M. Robert Hue. Très bien !

M. Christian Cambon. Toutefois, pour convaincre nos partenaires, il nous faut disposer nous-mêmes d’une politique de coopération cohérente et efficace. Les Assises du développement que vous avez mises en place, monsieur le ministre, ont permis l’émergence d’un véritable débat sur ce sujet. Si nous nous en félicitons, il ne s’agit que d’un début.

La Cour des comptes a, de son côté, établi un diagnostic relativement sévère l’année dernière. Or nous venons de recevoir ces jours-ci le bilan évaluatif de la politique française de coopération au développement sur les dix dernières années : ces analyses convergent et confirment nos préconisations.

Ce bilan évaluatif, auquel j’ai moi-même participé, a permis d’aboutir à dix recommandations qui me paraissent essentielles pour améliorer le résultat de cette politique. Je voudrais n’en retenir ici que trois.

La première concerne le pilotage de cette politique. Nous souffrons, et les ministres antérieurs ont souffert eux aussi, de l’éclatement des centres de décision entre le Quai d’Orsay, le ministère des finances et l’Agence française de développement, l’AFD. Manifestement, la réforme de la coopération engagée en 1998 n’est pas arrivée à son terme.

Le bilan des dix dernières années conduit à préconiser une réforme institutionnelle d’ampleur, avec la création d’un ministère du développement de plein exercice, doté de pouvoirs budgétaires renforcés, notamment sur les programmes 209 et 110. Comme vous le voyez, monsieur le ministre, on peut être dans l’opposition et vous vouloir du bien ! (Rires.)

La deuxième recommandation concerne l’évaluation. J’ai peine à répéter ici ce qu’avec mon collègue Jean-Claude Peyronnet nous disons dans toutes les enceintes où il nous est donné d’intervenir sur la coopération : il nous faut renforcer les moyens d’évaluation de cette politique si nous voulons qu’elle conserve sa crédibilité auprès de nos concitoyens.

M. Robert Hue. Très bien !

M. Christian Cambon. Devant la pauvreté des territoires que traversent nos forces armées au Mali, on peut se demander où sont passés les millions que nous avons investis dans l’Office du fleuve Niger depuis cinquante ans ou dans le développement de l’agriculture rurale et pastorale des régions arides. Qu’est-il advenu de nos actions en faveur de l’éducation et de la santé, des infrastructures de transport et d’assainissement ? Que sont devenues nos contributions aux différents plans en faveur de la paix, de la sécurité et du développement dans le nord du Mali ?

Il nous faudra un jour dresser un bilan de notre action.

M. Yvon Collin. Tout à fait !

M. Christian Cambon. Nous ne cessons de le répéter en tant que rapporteurs du budget de la coopération et du développement. Bien sûr, il ne s’agit pas de jeter la pierre aux acteurs de cette coopération, qui ne ménagent ni leurs efforts ni leurs convictions, mais il convient de tirer les enseignements des erreurs passées.

Sur ce sujet, monsieur le ministre, nous avons, vous avez, des attentes précises, et nous espérons que vous nous apporterez des réponses rapidement.

La troisième recommandation concerne le rôle et l’information du Parlement. Une politique qui engage plusieurs milliards d’euros de deniers publics doit être débattue au Parlement. C’est pourquoi nous préconisons, depuis plusieurs années, l’adoption d’une véritable loi d’orientation et de programmation.

Il s’agit d’un engagement présidentiel. Nous attendons avec impatience d’en être saisis. Nous souhaitons non seulement discuter des orientations géographiques et sectorielles de cette politique, mais également en assumer les conséquences budgétaires. La reconstitution des fonds européens ou multilatéraux engage la France sur cinq ans, parfois plus. Dès lors, il est naturel que le Parlement puisse discuter de l’évolution à moyen terme des crédits consacrés au développement. Nous le savons bien dans cet hémicycle : les idées ne valent que par les moyens que l’on y consacre.

Monsieur le ministre, compte tenu du contexte financier, vous ne pourrez pas nous annoncer la création de moyens nouveaux. Toutefois, vous pouvez peut-être nous proposer une nouvelle méthode qui s’appuierait sur une politique de coopération débattue au Parlement, des indicateurs de résultats et les évaluations afférentes, des documents budgétaires revus et corrigés pour être en cohérence avec des objectifs lisibles par tous, des instances de dialogue associant tous les acteurs du développement et, enfin, un pilotage politique renforcé.

Voilà, monsieur le ministre, ce que nous attendons d’une politique de coopération rénovée. Si vous relevez ces défis, nous serons, bien entendu, à vos côtés ; mais cela voudra surtout dire que nous aurons réussi ensemble à renforcer le rôle de la France au cœur du dialogue Nord-Sud. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Roger.

M. Gilbert Roger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un autre monde est possible ; pourtant, un quart de la population mondiale doit encore compter sur la solidarité internationale pour sortir des conditions d’extrême pauvreté dans lesquelles elle vit.

Les pays membres de l’OCDE allouent 90 % de l’aide publique au développement. Or, dans le rapport public thématique qu’elle a rendu en juin 2012 sur la politique française d’aide au développement, la Cour des comptes rappelait en introduction que, parmi les pays membres du comité d’aide au développement de l’OCDE, la France occupe, depuis 2010, la quatrième place, derrière les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni, pour le montant de l’aide accordée. Sa contribution nette déclarée s’est élevée à 9,35 milliards d’euros en 2011, soit près de 10 % du montant total. Cette aide représente, pour la France, un effort important et en progression : entre 2001 et 2011, son montant est passé de 0,30 % à 0,46 % du revenu national brut.

En dépit de l’importance de l’effort consenti, la politique française d’aide au développement connaît des problèmes d’efficacité. Je souhaiterais mettre en avant deux difficultés.

Tout d’abord, la politique d’aide au développement de très nombreux acteurs manque de cohérence et souffre d’une absence de coordination. Les politiques publiques sont donc parfois inadaptées et se caractérisent par un empilement institutionnel. De plus, ces différentes actions échappent pour la plupart à une véritable évaluation, comme l’ont déjà rappelé plusieurs de nos collègues.

Avant d’aller plus loin, je tiens à préciser que je ne cautionne pas un certain discours affirmant que des milliards de dollars d’aide étrangère ont été gaspillés depuis les années soixante. Nous ne devons pas perdre de vue que certaines formes d’aides ont considérablement contribué au développement de nombreux pays du Sud. Aussi l’utilité de cette aide n’est-elle pas à remettre en cause, bien au contraire.

Cela dit, le manque de cohérence et de coordination des politiques de développement, du fait du très grand nombre d’acteurs, existe bien. Cette situation pourrait être améliorée par une meilleure gouvernance. En effet, ces dernières décennies, les politiques d’aide au développement ont connu une double tendance à la prolifération et à la fragmentation.

Si l’on peut se réjouir de l’énergie et des ressources supplémentaires induites par ces évolutions, il en a également découlé une importante perte d’efficacité. Aussi l’enjeu de la gouvernance des politiques de développement réside-t-il aujourd’hui dans des processus incitant à la convergence d’actions engagées de façon décentralisée par de très nombreux intervenants.

Durant la plus grande partie de son existence, l’aide internationale au développement ressortissait aux États bailleurs. Ce modèle a été rendu caduc par l’intrusion de divers acteurs, publics et privés. En sus des agences, des fonds multi-bailleurs et des actions bilatérales des bailleurs traditionnels, des réseaux de collectivités locales prospèrent partout dans le monde et engagent leurs propres projets bilatéraux.

Ces programmes de coopération décentralisée lient une cité ou une région administrative dans un pays du Nord et son homologue dans un pays du Sud à travers des projets afférents à l’eau et l’hygiène publique, à l’éducation, à l’écologie ou à la santé.

Près de 3 800 collectivités territoriales en France déclarent être engagées dans des programmes de coopération décentralisée. Il faut y ajouter une myriade d’acteurs privés. La fin du monopole des États dans le domaine de l’aide au développement a en effet provoqué un essor de donations privées, activement encouragées par les gouvernements des pays riches au moyen de généreuses incitations fiscales.

Ainsi, toute une variété d’ONG a éclos dans les pays industrialisés et suscite désormais une part importante de transferts financiers Nord-Sud. Actuellement, ces bailleurs privés fournissent environ un tiers de l’aide internationale programmable. En deux décennies, les ONG internationales du monde entier sont devenues des acteurs centraux de l’aide au développement.

Par ailleurs, les fondations philanthropiques et les entreprises du secteur privé ont aussi vu leur importance croître dans le champ de la solidarité internationale. Cette montée sans précédent du nombre d’intervenants dans la gestion des défis globaux change fondamentalement la donne dans la sphère de la coopération internationale.

Cette masse d’acteurs, sans orientation clairement définie, entraîne deux difficultés qui font obstacle à l’efficacité de l’aide au développement : l’inadaptation des politiques et l’empilement institutionnel.

La première difficulté réside dans la disparité entre les interventions des bailleurs et les priorités du développement local. Ce paradoxe découle souvent de la concentration excessive du soutien public international : la tendance croissante à exiger une affectation des fonds offerts selon les priorités des bailleurs a rendu les flux financiers plus difficilement adaptables aux besoins fondamentaux des pays bénéficiaires. La lutte globale contre le VIH-sida et son empiètement sur le financement des programmes nationaux de santé, par exemple, en est une illustration.

La seconde difficulté est à trouver dans l’allocation inadaptée de l’aide internationale par secteur et par zone géographique. Dans cet univers de politiques morcelées et de plus en plus décentralisées, la majeure partie de l’aide est dirigée vers des sujets et des pays « à la mode ». Les apports de fonds vers certaines causes ou pays excèdent les besoins réels, tandis que d’autres politiques publiques cruciales et d’autres régions restent orphelines de l’aide internationale. Ces modes de fonctionnement génèrent de la duplication, des chevauchements et donc un gaspillage de ressources précieuses.

Enfin, je souhaitais pointer une dernière difficulté : la défaillance de l’évaluation, dont il a déjà été question au cours de ce débat. Aujourd’hui, les études et évaluations indépendantes font cruellement défaut. Trop peu est fait pour évaluer les performances des bailleurs sur la base de la qualité de l’aide fournie. De ce fait, des ONG fantômes errent dans les pays du Sud au nom du développement ou de l’aide humanitaire. Elles ajoutent à la charge de travail des autorités locales pour de piètres résultats en matière de développement.

Au vu de ces différents dysfonctionnements, il semble nécessaire de fournir un cadre d’action pour orienter les efforts de tous les acteurs de l’aide au développement et pour une plus grande efficacité. Les instances publiques ont un rôle fondamental à jouer pour remédier à cette complexité.

Une des meilleures façons d’éviter les choix de financement incohérents consisterait, selon moi, à œuvrer à la convergence des préférences des parties prenantes en communiquant plus activement avec les forces politiques intérieures sur les objectifs finaux de l’aide concernée, en donnant la parole à ses bénéficiaires, en bâtissant enfin de vrais indicateurs des contributions de l’aide à ces objectifs. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Assises du développement et de la solidarité internationale devraient rendre très prochainement leurs conclusions. Le fruit de ce dialogue entre les acteurs étatiques et la société civile permettra sans doute à notre pays d’approfondir sa stratégie d’aide au développement, voire de la refonder, et, dans une perspective plus large, d’alimenter les concertations engagées dans les instances internationales à l’approche de l’échéance, fixée à 2015, pour la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement.

Dans ce contexte, l’inscription du présent débat sur les relations Nord-Sud à l’ordre du jour de nos travaux est une initiative bienvenue de nos collègues écologistes.

Plus qu’un Sud, il y a des Sud, qui connaissent des trajectoires de développement bien différentes.

M. Yvon Collin. C’est vrai !

M. Robert Hue. Pour ma part, je centrerai mon propos sur l’Afrique, ce continent si proche de la France et avec lequel, dans le prolongement d’une histoire commune longtemps tourmentée, nous avons tissé des échanges privilégiés dans les domaines économique, culturel et migratoire. Les différents orateurs qui sont intervenus avant moi ont participé à la démonstration du lien qui existe entre nos deux continents.

L’Afrique, entrée hier dans le concert des nations, est aujourd’hui de plain-pied dans l’ère de la mondialisation, avec tous les défis que celle-ci lui impose, parfois avec brutalité. C’est en particulier dans la région subsaharienne que se trouvent encore les principaux enjeux du sous-développement. Le document-cadre de coopération au développement en a donc fait une zone prioritaire. C’est une bonne chose, car, au-delà de l’impérieuse nécessité de sortir la population de la misère, il faut que l’Afrique subsaharienne retrouve une stabilité politique, faute de quoi son développement accusera toujours un retard.

Comme l’a rappelé le Président de la République lors de son déplacement à Dakar : « Il n’y a pas de vrai développement économique, ni de vrai progrès social, sans démocratie ».

Je n’oublierai pas non plus, mes chers collègues, que le développement de l’Afrique est la condition d’un monde plus sûr. Notre intervention militaire au Mali et l’enlèvement, avant-hier, d’une famille française au Cameroun – j’ignore où en est ce dossier – nous rappellent de façon tragique que c’est bien sûr le terreau de l’extrême pauvreté, souvent pollué par les trafics et la corruption, que se développent le terrorisme et les extrémismes les plus violents.

Malgré ces difficultés, il convient d’éviter la posture de l’afro-pessimisme et les discours compassionnels, afin de regarder plutôt avec espoir et volontarisme une région qui dispose de grandes richesses naturelles et humaines.

Pour l’aider à valoriser ses atouts et à atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, dont on sait qu’ils sont déjà hypothéqués, trois mots doivent guider, à mon sens, notre stratégie de coopération en faveur du développement : solidarité – cela va sans dire, mais il est préférable de le rappeler –, transparence et efficacité.

La solidarité consiste à maintenir et à amplifier l’aide publique au développement qui marque actuellement le pas. La réalisation du vœu d’y consacrer 0,7 % de notre revenu national brut s’éloigne chaque année un peu plus. Je le regrette, d’autant que l’aide bilatérale régresse au profit de l’aide multilatérale.

La transparence implique notamment de porter une attention particulière à des mécanismes nuisibles au développement. Je pense à la question des flux illicites de capitaux qui quittent les pays du Sud. Des multinationales déplacent leur assiette fiscale dans des pays où les fonds ne sont pas taxés, privant in fine leur pays d’origine de ressources budgétaires potentielles.

Il s’agit d’un véritable pillage fiscal, qui s’ajoute au pillage des ressources naturelles et au pillage des terres agricoles pour un prix dérisoire, ce problème s’étant posé plus récemment. Sur ce dernier point aussi, je crois qu’il faudrait davantage sensibiliser la communauté nationale à un phénomène qui fait de l’Afrique un continent à louer.

On accuse souvent la Chine et l’Inde d’accaparer les terres, ce qui n’est pas faux, mais les Européens se sont également lancés dans cette pratique pour la production d’agro-carburants, au risque d’hypothéquer le défi alimentaire mondial, un sujet bien connu de mon ami Yvon Collin.

M. Yvon Collin. C’est vrai.

M. Robert Hue. Enfin, je dirai quelques mots de l’efficacité de l’aide publique au développement, un thème tout à fait central des Assises du développement, monsieur le ministre.

Renforcer l’implication des bénéficiaires est une recommandation que j’ai souvent entendue. Le problème des capacités institutionnelles du pays récipiendaire de l’aide est fréquemment avancé comme un handicap à l’emploi efficace de celle-ci. C’est une réalité, certes, mais il faut également souligner qu’une majorité de bailleurs de fonds établissent un rapport aidé-aidant, alors qu’ils devraient s’évertuer à encourager l’appropriation locale des projets ou de l’aide.

En liaison avec nos partenaires européens, c’est bien un partenariat de type nouveau avec l’Afrique que nous devons engager. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai évoqué précédemment la nécessaire refondation de notre politique d’aide au développement.

Mes chers collègues, tels sont les quelques éléments que je souhaitais vous livrer.

En conclusion, je partage la certitude exprimée par notre ami Kofi Yamgnane dans son livre Nous grandirons ensemble : « Dans le monde du XXIe siècle, le développement séparé ne peut plus exister ». Aussi avons-nous la certitude que le Nord a autant besoin du Sud que le Sud a besoin du Nord. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier l’ensemble des groupes politiques d’avoir participé à ce débat, avec une mention particulière pour le groupe écologiste, qui en a pris l’initiative.

La politique de développement est, certes, l’une des plus belles que l’on puisse mener. Nombre d’entre vous ont rappelé les chiffres qui attestent la dure réalité du monde : plus de 800 millions de personnes souffrent de malnutrition et 2 milliards vivent avec moins de 2 dollars par jour. Notre politique de développement vise précisément à essayer d’alléger cette grande pauvreté.

Ce débat a permis aux différents orateurs, pendant une heure et demie, d’aborder de manière assez complète diverses questions. Ne disposant pour ma part que d’un temps plus restreint, je vais tenter de répondre brièvement à quelques interrogations.

Le premier des enjeux qui ont été évoqués est d’ordre financier. Ce n’est pas très romantique, mais l’argent étant le nerf de la guerre, il faut bien en parler !

Certains intervenants ont soutenu que le budget affecté au développement avait diminué. Je ne peux que contester cette affirmation. En effet, l’effort financier que ce gouvernement a consacré au développement dans la loi de finances pour 2013 est parfaitement stable par rapport au budget antérieur si l’on prend en compte, comme l’impose la raison, l’affectation de 10 % de la taxe sur les transactions financières à ce poste. Si cette taxe est, pour des raisons techniques, dite « extrabudgétaire », c’est justement pour que son affectation soit fléchée sur le développement. En d’autres termes, le fait qu’elle ne soit pas, techniquement, intégrée au budget n’affecte nullement l’effort budgétaire véritablement fourni.

Sans doute d’autres pays font-ils mieux que nous, notamment la Grande-Bretagne, mais beaucoup font aussi moins bien : l’aide a diminué de 80 % en Espagne, de 25 % aux Pays-Bas, par exemple. C’est donc un choix volontariste du Gouvernement que de maintenir l’effort budgétaire accompli au service du développement.

Plusieurs d’entre vous ont parlé des financements innovants. Maintenant que la taxe française est en place, un grand débat est ouvert sur la taxe européenne, et notre pays est en pointe sur ce dossier. Ma responsabilité est de convaincre les autres gouvernements – les ministres chargés du développement, mais aussi les ministres des finances – d’affecter au développement une partie de la future taxe européenne sur les transactions financières.

Afin de vous donner une idée des chiffres qui sont en jeu, je citerai les 35 milliards d’euros mentionnés dans l’étude de la Commission européenne parue voilà une dizaine de jours sur une taxe à douze États membres, dans le cadre de la coopération renforcée. Si nous n’affections ne serait-ce que 10 % de ce montant au développement, nous pourrions presque doubler le fameux Fonds européen de développement.

Vous le constatez, les enjeux financiers sont extraordinairement importants. Ils vont faire l’objet d’une négociation déterminante cette année et constituent un élément clé de mon action.

Plusieurs parmi vous m’ont demandé d’apporter des précisions sur le Fonds européen de développement. Il est stabilisé en volume, et je crois pouvoir dire que nous n’y sommes pas pour rien. Ainsi, l’augmentation de la capacité d’engagement de ce fonds est à peu près équivalente à l’inflation anticipée ; cela signifie que, sur les sept prochaines années, nous allons sanctuariser la capacité d’aide publique au développement de l’Union européen dans les cent pays les plus pauvres au monde.

Lorsqu’on étudie les conclusions du débat budgétaire européen, on doit bien constater que le FED est, de fait, plutôt privilégié par rapport à d’autres politiques. Nous ne pouvons que nous en féliciter tous ensemble.

Cet après-midi, au-delà des enjeux financiers, d’autres grands sujets ont bien sûr été abordés, qui méritent effectivement, même s’ils ne sont pas nouveaux, de retenir l’attention.

En matière de pauvreté, des progrès ont été réalisés, mais il reste encore beaucoup à faire. Il existe une nouvelle équation du développement qui permet de prendre également en compte l’exigence d’un développement soutenable.

De ce point de vue, on peut mentionner de très nombreux sujets de tension : la ressource en eau, les ressources halieutiques, la biodiversité, etc. En cet instant, je me contenterai d’évoquer le climat, me référant au dernier rapport de la Banque mondiale, qui portait sur le changement climatique. La Banque mondiale emploie le mot « cataclysme » pour qualifier l’impact du changement climatique sur les pays les plus vulnérables, qui sont aussi les plus pauvres. Je ne suis pas sûr que cette institution utilise ce mot sur beaucoup de sujets…

Nous devons absolument être conscients de la convergence qui existe entre les politiques de développement et de développement soutenable, faute de quoi les 2 milliards d’habitants de la planète qui vivent avec moins de 2 dollars par jour ne pourront pas connaître quelque développement que ce soit en raison des conséquences du changement climatique qu’ils subiront.

Selon la Banque mondiale, tous les gains obtenus depuis une décennie en matière de lutte contre la mortalité infantile seraient annihilés par les sécheresses, par l’insécurité alimentaire et sanitaire liée aux chocs climatiques.

Cet important élément de réflexion doit orienter notre stratégie dans le domaine de l’aide publique. Nous avons d’ailleurs commencé à en tenir compte. Nous avons ainsi réorienté notre action en matière énergétique ; nous sommes en train de faire de même en matière alimentaire.

Le 1er mars, le Président de la République clôturera les Assises du développement et de la solidarité internationale et le discours qu’il prononcera à cette occasion lui permettra certainement de tracer de nouvelles perspectives. Cependant, une certaine prudence institutionnelle m’incitant à ne pas faire d’annonces avant lui, j’attendrai quelques jours avant de dérouler la nouvelle feuille de route relative au développement pour les quatre ans à venir, c'est-à-dire jusqu’à la fin du quinquennat. Aucun d’entre vous, j’imagine, ne songera à me le reprocher. (Sourires.)

La question de la légitimité de cette aide a également été soulevée. C’est bien parce qu’elle se doit d’être légitime qu’il faut qu’elle soit plus transparente et que l’on s’assure en permanence de son efficacité.

Le dernier sondage réalisé pour l’Agence française de développement sur l’opinion des Français quant à l’aide publique au développement fait apparaître que, pour 72 % d’entre eux, il faut soit maintenir, soit augmenter l’effort en faveur de la solidarité internationale. Et nous n’avions pas orienté la question en la formulant par exemple ainsi : « Tant d’enfants meurent encore de faim. Faut-il augmenter notre effort de solidarité ? » Nous avions même posé la question en sens inverse : « Dans un contexte budgétaire contraint, faut-il maintenir, baisser ou augmenter l’aide publique au développement ? » Eh bien, malgré cette formulation, je le répète, 72 % des Français répondent qu’il faut la maintenir ou l’augmenter.

Par conséquent, quels que soient les efforts qu’il reste à réaliser en matière de transparence et d’efficacité – ce à quoi je m’emploie –, nous bénéficions d’un soutien dans la société. C’est important, car il s’agit d’une des politiques qui permettent de tirer la mondialisation vers le haut, d’affirmer l’interdépendance entre les États et de donner l’image d’une société française ouverte sur le monde et non pas repliée sur elle-même.

J’en viens aux questions de genre qui, sachez-le, constituent l’une de mes priorités. Si une évaluation de la stratégie « genre » a été dressée, c’est parce que quelqu’un l’a demandé : mon prédécesseur, M. de Raincourt, que je tiens à saluer. Cette démarche nous permettra de faire un pas supplémentaire dans les prochains mois. Après l’évaluation rendue publique en janvier, nous en sommes donc à la construction d’une nouvelle stratégie renforcée qui, elle, sera dévoilée au mois de juin.

J’ai rencontré des militants de la cause LGBTI – lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués. La France est un des rares pays au monde à avoir mis en place, en faveur de la défense des droits des personnes intéressées, un fonds LGBTI, que j’ai relancé et renforcé, y compris sur le plan budgétaire.

Les militants que j’ai rencontrés venaient aussi bien d’Afrique noire, de Chine que d’Amérique latine. Partout dans le monde, ils sont reconnaissants à la France de l’effort que nous faisons pour promouvoir la lutte contre toutes les formes de discrimination.

Vous avez également évoqué à plusieurs reprises la question des nouvelles relations économiques et du pillage. Monsieur Robert Hue, je retiens l’expression de « triple pillage : fiscal, minier et des terres » : si vous n’exigez pas des droits d’auteur, je la reprendrai volontiers à mon compte dans mes prochains discours ! (Sourires.)

Qu’avons-nous fait concernant la fiscalité ? L’aide publique au développement représente 10 % de la totalité des flux financiers qui remontent du Sud vers le Nord et qui passent en partie par les paradis fiscaux. La France est le premier pays au monde à avoir soutenu des initiatives à cet égard.

Par exemple, en partenariat avec la Norvège, nous finançons le projet lancé par l’OCDE d’« inspecteurs des impôts sans frontières » ; je ne sais pas si cette appellation perdurera jusqu’au bout. Quoi qu'il en soit, l’objectif est précisément de mettre les compétences d’inspecteurs des impôts, soit actifs, soit retraités, en provenance des pays du Nord, au service des administrations fiscales des pays du Sud pour des cas concrets de montage fiscal opaque à l’origine de l’évasion de recettes fiscales que les États ne peuvent donc pas utiliser pour mener des politiques publiques en matière de santé ou d’éducation. Ce n’est qu’un exemple, mais je pourrais en citer d’autres qui témoignent de l’importance que nous accordons à ce sujet.

S’agissant des terres, nous sommes tout à fait conscients de l’importance qu’il y a à lutter contre leur accaparement. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à l’Agence française de développement – ce sera aussi valable pour sa filiale PROPARCO, qui traite les projets d’investissements privés – de n’accorder aucun prêt dans le domaine agricole pour des investissements qui ne respecteraient pas les principes de la FAO sur lesquels la communauté internationale s’est mise d’accord voilà quelques mois.

Il ne peut y avoir, d’un côté, une diplomatie française qui, quelle que soit la couleur du gouvernement, lutte contre l’accaparement des terres et, de l’autre, un outil public, l’AFD et sa filiale PROPARCO, qui ferait le contraire !