M. Jacques Mézard. M. de Legge vient de nous expliquer qu’il faut interrompre l’examen de cette proposition de loi. Permettez-moi de vous dire, mon cher collègue, avec l’amitié et l’estime que je vous porte, que je regrette profondément que vous refusiez le débat.

Vous invoquez, à l’appui de votre jugement, que notre proposition de loi remet profondément en cause la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique et que, à ce titre, elle aurait dû être précédée d’un débat public.

Toutefois, notre intention n’est pas de réviser la loi relative à la bioéthique dans son ensemble. Que je sache, ce texte ne modifie qu’une seule de ses dispositions. Dès lors, comment pouvez-vous affirmer qu’il remet en cause la philosophie générale de la loi de 2011 ? Tel n’est pas le cas !

La proposition de loi que le RDSE a déposée vise à autoriser, sous certaines conditions, la recherche sur l’embryon et les cellules souches. Il s’agit avant tout d’en clarifier le régime juridique. Je salue d'ailleurs l’excellent travail qu’ont réalisé notre collègue Alain Milon ainsi que le rapporteur du texte, Gilbert Barbier.

Dois-je rappeler que cette proposition est issue de longs débats ? Cent fois sur le métier, nous avons remis l’ouvrage !

En 1994, la loi avait interdit la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. En 2004, le législateur maintient cette interdiction de principe, tout en l’accompagnant d’un régime dérogatoire pour une durée de cinq ans. En 2011, contre toute attente – il est vrai qu’un fort lobbying, d'ailleurs respectable, s’est exercé alors –, le Parlement décide, à une très faible majorité, de maintenir l’interdiction, assortie de dérogations. Parlons sans ambages, comme nous en avons l’habitude : ce choix politique ne peut s’expliquer que comme un gage donné par le président de la République de l’époque à une partie de la droite catholique.

M. Jacques Mézard. En disant cela, nous ne portons pas un jugement de valeur ; nous formulons un constat. À nos yeux, ce n’est pas ainsi que le Parlement doit fonctionner.

La loi de 2011 va à l’encontre du progrès scientifique,…

M. François Patriat. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. … de l’intérêt de la recherche,…

M. François Patriat. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. … et des besoins des malades. Elle conduit à une situation totalement absurde, qui place la communauté scientifique dans une position très inconfortable : la recherche est interdite, sauf dans les cas où elle est autorisée !

Je le répète, la présente proposition de loi vise simplement à passer d’un régime d’interdiction assorti de dérogations à un régime d’autorisation strictement encadrée.

Notre rapporteur, Gilbert Barbier, a très clairement énoncé les quatre conditions qui s’imposent à nous dans cette évolution.

M. François Patriat. Et il est médecin !

M. Jacques Mézard. Contrairement à ce qu’a soutenu Bruno Retailleau lors de la discussion générale, si l’on se place d’un point de vue éthique, philosophique ou religieux – ce qui est toujours respectable –, notre proposition de loi ne constitue pas un grand bouleversement, puisque des protocoles de recherches sont d'ores et déjà mis en œuvre : l’Agence de la biomédecine en a déjà autorisé plus de soixante.

Les opposants à ce texte estiment que la recherche remet en cause le statut de l’embryon, qu’ils définissent comme une personne humaine potentielle.

M. Charles Revet. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. Mes chers collègues, je vous rappellerai que la seule potentialité ne suffit pas à constituer une personne humaine. Elle dépend de la nature et du projet du couple qui l’a conçu.

En outre, vous savez que la recherche ne concerne que les embryons qui ont été produits in vitro et qui, cessant d’être inscrits dans le projet parental du couple à l’origine de leur création, seront tous détruits.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !

M. Jacques Mézard. À ce sujet, pensez-vous réellement que la destruction de dizaines de milliers d’embryons congelés à l’occasion des fécondations in vitro soit plus éthique que leur utilisation pour la recherche ? Dans ces conditions, l’argument de la potentialité de l’embryon, derrière lequel vous vous retranchez, ne peut justifier que l’on rejette cette proposition de loi.

Monsieur de Legge, vous nous parlez du respect de l’embryon. Soit ! Mais, dans ce cas, il fallait interdire totalement la recherche ! Pourtant, si ma mémoire est bonne, lors de l’examen de la loi relative à la bioéthique, vous avez voté pour l’amendement présenté par notre collègue Jean-Claude Gaudin. Or cette proposition avait pour objet non pas de revenir à une interdiction stricte, mais bien de maintenir une interdiction assortie de dérogations. Le statut de l’embryon serait-il différent selon que la recherche est strictement encadrée ou qu’elle est interdite sauf dérogations ?

J’en viens à l’aspect scientifique.

Certains de nos collègues ont affirmé que nous légiférions parce que la communauté scientifique nous demandait de le faire. Non ! Nous l’avons d’abord fait dans le souci de clarifier une disposition qui, je le répète, est strictement incompréhensible et illogique.

Certes, la science ne doit pas dicter la loi. Mais la loi ne doit pas pénaliser le progrès scientifique, au nom d’une idéologie parfois obscurantiste.

M. André Trillard. Facile à dire !

M. Jacques Mézard. Or les avancées les plus récentes montrent que nous ne disposons pas de solutions de rechange sérieuses à l’utilisation des cellules souches embryonnaires pour faire progresser la science.

Ces cellules, dotées de ressources exceptionnelles, proviennent de l’embryon humain au tout début de son développement, quelques jours seulement après la fécondation. Elles ont la particularité de pouvoir se répliquer indéfiniment et de se différencier en plus de deux cents types de tissus. C’est sur cette capacité que reposent les espoirs scientifiques.

Or l’interdiction imposée par les lois qui se sont succédé depuis 1994 a conduit les chercheurs à travailler intensivement sur les cellules souches adultes. Néanmoins, les travaux ont rapidement montré les limites de telles cellules : leur efficacité s’est révélée particulièrement faible, notamment dans les essais de thérapie cellulaire ; elles sont assez peu disponibles et, surtout, elles offrent un potentiel plus restreint que les cellules souches embryonnaires.

Il y a quelques années, le professeur Yamanaka a découvert que les cellules spécialisées d’un organisme adulte – les IPS – pouvaient revenir à un état pluripotent sans utiliser d’embryon. Il a démontré que des cellules de la peau à l’état adulte auxquelles seulement quatre gènes ont été ajoutés sont devenues semblables à des souches de cellules embryonnaires, en présentant la capacité unique de se renouveler et de se transformer en presque tous les types de cellules qui existent dans le corps humain.

Cette découverte, récompensée par le prix Nobel de médecine, a fourni de merveilleux espoirs à la communauté scientifique et a permis d’imaginer des protocoles innovants pour étudier des maladies et développer des outils de diagnostic et des traitements adaptés. La recherche a ainsi franchi un nouveau pas.

Pour autant, vous le savez tous, les cellules IPS ne peuvent nous dispenser de recourir aux cellules souches embryonnaires. Lors de la discussion générale, madame la ministre, vous avez à juste titre rappelé que les unes et les autres n’étaient pas complètement identiques et que « l’expression non contrôlée des modifications génétiques induites dans ces IPS pourrait entraîner des cellules cancéreuses IPS ». Ces cellules sont en quelque sorte des organismes génétiquement modifiés, dont on ne connaît ni les incidences potentielles ni les désordres qu’ils peuvent provoquer. Dès lors, il est crucial de bien contrôler que l’on n’a pas introduit quelque chose d’anormal.

Les scientifiques ne peuvent aujourd'hui se passer des cellules souches embryonnaires, qui restent encore la référence en l’état actuel de la science.

En France, la recherche sur les cellules souches embryonnaires a commencé il y a peu. De ce fait, nous le savons tous ici, elle accuse un retard considérable par rapport à celles d’autres pays. Au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Chine, au Japon ou encore à Singapour, le nombre d’équipes travaillant sur ces cellules est bien plus important que dans notre pays, qui occupe la huitième place européenne et la quinzième place mondiale.

En particulier, le Royaume-Uni, dont vous savez, mes chers collègues, qu’il est toujours sensible aux questions sociétales et au respect des libertés, compte aujourd’hui une quarantaine d’équipes qui possèdent les compétences nécessaires, ont déjà publié sur ces questions et disposent de moyens croissants pour travailler. Aux États-Unis, Barack Obama a levé le moratoire qu’avait décrété l’ancien président George W. Bush sur le financement public de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. À ce titre, il avait déclaré que l’Amérique devait conserver son leadership scientifique et sa foi dans le progrès de l’humanité.

En France, on en est tout juste à la première génération de responsables… Le nombre de personnes possédant les compétences pour travailler sur les cellules souches embryonnaires est limité et le niveau d’investissement demeure très faible.

Pourtant, la recherche sur ces cellules souches contribue à développer de nouvelles thérapeutiques susceptibles de soulager les souffrances et d’offrir des chances de guérison aux personnes atteintes d’affections graves et parfois incurables, ce qui est essentiel.

En 2002, notre collègue député Roger-Gérard Schwartzenberg parlait déjà d’ « un impératif éthique de solidarité » et d’ « un devoir de la société ». En effet, la recherche sur les cellules souches embryonnaires constitue un véritable enjeu pour la thérapie cellulaire et pourrait, à terme, intervenir dans le traitement des maladies dégénératives.

Enfin, en permettant d’évaluer les risques toxicologiques des médicaments par des tests directs sur ces cellules, on limiterait le recours à des expérimentations sur l’homme et on éviterait bien des drames sanitaires, comme celui du Mediator.

Mes chers collègues, en rejetant la motion présentée par Dominique de Legge, nous enverrons un signal fort à la communauté scientifique internationale tout entière et à l’ensemble des malades qui placent beaucoup d’espoir dans la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Les différents rapports de l’Agence de la biomédecine, du Conseil d’État, de l’Académie de médecine et, plus récemment, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques nous invitent à modifier notre législation en ce sens.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, au nom du groupe RDSE, je vous demande de rejeter la motion tendant à opposer la question préalable présentée par Dominique de Legge, non seulement parce qu’elle ne nous paraît pas fondée, mais aussi parce que, nous en sommes convaincus, elle ne va dans le sens ni de l’humain, ni du progrès, ni de l’avenir. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de faire quelques observations sur la motion tendant à opposer la question préalable que vient de nous présenter notre collègue Dominique de Legge.

Tout d’abord, monsieur de Legge, s’il est regrettable que la discussion de projets ou de propositions de loi puisse être scindée en plusieurs morceaux, c’est à l’organisation des travaux de notre assemblée qu’il faut imputer un tel ordre du jour. Bien entendu, j’aurais préféré que l’on puisse aller jusqu’au bout du débat lorsque nous avons commencé à examiner la proposition de loi. Cependant, j’ajoute que l’ordre du jour fixant à cette heure tardive la suite de la discussion du texte a été approuvé par le représentant de votre groupe à la conférence des présidents.

Pour conclure sur ce point, si nous souhaiterions tous travailler dans des conditions différentes, nous devons aussi nous plier au fonctionnement de notre assemblée.

M. Jean Desessard. Elle fonctionne ainsi depuis que je suis sénateur !

M. Gilbert Barbier, rapporteur. La motion qui vient d’être présentée pose deux questions : celle de la légitimité de la proposition de loi et celle de la procédure à laquelle doit être soumise l’autorisation de la recherche sur l’embryon.

Sur la légitimité de la proposition, je crois avoir dit l’essentiel lors de mon intervention ; je n’y reviendrai pas. Du reste, Jacques Mézard vient d’en reprendre beaucoup d’éléments.

Toutefois, si nous nous reportons à la discussion que nous avons eue il y a dix-huit mois, nous savons quelles pressions le Sénat a alors subies. C’était en 2011, et nous étions dans un contexte préélectoral. Aujourd'hui, la donne a changé.

Comme cela a été souligné, il ne s’agit pas d’une révision de la loi relative à la bioéthique : dix-huit mois après avoir planché de nombreuses heures sur le dossier, il n’est pas nécessaire de reprendre la totalité de la législation dont nous nous étions alors dotés, qui comporte plusieurs facettes.

Monsieur de Legge, je n’ai pas souhaité multiplier les auditions. J’en ai réalisé quatre, qui m’ont conforté dans l’idée, partagée par les membres de mon groupe, qu’il fallait absolument avancer dans ce domaine, et ce de manière relativement rapide.

Aujourd'hui, cela a été dit, le texte adopté il y a un an paraît non seulement moralement ambigu, mais aussi juridiquement dangereux. Il est nécessaire de faire le choix de la clarté et de la responsabilité.

Depuis le début de l’examen de la présente proposition de loi par notre assemblée, deux nouveaux recours en annulation d’autorisations ont été introduits. Actuellement, ce sont donc sept recours en annulation qui ont été formulés par une association, bloquant par là même les procédures d’études et de recherche autorisées par le comité ad hoc.

Étant membre de cette instance, tout comme un certain nombre de nos collègues, dont Alain Milon, je puis vous assurer qu’elle ne travaille pas n’importe comment !

La seule solution de substitution, qui a d’ailleurs été évoquée sur un plan philosophique, consisterait à réclamer l’interdiction totale de la recherche sur l’embryon. Une telle option pourrait se justifier et, si une majorité parlementaire s’exprimait en ce sens, elle serait acceptée.

Nous faisons aujourd’hui le choix de mettre en place une autorisation encadrée pour permettre à nos chercheurs de contribuer au progrès de la médecine. Ce choix éthique important a pour seul but de leur permettre de travailler.

J’ajouterai à l’intention de notre collègue Dominique de Legge qu’opposer les recherches sur les cellules souches pluripotentes induites, ou cellules IPS, à celles qui sont conduites sur les cellules souches embryonnaires n’est pas pertinent. En effet, le plus souvent, les mêmes équipes travaillent sur ces deux types de cellules.

Il faut que ces recherches évoluent parallèlement, comme le prévoit expressément le texte de cette proposition de loi. S’il est prouvé un jour, de manière scientifiquement incontestable, que les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne sont pas nécessaires à l’évolution de la science, je serai le premier à demander l’abandon des protocoles et la fin des autorisations de recherche sur l’embryon.

La recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires est un travail de pointe. Actuellement, 63 projets de recherche sont autorisés dans notre pays ; 12 d’entre eux concernent l’embryon et les 51 autres portent sur les cellules souches embryonnaires. Je doute que l’adoption de cette proposition de loi augmente sensiblement ce nombre, car peu d’équipes de recherche sont capables de mener à bien de tels projets – nous en avons recensé 36 exactement sur l’ensemble du territoire. Les conditions qu’impose et que continuera à imposer l’Agence de la biomédecine, en termes de compétences et de moyens, sont une garantie : elles ne permettent pas à n’importe qui d’engager des recherches, contrairement à ce qui a pu être écrit.

Cette proposition de loi apporte à nos chercheurs la clarté et la sécurité juridique dont ils ont besoin pour s’inscrire dans la concurrence internationale.

Sans nous laisser influencer par le monde de la recherche, nous devons être bien conscients que deux évolutions sont en cours.

Premièrement, les chercheurs d’origine étrangère travaillant sur ces sujets ne viennent plus en France ; en effet, ils savent que notre législation ne leur offre pas de perspectives d’avenir, car on ne peut pas exclure que ce type de recherche soit un jour totalement interdit.

Deuxièmement, les équipes françaises se trouvent quelque peu disloquées et font face à une incertitude qu’elles voudraient voir levée.

Jacques Mézard a parfaitement expliqué en quoi la recherche médicale est aujourd’hui porteuse d’espoirs dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse de la génétique ou du traitement de nombreuses maladies. Je ne me sens pas le droit d’interdire la progression de nos équipes de chercheurs dans tous ces domaines.

Quant à la question de droit qui a été soulevée, elle appelle une réponse simple. L’article 46 de la loi relative à la bioéthique n’a pas de valeur supra-législative : ce que le législateur a fait, il peut donc le défaire. Il ne nous a pas semblé que la réunion d’états généraux s’imposait à nouveau, car notre pays et nos chercheurs n’ont que trop attendu.

La commission des affaires sociales a donc émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Le Gouvernement appelle au rejet de cette motion.

M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.

M. Charles Revet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voterai bien sûr la motion tendant à opposer la question préalable que vient de nous présenter notre collègue Dominique de Legge, et je vais vous expliquer mes raisons.

Je comprends mal quelles sont les motivations des auteurs de cette proposition de loi, dont chacun sait qu’elle suscite des polémiques et crée des divisions dans notre société, qui a pourtant tellement d’autres problèmes à résoudre !

Au-delà de l’aspect éthique, qui fait réagir nombre d’entre nous, les scientifiques qui travaillent sur cette question ont manifestement des avis divergents. C’est l’une des raisons qui nous avait fait insérer dans la loi de 2011, comme l’a rappelé Dominique de Legge, un article précisant que « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevées par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé devrait être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux ».

Tel est bien, me semble-t-il, l’objet de la proposition de loi déposée par notre collègue Jacques Mézard. Or, que je sache, depuis l’examen de la loi de 2011, nous n’avons pas constaté l’organisation d’états généraux, ni même de colloque ou de réunion portant sur ce sujet. Le Parlement, et ce soir le Sénat, ne se place-t-il pas ainsi au-dessus des lois ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. Jean Desessard. C’est nous qui faisons la loi !

M. Charles Revet. L’article que j’ai cité a bien été voté…

M. François Patriat. Mais ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire !

M. Charles Revet. Certes, mais pour l’instant, une loi existe ! (Mêmes mouvements.)

M. Marc Daunis. Justement, on la change !

M. Charles Revet. Quel exemple le législateur donne-t-il en examinant cette proposition de loi ?

S’agissant d’un autre sujet sensible, que le Président de la République souhaite, semble-t-il, soumettre au Parlement dans les mois à venir et qui pose des questions de conscience à nombre d’élus, il a été répondu que, dès lors que la loi serait votée, elle s’imposerait à tout le monde et devrait être appliquée...

Le Sénat serait-il donc au-dessus des lois en passant outre l’obligation d’organiser préalablement des états généraux ?

Une deuxième raison rend nécessaire la tenue de ces états généraux avant l’adoption d’une nouvelle législation : il est nécessaire de faire le point sur les différents travaux réalisés, tant en France qu’à l’étranger. En effet, les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines engagées depuis une vingtaine d’années n’ont pas donné de résultats significatifs.

Certains États soutiennent pourtant cette recherche. Tel est le cas, aux États-Unis, de la Californie, qui lui a consacré trois milliards d’euros depuis 2004. Quel bilan peut-on établir après huit ans ? Quant aux Britanniques, cités par M. Mézard, ils disposent depuis plus de vingt ans d’une liberté absolue en matière de recherches sur l’embryon. Or ils n’ont obtenu aucun résultat applicable à l’homme dans ce domaine. Enfin, l’Allemagne, troisième pays auquel le rapport se réfère, a adopté une position prudente, visant à maintenir le principe d’interdiction de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines.

Malgré ces années de recherches et des investissements colossaux, les tests s’arrêtent à l’expérimentation sur les modèles animaux. Non seulement les cellules souches embryonnaires donneraient naissance, selon certains scientifiques, à des cellules incontrôlables causant l’apparition de tumeurs, mais encore elles provoqueraient des rejets pour des raisons immunologiques.

Le prix Nobel de médecine accordé tout récemment à MM. Yamanaka et Gurdon pour leurs recherches sur la transformation des cellules adultes en cellules souches susceptibles de régénérer les tissus de l’organisme ne devrait-il pas nous amener à la prudence ? Ces cellules pluripotentes induites permettent non seulement le même type d’expériences que celles qui sont réalisées à partir des embryons humains et des cellules souches embryonnaires, mais elles présentent même moins d’inconvénients, car elles sont plus faciles à produire et sans risque de rejet, étant issues des cellules du patient.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si c’est le cas, on les utilisera !

M. Charles Revet. La directive européenne du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques fixe comme objectif le remplacement total des procédures scientifiques appliquées aux animaux nés, sous forme embryonnaire ou fœtale, par des méthodes alternatives. Pouvons-nous accepter, mes chers collègues, que l’embryon animal bénéficie à terme, dans notre pays, d’une protection supérieure à celle de l’embryon humain ?

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Charles Revet. Par ailleurs, qu’en est-il du rapport annuel d’activité de l’Agence de la biomédecine évaluant l’état d’avancement des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines et incluant un comparatif international avec les recherches sur les autres cellules souches ?

Outre que le respect de l’article 46 de la loi de 2011 prévoyant la tenue d’états généraux avant tout changement de la législation s’imposerait aujourd’hui, me semble-t-il, les évolutions de la science et l’incertitude des résultats actuels constatés dans les pays étrangers devraient nous inciter à la prudence. La sagesse reconnue de notre assemblée doit donc l’amener à voter la motion tendant à opposer la question préalable présentée par notre collègue Dominique de Legge. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec certains de mes collègues du groupe UDI-UC, je souscris entièrement aux conclusions développées par notre collègue Dominique de Legge à l’appui de la motion tendant à opposer la question préalable, que j’ai d’ailleurs cosignée à titre personnel.

En effet, nous ne pouvons qu’être surpris de devoir nous prononcer de nouveau sur l’un des points les plus emblématiques de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, soit à peine un an après son adoption, surtout lorsque l’on se souvient de l’ampleur du débat public, citoyen et parlementaire dont elle fut le fruit.

Alors que cette loi fut adoptée au terme d’un parcours démocratique exemplaire, marqué notamment par la tenue d’états généraux de la bioéthique, nous ne pouvons que nous étonner que l’on nous propose de la modifier en catimini – les règles de fonctionnement du Sénat ont peut-être changé, monsieur le rapporteur, mais ce n’est pas une bonne raison – et à la va-vite, à l’occasion de deux séances de nuit, celle du lundi 15 octobre et celle de ce soir.

En outre, comme l’a rappelé notre collègue Dominique de Legge, la suite de l’examen de cette proposition de loi avait été fixée au 13 décembre et elle a brusquement été avancée à la séance de ce soir. Même si l’ensemble des présidents de groupe ont pu donner leur accord, puisque nous sommes toujours tenus par le temps, de telles conditions de débat sont-elles pour autant acceptables, surtout lorsqu’il s’agit d’une modification aussi importante ?

Mme Françoise Laborde. Ce n’est pas un argument !

M. Yves Pozzo di Borgo. Ce débat est important, et je remercie nos collègues du groupe RDSE de l’avoir ouvert, mais je regrette qu’ils le fassent de cette façon, de manière un peu brutale, sans reprendre la procédure qui avait été précédemment respectée.

En effet, ce texte introduit une modification majeure de la loi relative à la bioéthique. De l’aveu même du rapporteur, la question de la recherche sur l’embryon constituait un élément central de cette loi et le Parlement avait tranché en faveur du maintien du principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon, assorti d’exceptions. L’adoption de la présente proposition de loi aboutirait à la situation inverse : nous passerions à l’autorisation de principe, certes encadrée, soit l’exact opposé du dispositif antérieur.

Un débat de fond nous demanderait beaucoup plus de temps et de réflexion, mais force est de constater que l’on nous propose ce changement à l’heure où la communauté scientifique internationale découvre et admet que la transformation des cellules adultes en cellules souches permet de remplacer parfaitement les cellules embryonnaires, ce qui confirme tout à fait le vote de 2011.

Sachant que ce débat est difficile, je ne me permettrai pas de procéder à des affirmations catégoriques, mais la présente proposition de loi me semble aller à contre-courant des dernières avancées scientifiques. En outre, privilégier la recherche sur l’embryon humain reviendra concrètement, compte tenu de la limitation des budgets, à défavoriser la recherche sur les cellules souches adultes. Nous ne sommes pas des scientifiques, mais nous essayons de recueillir le maximum d’arguments et nous les utilisons !

Le débat d’aujourd’hui augure bien mal des discussions de bioéthique à venir, notamment dans le cadre du projet de loi relatif au mariage pour tous. Allons-nous vers l’abandon de la pratique des états généraux de la bioéthique, pourtant inscrite à l’article 46 de la loi de 2011 ? Une telle évolution représenterait un recul sans précédent. Pourtant, après seulement quatre auditions, sans concertation ni débat, force est de constater que nous en sommes là !

Le droit, pas plus que la science ou l’éthique, ne justifie donc la poursuite de la présente délibération. C'est la raison pour laquelle certains de mes collègues du groupe UDI-UC et moi-même voterons la présente question préalable. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)