M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Madame la sénatrice, je veux d’abord réaffirmer très nettement devant vous, s’il pouvait y avoir sur ce point la moindre hésitation ou la moindre confusion, que les chefs d’établissement ne sont pas des chefs d’entreprise. Les établissements publics locaux d’enseignement, instaurés par le décret du 30 août 1985, ont bien une mission spécifique, qui est une vocation, dans le cadre du service public, d’enseignement.

J’en profite tout de même, avant d’entrer dans la question, préoccupante, de la vie démocratique de nos établissements, pour réaffirmer, compte tenu du poids et de l’importance de la mise en œuvre de la loi de refondation de l’école de la République, ma confiance envers les chefs d’établissement. J’aurai l’occasion de le faire également, lors de la rentrée scolaire, car les chefs d’établissement sont confrontés à toutes les difficultés – injustices, violences, désorganisations et pressions de la société – sur le terrain. Ils ont besoin de notre soutien et du vôtre.

Le décret de 1985 prévoit qu’il y a un organe exécutif, le chef d’établissement, et un organe délibératif, le conseil d’administration, qui règle, par ses délibérations, les questions relatives à la vie de l’établissement. Comme l’avait rappelé mon prédécesseur, le conseil d’administration est une instance essentielle – nous l’avons d’ailleurs modifiée dans la loi de refondation de l’école de la République ; j’y reviendrai – dont je réaffirme qu’elle est incontournable.

Un chef d’établissement peut-il refuser le débat et le vote d’un vœu en raison de son contenu et de sa formulation ? C’est la question que vous posez.

L’article R. 421–23 du code de l’éducation dispose que le conseil d’administration peut, sur son initiative, adopter tout vœu sur les questions intéressant la vie de l’établissement.

Il y a eu une décision de la cour administrative d’appel de Nancy en date du 5 décembre 2002 jugeant qu’il résultait de l’article R. 421–23 du code de l’éducation nationale que si, sous réserve de la possibilité des membres du conseil d’administration d’en provoquer la réunion en séance extraordinaire, l’initiative de convoquer le conseil d’administration appartient au chef d’établissement, le conseil d’administration peut, en revanche, à sa seule initiative, adopter tous les vœux sur les questions intéressant la vie de l’établissement dès lors qu’ils se rapportent aux questions inscrites à l’ordre du jour, que celles-ci figurent dans le projet d’ordre du jour rédigé par le chef d’établissement – et c’est là le point important par rapport à votre question – ou y ait été porté en début de séance.

Aussi, je peux vous affirmer que, dès lors que le vœu porte sur une question inscrite à l’ordre du jour adopté en début de séance, aucun chef d’établissement ne peut valablement refuser de soumettre le vote de ce vœu au conseil d’administration de l’établissement public local d’enseignement.

Au-delà de cette clarification, madame la sénatrice, je voudrais vous apporter un complément d’information : la loi de refondation de l’école de la République, publiée au Journal officiel le 9 juillet dernier, a prévu que les départements et les régions verraient leur représentation passer d’un à deux membres au sein des conseils d’administration des établissements qui leur sont rattachés, afin que ces conseils d’administration soient des lieux incontournables de dialogue et de concertation.

Je peux vous dire que figure parmi mes préoccupations le fait que la vie démocratique ait lieu pleinement au sein des établissements d’éducation nationale, dans le respect, que j’ai réaffirmé, des chefs d’établissement, de leurs missions, de l’importance de leur travail.

Nous travaillerons l’année prochaine avec les lycéens sur la vie lycéenne – elle est tout à fait fondamentale – et à cette occasion je veillerai aussi à améliorer la prise en compte des préoccupations de nos lycéens dans la vie de leurs établissements.

En effet, beaucoup de sujets qui préoccupent les Français – la violence, le harcèlement, l’orientation – trouvent une meilleure réponse lorsque nous donnons la parole à ceux qui en sont privés et qui sont les premiers destinataires de nos missions d’enseignement.

Je réaffirme donc la démocratie, la possibilité, lorsque l’ordre du jour l’a, en début de séance, inscrit, d’émettre tous les vœux et de les soumettre au vote. Je réaffirme également ma confiance dans les chefs d’établissement.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Tout d’abord, mes propos ne visaient pas à stigmatiser les chefs d’établissement, lesquels, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, sont souvent confrontés à des problématiques et à des contraintes venant de toutes parts. Je tiens à ce qu’il n’y ait pas de confusion sur ce point.

Je crois simplement que dans le cas de certains chefs d’établissement, peut-être parfois de leur propre initiative, il y a eu volonté délibérée de ne pas donner satisfaction à certaines inscriptions de motion. En ce qui concerne d’autres chefs d’établissement, et cela a été vrai au cours des périodes précédentes, des contraintes et des pressions hiérarchiques ont également pu conduire certains d’entre eux à ne pas permettre l’exercice d’une vie démocratique pleine et entière au sein du conseil d’administration de leur établissement.

En tout cas, je vous remercie, monsieur le ministre, des précisions que vous nous avez apportées et qui, je le crois, sont de nature à redonner tout leur sens et toute leur responsabilité aux conseils d’administration des établissements publics locaux d’enseignement.

L’interpellation dont j’ai été saisie par les organisations syndicales d’enseignants ne se veut pas polémique. Elle est tout simplement l’occasion de rappeler les droits afin que ces organisations syndicales puissent effectivement participer à ces instances, y faire vivre la démocratie. Le débat, s’il peut parfois être contradictoire avec le principal ou le proviseur, doit en tout cas avoir lieu dans le respect des uns et des autres – c’est l’objectif du plus grand nombre –, de leurs responsabilités. Il doit aussi être mené dans le respect, de la part des uns et des autres, du rôle de chacun, sans polémique quant à l’objectif qui anime, je le crois, chacune des parties prenantes, à savoir accomplir sa mission, celle d’enseignants ou celle de représentants de parents d’élèves, et mettre en œuvre la politique éducative menée pour le bien-être des enfants de notre pays – il importe de le rappeler.

langue des signes pour les enfants sourds

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, en remplacement de Mme Marie-Thérèse Bruguière, auteur de la question n° 459, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. René-Paul Savary. Tout d’abord, je vous prie d’excuser l’absence de Mme Bruguière, convalescente après une intervention chirurgicale. Mais je vous rassure, mes chers collègues : tout se passe bien.

Dans le contexte de la discussion sur la refondation de l’école de la République, la question que ma collègue Marie-Thérèse Bruguière m’a demandé de vous poser, monsieur le ministre, concerne l’enseignement de la langue des signes pour les enfants sourds.

Après Étienne de Fay en 1710, premier professeur sourd à enseigner en langue des signes, l’abbé de l’Épée ouvre en 1760 la première école destinée aux jeunes sourds à Paris. Il instaure une véritable éducation en langue des signes en démontrant par là même l’importance que revêt la constitution de groupes d’enfants sourds pour le développement du langage de ces enfants. Pour la première fois, on reconnaît que les gestes peuvent exprimer la pensée humaine autant qu’une langue orale.

La langue des signes va s’imposer progressivement. Son essor et l’accès à l’enseignement permettent alors aux sourds d’exercer de vrais métiers et de se regrouper en associations.

La langue des signes est axée sur l’appréhension visuelle et gestuelle du monde. Les enfants sourds perçoivent avec leurs yeux, parlent avec leurs mains et cela avec autant de richesse et de facilité que le font les enfants entendants s’exprimant dans une langue vocale.

Bien que la plupart des travaux linguistiques, sociologiques et psychologiques démontrent la nécessité pour l’enfant d’accéder le plus tôt possible à la langue des signes, la quasi-totalité des enfants sourds ne peut toujours pas la découvrir, alors même qu’a été très largement prouvé combien la pratique précoce de la langue des signes favorisait le désir d’aller vers d’autres formes langagières orales ou écrites.

La langue des signes française est parfois présente dans les lieux d’éducation ou de rééducation, mais le plus généralement de manière très réduite. Certaines associations déplorent aussi l’orientation éducative actuelle visant à dissoudre les groupes d’enfants sourds en les plaçant seuls en intégration dans leur école de quartier. Cela conduit à la fois à isoler ces enfants d’une relation enrichissante avec leurs pairs et à ôter par là même sa vitalité à la langue des signes française. Les spécialistes s’accordent pourtant sur ce point : si l’on veut que les enfants sourds accèdent au français écrit dans toute sa richesse littéraire, il est indispensable de constituer des groupes d’enfants signeurs parlant une langue des signes de grande qualité.

En dépit de la législation existante, le constat est aujourd’hui encore dramatique : seulement 5 % des jeunes sourds ont accès à un dispositif d’enseignement en langue des signes française.

Or la législation française favorisant l’enseignement de cette langue par l’éducation nationale existe mais souffre d’un manque d’application depuis déjà un certain temps.

Monsieur le ministre, au-delà des discours, la législation actuelle en matière de « libre choix de communication » se révèle donc dans les faits inégalitaire et discriminatoire puisqu’elle ne met pas en place les véritables conditions d’accès à cette langue au bénéfice des familles et des enfants sourds eux-mêmes.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer, à Marie-Thérèse Bruguière et à moi-même, quels sont les projets du Gouvernement concernant l’enseignement de la langue des signes pour tous les enfants sourds, et au-delà, pour les parents, afin que ceux qui le souhaitent puissent recevoir gratuitement une formation en langue des signes française et que les enseignants sourds bénéficient d’un véritable statut d’enseignant correspondant à leurs compétences.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir transmettre à Mme Bruguière tous mes vœux de prompt rétablissement.

Je profite de la question que vous soulevez aujourd'hui pour rappeler ma conviction et mon engagement au sujet de l’école inclusive.

Je l’entendais encore récemment, il y a les « diseux » et les « faiseux ». En l’espace d’un an, vous le savez, la priorité accordée à l’école inclusive a été fortement affirmée, ou plutôt réaffirmée. En effet, si le principe de l’école inclusive a été pour la première fois posé dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, à laquelle vous avez participé activement au cours des débats, il n’en est pas moins vrai que l’idée en a été lancée par François Fillon en 2005.

Cependant, à partir de 2010, je le redis, notre pays n’a pas consacré à ce projet d’une grande ampleur les moyens nécessaires et, après quelques années d’efforts, la situation s’est même fortement détériorée.

Aussi, dès notre arrivée au Gouvernement, dans ce qui a été appelé « le plan d’urgence de la rentrée 2012 », j’ai souhaité – le Président de la République et le Premier ministre me l’ont accordée – la création en urgence de 1 500 postes d’auxiliaires de vie scolaire pour l’aide individuelle et de 2 300 postes d’auxiliaires de vie scolaire pour l’aide mutualisée.

Ensuite, le 16 octobre dernier, sous l’impulsion forte du Parlement, en particulier du Sénat, Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative et Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, ont installé un groupe de travail sur les questions de pérennisation et de formation des emplois d’auxiliaires de vie scolaire, dans la suite du rapport de Mme Komitès.

Vous le savez, nous cheminons vers la CDIsation de ces personnels tant attendue depuis de nombreuses années.

Par ailleurs, pour la rentrée, j’ai obtenu 10 000 contrats aidés. Pour la première fois, il s’agira de contrats sur plusieurs années. Ils donneront lieu, ce qui a toujours été un problème majeur pour les uns et pour les autres, à une véritable formation pour accompagner des enfants en situation de handicap.

Vous savez également que, sur ma demande, dans le cadre des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, qui seront créées à la rentrée, un module de formation sur la prise en charge dans les classes des enfants en situation de handicap sera proposé à tous les enseignants et à tous les personnels de l’éducation nationale qui intégreront ces écoles. Ça n’a d’ailleurs pas été simple à mettre en œuvre.

La détermination du Gouvernement est donc entière sur ce sujet, car il s’agit d’une question où l’on voit vraiment la différence entre les paroles et les actes. Un pays comme le nôtre peut s’honorer de progresser, je l’espère dans un consensus national, dans la prise en charge de ceux qui ont besoin d’être intégrés et d’avoir accès dans notre République à l’école.

Dans le rapport annexé du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, à la suite des propositions du Sénat, en particulier de la sénatrice Dominique Gillot, nous avons modifié les éléments juridiques et précisé que « Les élèves sourds auront accès à un parcours scolaire en communication bilingue (enseignement en langue des signes et langue française) ou en communication en langue française (enseignement en français oral avec langage parlé complété et français écrit). Pour cela, des dispositifs adaptés à cette scolarisation seront développés par le regroupement des élèves dans une même classe – ce qui répond à une partie de votre question – ou la mutualisation des moyens nécessaires dans un même établissement à l’échelle académique. » La logique n’est donc pas d’isoler ces élèves, elle est, au contraire, de les regrouper et de leur donner des moyens.

Aujourd’hui, 6 000 à 7 000 élèves présentent des troubles de l’audition. Des pôles pour l’accompagnement à la scolarisation des jeunes sourds, les PASS, ont été créés en 2010 pour permettre à tous les élèves sourds, quel que soit le mode de communication choisi par leur famille, de suivre un enseignement au plus près possible – là est souvent la question – d’une scolarisation ordinaire sans se focaliser sur la seule langue des signes française, la LSF.

Les PASS ont pour vocation de donner à chaque élève la possibilité de choisir son mode de communication, sans qu’aucune hiérarchie ne soit établie entre la LSF et le langage parlé complété, le LPC.

Les pôles, actuellement au nombre de trente-deux, sont articulés autour d’un réseau de personnes ressources constitué de médiateurs pédagogiques choisis parmi les professeurs du premier ou du second degré.

Dans un rapport remis en juillet 2012, que j’ai rendu public comme tous les rapports de cette institution, l’Inspection générale de l’éducation nationale a mis l’accent sur les difficultés réelles liées à la mise en place du dispositif et en particulier sur la question de la ressource enseignante capable de proposer ces modes de communication. C’est une question que vous avez évoquée et c’est la première limite à laquelle nous nous heurtons aujourd'hui.

J’ai donc souhaité que nous puissions contourner cette difficulté structurelle en mobilisant – j’ai demandé aux services académiques d’agir dans cette direction – les professionnels et les associations de parents d’enfants sourds, seuls capables de déterminer quelles sont les meilleures conditions de scolarisation. Toutes les compétences, comme vous l’avez souhaité, doivent être reconnues. J’encourage nettement l’ensemble des académies à mutualiser aussi les moyens à leur disposition afin de prendre en charge le plus efficacement possible ces élèves.

Nous avons devant nous un travail de longue haleine. Nous aurons à franchir encore de nombreuses étapes, d’ordre culturel et matériel, mais aussi en termes de formation. Croyez que notre détermination est entière. Le Sénat nous a déjà accompagnés dans les premiers progrès. Nous sommes heureux de poursuivre avec vous cette lutte, qui est importante.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Je vous remercie, monsieur le ministre, de la précision de votre réponse en deuxième partie d’intervention. En effet, dans la première partie, vous avez rappelé votre loi pour la refondation de l’école et vous en avez fait la promotion, ce que je comprends bien volontiers.

Effectivement, depuis 1991, des lois permettaient de prendre véritablement en compte le problème évoqué. En 2005, la loi sur le handicap a apporté un certain nombre d’améliorations. Elle prévoit un traitement bien spécifique pour les handicaps sensoriels avec une prestation de compensation forfaitaire pour les personnes en situation de surdité. C’est peut-être un moyen de faire avancer les choses.

Il n’empêche que, dès 1998, un rapport sur le droit des sourds a fait état d’un illettrisme très important parmi les personnes sourdes. C’est la raison pour laquelle il faut véritablement s’atteler à ce problème. J’ai cru comprendre, au travers de votre réponse, que vous étiez déterminé. Je tiens à vous en remercier, au nom de Mme Bruguière.

suppression de postes d'enseignant du premier degré dans le cantal

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la question n° 476, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, ma question concerne les suppressions de postes d’enseignant du premier degré dans le Cantal pour la rentrée scolaire 2013 et, j’ose le dire, pour les suivantes.

Le département du Cantal subit, depuis plusieurs années, des mesures de suppression de postes, de classes et d’écoles qui affectent incontestablement la qualité du service public de l’éducation. Tous les gouvernements successifs nous répondent que nous avons, après la Lozère, un fort taux d’encadrement. On nous dit ça aussi pour la sécurité.

Il n’en reste pas moins que quinze postes avaient été supprimés en 2011. Huit nouveaux postes ont été supprimés en 2012. Pour la rentrée 2013, nous nous attendions à un gel. Or l’annonce a été faite que douze postes seraient supprimés. Suite à la mobilisation des élus, en particulier du député Alain Calmette, qui a votre oreille, le nombre des suppressions est tombé à huit postes. Nous n’avons pas tous de vous la même écoute, mais l’essentiel est bien que nous soyons entendus…

Malheureusement, ces suppressions posent à notre département un problème important, car elles mettent en jeu la qualité de l’enseignement. Aujourd'hui, dans un certain nombre de communes, en particulier l’hiver, les enfants du premier degré doivent parfois faire dans des conditions difficiles, notamment en cas de neige, jusqu’à quarante-cinq minutes de trajet pour se rendre à l’école, soit une heure et demie aller-retour. On assiste à un éloignement géographique de l’école, qui met la vie de certaines communes en danger.

Certains territoires connaissent la spirale du déclin démographique, qu’il convient d’enrayer. Nous espérions, bien évidemment, que le changement soit maintenant. (Sourires.) Je vous l’ai d’ailleurs écrit. Or nous attendons toujours…

Comme un certain nombre de départements ruraux, le Cantal subit une érosion démographique, qui se traduit par la fragilisation de son développement.

L’application de la seule logique comptable en matière de fixation du nombre de postes d’enseignant ne saurait servir de règle unique, sauf à accentuer encore les difficultés de nos territoires. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est extrêmement difficile de faire vivre une commune lorsque celle-ci perd son école. Il n’est pas possible que des enfants fassent une heure et demie de trajet, sur des routes difficiles, en particulier tôt le matin, l’hiver. Une telle fracture territoriale, qui nourrit la spirale du déclin, ne peut être acceptée.

Nous attendons bien sûr que l’on puisse tenter l’expérience d’une contractualisation sur plusieurs années, d’un gel sur au moins trois ans, pour négocier avec les collectivités. Monsieur le ministre, cela permettrait aussi d’éviter que, chaque année, ce soit, pour tous les maires du département, mais aussi pour la direction académique, une véritable épreuve de savoir quelle commune sera « exécutée ». C’est en effet une épreuve difficile. Ça ne peut plus durer ! Il y va non seulement du développement de nos territoires, mais également de la vision que nous avons de l’école.

Nous avons besoin de contractualisation et de concertation. Il est nécessaire que le Gouvernement adresse un signal fort pour mettre fin à cette spirale devenue très difficile à supporter.

En conséquence, je souhaite savoir à la fois si vous avez l’intention de revenir sur cette décision de suppression de postes et, surtout, si vous entendez appliquer, à l’avenir, une autre politique, un gel temporaire des effectifs d’enseignants, avec bien évidemment une concertation à l’échelle du département afin de trouver les meilleures solutions pour éviter à nos enfants et à nos communes des situations très difficiles à vivre.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur Mézard, le sujet que vous soulevez me préoccupe grandement.

Il concerne plus spécifiquement les territoires ruraux, qui ont en permanence été signalés, vous l’avez noté, dans la loi et en matière d’affectation de postes. Ce n’est pas uniquement une défense de la loi, c’est aussi une défense des moyens que nous accordons à l’éducation nationale, ce qui rejoint la question qui m’a été posée tout à l’heure.

En effet, les moyens sont à chaque fois ciblés spécifiquement sur les zones urbaines difficiles, les territoires ruraux – nous avons eu ici même de très longues discussions sur ce que cela recouvrait – et, bien entendu, les territoires d’outre-mer. Tous les postes sur le plus de maîtres que de classes, sur l’accueil des enfants de moins de trois ans, sur l’accompagnement sont toujours des postes ciblés.

Il est vrai, monsieur le sénateur, que la situation est particulièrement dégradée après la suppression de 80 000 postes en cinq ans, de 2007 à 2012. Je suis toujours critiqué pour la création de 60 000 postes dans l’éducation nationale par des personnes qui me demandent, par ailleurs, pour leur propre circonscription, un certain nombre de postes ! Parfois, je me dis que le respect du simple principe de non-contradiction dans certaines assemblées permettrait à la démocratie de progresser dans la transparence.

Par ailleurs, quel que soit le travail remarquable réalisé par le député Alain Calmette, qui a participé aux travaux de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, je n’ai jamais considéré qu’il y avait un interlocuteur privilégié, et j’ai toujours tenu grand compte, monsieur Mézard, de vos remarques et de vos interpellations. En effet, bien que vous défendiez les intérêts du Cantal, je sais que vous avez, comme moi, le souci de la République, et donc de l’équilibre sur l’ensemble du territoire.

Quinze postes avaient été supprimés à la rentrée 2008 et huit postes ont été supprimés à la rentrée dernière, dont j’avais la première responsabilité, alors que la démographie était stable. Cette année, avec une diminution attendue de 297 élèves, nous avions initialement envisagé de supprimer douze postes. Huit postes supprimés au cours de la rentrée préparée par la droite en 2012, et que nous avions essayé d’aménager, alors que l’effectif des élèves était stable, contre douze postes supprimés en 2013, avec une baisse estimée à 297 élèves.

Cette évolution démographique aurait justifié, par rapport à l’équilibre du territoire national, ces retraits de postes. J’ai choisi, après vos différentes interpellations qui m’ont paru justes, de supprimer seulement huit postes sur les douze initialement envisagés et, à partir de là, de mettre en place, comme vous m’y avez convié, un travail nouveau. En effet, et je le sais pour avoir été moi-même l’élu d’une circonscription rurale, il est insupportable d’avoir à gérer chaque année des fermetures de classes, dans l’aveuglement le plus total, en étant confronté parfois à des luttes d’influence qui ne sont pas toujours menées au nom de la justice.

J’ai donc mandaté Mme la rectrice pour lancer, en lien avec les élus et, bien sûr, avec Mme la directrice académique des services de l’éducation nationale, une réflexion sur l’équilibre territorial en matière d’offre d’éducation. Je souhaite que ce travail soit fait dans la durée et qu’on arrive à des contrats pluriannuels puisque nous sommes à peu près capables de discerner les évolutions territoriales.

Nous avons ajouté, dans le rapport annexé à la loi de refondation pour l’école, que « lors de l’élaboration de la carte scolaire, les autorités académiques auront un devoir d’information et de concertation avec les exécutifs locaux des collectivités territoriales concernées » de manière que les décisions ne tombent pas d’en haut.

Dans ce cadre, je vous réaffirme donc que je suis prêt à contractualiser un effort en emplois dans le premier degré si une politique pédagogique et structurelle est proposée dans la durée. Si nous sommes capables de construire pour les territoires ruraux dont nous voyons les évolutions des projets pédagogiques qui permettent aussi aux élèves de bénéficier de l’ensemble des possibilités que l’éducation nationale doit leur offrir, nous aurons ces négociations et cette contractualisation.

Je ne considère pas que la baisse des effectifs doive se traduire arithmétiquement par des fermetures de postes. Nous devons toutefois être capables d’envisager ces évolutions de façon contractuelle à la fois dans la durée et avec une contrepartie pédagogique, car, vous le savez, – c’est le mot que je n’ai pas prononcé – il y a eu des périodes où on a pu geler les choses, mais quand on les a dégelées, cela a été violent, et je n’ai jamais compris en quoi cela servait l’intérêt des élèves. Si nous construisons ensemble cet intérêt, des actions spécifiques, auxquelles je suis favorable, pourront être mises en œuvre pour les zones urbaines et pour les territoires ruraux qui sont le plus en difficulté. La République, c’est aussi la cohésion territoriale, et cette dernière a un coût.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos.

Je crois effectivement que la véritable concertation est souhaitée sur nos territoires mais vous avez bien fait de rappeler que, à l’instar des territoires urbains, certains territoires ruraux sont défavorisés et d’autres ne le sont pas, et une véritable difficulté se pose au niveau de la carte scolaire.

Nous sommes prêts à favoriser un projet pédagogique, mais il faut qu’une véritable concertation soit menée, monsieur le ministre. Les tentatives de concertation que nous avons connues dans les années précédentes se bornaient à la présentation de projets. On disait aux élus locaux : « Vous voyez, on se concerte puisqu’on vous présente un projet ». Ensuite, on maintenait le projet tel qu’il était.