M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avons souligné dans cet hémicycle lors du débat relatif à ce projet de loi, de nombreuses lois ont été adoptées depuis 2002, sous les gouvernements successifs de droite.

Toutes ces lois avaient le même objectif : restreindre les droits des étrangers, et ce le plus souvent en contradiction avec le respect des règles fondamentales dont bénéficie pourtant tout être humain. La constitution de cet arsenal législatif s’est accompagnée, à chaque fois, d’un discours stigmatisant, voire méprisant à l’égard des étrangers, faisant peser un soupçon continuel sur les non-nationaux et alimentant la rhétorique envahissante de l’étranger fraudeur.

Aussi avons-nous déploré qu’après des années de gouvernance de la droite il nous soit présenté un texte minimaliste, perpétuant aussi bien une politique de criminalisation des migrants qu’une politique pénale d’exception.

Nous sommes souvent taxés d’« idéalistes ». Pourquoi pas ? Il y a pire !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est une vertu !

Mme Éliane Assassi. Je suis bien d’accord, monsieur le président !

Il n’en demeure pas moins que nous nous réjouissons de ne pas être les seuls à vouloir supprimer tout régime d’exception applicable uniquement aux étrangers en situation irrégulière. En effet, après la lecture au Sénat, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, a dévoilé le 22 novembre 2012 son avis sur ce projet de loi.

Bien que non contraignant, cet avis, dont je relève qu’il a été adopté à l’unanimité des quarante-six membres présents, s’apparente à un cinglant désaveu de l’essentiel du projet. La CNCDH, qui a d’ailleurs tenu à faire part de son regret « d’avoir dû s’autosaisir, alors que le Premier ministre s’était engagé à [la] consulter plus fréquemment », y publie ses recommandations, qui reprennent la plupart des points que nous avions soulevés.

Dès les premières lignes de l’avis, la CNCDH affiche sa ferme opposition à la logique qui préside depuis 2002 aux évolutions du droit des étrangers. Elle appelle, en conséquence, « à une remise à plat [...] qui puisse leur permettre d’exercer les droits qui leur sont reconnus, et notamment au retour du rôle constitutionnel de l’autorité judiciaire et à la remise en cause de la rétention comme technique ordinaire de gestion de l’éloignement des étrangers ».

La CNCDH s’interroge ensuite sur l’opportunité de la création d’un nouveau régime d’exception, sachant que le nombre de placements en rétention est constant depuis les arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2012. Ce constat réduit à néant l’unique justification qui sous-tend la création d’une mesure de retenue propre au contrôle du droit au séjour.

En effet, monsieur le ministre, dès lors que les placements en rétention se maintiennent à un niveau équivalent à celui d’avant l’été 2012, il faut logiquement en conclure que le délai de quatre heures prévu pour la vérification d’identité suffit à la fois aux fonctionnaires de police pour procéder aux investigations nécessaires et aux préfectures pour édicter les décisions qui s’imposent. Dans ces conditions, toute validation d’une quelconque prolongation de la durée de la vérification d’identité s’apparente à l’acceptation d’un dévoiement de cette procédure privative de liberté, à des fins de pur confort pour l’autorité administrative.

En conclusion, sur ce premier point, j’observe que la CNCDH indique qu’elle aurait préféré, comme nous, que le droit commun s’applique, en l’occurrence, les règles du code de procédure pénale relatives aux contrôles d’identité, quitte à prévoir le cas échéant, ajoute-t-elle, un allongement de la durée de ces contrôles dans les hypothèses où des investigations complémentaires se révéleraient strictement nécessaires.

Une deuxième série de critiques porte sur le peu de garanties dont est assortie cette mesure privative de liberté.

Les dispositions relatives à la présence de l’avocat lors des auditions, votées à l’Assemblée nationale, représentent certes une avancée, mais insuffisante.

Comme le relève, là encore, la CNCDH, la mise œuvre de la procédure de la retenue s’ouvre par une notification des droits hautement problématique en soi, puisque les officiers et agents de police judiciaires peuvent y procéder dans une langue que l’étranger comprend ou « dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend ». En d’autres termes, dès lors que l’agent pourra justifier du choix de la langue utilisée pour la notification des droits, la procédure n’encourra aucune nullité, alors même que la langue choisie n’est en définitive pas celle que comprend l’étranger. De plus, si l’assistance d’un interprète est prévue pour la suite de la procédure, la notification du droit au silence n’est pas envisagée.

Enfin, nous dénonçons une suppression en trompe-l’œil du délit d’entrée et de séjour irréguliers.

En effet, ne profitant pas des condamnations de notre législation pour mettre un terme définitif à l’emprisonnement d’un étranger pour la seule raison qu’il se trouve en situation irrégulière, le projet de loi crée un délit de maintien sur le territoire, remplaçant le délit de séjour irrégulier.

Loin d’être nécessaire à l’éloignement, ce nouveau délit constitue en réalité un obstacle à sa mise en œuvre. Il ne se justifie aucunement, si ce n’est pour continuer à utiliser la garde à vue comme antichambre de l’expulsion.

Mes chers collègues, ce texte a vraisemblablement pour seul objet de répondre aux diverses remises en cause de nos dispositions législatives. Il répond à ces exigences par le biais d’une interprétation a minima de la jurisprudence européenne qui nous donne la désagréable impression que l’on avance au coup par coup et qui nous expose, de fait, à de nouvelles condamnations.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre ou lire à propos des débats qui se sont tenus hier à l’Assemblée nationale, notre groupe ne votera pas ce texte. Je comprends que notre abstention, en commission mixte paritaire, ait pu faire croire à certains que nous nous abstiendrions lors du vote en séance publique. Or cette décision d’abstention était motivée par des raisons précises que je ne développerai pas ici, mais que certains d’entre vous comprendront. Pour autant, dans un souci de cohérence avec mes convictions et celles de mon groupe, je réaffirme notre opposition à ce texte.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la façon dont un État traite les étrangers qu’il accueille sur son sol en dit souvent long sur son ouverture au monde, sa tolérance vis-à-vis de l’autre et la confiance qu’il a dans ses institutions.

À cette aune, il faut bien constater que notre pays ne s’est pas illustré ces dernières années par son accueil et sa capacité d’intégration. Ce projet de loi est une première pierre pour mettre fin à la méfiance structurelle qui a guidé notre droit des étrangers depuis deux législatures.

Nous attendons maintenant que le Gouvernement nous propose une vraie réforme de notre législation, à la fois opérante et humaniste. Nous le répétons : si notre groupe, dans sa diversité, n’a jamais défendu l’idée d’ouvrir en grand et sans exigences nos frontières, il s’est toujours fermement prononcé pour une politique migratoire ouverte et tolérante.

À l’issue de la navette, je me félicite de la convergence entre nos deux assemblées. Les quelques dispositions qui restaient en discussion ne remettaient pas en question l’équilibre général du texte. Je me réjouis, en particulier, que nos collègues députés se soient rangés à la position du Sénat s’agissant de la durée maximale de retenue des étrangers.

Nos débats sur cette question avaient été riches et animés. Nous estimons que la solution finalement retenue d’une durée maximale de seize heures doit permettre aux services d’enquête de procéder aux vérifications nombreuses et complexes qui s’imposent. Un mécanisme en deux phases, ou plus court, aurait introduit une complexité préjudiciable à l’efficacité de leur action. Le dispositif adopté garantit, selon nous, que la situation de la personne concernée fera l’objet d’un examen approfondi et individualisé.

En outre, en tant que professionnel, je me félicite que l’Assemblée nationale ait encore renforcé les garanties des étrangers, en précisant bien qu’ils peuvent se faire assister par un avocat de façon effective, et non simplement bénéficier d’un entretien de trente minutes. Cet apport constitue une avancée importante.

Tout aussi importante est la disposition relative à la situation des enfants accompagnant, ou non, l’un ou l’autre des parents interpellé et placé en retenue. Dans les deux cas, la personne retenue doit être à même de prendre tout contact utile afin d’assurer, le cas échéant, la prise en charge de ses enfants.

La commission mixte paritaire, de son côté, a également bien travaillé. Les convergences de vues entre ses deux rapporteurs ont permis de consolider le texte et de produire un dispositif général équilibré qui satisfait la nécessaire protection de l’ordre public et la non moins nécessaire garantie des droits des étrangers.

Je note en particulier, à l’article 5, que le dispositif supprimant le délit de séjour irrégulier respecte parfaitement les prescriptions de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation, cessant ainsi de nous placer en situation de manquement à nos engagements internationaux.

J’ajouterai un mot sur la clarification du délit d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers.

L’immunité juridictionnelle telle qu’elle s’inscrit dans ce projet de loi est à la fois solidifiée et étendue. Elle visera désormais les ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l’étranger. En outre, elle protégera les personnes apportant une aide humanitaire aux étrangers en situation irrégulière, leur permettant d’intervenir au-delà des seuls cas d’urgence.

L’Assemblée nationale a validé l’économie de ce texte, tout en l’enrichissant. Le rapporteur a en effet opté pour une énumération non limitative des actes tombant sous le coup de l’immunité, afin que soient clairement identifiées les actions de type humanitaire et désintéressé concernées.

Nous souscrivons à ces modifications, qui laissent ouvert le champ de l’immunité à toute action désintéressée tendant à sauvegarder la dignité de la personne, une cause qui vaut plus que toutes les autres, même si, bien sûr, encore une fois, l’assistance humanitaire ne doit pas se transformer en soutien actif à la clandestinité, notamment au travers de réseaux criminels et mafieux.

C’est en conséquence avec conviction et le sentiment d’œuvrer pour une République plus ouverte, mais aussi plus efficace et plus responsable, que le groupe RDSE dans son ensemble, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’espoir était grand au printemps dernier pour les migrants, leurs défenseurs et tous les militants des droits de l’homme : la victoire de la gauche devait enfin marquer le terme d’une politique du pire mise en place depuis plus de dix ans.

Durant une décennie, chaque ministre de l’intérieur avait fait voter sa loi sur l’immigration, durcissant à chaque fois les conditions de régularisation des étrangers, facilitant leur expulsion et portant atteinte toujours davantage à leurs droits fondamentaux.

Dès le mois de juin, les déclarations de M. Valls nous rassuraient un peu plus, avec la fin annoncée du placement d’enfants en centre de rétention, la fin de la politique du chiffre, inefficace et inhumaine, la fin du délit de solidarité. L’esprit était différent. Restait à changer la loi.

Le projet de loi dans le texte élaboré par la commission mixte paritaire contient, bien sûr, des avancées importantes.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !

Mme Esther Benbassa. C’est certain, mais il n’est pas sans poser de questions.

Ainsi le délit de séjour irrégulier est-il abrogé : plus de prison pour les personnes dont la seule faute est d’être sur le territoire « sans papiers » !

C’est une bonne chose, mais il convient de souligner qu’il s’agit là simplement de la mise en conformité de la législation française avec le droit européen.

En décembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne déclarait en effet qu’enfermer un étranger était par principe incompatible avec son éloignement, la sanction pénale ne pouvant intervenir qu’à titre subsidiaire, lorsqu’il avait été fait usage, sans succès, des procédures d’éloignement.

Reste que, si être « sans papiers » n’est plus un délit, le texte de la commission mixte paritaire un instaure un nouveau – conforme au droit européen, cette fois – et maintient les dispositions existantes.

En effet, l’article 6 prévoit de pénaliser le fait pour un étranger de se trouver sur le territoire alors que les autorités administratives ont tout mis en œuvre pour l’exécution de la mesure d’éloignement dont il fait l’objet. Ce nouveau délit est passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros.

De surcroît, sont maintenus en l’état le délit d’entrée irrégulière, passible, lui, d’an d’emprisonnement, de 3 750 euros d’amende et d’une interdiction du territoire de trois ans maximum, ainsi que le délit de soustraction à une mesure d’éloignement, puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de dix ans d’interdiction du territoire.

Les peines sont lourdes, l’emprisonnement des migrants est toujours possible, mais sur d’autres chefs, et la double peine, qui, comme chacun le sait, n’a jamais été abolie, est toujours d’actualité.

Retenons que l’abrogation du délit de séjour irrégulier, si imparfaite soit-elle, revêt une valeur symbolique importante puisque les « sans papiers » ne sont plus assimilés à des délinquants, tout en espérant une réforme plus profonde ainsi que l’abolition de la double peine.

Mais revenons au texte, monsieur le ministre, et en particulier à son article 2, qui pose problème aux écologistes.

Cet article met en place une procédure autorisant la rétention d’un étranger pendant une durée pouvant aller jusqu’à seize heures pour vérifier sa situation au regard du droit au séjour et, le cas échéant, de prendre une mesure d’éloignement à son encontre.

La gauche, je vous le rappelle, s’était opposée, dans un passé encore très récent, aux réformes liberticides des précédents ministres de l’intérieur en matière de droits des étrangers. Nous ne pouvons donc souscrire à la création d’un régime d’exception de privation de liberté, non plus qu’accepter aujourd'hui, sous un gouvernement de gauche, une procédure dérogatoire au droit commun qui favorise l’enfermement et l’éloignement des étrangers.

Le dispositif de vérification d’identité, applicable à tous, devrait suffire.

Nous ne pouvons donc souscrire à une telle procédure et attendons avec impatience une réforme du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la hauteur de nos convictions.

Dans ce texte, est également en question une disposition dénoncée depuis longtemps par le monde associatif, le délit de solidarité. M. Valls aurait peut-être pu abroger tout simplement ce délit ! Le Gouvernement aurait pu suivre les recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et inverser la logique du dispositif pour que l’immunité soit le principe et l’infraction, l’exception.

Il a choisi d’étendre le champ des immunités, en interdisant les poursuites pour certaines catégories de personnes.

Nous nous réjouissons de cette avancée et nous souscrivons sans réserve à cet article, mais nous espérons, monsieur le ministre, que le Gouvernement ira encore plus loin et qu’il agira pour que la solidarité ne soit plus jamais assimilée à de la délinquance.

Nous, femmes et hommes politiques de gauche, avons le devoir de redonner tout son sens à l’un des fondements, tellement malmené ces dernières années, de notre société : la fraternité.

Les écologistes considèrent donc que la rédaction retenue par la commission mixte paritaire, malgré des avancées notables, contient encore trop de mesures d’exception, uniquement destinées aux étrangers, mesures auxquelles ils se sont toujours opposés. Aussi notre groupe s’abstiendra-t-il sur ce texte. (M. le président de la commission applaudit.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’en déplaise à nos détracteurs,…

Mme Éliane Assassi. « Détracteurs » ?

M. André Reichardt. … et notamment aux précédents intervenants, j’ose dire que, pendant cinq ans, nous avons, avec Nicolas Sarkozy, mené une politique de lutte contre l’immigration irrégulière qui avait pour caractéristiques d’être ferme et équilibré.

Mme Éliane Assassi. Vous devriez en avoir honte !

M. André Reichardt. Ferme, parce que la crise qui touche notre pays nous imposait, et impose toujours une grande maîtrise des flux migratoires.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas à votre honneur !

M. André Reichardt. Équilibrée, car il n’était pas question de remettre en cause le respect de notre tradition d’accueil et d’intégration,…

Mme Éliane Assassi. Ben voyons !

M. André Reichardt. … tradition qui ne peut d’ailleurs exister que si elle s’inscrit dans le respect d’objectifs clairement identifiés.

Mme Éliane Assassi. Objectifs que vous n’avez pas respectés !

M. André Reichardt. Ce cap, nous l’avons tenu avec responsabilité, et sans céder au chant des sirènes, grâce à l’introduction de nouvelles exigences, imposées notamment par l’Europe.

Mais ces efforts dans la préservation de notre système d’intégration sont vains si l’ensemble de nos procédures sont inopérantes.

Or, vous la savez, la Cour de cassation a, le 5 juillet 2012, déclaré illégale l’utilisation de la procédure de garde à vue pour procéder au contrôle d’identité des étrangers susceptibles de s’établir irrégulièrement sur notre territoire, jugeant que, désormais, les services de police et de gendarmerie n’avaient plus la possibilité de placer en garde à vue un étranger en situation irrégulière auquel nulle autre infraction n’est reprochée.

Cependant, la garde à vue était jusqu’à présent la principale procédure permettant aux services de police ou de gendarmerie de retenir un étranger pour faire le point sur sa situation et, le cas échéant, décider de le placer en rétention administrative en vue de son éloignement.

On comprend bien qu’il devenait urgent de proposer aux services de police et de gendarmerie un nouvel instrument juridique qui permette à l’autorité administrative de prendre des décisions appropriées d’éloignement et de placement en rétention.

Pour faire face à cette difficulté, votre gouvernement a souhaité, monsieur le ministre, mettre en place une procédure relativement proche de la garde à vue : la retenue.

Il s’agit d’une nouvelle mesure de retenue administrative, plus brève que la garde à vue mais plus longue que la simple vérification d’identité, et explicitement destinée à vérifier le droit au séjour de la personne appréhendée.

La création d’une nouvelle mesure permettra donc aux forces de l’ordre et à l’administration de disposer du temps minimal nécessaire à l’établissement de la situation des étrangers au regard de leur droit à la circulation et au séjour, et, le cas échéant, à la prise des décisions qui s’imposent.

Ce projet de loi, soucieux donc des droits et libertés individuelles comme de la défense de notre territoire, nous semble donc tout à fait pertinent.

Il l’est d’autant plus à nos yeux que l’intégrité du délai de seize heures a été préservée, conformément à ce que nous souhaitions. L’examen devant le Sénat avait permis de revenir sur une possible scission de ce délai, mais, malheureusement, la crainte que nous n’avions cessé d’exprimer concernant la complexification de la procédure n’avait pas été entendue par l’Assemblée nationale.

Ce point est particulièrement important, car, je vous le rappelle, le délai de seize heures que nous instaurons reste très inférieur à celui de la garde à vue. Ainsi, sur le fond, nous sommes arrivés à un consensus.

J’aimerais également attirer votre attention sur la partie du projet de loi qui concerne l’élargissement de l’immunité pour aide au séjour irrégulier.

Ce texte supprime, en même temps que le « délit de solidarité », le risque, pour les militants des associations d’aide aux immigrés ou pour les simples particuliers, de se voir mis en examen pour aide au séjour irrégulier au même titre que les organisateurs de filières d’immigration clandestine.

Nous ne pouvons que nous féliciter de la différence opérée entre l’état objectif de détresse de la personne qu’il s’agit d’aider et le but lucratif ou non de celui qui aide l’étranger. Ainsi, la clé d’entrée pour apprécier le caractère coupable de l’aide apportée à la personne étrangère est le fait que celui qui aide poursuit un but lucratif.

N’imaginez pas que nous soyons insensibles à ces cas particuliers. Au contraire, nous avons fait en sorte depuis de nombreuses années de répondre à ces situations, sans pour autant nous en servir pour un quelconque affichage politique.

Ainsi, la loi du 16 juin 2011 permettait la poursuite des passeurs et animateurs de filières qui exploitent les étrangers, en prévoyant une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Dans le même temps, elle prenait en compte l’état de nécessité de l’étranger en laissant au juge le soin, selon les termes de la décision du 5 mai 1998 du Conseil constitutionnel, « d’interpréter strictement les éléments constitutifs de l’infraction [...], notamment lorsque la personne morale en cause est une association à but non lucratif et à vocation humanitaire, ou une fondation, apportant aide et assistance aux étrangers ».

Plus largement, le juge constitutionnel avait, dans le même sens, rappelé, dans sa décision 2 mars 2004, que « le délit d’aide au séjour irrégulier commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers ».

Ce sont ces éléments qui ont permis au texte d’allier efficacité et pragmatisme. Certes, d’aucuns diront qu’il ne change rien de prévoir expressément dans la loi l’élargissement de cette immunité. Toutefois, j’aime à penser qu’il est bien souvent imprudent d’anticiper sur les inconvénients théoriques d’une norme qu’en réalité seule la pratique révèle.

Le groupe UMP approuve donc bien volontiers ce texte, car il faut agir avec urgence dans ce domaine. C’est pourquoi, mes chers collègues, et sans grande surprise, il votera ce texte utile au service des forces de police et de gendarmerie dans l’accomplissement de leur mission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de la discussion d’un projet de loi qui répond à deux urgences : d’une part, mettre en conformité notre législation avec la jurisprudence française et européenne en matière de retenue des étrangers ; d’autre part, mettre notre législation en harmonie avec le principe du respect de la dignité de chacun en supprimant le délit de solidarité.

Confirmant une série de décisions judiciaires qui annonçaient ce verdict, la Cour de cassation, le 5 juillet 2012, a signifié qu’il n’était plus possible de placer en garde à vue un étranger sur le seul fondement de son séjour irrégulier. La Cour précise qu’un séjour irrégulier ne peut plus être puni d’une peine de prison.

Dès lors qu’il apparaissait que les quatre heures prévues pour une vérification d’identité classique pouvaient ne pas suffire pour effectuer l’ensemble des diligences nécessaires dans un tel contexte et que la garde à vue ne pouvait plus constituer une solution, il fallait mettre en place un système de retenue présentant toutes les garanties possibles pour la personne soumise à vérification administrative.

Une retenue de seize heures maximum est créée, durée pendant laquelle l’officier de police judiciaire peut procéder aux contrôles nécessaires.

Dès le début de la procédure, le procureur de la République est informé.

La personne dont la situation fait l’objet de vérifications peut demander l’assistance d’un interprète, d’un avocat, d’un médecin et peut prévenir les personnes de son choix.

Lors du débat parlementaire, nous avons été nombreux, monsieur le ministre, à comprendre la nécessité de cette durée de seize heures dans certains cas, tout en soulignant qu’elle ne devait pas devenir la norme, car le temps nécessaire moyen pour la vérification du droit au séjour devrait être bien inférieur.

À l’issue des travaux de la commission mixte paritaire, nous constatons que les débats au Sénat puis à l’Assemblée nationale ont permis d’améliorer les droits et garanties des personnes retenues.

En outre, le champ des immunités au regard du délit institué par l’article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été étendu, ce qui revient de facto à la suppression du délit de solidarité.

Nous avons d’ailleurs veillé à prendre scrupuleusement en compte les observations de la Commission nationale consultative des droits de l’homme en élargissant de manière significative les garanties offertes aux personnes retenues et pour les conditions de vérification des titres de séjour.

Certaines interrogations, par exemple sur le moyen d’éviter tout risque de contrôle au faciès ou sur les conditions requises pour établir un délit de maintien sur le territoire, ont trouvé des réponses plus affinées à la suite des lectures au Sénat puis à l’Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire a constaté les avancées réalisées et est ainsi rapidement parvenue à un accord.

Je souhaiterais cependant revenir sur un point qui a fait l’objet d’un important débat en séance au Sénat et sur lequel nous resterons vigilants.

Selon l’étude d’impact, les fichiers qui pourront être consultés sont l’AGDREF, l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France, et la base de données Eurodac, ce qui ne pose aucun problème, s’agissant d’une procédure administrative.

Toutefois, il est ajouté dans l’étude d’impact que le FAED, le fichier automatisé des empreintes digitales, pourra également être consulté, alors qu’il s’agit d’un fichier judiciaire.

Le décret de 1987 prévoit clairement que ce fichier ne peut être consulté que par les personnes habilitées et sous réserve, évidemment que l’on soit dans une procédure judiciaire, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence puisqu’il s’agit d’une procédure administrative. Selon l’interprétation que nous en faisons, cette disposition ne permet pas la consultation du FAED sans modification des textes de référence.

Nous le savons bien, l’article L. 611-4 du CESEDA prévoit qu’ « en vue de l’identification d’un étranger qui n’a pas justifié des pièces ou documents visés à l’article L. 611-1 ou qui n’a pas présenté à l’autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l’exécution de l’une des mesures mentionnées au premier alinéa de l’article L. 624-1 ou qui, à défaut de ceux-ci, n’a pas communiqué les renseignements permettant cette exécution, les données des fichiers automatisés des empreintes digitales gérés par le ministère de l’intérieur peuvent être consultées par les agents expressément habilités des services du ministère de l’intérieur ».

Ces dispositions législatives semblent autoriser la consultation du fichier automatisé d’empreintes digitales dans un cadre administratif, et pas seulement judiciaire, par des agents spécialement habilités, pour identifier un étranger qui n’a pas justifié de son droit au séjour mais pas pour vérifier son droit au séjour, qui est bien, lui, l’objet de cet article 2.

Rendre possible l’accès au FAED dans le cadre de la retenue change la nature de cette mesure et pose un problème juridique. En effet, le décret prévoyant l’accès au fichier, qui a été soumis à l’avis de la CNIL, ne permet pas en l’état un tel élargissement des possibilités d’accès. Deux délibérations de la CNIL ont expressément rappelé cette restriction. Il faut donc modifier le décret.

Par conséquent, à la suite du débat que nous avons eu lors de la lecture au Sénat au début du mois de novembre, nous attendons qu’un nouveau décret d’application soit prochainement publié par le ministre de l’intérieur, comme cela a été évoqué le 8 novembre dernier.

La suppression du délit de solidarité est un point extrêmement positif de ce projet de loi, tant les dispositions précédentes piétinaient la fraternité, pourtant l’une de nos valeurs. La rédaction de l’article 8, qui traite de cette question, a été affinée et rendue plus fluide. Seront ainsi protégées les personnes qui, au nom de la solidarité, aident les étrangers en situation irrégulière qui en ont besoin, tout en préservant la possibilité de poursuivre et de condamner les filières organisées d’immigration irrégulière.

Ce projet de loi démontre la volonté du Gouvernement d’être ferme sur l’immigration irrégulière, en redéfinissant des outils dont l’efficacité s’était comme effilochée au fil des ans. Les récentes circulaires sur la naturalisation et sur la régularisation des étrangers, comme sur la suppression du délit de solidarité, témoignent donc d’une nouvelle manière d’aborder les questions d’immigration, alliant fermeté et humanisme.

Conformément à ses engagements, le Gouvernement a rompu avec la politique du chiffre et a précisé aux préfectures des critères objectifs donnant droit au séjour.

Cette démarche est bienvenue, car il est difficile de déplorer les mauvais résultats de l’intégration, si beaucoup d’étrangers restent dans le sas de la clandestinité sans espoir de pouvoir en sortir. Une telle clandestinité fragilise les familles, limite les capacités de réussite scolaire, maintient les personnes dans une précarité empêchant toute intégration.

L’OCDE, dans les prévisions à long terme publiées le 20 novembre, indique que l’un des principaux facteurs qui pèseront sur la croissance des pays industrialisés dans les prochaines années sera le vieillissement de leur population, sans compensation par l’immigration. L’OCDE souligne cependant à cette occasion que la France est susceptible de connaître une croissance supérieure à celle de l’Allemagne ou de nombreux autres pays, grâce précisément à des paramètres démographiques plus favorables.

Nous pouvons ainsi dire avec force que la réussite de notre politique d’immigration et d’intégration est, à moyen et long terme, un facteur essentiel de la santé économique de notre pays et de son dynamisme.

La prochaine étape, attendue en 2013, sera la discussion du projet de loi réformant le CESEDA. Il s’agira notamment de mettre en place un titre de séjour pluriannuel pour ceux des étrangers qui ont vocation à s’installer durablement sur le territoire afin de leur offrir de meilleures capacités d’intégration.

À cette occasion, nous souhaitons pouvoir aborder la question du rôle du juge des libertés et de la détention dans la procédure de rétention des étrangers. Monsieur le ministre, cette question a occupé une place essentielle dans les débats qui ont accompagné les lois votées ces dernières années en matière d’immigration. Vous savez que, sur les travées de la majorité gouvernementale, nombreux sont ceux qui souhaitent l’intervention du juge des libertés et de la détention après quarante-huit heures, et non plus après jours de rétention.

Mais, qu’il s’agisse de la circulaire de régularisation ou du texte que nous nous apprêtons à voter, le plus difficile sera la mise en pratique. Les formulations que nous avons choisies pour respecter les jurisprudences française et européenne exigeront des forces de l’ordre une application qui ne sera pas toujours aisée.

Au-delà de cette mise en œuvre, il faudra également veiller à ce que la durée de seize heures de la retenue reste un plafond maximum et ne devienne pas la norme. Ce sera l’enjeu des prochains mois.

Pour affronter ces défis, monsieur le ministre, vous avez le soutien du groupe socialiste, qui votera les conclusions de cette commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. ― M. Stéphane Mazars applaudit également.)