M. François Zocchetto, rapporteur. Tout à fait !

M. Pierre Charon. Nous ne pouvons pas rayer d’un trait de plume ces Français qui ne se reconnaissent pas dans l’offre politique. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur le message de détresse que ces électeurs nous envoient en refusant de donner leur voix aux candidats en lice. Nous ne pouvons tout simplement pas mépriser le choix de ces Français !

C’est pourquoi, bien qu’il ne s’agisse là que d’un premier pas, qui appellera sûrement des réflexions ultérieures, le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc de la commission.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’adhésion du plus grand nombre, sinon aux décisions, du moins au processus de décision participe de la quête d’une démocratie parfaite.

Cette quête s’engage d’abord par la reconnaissance du droit de tous ceux qui vivent dans nos villes, dans nos villages ou qui, hors de France, appartiennent à notre communauté nationale de s’exprimer par le vote sur les sujets qui les concernent.

Les hommes, les femmes longtemps après, les jeunes de dix-huit ans ensuite, les ressortissants communautaires enfin, pour les élections municipales, se sont vu reconnaître le droit de participer à la vie de la cité. La reconnaissance du droit de vote des étrangers non communautaires aux élections, adoptée au Sénat il y a plus d’un an, constituerait d’ailleurs le parachèvement de cette démarche.

Cependant, cette ouverture de droit ne fait pas tout : force est de constater que l’abstention, le refus d’exprimer un vote progressent. Ce phénomène traduit l’existence d’un doute vis-à-vis des acteurs de la vie politique ou, plus largement, d’un doute sur la capacité de la volonté politique à exprimer concrètement les promesses et à obtenir des résultats.

Afin de lutter contre cette défiance, nous, parlementaires, devons faire en sorte que notre action politique soit en harmonie avec nos engagements et nos paroles, montrer à chaque instant quels sont nos objectifs et comment nous souhaitons les atteindre. Nous devons également nous interroger sur la capacité de nos institutions à répondre à ces attentes, ainsi que sur la pertinence du cadre dans lequel nous menons notre action.

Toutes ces interrogations se retrouvent aujourd’hui au cœur des débats sur le pilotage politique des orientations économiques de la zone euro, sur la nature du contrôle démocratique qu’il convient de mettre en place et sur les orientations de l’Europe.

Quel est l’objet de cette proposition de loi ? Elle vise à permettre de comptabiliser les votes blancs sans pour autant les intégrer aux suffrages exprimés.

Une telle formule permet non seulement de ne pas modifier nos équilibres institutionnels, mais aussi d’éviter que ne soient proclamés élus des candidats n’ayant pas obtenu 50 % des suffrages exprimés, car cela obligerait de surcroît à modifier la Constitution.

Pourquoi instaurer la reconnaissance du vote blanc ? Voter blanc, ce n’est ni de l’abstention ni de l’indifférence. Sénateur des Français établis hors de France, je sais combien de centaines, parfois de milliers de kilomètres doivent parcourir nos concitoyens résidant à l’étranger afin de voter. Cet effort pour aller jusqu’à l’urne doit être reconnu, même si le choix politique offert aux électeurs ne leur convient pas. Je rappelle qu’en 2012, par exemple, ils ont dû se déplacer quatre fois, à l’occasion des deux tours de scrutin de l’élection présidentielle, puis des élections législatives. Je signale au passage que le vote par internet n’a été possible que pour les élections législatives.

Reconnaître le vote blanc, c’est donc reconnaître la valeur de l’effort qui est fait pour se déplacer jusqu’à l’urne.

Gardons-nous cependant de chercher à « normer » la contestation ou à faire entrer tous les insatisfaits du système dans un cadre donné. On pourrait imaginer, par exemple, des bulletins de couleurs différentes selon les orientations politiques permettant de barrer le nom du candidat. Ce faisant, l’électeur signalerait que le choix du candidat ne lui convient pas, mais qu’il reste fidèle à ses convictions. Aujourd’hui, s’il est difficile de se déplacer jusqu’au bureau de vote et que l’offre politique n’est pas satisfaisante, l’électeur désabusé, insatisfait, ne vient pas !

Cependant, accorder une place trop importante au vote blanc risque de transformer le sens de l’élection. Une élection, en effet, consiste non pas à exprimer un état d’âme mais à opérer un choix en fonction d’un dispositif retenu par nos institutions. Si nous dénaturons cet esprit-là, le sens de l’élection est changé : ce serait un danger pour la démocratie.

La réalité oblige à dire que, en fin de compte, l’absence de vote, le vote nul et le vote blanc ont le même effet sur le résultat de l’élection : ne pas exprimer son suffrage revient à laisser aux autres le soin de choisir ; c’est se comporter comme si le choix offert, c’était « bonnet blanc ou blanc bonnet », selon la formule de Jacques Duclos.

Mme Cécile Cukierman. C’était dans un contexte particulier et à une autre époque !

M. Jean-Yves Leconte. Mais, ma chère collègue, vous le savez, certaines choses sont éternelles…

Ce refus de choisir est absolument légitime, j’en conviens. Il ne s’agit pas d’obliger nos concitoyens à voter pour l’un des candidats. Mais, reconnaissons-le, lorsqu’on ne choisit pas, ce sont les autres qui le font.

La question du vote blanc est souvent liée à celle du vote obligatoire. Or, comme je le disais tout à l’heure, cette piste de réflexion n’est probablement pas la bonne, car, d’une certaine manière, elle participe de la volonté de mettre les personnes insatisfaites dans un cadre unique, de « normer » l’insatisfaction, de faire entrer les rebelles dans une case. Ce n’est pas dans ce sens qu’il faut agir.

En vérité, il revient aux responsables politiques, aux citoyens, à la société civile d’essayer, en fonction de l’abstention, des votes nuls et des votes blancs, qui pourront désormais être séparés, d’interpréter au mieux une situation politique pour y répondre et de faire évoluer l’offre politique.

Lors de la discussion de la présente proposition de loi à l’Assemblée nationale, le rapporteur, M. Sauvadet, soulignait que « c’est à l’occasion des référendums que les pics de vote blanc et nul sont les plus impressionnants ».

Cette remarque nous ramène un peu au débat que nous avons eu ce matin sur l’adaptation de l’article 11 de la Constitution. Peut-être souligne-t-elle que, malgré tout ce qui peut être dit, les Français sont assez attachés à la démocratie représentative et à la capacité de leurs élus au Parlement de faire la loi.

En reconnaissant le vote blanc, la France rejoindra d’autres pays, tels que la Suisse, l’Espagne, les Pays-Bas et la Suède, en Europe, mais aussi le Pérou, le Costa Rica, le Brésil et l’Uruguay, en Amérique latine.

Quand je parlais précédemment de risque pour la démocratie, je pensais aussi à la pratique du « vote contre tous » qui avait lieu dans certains pays issus de l’ex-Union soviétique et qui faisait l’objet d’une véritable comptabilisation. Si ces votes étaient plus nombreux que ceux qui étaient en faveur d’un candidat, une nouvelle élection devait alors être organisée. Ce système a entraîné des blocages dans de nombreux pays. Si, en Biélorussie, dès l’élection de M. Loukachenko, la dictature a pu se renforcer, c’est bien parce que les élections parlementaires avaient été bloquées du fait de ce système.

Il ne faut donc surtout pas laisser penser qu’une élection est autre chose qu’un choix. C’est bien un choix, et non l’expression d’un état d’âme.

Avant de conclure mon intervention, je voudrais remercier les membres du groupe centriste de nous avoir permis de débattre sur cette proposition de loi.

Eu égard aux enjeux auxquels notre pays doit faire face aujourd'hui, je conçois que ce débat puisse paraître un peu décalé. Mais, pour ceux qui choisissent de ne pas choisir tout en faisant l’effort de se déplacer pour l’exprimer, je pense que la reconnaissance que nous pouvons leur accorder en adoptant ce texte sera utile.

Comme l’a souligné M. le ministre, l’adoption de la proposition de loi permettra de quantifier réellement le vote blanc et de le séparer des votes nuls. C'est la raison pour laquelle les membres du groupe socialiste voteront ce texte tel qu’il ressort des travaux de la commission des lois. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour les partisans de la reconnaissance du vote blanc, le bulletin blanc prend concrètement la forme suivante : une feuille de papier blanc aux dimensions de l’enveloppe que l’on glisse dans celle-ci. Si l’on ne possède pas de ciseaux ou si l’on répugne au travail manuel, il suffit de plier la même feuille pour qu’elle entre dans l’enveloppe…

Voilà pour les modalités pratiques. Dans le temps qui m’est imparti, et dans un esprit républicain, je m’attacherai plutôt aux questions de fond.

M. le rapporteur l’a rappelé, le problème de la pleine reconnaissance du vote blanc est récurrent en France. Ce type de vote paraît être de plus en plus pris en compte par les électeurs, mais aussi par les élus. En témoigne la multiplication des propositions de loi allant dans ce sens déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat depuis le début des années quatre-vingt-dix, sans toutefois qu’aucune d’entre elles ait à ce jour abouti. La proposition de loi de François Sauvadet semble échapper à ce sort puisque, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, elle poursuit son chemin dans notre hémicycle.

Les débats à l’Assemblée nationale et au sein de la commission des lois ont mis en relief deux niveaux de revendications : la simple séparation comptable des bulletins blancs et nuls à l’issue du dépouillement ; au-delà, l’assimilation des bulletins blancs à des suffrages exprimés.

Pour ce qui concerne le premier niveau, il est certain que voter blanc et voter nul ne relève pas, a priori, de la même logique. En effet, si le vote nul peut correspondre à une maladresse de l’électeur, à la volonté d’exprimer un message ou encore au rejet de telle ou telle personne dont le nom sera biffé d’un trait sur le bulletin, le vote blanc est le plus souvent un acte raisonné.

Toutefois, mes chers collègues, les échanges avec nos concitoyens qui recourent au vote blanc, au vote nul ou même s’abstiennent font apparaître que, dans leur esprit, la distinction entre ces différentes attitudes à l’occasion d’un scrutin est peut-être beaucoup moins nette.

Il reste que, cela a été rappelé, le développement de l’usage des machines à voter conforte la spécificité du vote blanc par rapport au vote nul et la nécessaire dissociation qui doit être faite entre les bulletins blancs et les bulletins nuls.

La réponse au second niveau de revendication est plus complexe, car elle implique de cerner la signification du vote blanc aux yeux de son auteur. Or, je le disais, l’interprétation est très délicate puisque de multiples hypothèses doivent être prises en compte.

En effet, si le vote blanc peut être considéré, à la différence des bulletins nuls, comme la concrétisation d’un acte intentionnel et raisonné, il peut aussi être vu comme un outil manifestant l’hostilité à l’égard de la politique, un refus des candidats en présence ou encore une difficulté de choisir entre ces mêmes candidats. On a ainsi pu parler de la nécessaire prise en compte de cet « électorat mécontent mais civique » ou de ce « vote protestataire éclairé ». En tout cas, une chose semble sûre : le vote blanc ne traduit pas une simple indifférence à l’égard du scrutin.

L’abstention, quant à elle, n’est pas toujours l’expression d’une indifférence totale à l’égard du débat politique et des choix qui peuvent être faits.

Nous pouvons cependant considérer que le fait de se rendre dans un bureau de vote afin de glisser un bulletin blanc dans une urne marque un attachement indiscutable au processus électoral, au droit de vote.

Mais gardons-nous de l’idée politiquement correcte que traduit l’expression : « mieux vaut se déplacer, même si c’est pour ne pas s’exprimer ». En effet, que l’on vote blanc, nul ou que l’on s’abstienne, finalement, on renonce à choisir entre les solutions qui sont proposées, qu’il s’agisse d’un référendum ou d’élections.

La proposition de loi que nous examinons est-elle un véritable remède à l’abstention ? Si l’on considère que celle-ci est utilisée à défaut de vote blanc comme une réponse électorale à part entière, la consécration du vote blanc aurait pour vertu certaine d’attirer vers les urnes les électeurs en cause. Mais, là encore, rien n’est certain tant les motivations d’un tel vote peuvent être diverses.

En tout état de cause, mes chers collègues, ce texte ne saurait représenter « la » réponse à la crise de la représentation politique. La lutte contre les déséquilibres de notre régime, le sentiment de défiance d’une partie de nos concitoyens envers nos institutions supposent une véritable démocratisation de ces dernières, démocratisation que nous avons maintes fois proposée : revalorisation du rôle du Parlement ; juste représentation de la diversité des sensibilités politiques de nos concitoyens par le biais de la mise en œuvre du scrutin à la proportionnelle, garant du pluralisme démocratique ; réforme des assemblées parlementaires ; véritable décentralisation, permettant la démocratie participative et de proximité, favorisant la citoyenneté.

Le temps me manque et ce n’est pas forcément le jour ni la bonne heure – nous sommes d’ailleurs bien peu nombreux ! – pour évoquer en détail les faiblesses de la Ve République en ce début de XXIsiècle et la nécessité de la transformer pour répondre aux besoins démocratiques.

Certes, face à la crise grave et profonde de la représentation, reconnaître le vote blanc serait sans doute un moyen, parmi d’autres, de lutter contre l’abstention.

La réflexion que nous menons actuellement trouve bien évidemment parmi les membres du groupe CRC. À l’issue de notre débat, la prise en compte des votes blancs dans le calcul des suffrages exprimés restera posée et devra être étudiée. En effet, le décompte à part de ces votes n’a qu’une portée limitée. Comme cela a été rappelé, leur reconnaissance soulève des difficultés juridiques, mais cela ne doit nullement nous empêcher d’en débattre.

L’ampleur de cette réforme ne saurait conduire à écarter des pistes de réflexion modestes mais pragmatiques. C’est la raison pour laquelle les sénateurs du groupe CRC voteront la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je défends d’autant plus facilement ce texte sur la reconnaissance du vote blanc que j’en avais personnellement déposé un semblable voilà quelques années.

Certes, la reconnaissance spécifique du vote blanc peut apparaître à certains comme une mesure gadget. Toutefois, à une époque où l’on s’inquiète souvent du désintérêt croissant de nos concitoyens pour la chose publique, notamment eu égard aux taux d’abstention constatés à chaque élection, il est important pour ceux qui, comme tous les membres de cette assemblée, me semble-t-il, sont attachés à une démocratie vivante d’élargir la possibilité offerte à nos concitoyens de s’exprimer par les urnes, y compris lorsque les candidatures ou la seule alternative binaire qui leur sont proposées ne répondent par à leur attente. Cette proposition de loi y contribue.

Pourquoi distinguer le vote blanc du vote nul ? Tout simplement parce que ce n’est pas la même chose !

Rayer un bulletin, y apposer une annotation ou une caricature, c’est tourner en dérision un ou plusieurs candidats et, par là même, dévaloriser l’élection.

Voter blanc, ce n’est pas se moquer des candidats ; c’est s’exprimer en tant que citoyen respectueux de l’élection, qui tient à y participer, mais qui ne se sent pas en mesure de choisir entre les candidats ou la seule alternative binaire – oui ou non – qui lui est proposée.

D’ailleurs, quand il est demandé ici de procéder à un vote par scrutin public, nous disposons bien de trois bulletins pour exprimer notre choix : un bulletin favorable à la proposition sur laquelle nous nous prononçons, un bulletin défavorable à cette proposition et un bulletin qui traduit, comme le vote blanc – quoique ce bulletin en question soit de couleur rouge ! –, le refus de choisir entre le pour et le contre.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais qui n’est pas pris en compte dans les suffrages exprimés !

M. Yves Détraigne. Tout à fait !

En tout cas, je n’ai jamais entendu qui que ce soit contester la présence de ce troisième bulletin.

Lorsqu’il est suggéré de distinguer les bulletins blancs des bulletins nuls, il s’agit bien d’affirmer que le vote blanc exprime cette impossibilité de choisir.

C’est d’ailleurs pourquoi j’ai cosigné l’amendement de notre collègue Christian Cointat visant à mettre des bulletins blancs à disposition dans les bureaux de vote, ce qui lèverait toute ambiguïté. En effet, si on laissait à l’électeur la possibilité d’apporter ses propres bulletins blancs, il y aurait nécessairement des bulletins blancs de différentes tailles. Certains d’entre eux pourraient alors être considérés comme présentant un signe particulier et devant être déclarés nuls… Nous reviendrons tout à l'heure sur ce point.

Reste la question de savoir si le vote blanc doit ou non être considéré comme un suffrage exprimé. Doit-il être vu comme l’expression d’un choix ou être confondu avec les bulletins rayés ou annotés que j’évoquais ?

Pour ma part, je pense qu’il faut distinguer ces différents types de bulletins et regarder le bulletin blanc comme l’expression de l’électeur qui n’a pas su ou pas voulu choisir, mais qui a effectivement tenu à s’exprimer et souhaite que son expression soit prise en compte. Le vote blanc n’est pas la manifestation d’un rejet, contrairement au bulletin nul, qui, souvent, tourne en dérision les candidats et ne fait pas forcément honneur à la démocratie.

En outre, si la reconnaissance du vote blanc est un moyen de faire revenir une partie des électeurs dans les isoloirs, comme on a pu le lire dans l’exposé des motifs de plusieurs des propositions de lois déposées sur ce thème il y a quelques années – notamment après le référendum de septembre 2000, pour lequel à peine un peu plus de 30 % du corps électoral s’était déplacé –, je pense que nous ferons œuvre utile.

Toutefois, j’entends bien que décompter les bulletins blancs parmi les suffrages exprimés présente un risque : celui d’avoir à constater que ces bulletins sont plus nombreux que ceux qui s’expriment en faveur de tel ou tel candidat et, de ce fait, d’affaiblir la légitimité du candidat élu.

À cet égard, la formule proposée, qui consiste à décompter séparément les bulletins blancs des bulletins nuls sans les prendre en compte dans les suffrages exprimés, me paraît la bonne. Cela étant, à titre personnel, je considère le risque de voir les bulletins blancs « remporter » un scrutin comme tout à fait improbable, et c’est heureux. Du reste, ce sentiment me semble partagé par nombre d’entre nous.

J’ajoute que, dans les communes où l’on vote par l’intermédiaire de machines à voter, il existe une touche « bulletin blanc ». Que je sache, cette touche spécifique n’a jamais modifié ou entaché de doute les résultats concernés (Mme Cécile Cukierman approuve.), lesquels ne sont au demeurant pas forcément sensiblement différents de ceux que l’on constate dans le reste de la circonscription électorale.

À ce propos, monsieur le ministre, je regrette que l’on n’encourage pas plus l’usage du vote électronique pour les élections dans notre pays – je m’exprime ici à titre personnel, et non au nom du groupe UDI-UC. Si le matériel utilisé de manière expérimentale il y a quelques années dans certaines communes a pu provoquer quelques difficultés, il est des villes où l’on continue à utiliser les machines à voter – ainsi d’Issy-les-Moulineaux, en région parisienne, ou d’Épernay, dans mon département de la Marne –, sans que cela pose aucun problème aux électeurs, quels que soient leur âge ou leur perception des nouvelles technologies. Bien au contraire, ces machines permettent aux opérations de vote d’aller plus vite et d’obtenir les résultats beaucoup plus rapidement !

Alors que l’on envisage de reporter à dix-neuf ou vingt heures la fermeture des bureaux de vote dans toutes les communes, le moment est venu de rouvrir le débat sur la machine à voter, qui finira très vraisemblablement par s’imposer et permettra d’avoir beaucoup plus rapidement les résultats définitifs d’un vote.

Monsieur le ministre, je serais très intéressé de connaître l’opinion du Gouvernement sur cette évolution du mode de votation.

Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe UDI-UC approuve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Madame la présidente, permettez-moi d’abord de remercier l’ensemble des sénateurs qui sont intervenus dans la discussion générale. Le débat a été de qualité et, si j’ai bien compris, pourrait aboutir à un vote unanime.

Monsieur le rapporteur, après un certain nombre de rappels historiques, vous avez abordé la question qui fait le plus débat : celle de la comptabilisation des bulletins blancs parmi les suffrages exprimés.

Vous avez examiné les résultats de plusieurs élections présidentielles à la lumière d’une telle comptabilisation. Il semble que la simple distinction entre votes blancs et votes nuls permettrait déjà d’avoir une lecture un peu plus nuancée de ces résultats ; j’y reviendrai.

À M. Fortassin, qui s’est prononcé en faveur du texte tout en indiquant qu’il était très intéressé par la question de la prise en compte des bulletins blancs dans les suffrages exprimés, je veux dire que le débat sur le vote blanc est bien un débat de fond : il s’agit de notre conception de la démocratie et, donc, du choix de la démocratie représentative que nous avons fait collectivement.

Ce choix s’exprime aussi dans des décisions constitutionnelles qui n’ont pas été évoquées dans le débat mais qui devraient forcément être prises en considération si l’on allait au bout de la logique. Je pense notamment au fait que seuls deux candidats peuvent se maintenir au second tour de l’élection présidentielle, décision fondamentale tout simplement inspirée par l’idée que la légitimité de celui qui va exercer des pouvoirs importants doit être incontestable et que ce dernier doit de toute façon être approuvé par une majorité des suffrages exprimés au second tour. Apparemment, personne ne conteste cette règle, dont l’objectif est bien que la légitimité du pouvoir le plus important de notre Constitution ne puisse à aucun moment être contestée.

Si l’on s’engage dans une autre voie, cette règle sera nécessairement mise en cause. Et cela ne vaut d’ailleurs pas seulement pour l’élection présidentielle !

J’ai cru comprendre que, aujourd'hui même, sur un autre sujet, la règle selon laquelle seuls deux candidats peuvent se maintenir au second tour a fait l’objet d’un débat, au moins en commission. Cela montre bien que, si l’on transpose la problématique, y compris aux élections locales, nous avons encore du chemin à parcourir pour arriver à une position cohérente puisque, en l’occurrence, les propos exprimés cet après-midi ne vont pas forcément dans le même sens que ceux qui ont été tenus ce matin. Je ne vois pas là une contradiction ; c’est simplement la preuve qu’il s’agit d’un problème de fond.

Bien entendu, le Gouvernement accepte que l’on remette en question les choix collectifs opérés par le passé. Encore faut-il que l’on aille jusqu’au bout de la démonstration…

Monsieur Fortassin, j’ai évidemment noté avec satisfaction que, in fine, vous considériez que la présente proposition de loi permettait aujourd'hui de faire un petit pas en avant et que votre groupe la soutiendrait.

Cela va de soi, madame Lipietz, l’électeur est libre ! Que l’on ne se trompe pas de débat : personne ici n’entend remettre en cause l’existence du vote blanc. Au contraire ! Il ne faut pas retourner la démonstration : si nous avons soutenu ce texte, c’est bien parce que ses promoteurs – en l’occurrence, le groupe centriste de l’Assemblée nationale – et tous ceux qui l’ont appuyé souhaitaient donner au vote blanc une identification qui apparaît aujourd'hui nécessaire. Néanmoins, ce pas en avant est le seul qui soit aujourd'hui compatible avec les principes constitutionnels dont je parlais précédemment, et donc possible.

Si la présente proposition de loi ne prévoit pas la démarche que vous appelez de vos vœux, elle ne vient pas affaiblir le vote blanc : à l’inverse, elle vient en reconnaître la spécificité, notamment en le distinguant du vote nul.

Monsieur Charon, vous avez raison : il y a dans le vote blanc un message politique qui n’est ni plus ni moins fort que le message de l’électeur qui choisit l’un des candidats.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Certes, mais il n’est pas toujours très clair !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. D'ailleurs, cela a été dit par tous les intervenants.

Néanmoins, aujourd'hui, c’est plus souvent le candidat ayant perdu l’élection qui est amené à évoquer l’importance du vote blanc. En observateur objectif de la vie politique, vous savez que, pour le perdant, la tentation est grande, au soir du second tour, d’émettre des commentaires sur le nombre de voix recueillies par le vainqueur… Doit-on aujourd'hui donner la possibilité d’affaiblir le résultat des élections ? Doit-on courir ce risque ? Loin d’être constructive, une telle démarche me semble problématique.

On touche là au cœur du débat : au fond, derrière la question de la reconnaissance des suffrages exprimés, c’est tout le problème de la démocratie représentative qui est posé. Si le système pour lequel nous avons collectivement opté jusqu’à présent a ses défauts, nous devons préserver le consensus républicain.

En tout cas, il faut être extrêmement prudent avec les évolutions susceptibles de servir ceux dont la vision de la démocratie diffère de la nôtre, les populistes tenants de la démocratie directe, laquelle, au départ, repose toujours sur la remise en cause de la démocratie représentative. On sait sur quoi une telle vision peut parfois déboucher ! De ce point de vue, les événements récemment intervenus dans un pays voisin doivent nous amener à bien réfléchir… Sans doute nos désaccords sont-ils nombreux, mais nous devons nous rassembler sur la défense de la démocratie représentative, qui fait l’objet d’un consensus républicain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si vos qualités individuelles sont grandes, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, votre pouvoir de prendre des décisions et de faire la loi ne repose pas sur ces dernières. Il ne repose ni sur votre courage, ni sur votre personnalité, ni sur vos compétences ; il ne repose que sur la légitimité que vous confère le suffrage de vos électeurs.

Je le répète, tout ce qui peut affaiblir cette légitimité ou permettre de la contester pose un problème de fond au regard de la démocratie représentative. Chacun doit être conscient qu’il s’agit là du cœur du sujet.

Monsieur Leconte, je vous remercie de votre soutien. Vous l’avez dit, le vote blanc n’est pas l’indifférence. Nous sommes bien d’accord sur ce point, et je pense que c’est une opinion partagée ! En effet, le vote blanc peut avoir une signification politique. En prévoyant d’identifier le vote blanc dans les résultats, la présente proposition de loi permettra que le message ainsi adressé aux partis politiques ou aux candidats soit clairement délivré. C’est là tout son intérêt.

Dans le même temps, vous avez eu raison de rappeler qu’une élection consiste à faire un choix, et non pas simplement à exprimer un état d’âme.

Madame Cukierman, vous avez bien posé les termes du débat. Vous avez formulé des hésitations : sachez qu’elles sont partagées par tous ceux qui ont eu à réfléchir sur cette question.

Permettez-moi toutefois d’apporter une nuance à vos déclarations. Comme M. le rapporteur et M. le président de la commission des lois pourraient probablement le confirmer, il n'y a pas de lien établi entre le mode de scrutin et l’existence du vote blanc. Autrement dit, la réponse à l’abstention ne réside pas forcément dans le passage d’un scrutin majoritaire à un scrutin proportionnel : quels que soient les systèmes que l’on utilise, les comparaisons internationales – et même internes puisque plusieurs modes de scrutin cohabitent en France – montrent que l’existence du vote blanc et son émergence relèvent d’une autre explication que celle que vous avez exposée.

Monsieur Détraigne, vous soutenez le texte, et l’on imaginerait mal qu’il eût pu en aller autrement. (Sourires.)

Vous vous êtes demandé si la reconnaissance du vote blanc, telle qu’elle est proposée aujourd'hui ou, plus tard, de manière plus aboutie, serait de nature à faire revenir les électeurs abstentionnistes vers les urnes. Cela reste une interrogation au regard de ce qui se passe dans des pays qui ont adopté d’autres systèmes, en allant parfois beaucoup plus loin – je pense au vote obligatoire.

Tout cela n’empêche pas, malheureusement, que certaines personnes se sentent, d’une certaine façon, en dehors du système, si bien que, quelle que soit la proposition institutionnelle qui leur est faite, elles ne participent pas aux scrutins. Cette distance entre certains citoyens et le processus démocratique ne trouve donc pas sa réponse dans un mode électoral, ni dans des règles établissant des contraintes, ni même dans la reconnaissance du vote blanc.

Vous m’avez interrogé, monsieur le sénateur, sur l’usage des machines à voter. Ainsi que M. le rapporteur et vous-même l’avez relevé, celles-ci démontrent effectivement qu’il ne faut pas exagérer les conséquences du décompte du vote blanc puisqu’elles n’induisent pas de différences significatives à cet égard selon qu’elles sont ou non utilisées dans les bureaux de vote d’une même circonscription.

Vous avez donné certains exemples et je me permets d’en donner un autre. Il se trouve que l’une des premières communes de France à avoir adopté des machines à voter se situe dans ma circonscription : Mimizan, station balnéaire bien connue. M’étant posé la question des effets de cette technique sur le vote, je dois dire que je n’ai observé aucune différence quant au taux de participation ou au nombre de votes blancs.

Cela montre que ces machines ne font pas peur aux électeurs, mais que, à l’inverse, elles ne conduisent pas à améliorer la participation, non plus qu’à accroître le nombre de votes blancs. Certes, on peut juger que le nombre de machines est insuffisant pour permettre d’établir des séries statistiques pertinentes, mais force est de constater que, au regard de la participation et du vote blanc, les mêmes résultats sont enregistrés régulièrement et depuis assez longtemps dans une commune comme Mimizan.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai que ce débat est utile et que, nonobstant les importantes questions juridiques et constitutionnelles soulevées par la reconnaissance du vote blanc dans les suffrages exprimés, un pas est possible. Certains penseront que ce n’est qu’un petit pas, mais il n’y a aucune raison de ne pas l’effectuer aujourd'hui dès lors que la distinction entre votes nuls et votes blancs fait ici l’objet d’un consensus républicain. Le Gouvernement soutient cette démarche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et de l’UDI-UC, ainsi que sur le banc de la commission.)