champs-Élysées ! (Exclamations.)

M. Bruno Sido. Bravo !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est un endroit particulièrement cher !

M. Gérard Roche. Comment peut-on leur infliger cela tout en affirmant que le droit à paiement unique ne doit s’élever qu’à 250 euros par hectare ?

Monsieur le ministre, je vous propose au contraire d’augmenter les DPU pour les 50 premiers hectares et de les réduire, en contrepartie, au-delà de 300 hectares. Cette solution permettrait d’équilibrer les demandes de crédits que la France adresse à l’Union européenne et de soutenir, parallèlement, nos agriculteurs. Je sais que certains de nos collègues députés vous ont déjà suggéré ce dispositif et que vous y êtes vous-même plutôt favorable. Malheureusement, nos partenaires européens, notamment l’Allemagne, y semblent hostiles.

Monsieur le ministre, quelle est votre opinion sur ce sujet ? Où en sont les négociations ? Cette proposition peut-elle fructifier ?

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le sénateur, vous m’avez tout d’abord interrogé de manière globale en exprimant votre inquiétude face à l’évolution des aides et surtout face à cette fameuse convergence de ces dernières. Il s’agit effectivement d’un enjeu capital.

Ainsi, depuis le début de cette bataille, le combat que je mène s’appuie sur la conviction qu’un découplage total des aides, avec un taux unique à l’hectare pour l’Europe entière, constitue un risque majeur. (M. Jean-Claude Frécon acquiesce.) De fait, un tel dispositif ouvrirait la voie à la spécialisation de l’agriculture au sein de grandes zones européennes. Dans ce cadre, la France deviendrait la grande zone de production céréalière, le grenier à blé de l’Europe, mais perdrait un champ d’activité majeur pour l’emploi et la valeur ajoutée : la transformation de ces céréales, en particulier pour les filières des viandes bovine ou porcine, ou encore dans les exploitations laitières, bref dans toutes les productions d’élevage. (M. Yves Chastan et Mme Odette Herviaux acquiescent.)

Pour nous, tout l’enjeu est d’imposer la prise en compte de cet aspect du problème, tout en défendant, via le couplage des aides, les positions que vous avez évoquées concernant l’agriculture de montagne, et notamment le pastoralisme. Tous ces éléments seront pris en compte, ainsi que les indemnités de compensation du handicap, sans oublier, bien entendu, la prime à la vache allaitante. Nous ne lâcherons pas là-dessus !

Ensuite, sur la question des DPU, notamment pour ce qui concerne leur plafonnement, comme sur la prime aux premiers hectares, le véritable problème à l’échelle européenne est le suivant : à l’heure actuelle, il est très difficile d’opérer des transferts. Il y a quelques années, Michel Barnier a employé le système de la modulation des aides pour opérer le transfert d’une partie des aides consacrées aux céréales vers les productions fourragères et herbagères, donc vers l’élevage.

Avec la prime aux premiers hectares, nous allons procéder, en partie, à ce type de transfert, pour éviter que la perte de DPU d’une partie des exploitations de polyculture-élevage ne remette en cause leur viabilité économique même. Parallèlement, il nous faut assurer une nouvelle répartition des aides à l’échelle de notre pays. Là est l’enjeu de tout ce débat.

Concernant le plafonnement, j’ai déjà mentionné le véritable problème : certains pays s’y opposent d’une manière très claire. Voilà pourquoi, même si j’y suis pour ma part favorable, je n’ai pas axé la proposition de la France sur ce seul sujet, sachant que, au bout du compte, je me heurterai à de très fortes oppositions de la part d’un certain nombre de pays, notamment l’Allemagne.

Comment ce pays justifie-t-il cette position ? Dans les anciens Länder est-allemands, subsistent des exploitations héritées du modèle communiste, qui atteignent 1 000 à 1 500 hectares et sur lesquelles ont été mis en place des coopérateurs agricoles. Les Allemands considèrent donc que le plafonnement des aides à l’hectare reviendrait à remettre en cause des emplois dans ces territoires, et ils ne l’accepteront jamais ! Cette position a été très clairement réaffirmée par l’Allemagne.

Ainsi, nous sommes obligés d’envisager non pas seulement l’idée du plafonnement, mais aussi la dégressivité des aides. (Mme Bernadette Bourzai acquiesce.) C’est tout l’enjeu de la question des premiers hectares : parvenir à prouver qu’une telle dégressivité est possible et, surtout, qu’il est prématuré d’instituer un taux unique à l’hectare.

Au surplus, s’il était totalement découplé, ce taux unique conduirait à la spécialisation de grandes zones de production agricole à l’échelle de l’Union, en fonction de leurs avantages comparatifs. Cela, nous ne le voulons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.

M. Joël Guerriau. Monsieur le ministre, nous avons bien entendu votre réponse. S’il y a un point sur lequel la France est mal à l’aise, c’est bien la convergence des niveaux d’aide.

J’ai souvenir de vous avoir entendu sur une station de radio : alors qu’un journaliste vous interrogeait au sujet du grand écart des niveaux d’aides entre filières, en particulier entre les éleveurs et les céréaliers, vous avez habilement éludé la question en répondant sur la convergence externe, c'est-à-dire sur les écarts de niveaux d’aide entre États membres.

Toutefois, le dossier le plus épineux reste évidemment celui de la convergence interne. Vous l’avez rappelé, une première étape a été franchie en 2008 lors du bilan de santé de la PAC. On se souvient des difficultés éprouvées par M. Barnier pour faire accepter une modeste redistribution des aides, des céréaliers vers les éleveurs. Or ce premier pas n’est rien au regard de l’objectif d’un taux unique à l’hectare, même régionalisé ! (M. le ministre acquiesce.)

Nous comprenons la réticence que vous pouvez éprouver à évoquer ce sujet, car l’application d’une telle mesure sera naturellement très difficile, tant elle implique des redistributions entre secteurs, voire entre exploitations.

La proposition française qui consiste à valoriser les aides consacrées aux cinquante premiers hectares, semble avoir la faveur de M. Cioloş. Avez-vous fait des estimations pour évaluer les conséquences que cette mesure emporterait dans la distribution de ces aides ? Ce sera vraisemblablement l’une des difficultés majeures de l’application à la France de la réforme de la PAC. J’espère que le Gouvernement sera à la hauteur de ce rendez-vous.

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le ministre, ma question portera sur deux points. Le premier a déjà été largement abordé : il s’agit de l’état d’avancement des négociations sur l’avenir de la PAC. Le second a trait à la répartition des aides dans notre pays, que M. Guerriau vient d’évoquer : il s’agit de la convergence interne.

La réforme de la PAC était le principal point de l’ordre du jour du Conseil dont vous revenez tout juste, et je ne doute pas que le sommet européen des 22 et 23 novembre dernier n’ait eu quelques incidences sur vos travaux puisque, pour l’heure, les États membres ne sont pas encore parvenus à un accord sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Comment pourrions-nous déterminer une politique agricole ambitieuse sans en connaître les financements ?

Voilà pourquoi nous saluons les efforts et la détermination du Président de la République, qui défend fermement un budget européen ambitieux, maintenant des montants suffisants pour la PAC tout en permettant de relever les défis de la cohésion, du soutien à la croissance et à l’emploi en Europe.

Vous avez déjà largement répondu à la question de l’état des négociations consacrées au montant de la PAC. Néanmoins, je souhaiterais obtenir des précisions quant à la répartition des fonds agricoles entre le premier et le deuxième pilier, à savoir entre les aides directes et le développement rural, dont la précédente négociation, pour la période 2007-2013, avait amputé les montants de 35 % ! À mon sens, c’était là un mauvais choix en termes de développement rural, d’innovation, de recherche et de capacité effective de valorisation des productions sur place.

Quant à l’impact national de la réforme de la PAC, vous pouvez compter sur notre soutien, dans vos efforts pour intégrer de nouveaux objectifs en termes d’emploi, de préservation de l’environnement et de répartition plus équitable des aides, préservant en priorité les filières qui en ont le plus besoin.

Vous le savez, tous les systèmes de production ne sont pas placés dans la même situation. Certains sont fortement employeurs de main-d’œuvre, d’autres beaucoup moins. Certains subissent la volatilité des prix – je songe notamment à l’élevage – et d’autres en sont bénéficiaires. La diversité de notre agriculture est une richesse. Elle constitue également une source d’inégalités qu’il convient de réduire pour légitimer la PAC.

Voilà pourquoi je vous pose cette question : comment maintenir et développer l’emploi en milieu rural, favoriser le système de polyculture-élevage, éviter une trop forte orientation vers les productions céréalières et maintenir les petites et moyennes exploitations, qui demeurent les garantes du maintien de l’agriculture dans nos territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Chère Bernadette Bourzai, vous m’interrogez tout d’abord sur l’articulation du premier et du deuxième pilier.

Si les aides à la production constituent, au sein du premier pilier, un objectif important dans la négociation pour l’équilibre général et la redistribution, la bataille va principalement porter sur le deuxième pilier. Comme toujours, la tentation existera de le revoir à la baisse. Vous pouvez toutefois compter sur notre mobilisation dans les semaines qui viennent, parce que nous avons besoin de ce deuxième pilier pour accompagner les politiques du premier pilier.

Vous évoquez ensuite la question des différents outils à notre disposition.

S’agissant des primes aux premiers hectares, que je viens d’évoquer, l’enjeu sera de cibler les exploitations se situant autour de la moyenne en termes d’hectares, notamment dans l’élevage et la polyculture-élevage, ces exploitations étant celles qui concentrent le plus d’emplois, cet aspect correspondant pour nous à une préoccupation essentielle.

On devra ensuite ajouter à ces objectifs la question du couplage des aides, dont j’ai déjà parlé. En effet, si l’on ne compense pas les handicaps, la viabilité économique d’un grand nombre d’exploitations ne sera plus assurée.

Pour l’élevage, le maintien d’un couplage sur les vaches allaitantes est un enjeu.

Tout cela se combine pour aller dans le sens de vos préoccupations : faire en sorte que cette réforme de la politique agricole permette d’assurer une redistribution et de se concentrer sur les points essentiels que sont l’occupation de l’ensemble de notre territoire, facteur de diversité de l’agriculture, ainsi que l’emploi, bien sûr. Dans la période actuelle, vous vous en doutez, la question de l’emploi doit figurer au cœur des politiques qui sont conduites. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, pour la réplique.

Mme Bernadette Bourzai. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je partage l’essentiel de vos préoccupations.

Voilà peu, j’étais à Nicosie pour la réunion des parlements nationaux sur l’avenir de la PAC. Votre proposition de « surprimer » les premiers hectares a été accueillie favorablement par le commissaire Dacian Ciolos, en réponse à une question de Germinal Peiro. Je pense donc que M. Ciolos prêtera une oreille attentive à cette question.

La semaine dernière, j’assistais également au colloque sur l’emploi qu’organisait, à Clermont-Ferrand, la FNSEA – vous voyez, mes chers collègues, que nous allons partout ! –, et je peux vous dire que la question des handicaps naturels, mais aussi le souci d’avoir des campagnes à la fois viables économiquement et vivables socialement sont vraiment au cœur des préoccupations des agriculteurs et des éleveurs du Massif Central, préoccupations qui, si je vous ai bien entendu, monsieur le ministre, sont aussi les vôtres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Hier, les sénateurs du groupe CRC s’opposaient au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro.

Aujourd’hui, dans les négociations sur le budget européen, la France se heurte de plein fouet à l’austérité organisée par ce pacte qu’elle a accepté. Comme vous le savez, monsieur le ministre, la réforme de la PAC est largement hypothéquée par l’accord sur le cadre financier pluriannuel européen pour la période 2014-2020. Dans ce contexte, nous partageons vos craintes sur l’avenir de cette politique fondatrice de l’Europe.

Cette crainte est d’ailleurs renforcée par le virage très libéral de la réforme de la politique agricole commune, qui ignore tant les exigences de solidarité que les exigences sociales.

C’est précisément sur la négation de ces dernières que je voudrais vous interroger.

D’une part, si les instances européennes proposent une conditionnalité des aides liée au nombre d’emplois sur une exploitation, la conditionnalité sociale n’existe pas. Comment lutter, monsieur le ministre, contre les pratiques innommables de sociétés d’intérim, véritables marchandes d’hommes, qui vantent les avantages de l’embauche de travailleurs d’autres pays de l’Union européenne, laquelle autorise dans ce cas une exemption de cotisations sociales. Quelles propositions portera la France pour mettre fin à ce dumping social néfaste à l’ensemble du secteur ?

D’autre part, nous sommes très inquiets quant à la survie de l’aide alimentaire, qui risque d’être la première victime de l’austérité. De quoi parle-t-on ? De moins de 500 millions d’euros, pour permettre à 18 millions de personnes de manger une fois tous les deux jours, alors que 400 milliards d’euros ont été mobilisés pour sécuriser les banques !

De plus, le nouveau fonds européen d’aide aux plus démunis sera cofinancé à hauteur de 15 % par les États ? Il est à craindre que cela ne se traduise, encore une fois, par une baisse significative des financements.

Quels engagements pouvez-vous donc prendre pour répondre aux associations et aux banques alimentaires qui viennent en aide, en Europe, à plus de 18 millions de personnes chaque année ? La France va-t-elle agir en faveur d’un maintien des dotations jusqu’alors attribuées ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous avez évoqué plusieurs sujets, monsieur le sénateur, au premier rang desquels la question des traités et de l’austérité, vue comme la solution mise en œuvre pour régler en partie le problème de la dette, qui se pose à de nombreux de pays.

De deux choses l’une, monsieur Watrin : soit il y a une dette, soit il n’y en a pas ! Si l’on considère qu’il n’y en a pas, il n’y a pas de raisons de vouloir la réduire ! En revanche, si l’on considère qu’il y a une dette et qu’il faut la rembourser, nous devons en tenir compte ! On ne peut pas faire comme si le problème n’existait pas ! Il y a donc des efforts à faire, et c’est précisément la voie sur laquelle s’est engagée la France. En même temps, on doit pouvoir mobiliser des fonds pour soutenir la croissance.

Vous avez également évoqué des sujets qui sont connexes à la politique agricole. Le fait que des travailleurs puissent être embauchés sans donner lieu à cotisations sociales ou même qu’ils travaillent dans des pays de l’Union selon les standards de leur pays d’origine, et non du pays d’accueil, ne relève pas de la PAC, mais de la directive relative au détachement des travailleurs, qui autorise des entreprises à avoir recours à de la main d’œuvre employée dans des conditions qui n’ont rien à voir avec celles qui sont en vigueur dans le pays d’accueil.

C’est un véritable problème, qui ne concerne pas spécifiquement la politique agricole, mais, plus globalement, la politique du travail, du temps de travail et des détachements. Voilà un vrai sujet d’harmonisation sociale à l’échelle européenne ! Tout comme vous, monsieur le sénateur, je suis convaincu qu’on ne peut laisser perdurer de telles pratiques en Europe.

Mais nous avons aussi des divergences fondamentales avec certains de nos voisins. Ainsi, dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire, à l’heure actuelle, en Allemagne, il n’y a pas de conventions collectives. Comme vous le savez sans doute, mesdames, messieurs les sénateurs, outre-Rhin, les salaires minimaux sont décidés par des conventions collectives de branche, tout du moins dans le secteur industriel, car ces conventions n’existent pas dans les secteurs de l’agroalimentaire et de l’agriculture.

Les Allemands ont donc un avantage concurrentiel qu’il nous est difficile de contrecarrer. C’est la question de l’harmonisation sociale à l’échelle européenne qu’il faut poser. On peut également souhaiter, d’ailleurs, que le débat progresse en Allemagne à propos du SMIC.

Quant au programme européen d’aide aux plus démunis, le PEAD, la position du Gouvernement a été claire dès le départ : nous soutenons qu’il faut maintenir une ligne budgétaire pour ce programme, car il ne serait pas compréhensible, pour tous les citoyens européens, que, à l’heure où 18 millions ou 19 millions d’entre eux ont du mal à accéder à l’alimentation, on coupe cette ligne budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour la réplique.

M. Dominique Watrin. Monsieur le ministre, je sais que nous n’avons pas la même appréciation du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, mais je retiens de votre propos que nous partageons les mêmes préoccupations sur la nécessité de lutter contre l’exploitation des travailleurs et les fraudes aux règles liées au détachement des salariés.

Il me semble vraiment important que, sur ce problème qui dépasse en effet le champ du secteur agricole, l’ensemble des forces de gauche portent ces exigences fortes, y compris, le cas échéant, en demandant une renégociation de la directive européenne si celle-ci n’est pas satisfaisante en l’état.

En ce qui concerne le programme européen d’aide aux plus démunis, la réduction de l’effort européen, alors que l’Europe libérale est la grande responsable de l’augmentation de la pauvreté, serait encore un coup porté à l’exigence d’une Europe des peuples solidaire. Nous n’accepterons pas ce recul, alors que la précarité fait d’année en année plus de victimes.

Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de mon département : avec 3 200 tonnes de nourriture distribuées par an, la Banque alimentaire est l’une des trois principales associations « frigo » françaises. Le Secours populaire du Pas-de-Calais a pu, l’an dernier, distribuer un million de repas, dont ont bénéficié 4 200 familles, soit 20 000 personnes. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, la question est loin d’être anecdotique. Car il n’est pas exagéré d’affirmer que l’Europe est peut-être en passe d’affamer ses peuples ! Il y a donc urgence à obtenir des réponses et des engagements concrets pour qu’il n’y ait aucune diminution des aides pour l’aide alimentaire, et je vous remercie des propos que vous avez tenus sur ce point, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Des centaines de producteurs laitiers, venus de plusieurs pays européens, ont convergé lundi vers le Parlement européen, qu’ils ont aspergé de lait, pour y manifester contre la baisse des prix en Europe.

En 2009, la production de lait avait été surabondante en Australie et en Nouvelle-Zélande, les poids lourds mondiaux de cette production.

Or, dans le même temps, la crise économique avait provoqué une chute de la consommation mondiale de produits laitiers, d’où un effondrement des prix internationaux qui avait provoqué une baisse de la rémunération des éleveurs européens.

Cette année, la situation est très différente : les prix mondiaux du lait continuent de se redresser, alors qu’on aurait pu penser qu’ils se tasseraient puisqu’on est au plus fort de la production en Océanie et que la collecte s’annonce encore très belle en Australie et en Nouvelle-Zélande. Mais, contrairement à 2009, la demande mondiale reste très forte : la Chine importe et la Russie est fortement acheteuse, tout comme le Moyen-Orient ; cela explique la fermeté persistante des prix mondiaux.

Paradoxalement, les producteurs européens ne profitent pas de cette formidable croissance de la consommation. D’une part, ils pâtissent de la guerre des prix entre industriels et distributeurs ; d’autre part, ils sont affectés par les prix du fourrage, devenus exorbitants avec la hausse du prix mondial des céréales.

Les Néo-Zélandais ne connaissent pas ce handicap européen des aliments du bétail puisque les bêtes sont très largement nourries dans les pâturages. Par ailleurs, le poids des charges et des normes est sans doute plus élevé chez nous qu’ailleurs.

Nos éleveurs sont découragés et la collecte est d’ailleurs en baisse cette année.

Monsieur le ministre, tout à l’heure, en réponse à Jean Bizet, vous avez indiqué que la France allait prendre des initiatives. Pouvez-vous nous en dire un tout petit peu plus ? S’agit-il d’initiatives dans le cadre de la négociation européenne en cours ? En quoi l’évolution du budget du ministère de l’agriculture pour 2013 préfigure-t-elle ces initiatives ? En quoi les agriculteurs, et singulièrement les producteurs de lait, vont-ils être concernés par le pacte de compétitivité qu’annonce le Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.