compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Boyer,

M. Alain Dufaut.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu le rapport pour 2012 de l’Autorité de la concurrence, établi en application de l’article L. 461–5 du code de commerce.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires économiques.

M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre de l’économie et des finances les rapports 2012 de l’observatoire des tarifs bancaires publiés par l’Institut d’émission d’outre-mer, l’IEOM, et l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, l’IEDOM, établis en application des articles L. 711–5 et L. 712–5–1 du code monétaire et financier.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ils ont été transmis à la commission des finances.

3

Création d'un Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi et en procédure accélérée d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi portant création d’un conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (proposition n° 857 [2012-2013], texte de la commission n° 18, rapport n° 17) et, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi organique tendant à joindre les avis rendus par le conseil national d’évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à leurs groupements, présentée par Mme Jacqueline Gourault et M. Jean-Pierre Sueur (proposition n° 828 [2012-2013], texte de la commission n° 20, rapport n° 19).

La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, s’il existe une proposition de loi dont chacun aspire à ce qu’elle soit adoptée dans les meilleures conditions, c’est bien celle qui revient devant vous cet après-midi.

La simplification des normes, la chasse aux normes inutiles, obsolètes, coûteuses, le refus de l’édiction de normes nouvelles sans qu’interviennent, en contrepartie, des suppressions de normes : tout cela relève du bon sens, du pur bon sens, et l’ensemble des élus locaux sur lesquels pèse une charge insupportable le réclame depuis longtemps. Voilà plusieurs années que de nombreux parlementaires cherchent inlassablement des voies de solution et imaginent des dispositifs simplificateurs. Je ne peux passer sous silence, dans cet hémicycle, les initiatives prises par plusieurs d’entre vous, Claude Belot, Éric Doligé et, plus récemment, Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur. Leur démarche venait répondre à l’engagement pris par le Président de la République aux états généraux de la démocratie territoriale, le 5 octobre 2012 – il y a à peine plus d’un an –, de tordre enfin le cou à notre propension à toujours imaginer des contraintes pour nous sécuriser, parfois même contre l’improbable !

La proposition de loi qui revient en deuxième lecture devant le Sénat avait été adoptée à l’unanimité avec une abstention, le 28 janvier 2013. Depuis cette date, elle a cheminé, en même temps qu’était élaboré le rapport de deux « chasseurs de normes », Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, remis le 26 mars 2013, et qu’intervenaient successivement plusieurs recommandations du Premier ministre consécutives à la réunion d’un comité interministériel de modernisation de l’action publique, avec la circulaire du 19 février 2013 portant sur la simplification, avec la circulaire du 2 avril 2013 sur l’interprétation facilitatrice et avec la circulaire du 17 juillet 2013 sur la substitution d’une norme créée à une norme supprimée.

La volonté de tous, Gouvernement et parlementaires, est de simplifier, simplifier ce qui, au cours des années, s’est accumulé, a pris un tel embonpoint qu’il n’entre même plus dans son costume législatif !

Alors, comment ne pas souscrire à ce long et patient travail que vous avez construit, les uns et les autres, en l’enrichissant de vos réflexions, de votre expérience, de votre bon sens ? Le Gouvernement y souscrit pour sa part : il a choisi la voie droite pour y parvenir, la voie de l’efficacité et de la rapidité que vous proposez avec un texte qui a recueilli l’accord unanime de vos collègues de l’Assemblée nationale, le 19 septembre dernier, un accord sur un texte, certes amendé, mais qui s’inscrit dans le droit-fil de vos propres recommandations et interventions. Le texte qui vous revient crée, sur votre initiative, un conseil national d’évaluation des normes dont le rôle est bien celui d’un guetteur, d’un veilleur, garant de l’application raisonnée des contraintes qui s’imposent aux collectivités locales et à leurs établissements publics. Ce conseil national laisse toute initiative aux parlementaires et aux élus locaux, dans la diversité de la représentation des territoires.

Le conseil national sera consulté sur tous les sujets ayant « un impact technique et financier » pour les collectivités locales et leurs établissements publics, que ces sujets soient inscrits dans un projet de loi, dans un projet d’acte de l’Union européenne, voire dans une proposition de loi.

En plein accord avec ma collègue Valérie Fourneyron, ministre des sports, le Gouvernement a fait adopter un amendement d’articulation entre le conseil national d’évaluation des normes et la commission d’examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, afin d’améliorer un dispositif insuffisamment encadré.

Je ne saurais terminer cette brève intervention sans relever la perspicacité des auteurs de cette proposition de loi, qui ont constaté, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, une imperfection qu’il fallait corriger, résultant de la possibilité qui aurait été laissée au Gouvernement de ne pas consulter le conseil national d’évaluation des normes sur les projets de loi. Cette imperfection est corrigée par la proposition de loi organique examinée conjointement.

Face à ces deux propositions de loi qui confortent sa détermination à réduire la logorrhée normative, à couper les branches de « l’arbre à palabres », le Gouvernement ne peut que saluer le travail de fond, constructif, auquel vous vous êtes unanimement attelés. Il salue un texte dont il est sûr qu’il restera comme un texte fondateur, de bon sens, d’équilibre entre les indispensables normes protectrices du citoyen et des collectivités territoriales et les normes excessives.

Je ferai mienne la conclusion des deux auteurs du rapport que j’évoquais il y a quelques minutes, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, en disant que ce texte « [secoue] notre droit… pour [nous] redonner les droits d’agir ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz ainsi que MM. Jean-Claude Requier et Jacques Gautier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour cette deuxième lecture qui, je l’espère, sera conclusive, nous repartons sur une excellente base, puisque le Sénat a bien amélioré en première lecture la proposition de loi déposée par nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, qui ont eux-mêmes repris une recommandation des états généraux de la démocratie territoriale. Nous avions exprimé un large accord sur ce travail déjà bien avancé et nos amis députés, malgré une petite hésitation sur le lieu d’insertion du texte qu’a rappelée Mme la ministre, nous renvoient un texte qu’ils ont adopté à l’unanimité, avec quelques modifications que nous pouvons accepter sans difficulté – je vais vous les résumer.

L’Assemblée nationale a fait évoluer, en conservant le cadre que nous avions retenu, la composition du conseil national d’évaluation des normes, avec un équilibre entre les différents niveaux de collectivités représentées, en dehors des représentants de l’État – qu’ils représentent l’exécutif ou le Parlement. Nous avons pu nous concerter avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, de manière à établir des positions communes : nos collègues de l’Assemblée nationale ont donc bien voulu prévoir que les représentants des collectivités territoriales au sein du conseil national comporteraient un certain nombre de membres des exécutifs – soit des présidents ou vice-présidents de région ou maires ou maires adjoints. Mais ils ont donné à cette exigence une interprétation suffisamment large pour ne pas restreindre l’accès au conseil national d’évaluation des normes à des élus déjà fort chargés de mandats. Je pense donc que les nouveaux membres du conseil national présenteront de bonnes conditions de disponibilité.

Le rapporteur de l’Assemblée nationale a par ailleurs fait adopter un amendement tendant à rendre paritaire la composition du conseil national d’évaluation des normes et a proposé de ramener la durée du mandat de ses membres à trois ans, afin de permettre, en fonction du déroulement du mandat électif des intéressés, que les personnes les plus disponibles puissent se relayer.

En ce qui concerne les compétences du conseil national, peu de modifications sont intervenues, mais l’Assemblée nationale est revenue sur la disposition que je vous avais proposée en première lecture – et dont je reconnais qu’elle était encore inaboutie –, tendant à habiliter le conseil national à se prononcer sur les amendements en cours de discussion parlementaire. Nos collègues députés ont relevé le risque que représentait la consultation « à chaud » du conseil national, pendant une discussion parlementaire, alors que, nous le savons tous, les parlementaires et le Gouvernement pouvons déposer des amendements très peu de temps avant leur examen en séance. La combinaison de cette procédure consultative avec le déroulement de la vie parlementaire a paru peu praticable à nos collègues députés : je vous propose donc de renoncer à l’adoption de cette disposition.

J’ajoute simplement que, lorsqu’un amendement est déposé à l’issue d’une discussion législative complexe pour en tirer la synthèse et qu’il peut représenter une charge normative nouvelle importante – ce qui est peu fréquent mais recèle un risque –, rien n’interdira à son auteur, notamment s’il s’agit du Gouvernement, de consulter volontairement le conseil national d’évaluation des normes pour en avoir « le cœur net », pour savoir si les meilleurs experts jugent que le dispositif proposé est praticable.

Il me semble donc que nous pouvons être d’accord avec cette renonciation.

Nous avons également hésité, car le texte n’était pas parfait, sur la cause juridique de saisine du conseil national d’évaluation des normes. L’Assemblée a choisi de la fonder sur la notion de « textes ayant un impact technique et financier pour les collectivités territoriales » : seuls les textes présentant cette caractéristique devront obligatoirement être soumis au conseil national d’évaluation des normes, sous peine d’irrégularité.

Je souhaite clarifier, en m’appesantissant un peu, que, lorsque nous écrivons « un impact technique et financier », cela ne signifie pas que chaque disposition doit avoir un impact à la fois technique et financier, mais que, sur l’ensemble du texte, on doit constater qu’il y a soit un impact technique dans certaines dispositions, soit un impact financier dans d’autres. Donc, ce n’est pas cumulatif. Ce sont par conséquent les conditions de saisine les plus larges. Je crois qu’il y avait accord, en particulier, avec les services du Gouvernement qui suivaient l’élaboration du texte. (Mme la ministre déléguée opine.)

Si les conditions de saisine ont peu changé, l’Assemblée nationale n’a toutefois pas retenu la possibilité de saisine par un président de groupe parlementaire. Les députés ont en effet considéré que les possibilités étaient suffisamment nombreuses soit pour les parlementaires eux-mêmes, soit pour les différentes formations politiques qui seront représentées à l’intérieur du conseil national, de faire appel à celui-ci sans avoir à demander l’autorisation à un partenaire politique.

Les règles de procédure en vigueur au conseil national ont également fait l’objet de quelques modifications.

Il en est de même de la règle de publicité. L’Assemblée nationale a relevé, à juste titre, que notre exigence que la publicité se fasse par l’insertion au Journal officiel était un peu datée. Aujourd’hui, en effet, la publicité de la prise de position d’un service ou d’une institution administrative peut passer par de multiples autres canaux. L’essentiel est que le public ou les publics intéressés connaissent en temps utile les avis du conseil national.

L’Assemblée nationale a apporté une autre modification et s’est montrée, à mon sens à juste titre, plus rigoureuse que nous en matière budgétaire. Dorénavant, le conseil national d’évaluation des normes va avoir son existence propre à côté du Comité des finances locales alors qu’il en était auparavant une composante. Le Sénat avait autorisé le conseil national à voter son propre budget et à se doter de ressources prises sur la masse de la DGF, parce que nous savions bien que ses membres en feraient un usage on ne peut plus modéré.

L’Assemblée nationale a été plus rigoureuse en disant que seul le Comité des finances locales a le droit, évidemment lié à sa mission même, d’opérer un prélèvement pour son fonctionnement au sein de la masse de la DGF. Donc, s’il y a besoin de ressources propres pour le conseil national d’évaluation des normes, ce sera le Comité des finances locales qui l’approuvera. Cette position me paraît plus cohérente que ne l’était la nôtre.

Enfin, la dernière modification significative – c’est un sujet dont nous avons, les uns et les autres, beaucoup parlé – concerne les normes sportives. Comme l’a dit Mme la ministre à l’instant, un décret a instauré une procédure spécifique, assez protectrice, à notre avis, des préoccupations des collectivités territoriales. En date du 4 avril 2013, il prévoit que les représentants des collectivités territoriales au sein du Conseil national du sport pourront s’adresser au conseil national d’évaluation des normes pour s’assurer du caractère acceptable ou non d’une norme sportive. Cette nouvelle procédure nous donne donc satisfaction et l’Assemblée nationale en a tiré les conséquences sur la proposition du Gouvernement.

Tels sont tous les motifs qui ont conduit, sur ma proposition, la commission des lois à prévoir l’adoption conforme de cette proposition de loi, si bien qu’il n’y aurait plus qu’à procéder aux formalités pour son entrée en vigueur.

Il y avait, comme la ministre l’a également très judicieusement relevé, une légère faiblesse juridique dans le fait que l’approbation ou non par le conseil national d’un projet de loi n’était pas rigoureusement attachée à l’adoption de ce projet de loi par le Gouvernement, puis par les assemblées. C’est la raison pour laquelle les deux auteurs de la proposition de loi ont bien voulu, après le débat en première lecture, déposer une proposition de loi organique. En vertu de la loi de 2009, le dossier du projet de loi adopté par le conseil des ministres après examen par le Conseil d’État doit comporter l’étude d’impact.

Cette loi de 2009 étant une loi organique, il fallait donc une proposition de loi organique pour préciser que l’étude d’impact annexée à un projet de loi doit également comporter l’avis du conseil national d’évaluation des normes. La commission des lois a émis un avis favorable sur ce texte, qui sera soumis à votre vote dans quelques instants.

Ce travail, nous l’avons mené, je le souligne, en collaboration particulièrement agréable et constructive avec le Gouvernement. Pendant que nous travaillions nous-mêmes, faisant face à de nombreuses doléances de nos mandants et aux expériences difficiles liées à la surcharge législative, le Gouvernement suivait son propre parcours.

Il faut souligner en particulier l’engagement personnel très fort sur ce sujet du Premier ministre, engagement qu’il a manifesté sous diverses formes. Nous avons des ministres tout à fait convaincus du bien-fondé de ce projet. Le Premier ministre a spécifiquement fait évoluer la structure du Secrétariat général du Gouvernement pour que nous ayons, au sein de la matrice de la production juridique de l’État, des partenaires dédiés à cette recherche de simplification. Je crois que nous partons sous de bons auspices.

Il me reste simplement – puisque je parlais du rôle du Gouvernement et de sa « bénévolence » – à espérer que le décret en Conseil d’État, dont nous avons besoin pour l’entrée en vigueur définitive du conseil national d’évaluation des normes, ne nous fasse pas trop attendre, madame la ministre. (MM. René Vandierendonck, Christian Favier et Claude Requier ainsi que Mme Hélène Lipietz applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, auteur de la proposition de loi organique.

Mme Jacqueline Gourault, auteur de la proposition de loi organique. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi portant création d’un conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics arrive au Sénat pour sa deuxième lecture, après des ajustements en première lecture au Sénat et à l’Assemblée nationale, que vient de détailler M. le rapporteur.

Inutile de vous le dire, madame la ministre, c’est avec une grande satisfaction que nous assistons aujourd’hui à la deuxième lecture de cette proposition de loi que j’ai eu l’honneur de déposer avec M. Jean-Pierre Sueur.

J’espère, je le dis d’emblée, que mes collègues voteront conformes la proposition de loi et la proposition de loi organique pour permettre une mise en place rapide de ce conseil national d’évaluation des normes.

Si le cadre est presque familial, avec une assistance réduite, cette séance importante réunit tous ceux qui ont travaillé sur ce texte. Je tiens à saluer la présence de M. Éric Doligé, qui a fait un travail important relatif à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales. Sa proposition de loi a été votée tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale et le processus législatif doit se poursuivre avec une deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Je veux adresser mes remerciements pour l’ensemble du travail accompli. Tout ce qui a été fait sous la mandature précédente, comme sous celle-ci, a permis de faire prendre conscience, d’une manière générale, de la gravité de la situation. Ce fut, voilà un an, l’un des thèmes majeurs de discussion entre les élus locaux venus participer aux états généraux de la démocratie territoriale ici, au Sénat.

Pour en revenir à notre proposition de loi, si celle-ci a été provisoirement intégrée dans le projet « affirmation des métropoles » dont nous allons débattre dans la suite de cette séance, elle est de nouveau soumise au vote du Sénat par souci d’efficacité. En effet, un vote conforme des sénateurs sur ce texte permettra à la loi de prendre effet immédiatement.

D’ailleurs, nous avons eu raison de procéder ainsi, comme le montrent les événements qui ont eu lieu à la fin de la semaine dernière. Au Sénat, le Haut Conseil des territoires, par exemple, est passé par pertes et profits ! Je crois donc que nous avons bien fait, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur de la loi « métropoles », qui est déjà parmi nous, de maintenir l’examen et le vote de cette proposition de loi en deuxième lecture ici même.

Nous arriverions, enfin, à la clôture d’une première étape, celle de la volonté de changer notre production normative et de mettre en place un nouveau dispositif de contrôle et d’évaluation des normes. En effet, ce conseil national est attendu par tout le monde, par les collectivités locales, par le législateur, qui veut le voir se mettre en place, et bien sûr par l’État, lequel est convaincu de la nécessité de limiter le flux des normes et décidé à faire évoluer ses pratiques et à susciter la mobilisation à toutes les étapes du processus de production des normes.

Je souhaite citer dans notre assemblée MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, auteurs du rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative, remis le 26 mars dernier. Ceux qui l’ont consulté le savent, ce rapport est assez décoiffant !

Je voudrais en citer quelques phrases tout à fait révélatrices : « Le moment est venu de rompre avec une évolution qui conduit à la paralysie. Ce moment est pertinent alors que les moyens financiers des collectivités locales vont diminuer. La préservation de leur marge d’action implique un allégement des charges et des délais normatifs qui leur sont imposés. Le moment est décisif aussi pour les acteurs économiques afin de libérer leurs forces d’initiative, d’innovation, de création de richesses. » Ce passage est tout à fait révélateur !

On voit, d’ailleurs, les prémices d’une nouvelle appréhension de la question avec l’impact du « premier prix des normes absurdes » du rapport Lambert-Boulard. Il a été attribué à « l’arrêté saucisse », qui est l’arrêté du 30 septembre 2011 définissant l’équilibre nutritionnel en restauration scolaire. Au fond, cette image a beaucoup frappé. Par la suite, j’ai pu constater que le ministère de l’agriculture a, le 3 septembre dernier, longuement listé tous les bienfaits apportés par la réglementation avant de rappeler que « conformément aux décisions du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique du 2 avril dernier, une évaluation sera réalisée afin de décider de l’opportunité de la suppression ou de l’allégement de l’ensemble des normes identifiées dans ce rapport ».

On le voit bien, l’idée commence à s’installer qu’il faut absolument faire quelque chose !

Par ailleurs, le jeudi 18 juillet 2013, le Premier ministre a remplacé le moratoire sur les normes applicables aux collectivités, qui s’est révélé peu efficace, par un « gel de la réglementation ». À compter du 1er septembre 2013, pour toute nouvelle norme, une norme ancienne devra être supprimée ou allégée. Par ailleurs, il limite le nombre et la longueur des circulaires ministérielles.

Au-delà de l’institution de ce gel, le Premier ministre a proposé d’améliorer l’évaluation par l’administration de l’impact juridique et financier des projets de textes réglementaires qu’elle élabore. Le pouvoir réglementaire devra également respecter un « principe de proportionnalité » en s’efforçant de « laisser des marges de manœuvre pour la mise en œuvre ou prévoir des modalités d’adaptation aux situations particulières ».

Enfin, le coût des normes sera rendu public tous les six mois. Un premier bilan en sera fait au 1er janvier 2014.

Je ne vais pas revenir sur la proposition de loi organique ni sur le détail de ce qui a été voté par les députés. En effet, le rapporteur vient de le faire très précisément.

La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, que j’ai l’honneur de présider, a invité, la semaine dernière, l’organisme qui existe actuellement, la Commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, à tenir l’une de ses réunions chez nous, au Sénat, en notre présence.

Je me tourne vers mon collègue Edmond Hervé, qui était présent. Nous avons pu mesurer plusieurs choses, notamment que ce travail est assez fastidieux et qu’il faut des spécialistes, des juristes pour siéger dans ce conseil. De plus, il faut de la disponibilité, comme M. Alain Richard l’a rappelé tout à l’heure.

Enfin, je veux saluer M. Alain Lambert qui fait, je vous l’assure, un énorme travail, conjuguant beaucoup de patience, de conviction et d’autorité.

Au cours de cette réunion, trois dossiers ont été traités, parmi lesquels la modification d’un arrêté de 2010 sur l’accessibilité des bâtiments d’habitation temporaire ou saisonnière, comme les logements étudiants.

Le Gouvernement a proposé que l’obligation d’accessibilité incombe à seulement 5 % de ces bâtiments, et la CCEN a bien sûr émis un avis favorable. Cela va dans le bon sens et montre que, en matière réglementaire, les choses peuvent bouger,…

M. Alain Richard, rapporteur. Oui, voilà un bon gouvernement !

Mme Jacqueline Gourault. … en l’occurrence sur un sujet majeur, l’accessibilité, qui est très présent dans les têtes, puisque l’échéance de 2015 approche.

Enfin, Mme Vérot, directrice chargée de la simplification auprès du secrétaire général du Gouvernement, nous a présenté la manière dont le Gouvernement comptait traiter les stocks. À cet égard, il est clair que le Secrétariat général du Gouvernement et le futur CNEN collaboreront très étroitement sur ce dossier afin de réaliser cette simplification des stocks.

Mme Vérot a également proposé que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation soit associée à cette étude des stocks. C’est un point très important, sur lequel MM. Boulard et Lambert ont d’ailleurs insisté : le Sénat doit être tout particulièrement associé à cette démarche, et c’était également le souhait qu’avaient émis l’année dernière le Président de la République et le président du Sénat lors des états généraux de la démocratie territoriale.

Pour toutes ces raisons, je souhaite, mes chers collègues, que vous votiez conforme le texte de l’Assemblée nationale, afin que tout se mette en place rapidement, ce qui fait l’objet d’une attente forte de la part de nombreux élus.

Samedi matin, lors du congrès départemental des maires de la Sarthe, auquel j’assistais en remplacement de Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, sans surprise, trois sujets ont été particulièrement débattus : les rythmes scolaires, bien sûr, le plan local d’urbanisme intercommunal, ou PLUI, et, enfin, les normes. (M. le président de la commission des lois ainsi que Mme Hélène Lipietz et M. René-Paul Savary applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de nombreux sénateurs et élus se sont penchés sur la question des normes, et si nous pouvons espérer aboutir cet après-midi au vote d’un texte, il faut le rappeler – comme l’ont fait excellemment Mme la ministre, M. le rapporteur ainsi que Mme Jacqueline Gourault à l’instant –, c’est bien grâce à eux.

Je me bornerai donc à dire que précieuse fut l’implication de Jacqueline Gourault après la tenue des états généraux réunis sur l’initiative du président du Sénat M. Jean-Pierre Bel, et précieux, le travail considérable accompli par Alain Lambert, qui a rédigé des rapports extrêmement précis, je pense au dernier, en particulier.

Je songe également à Jean-Claude Boulard, qui a travaillé en lien avec M. Lambert, et à Éric Doligé, qui a présenté une proposition de loi antérieure aux propositions de loi que nous examinons actuellement et à la tenue des états généraux de la démocratie territoriale, proposition de loi sur laquelle nous avons travaillé et qui est actuellement à l’Assemblée nationale. J’espère qu’elle reviendra dans notre hémicycle de manière à y être adoptée. Ainsi, nous disposerons d’un ensemble cohérent et riche sur cette question des normes.

Cette question est une préoccupation constante des quelque 550 000 élus locaux que compte notre République. Elle n’est pas facile, et il ne faut pas la simplifier. Nous avons tous en effet besoin de normes, souvent même nous réclamons davantage de normes, davantage de règles, davantage de lois, aucune société humaine ne pouvant bien fonctionner sans règles.

Cependant, vient le moment où l’abondance de normes finit par se retourner contre le désir de règles et aboutit à une sorte de paralysie ou d’embolie. On nous demande alors qu’il y ait moins de normes.

Nous nous trouvons dans cet entre-deux, dans ce paradoxe, et l’une des grandeurs, si je puis dire, de notre mission – que cela soit dit avec la modestie convenable – est d’élaborer des lois justes, c’est-à-dire des lois utiles, nécessaires, et non superfétatoires, surabondantes.

Du reste, puisque notre rôle consiste aussi à contrôler le Gouvernement, nous devons également veiller à ce que les décrets, les arrêtés et les circulaires soient justes, qu’il y en ait suffisamment et qu’elles surviennent à point nommé, lorsqu’elles sont nécessaires, mais qu’il n’y ait pas surabondance ni embolie.

Donc, ce que nous recherchons, c’est la justesse, le bon point d’équilibre. (Mme Jacqueline Gourault acquiesce.) À cet égard, nous avons beaucoup travaillé, à l’instar de nos collègues députés, comme le rappelait M. le rapporteur, qui nous propose aujourd’hui de voter conforme le texte de l’Assemblée nationale.

Cette bonne coopération avec les députés est précieuse. J’espère que nous la verrons prospérer à nouveau lors de l’examen d’autres textes. Je pense à celui qui suit dans l’ordre du jour, le projet de loi sur la modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Je constate d’ailleurs à ce propos que M. Vandierendonck s’est préparé tout au long de ces derniers jours pour affronter la dernière partie du débat sur ce texte.

Nous sommes heureux, je crois pouvoir le dire, quand nous voyons, article après article, qu’il va probablement y avoir un texte du Sénat, qui permettra un dialogue extrêmement fructueux avec nos collègues députés.

En tout cas, cette instance qu’est le conseil national d’évaluation des normes ne sera pas une instance en trop. Non seulement parce qu’elle se substitue à une autre, mais surtout parce qu’elle aura un rôle très précieux à jouer, celui de travailler en amont : non pas, une fois la décision prise, protester ou méconnaître le problème qu’elle pose, mais anticiper, prévenir, faire en sorte que tout projet de loi passe par le filtre de cette instance, qui ne sera pas pléthorique, mais où siégeront des élus locaux et des représentants de l’État, qui émettront un avis et pourront solliciter des réécritures du texte. Je pense que c’est une bonne façon de fonctionner.

Je terminerai en soulignant l’importance de la seconde proposition de loi que Jacqueline Gourault et moi-même avons écrite, à la suite d’une remarque de notre collègue Alain Richard lors de la lecture précédente. Vous avez effectivement fait observer, à très juste titre, monsieur Richard, que si des études d’impact sont désormais jointes aux projets de loi – innovation dont il faudra d’ailleurs faire l’évaluation et le bilan –, c’est parce qu’une loi organique le prévoit, conformément à la révision constitutionnelle de 2008.

Par conséquent, si l’on veut que les avis de la Commission nationale d’évaluation des normes se trouvent dans le fascicule même où figureront les projets de loi, il faut une loi organique à cet effet. Mais, ce faisant, nous posons un acte dont les conséquences seront loin d’être négligeables.

Je prends un exemple. Si telle fédération sportive, parfaitement estimable, propose de revoir toutes les installations sportives de tous les terrains homologués dans toutes les communes de France, mais que la Commission nationale d’évaluation des normes déclare que cette proposition présente un coût excessif eu égard à son intérêt, ce ne sera pas une vague déclaration perdue dans des monceaux de papier. Non ! Tous les parlementaires disposeront, en même temps que du projet de loi, de l’avis motivé de la Commission nationale d’évaluation des normes, et il sera impossible à un député ou à un sénateur, quel qu’il soit, d’ignorer qu’une instance composée largement d’élus locaux et de représentants de l’État aura considéré que la dépense est excessive eu égard à l’intérêt de la mesure.

Nous verrons quelles seront les conséquences de cette véritable innovation, qui, à mon sens, est un progrès de méthode qui mettra fin aux lamentations sur les excès des normes. Nous proposons donc une mesure très précise et efficace pour prévenir les excès. Il est toujours préférable d’anticiper plutôt que de dénoncer a posteriori.

Je termine en remerciant toutes celles et ceux qui, depuis les états généraux de la démocratie territoriale et même, pour certains, avant, ont bien voulu contribuer à l’élaboration de ces deux propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)