M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la semaine dernière, en Bretagne, plusieurs milliers de travailleurs sont descendus dans la rue pour crier leur colère et leur désarroi, alors que le chômage augmente et que la liste des entreprises en difficulté s’allonge : Gad, Doux, Tilly-Sabco, Marine Harvest… En 2013, 900 emplois ont déjà été supprimés dans notre région, et plus de 5 000 autres sont menacés.

Un autre gros point noir tient à la situation du site rennais de PSA Peugeot Citroën : 1 400 départs volontaires sont prévus d’ici à la fin de décembre, ce qui entraînera des effets en cascade sur les sous-traitants.

Ce désespoir, qui tourne parfois à la violence, n’est pas propre à ma région. Il touche la France entière.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Gérard Le Cam. Attentives aux seuls signaux du marché, les entreprises se livrent, au cœur de la crise, à la plus farouche concurrence, entraînant le coût du travail et les cours agricoles vers le bas !

La lutte emblématique des « Conti » contre la puissance financière de Continental, qui, en 2009, tirant prétexte de la crise, a rayé de la carte une usine rentable et 700 emplois, a permis de dénoncer la criminalité financière d’actionnaires invoquant la nécessité de procéder à des licenciements économiques quand la valeur de leurs actions doublait en 2012 et le chiffre d’affaires progressait de 17 %. Il faut aussi évoquer le combat des « Fralib » pour faire vivre un outil industriel de qualité, alors qu’Unilever décide de délocaliser en Pologne la production du thé « Éléphant », créé à Marseille et vendu exclusivement en France !

Telle est la réalité économique ; elle appelle un changement de cap radical dans la politique économique du Gouvernement et dans la gestion des entreprises.

C’est pourquoi, même si vous avez bien précisé, monsieur le ministre, que le champ du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire est volontairement limité aux entreprises dites saines et repose sur le pari d’une « pollinisation vertueuse » de l’économie classique, nous ne pouvons ignorer l’urgence sociale et économique que connaît notre pays.

Nous sommes convaincus que les salariés doivent être associés plus étroitement à la gestion de leur entreprise pour cerner les évolutions, connaître en amont les difficultés pouvant survenir, proposer un meilleur partage des richesses créées et des évolutions techniques dans la production, intervenir sur la stratégie globale, nationale et internationale, ainsi que sur la définition des segments d’activité de l’entreprise. Les expériences menées en ce sens ont été positives pour l’outil industriel comme pour l’emploi.

Dans ce contexte, vous comprendrez que je m’arrête dès à présent sur les articles 11, 12 et 15. Emblématiques du projet de loi, ils visent à étendre le droit d’information à l’ensemble des salariés en cas de cession de l’entreprise ou du fonds de commerce et à instaurer les SCOP d’amorçage. Ces dispositions constituent sans aucun doute des avancées très positives, mais elles nous semblent bien isolées, hélas !

Les articles 11 et 12, qui suscitent la fronde du MEDEF et l’émoi de la droite, ne vont pas assez loin pour garantir une localisation des emplois et de l’activité économique, pour protéger les titres de propriété intellectuelle, les brevets, les marques.

Je vais vous livrer un exemple qui illustre nos craintes. Dans le Nord, l’entreprise de chimie Calaire a été vendue. Au moment de l’opération, l’État a retiré 192 millions d’euros de la cession de ses parts. Les salariés ont proposé de reprendre l’entreprise en maintenant 117 emplois, mais le projet a échoué car il leur manquait 9 millions d’euros. En définitive, le groupe Axyntis va reprendre le site, mais il ne conservera que 80 salariés. De telles situations se multiplient sur nos territoires !

Demain, le présent texte, s’il est adopté, ne garantira pas que le projet des salariés soit retenu en priorité, même s’il maintient davantage d’emplois. C’est sur ce point que nous devons travailler.

Dans cette perspective, nous présenterons des amendements tendant à enrichir le dispositif proposé en matière d’accompagnement des salariés, ainsi qu’à reconnaître à ceux-ci un droit de préemption.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, 50 000 emplois sont perdus chaque année parce que des entreprises saines mettent la clef sous la porte, faute de repreneur. D’autres emplois sont détruits, à l’occasion des cessions d’entreprise, au nom de la rentabilité financière. Il est temps de donner aux salariés qui le souhaitent les outils leur permettant de reprendre leur entreprise et de défendre leurs emplois.

Ainsi, nous souhaitons, comme le préconisait d’ailleurs le Conseil économique, social et environnemental, instaurer un droit de reprise dans un délai raisonnable, prévoir un véritable droit de préférence au profit des salariés, renforcer le rôle des banques coopératives dans l’octroi des prêts et garanties en appui aux projets de ces derniers.

Nous reviendrons sur cette question lors de l’examen des articles 11 et 12 : à cette occasion, nous ferons la démonstration qu’aucun argument juridique – ou politique – ne justifie que l’on renonce à l’instauration d’un droit de préférence au bénéfice des salariés.

S’agissant du droit d’information stricto sensu, nous saluons les avancées qui, sur l’initiative du rapporteur, Marc Daunis, ont été entérinées par la commission des affaires économiques. L’article 11 A, qui tend à instaurer un dispositif d’information des salariés, tout au long de la vie de l’entreprise, sur les possibilités de reprise, est essentiel pour garantir l’effectivité du projet gouvernemental.

Dans cet esprit, nous présenterons des amendements visant à permettre aux salariés ayant fait part au cédant de leur volonté de présenter une offre de rachat de se faire assister par une personne qu’ils auront désignée, dans des conditions définies par décret. À leur demande, cette personne pourra se faire communiquer les documents comptables et financiers de l’entreprise dans les mêmes conditions que le comité d’entreprise, en application des articles L. 2323-8 et L. 2323-9 du code du travail.

Nous proposerons également que les salariés puissent se faire assister par un représentant de la chambre de commerce et d’industrie régionale, de la chambre régionale d’agriculture ou de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat territorialement compétentes, en lien avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire.

Nous proposerons en outre de compléter l’article 4, qui vise à définir les missions des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, afin, comme cela se pratique dans certaines structures, que celles-ci animent un espace régional de dialogue social associant les organisations syndicales de salariés et d’employeurs.

Nous pensons que l’introduction de ces précisions conditionne fortement l’efficacité du droit d’information et l’appréciation de sa pertinence, d’autant que les autres dispositions du projet de loi suscitent des critiques, sinon des interrogations.

Nous soutenons le projet du Gouvernement de structurer l’économie sociale et solidaire à travers une loi réaffirmant ses principes fondateurs : la liberté d’adhésion, la gestion démocratique, la non-lucrativité individuelle, l’utilité collective ou l’utilité sociale du projet, la mixité des ressources.

La diversité des acteurs de l’économie sociale et solidaire est un premier obstacle qui apparaît lorsque l’on veut rassembler cette grande famille ; le respect à géométrie variable des valeurs affichées en est un autre. Mais le projet de loi va plus loin encore dans la difficulté, puisqu’il tend, par une démarche inclusive, à intégrer les sociétés commerciales dans l’économie sociale et solidaire. Si nous comprenons la dynamique guidant ce choix, nous attirons l’attention sur les dangers d’une pollinisation qui pourrait se muer en pollution du secteur de l’économie sociale et solidaire…

Pour essayer de se prémunir contre un tel risque, nous vous proposerons, mes chers collègues, de renforcer les conditions, posées à l’article 1er du projet de loi, qui encadrent la définition de l’économie sociale et solidaire.

D’une part, nous souhaitons préciser la notion de gouvernance démocratique. En effet, s’il est vrai que le principe « une personne, une voix » ne régit pas la gouvernance de tous les acteurs historiques, il n’en reste pas moins que, en l’état, le projet de loi est trop flou sur ce point. La gouvernance démocratique est naturellement incompatible avec le dogme de la primauté actionnariale, mais on peut essayer de l’infléchir en précisant que la gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoit la participation, non strictement proportionnelle à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés et parties prenantes aux réalisations de l’entreprise. Nous vous ferons une proposition en ce sens.

D’autre part, nous proposerons de renforcer le caractère limité de la lucrativité. Pour que les sociétés commerciales puissent bénéficier du label « économie sociale et solidaire », il nous semble important qu’elles jouent le jeu et, par conséquent, qu’elles changent certaines de leurs pratiques en matière de gestion de leurs bénéfices. C’est pourquoi il est nécessaire d’augmenter les réserves statutaires et d’encadrer plus fortement les bénéfices distribuables.

Par ailleurs, l’article 2 bis du projet de loi, ayant pour objet d’instaurer une déclaration de principe par laquelle les entreprises de l’économie sociale et solidaire peuvent signifier leur volonté d’atteindre des objectifs plus volontaristes, peut être considéré, par les plus sceptiques d’entre nous, comme un merveilleux exemple de « droit mou » ou de « droit souple », pour reprendre la terminologie du Conseil d’État. Les plus optimistes y verront, quant à eux, un instrument non dépourvu d’intérêt, permettant un contrôle démocratique de la politique affichée par l’entreprise. Ayant retenu cette dernière analyse, nous proposerons de mettre l’exemplarité sociale au cœur du texte et d’y inscrire l’objectif de parité entre les hommes et les femmes dans les instances décisionnelles.

Enfin, nous demandons que la liste des entreprises ayant adhéré à cette déclaration de principe soit publiée selon des modalités prévues par décret et que ces entreprises en informent leurs salariés par voie d’affichage, en portant à leur connaissance, par le même moyen, la teneur de la déclaration.

Afin que les principes vertueux imprègnent les plus hautes instances de l’économie sociale et solidaire, nous souhaitons aussi que la composition du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire soit précisée, pour garantir une représentation de l’ensemble des parties prenantes, notamment des salariés, ainsi qu’une réelle parité entre hommes et femmes.

L’article 7, tendant à définir l’agrément « entreprise solidaire d’utilité publique », nous incite à la plus grande prudence.

En effet, cet agrément ouvre actuellement droit à deux contreparties : l’accès des « entreprises solidaires » aux dispositifs de soutien fiscal dits « ISF-PME », qui ouvre droit à une réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune, et « Madelin », qui offre une réduction d’impôt sur le revenu en cas de souscription au capital de PME se consacrant à des activités technologiques ou présentant un potentiel important de croissance. Un volet « solidaire » vient donc se greffer sur ces deux dispositifs.

Le champ de cet agrément se trouve potentiellement élargi par le projet de loi, notamment au profit des sociétés commerciales qui rempliraient les conditions posées aux articles 1er et 2. C’est pourquoi il nous semble primordial, afin que de grands groupes ne bénéficient pas d’aides publiques payées par la collectivité, d’encadrer très précisément les conditions d’octroi de l’agrément, en particulier dans le cas des sociétés commerciales. En outre, les primes devraient être prises en compte dans le calcul de l’écart maximal de rémunération à respecter dans ce cadre.

Nous pensons que l’agrément accordé de plein droit ouvre une brèche dans le dispositif d’accès aux aides publiques. En ce sens, nous partageons les inquiétudes de la majorité des acteurs du secteur des entreprises solidaires d’utilité sociale, qui considèrent que cet agrément pourrait engendrer une instrumentalisation du conventionnement « insertion par l’activité économique » par des sociétés commerciales y voyant un moyen de contourner les conditions d’obtention de l’agrément d’entreprise solidaire d’utilité sociale. De plus, on comprend mal pourquoi le fait de mener une mission d’utilité sociale permettrait de s’affranchir du respect de principes fondateurs du secteur.

Je voudrais, pour conclure, faire quelques remarques sur les dispositions particulières concernant les acteurs historiques du secteur.

Tout d’abord, nous sommes très favorables à la révision coopérative, qui consiste à vérifier, tous les deux ou trois ans, si l’entreprise respecte toujours les conditions de son statut de coopérative, eu égard à tous les avantages et à toutes les aides que ce label offre dans le cadre de l’économie sociale et solidaire.

En revanche, concernant les mutuelles, les dispositions du projet de loi ne nous semblent pas aller dans le bon sens. Nous sommes très attachés à la forme juridique mutualiste, caractérisée notamment par une gestion à but non lucratif et solidaire, qui permet de prendre en charge des risques sociaux, alors même que les États abaissent le niveau de la protection sociale obligatoire. Le principe de démocratie, qui devrait régir la gouvernance des mutuelles, devrait également permettre d’impliquer les citoyens dans les décisions les concernant. L’article 35 du projet de loi, sous couvert d’efficacité, va à l’encontre de cette règle.

Alors qu’il faudrait sortir les mutuelles du champ de la réglementation européenne en matière d’assurances et de complémentaires santé, et limiter les obligations en termes de réserves prudentielles, dans l’attente du remboursement à 100 % par la sécurité sociale, le projet de loi tend à créer un nouvel instrument financier pour répondre aux contraintes européennes, par ailleurs dénoncées. Ce faisant, il entérine les décisions de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, qui ne reconnaît pas la spécificité du risque santé et veut imposer aux organismes proposant des complémentaires santé de constituer des réserves prudentielles largement surdimensionnées. Ces exigences, excessives et inflationnistes, conduisent à des fusions sous contraintes mettant à mal le système mutualiste.

D’autres dispositions appellent des réserves de notre part ; nous y reviendrons lors de l’examen des articles. Je pense au statut d’entrepreneur salarié associé, qui écarte dangereusement un certain nombre de travailleurs de la législation du travail, ainsi qu’aux dispositions sur les fondations et au nouveau titre fondatif. Ce dernier ne nous convainc pas, et nous proposerons de le limiter aux fondations reconnues d’utilité publique.

Le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire est largement perfectible. Nous espérons pouvoir aboutir, au terme des débats en séance publique, à un texte plus ambitieux, constituant une première étape vers la pérennisation de nos emplois et de nos savoir-faire, garantissant le renforcement des principes fondateurs de l’économie sociale et solidaire et permettant que s’impose réellement une autre forme d’appropriation des moyens de production et d’échanges. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, quelque 21 000 coopératives, plus d’un million d’associations et de mutuelles, ainsi qu’un nombre croissant d’entreprises solidaires, irriguent la vie économique et sociale de notre pays. Elles contribuent au développement de nos territoires, à la réduction des inégalités, sociales ou territoriales. L’économie sociale et solidaire représente en effet plus de 2 millions d’emplois et 10 % du PIB.

Favoriser l’essor de ce secteur par le biais d’un ensemble de mesures structurantes, conférant un cadre juridique simple et protecteur, facilitant l’accès au financement de ses acteurs, constitue donc un enjeu essentiel pour l’emploi et la croissance dans notre pays, mais aussi pour la solidarité, la justice et l’équité, entre les citoyens et entre les territoires.

C’est pourquoi nous accueillons favorablement le fait que le Gouvernement présente aujourd’hui, en première lecture au Sénat, un projet de loi ayant pour objet de permettre ce « changement d’échelle » de l’économie sociale et solidaire.

Mon collègue Stéphane Mazars détaillera tout à l’heure la position générale de mon groupe, ainsi que la logique qui sous-tend les amendements que nous avons déposés sur le projet de loi. Pour ma part, je me concentrerai sur deux articles, qui – au regard du nombre d’amendements déposés – semblent avoir retenu l’attention de plusieurs de nos collègues... Je veux parler des articles 11 et 12, qui visent à instaurer un dispositif d’information des salariés en cas de cession de leur entreprise.

Rappelons l’objectif poursuivi par ces articles : permettre de sauvegarder des emplois et maintenir l’activité économique, en particulier dans les territoires ruraux, où la transmission d’entreprises est souvent un problème très préoccupant. Dans ces territoires fragiles, souvent délaissés, il convient d’anticiper et de mieux préparer l’éventuelle cession de l’entreprise avec le concours, quand cela est possible, des salariés.

Quel est le dispositif proposé pour parvenir à un tel objectif ?

Tout d’abord, les articles 11 et 12 prévoient d’informer les salariés lorsque le dirigeant décide de céder l’entreprise. C’est bien normal, et c’est d’ailleurs ce que prévoit la directive européenne du 12 mars 2001, que la France n’a toujours pas transposée.

Ensuite, il s’agit de permettre aux salariés, parallèlement à l’information qui leur est donnée, de proposer, s’ils le souhaitent, une offre de reprise. Nous le savons tous, lorsqu’une entreprise est reprise par les salariés, elle a souvent plus de chances de perdurer que lorsqu’elle est reprise par un tiers. Je rappelle les chiffres figurant dans le rapport : 75 % des entreprises reprises par les salariés existent toujours cinq ans après la cession, contre 60 % des entreprises transmises à un tiers.

Les dispositions du titre II visent donc à faciliter la reprise par les salariés en les informant et en les associant en amont, afin, notamment, de leur laisser le temps de formuler une offre de reprise solide et crédible. Ce dispositif est d’ailleurs complété par l’article 11 A, introduit par le rapporteur, qui vise plus généralement à informer les salariés des possibilités de reprise de leur entreprise tout au long de leur vie professionnelle.

Concrètement, ces trois articles devraient conduire à davantage de reprises d’entreprises par les salariés et, donc, permettre non seulement de réduire significativement le nombre de fermetures d’entreprises en « bonne santé » – une aberration ! – dues à l’absence de repreneur, mais aussi de favoriser le maintien de l’activité et des emplois sur le long terme. Ces mesures peuvent constituer une avancée. Toutefois, il me semble qu’il reste encore beaucoup à faire pour permettre aux salariés d’être en mesure de reprendre efficacement une entreprise.

Pour résumer, l’information, c’est bien ; la formation, c’est encore mieux ! Il y a sur la question de la formation professionnelle, de l’encadrement et de la préparation des salariés à une possible reprise de leur entreprise un véritable chantier à développer. Nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous avanciez dans cette direction.

Les membres du groupe du RDSE sont favorables au « droit d’information » instauré par le projet de loi, qui constitue à leurs yeux un progrès. Pour autant, la rédaction de ces articles a suscité chez nous de vives interrogations. Une expression, en particulier, nous semble présenter un risque non négligeable du point de vue de la sécurité juridique. Je veux parler de l’« intention de cession ». Nous avons donc cherché à proposer une nouvelle rédaction afin de sécuriser le dispositif.

Par tradition, nous avons l’habitude, sur le terrain, dans le cadre de nos mandats locaux, auxquels nous sommes attachés, de rechercher des solutions équilibrées, respectueuses des intérêts de chacune des parties. Ce texte constituera un progrès économique et social s’il est considéré comme un instrument facilitateur et non comme une contrainte par le chef d’entreprise. La France se singularise en Europe par sa difficulté à sortir de blocages idéologiques souvent stériles freinant un indispensable dialogue social constructif.

Monsieur le ministre, nous avons compris que vous étiez prêt à prendre en considération nos observations et nos propositions. De ce fait, notre groupe votera unanimement en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite moi aussi saluer l’excellent travail de concertation mené par le rapporteur Marc Daunis et le remercier de son écoute attentive. Je souhaite également remercier l’ensemble des rapporteurs pour avis.

À ces remerciements, s’ajoutent ceux que j’adresse à M. le ministre et aux membres de son cabinet pour leur souci permanent d’accomplir un travail constructif et leur disponibilité, malgré l’ampleur de ce texte.

Permettez-moi de saluer M. Guy Hascoët, secrétaire d’État à l’économie solidaire jusqu’en 2002, qui a tenu à nous honorer de sa présence en tribune. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) De 2002 à 2012, vous le savez, cette responsabilité ministérielle a été supprimée, et le projet de loi qu’il avait préparé n’a jamais pu être examiné. Aujourd’hui est donc un grand jour !

Cette loi, la première à définir et encadrer le secteur de l’économie sociale et solidaire, est attendue par les acteurs de terrain depuis de nombreuses années. En effet, depuis plus de trente ans, de nombreux citoyens – progressivement soutenus par les collectivités territoriales – créent des réseaux d’épargne solidaire, d’accompagnement et de soutien à des porteurs de projets d’entreprise d’économie solidaire, ce qui contribue à prolonger et à renouveler la belle tradition de l’économie sociale née au XIXsiècle au cœur des mobilisations contre la misère sociale.

N’ayons pas peur de le dire, ce texte est une très bonne loi, et le groupe écologiste souhaite lui apporter tout son soutien, particulièrement en ce mois de novembre, mois de l’économie sociale et solidaire ! Bien sûr, il n’est pas parfait, et c’est la raison pour laquelle notre groupe a déposé des amendements. Toutefois, nous avons conscience de la complexité d’allier la vision d’un idéal et la réalité du terrain, ainsi que de concilier des intérêts et des conceptions parfois divergents. Nous ne pouvons donc que nous féliciter du pragmatisme mêlé d’exigence du travail qui a été mené ici.

Lors de l’examen du projet de loi par la commission le 16 octobre dernier, nous avons pu apporter notre pierre à l’édifice sur plusieurs sujets : la gouvernance démocratique, la parité, l’affectation de la rentabilité financière des entreprises, la possibilité pour les sociétés commerciales à capital variable de racheter leurs parts sous certaines conditions et la faculté d’autosaisine du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire. Mais c’est au niveau des territoires, cet échelon si cher aux écologistes et dans lequel ils s’investissent depuis de nombreuses années, aussi bien en tant qu’acteurs économiques que militants ou élus locaux, que nous nous réjouissons d’avoir obtenu des avancées telles que l’élaboration par la région d’une stratégie régionale de l’économie sociale et solidaire intégrée au schéma régional de développement économique et d’innovation, l’organisation tous les deux ans d’une conférence régionale de l’économie sociale et solidaire ou encore le renforcement du rôle des collectivités territoriales dans les pôles territoriaux de coopération économique.

Les articles 1er et 2 répondent bien à la difficile tâche de définir le périmètre protéiforme de l’économie sociale et solidaire, ainsi que celui de l’utilité sociale, plusieurs orateurs ont insisté sur ce point. Nous sommes satisfaits de voir que le développement durable y figure à sa juste place. À ce titre, je veux souligner que, à nos yeux, l’économie sociale et solidaire ne peut pas seulement se définir par un statut juridique. L’essentiel, c’est que le périmètre regroupe tous ceux qui fournissent des produits et des services utiles, socialement et écologiquement, faisant l’effort volontaire d’internaliser en amont des coûts sociaux et environnementaux trop souvent payés en aval par notre société.

Un autre point important, qui a déjà été évoqué, concerne les critères de fonctionnement et de gouvernance démocratique.

Ainsi, si nous saluons le renforcement des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire à l’article 4, nous déplorons néanmoins l’absence de mention dans le texte des structures assimilées, telles que les agences régionales de développement de l’économie sociale et solidaire. Le groupe écologiste a donc déposé un amendement visant à réparer un tel oubli.

Concernant les marchés publics, sujet ô combien important pour l’avenir de ce secteur, nous nous réjouissons que l’article 9 mette en place un schéma de promotion des achats publics socialement responsables. Néanmoins, il nous semble important de mentionner que ces achats doivent également être environnementalement responsables et de fixer un objectif chiffré. Ainsi, 20 % des achats publics pourraient concerner l’économie sociale et solidaire. Le groupe écologiste défendra des amendements en ce sens.

La réintroduction de la partie concernant l’innovation sociale par M. le rapporteur à l’article 10 ter nous satisfait grandement, mais il nous paraît pertinent d’accorder aux entreprises de ce secteur le droit au crédit d’impôt recherche. Car ces dernières ont souvent l’ambition de viser aussi l’excellence technologique, loin des visions misérabilistes parfois colportées ! Notre groupe a déposé un amendement visant à ouvrir ce droit.

J’en viens à présent aux articles sensibles, souvent au cœur des débats de ces dernières semaines, à savoir les articles 11 A, 11 et 12 concernant le droit d’information des salariés.

L’article 11 A, introduit par M. le rapporteur, marque une étape supplémentaire très importante vers une véritable possibilité pour les salariés de reprendre leur entreprise ; nous nous en félicitons.

Nous approuvons également l’introduction, par les articles 11 et 12, d’un délai d’information des salariés de deux mois avant toute cession. Nous nous félicitons aussi des autres mesures relatives aux droits des salariés, déjà expliquées par les orateurs précédents. Ces dispositions, justifiées à nos yeux par les très nombreux exemples auxquels nous avons été confrontés dans nos territoires, sont très importantes si nous voulons que le droit à la reprise ne soit pas simplement formel et que des moyens concrets soient donnés pour qu’il devienne une réalité.

Néanmoins, il nous paraît nécessaire d’aller plus loin. C’est la raison pour laquelle nous apporterons tout notre soutien à notre collègue Marie-Noëlle Lienemann et que le groupe écologiste a lui aussi déposé des amendements, ne serait-ce que pour pouvoir débattre, visant à mettre en place une mesure de rachat préférentiel, à offre égale, en faveur des salariés. Rappelons-le, il s’agit d’une promesse de campagne du Président de la République ! Si j’ai bien entendu les propos de M. le rapporteur pour avis de la commission des lois, il paraît cependant urgent d’approfondir la réflexion et de regarder de près la façon dont les choses se passent, pour essayer de lever les obstacles. Il y a là, vous avez très probablement tous en tête des exemples, un gisement colossal d’emplois locaux et de redynamisation du tissu économique.

En cette période de crise, en cette heure où il devient urgent de répondre à l’aspiration démocratique exprimée par nos concitoyens, l’économie sociale et solidaire démontre qu’il est possible de faire autrement et d’avoir des entreprises économiquement viables, tout en mettant en œuvre des valeurs de solidarité et de fonctionnement démocratique. La crise économique, sociale, écologique est là, d’une ampleur terrible. Plus de 8,6 millions de personnes vivent en France avec un revenu mensuel de moins de 964 euros, dont 4,5 millions avec un revenu inférieur à 716 euros par mois. Parallèlement, nous avons à l’esprit la cascade de fermetures d’entreprises qui touche, en ce moment même, notre pays.

Devant de tels défis sociaux et environnementaux, il n’est pas possible de refuser l’innovation économique et sociale. Il serait irresponsable que le Gouvernement et le Parlement ne saisissent pas l’opportunité et les solutions que lui proposent les acteurs, les entreprises et les réseaux de l’économie sociale et solidaire.

L’économie sociale et solidaire, en mobilisant citoyens, épargnants et réseaux d’accompagnement dans l’entreprise, développe la vigilance démocratique et le lien social. C’est déjà un atout précieux pour notre pays. C’est aussi un secteur créateur d’un nombre considérable d’emplois, les chiffres ont été rappelés. Enfin, c’est un secteur d’avenir sur le plan économique, propre à nous aider à relocaliser l’économie, à la relever de ses difficultés dans de nombreux secteurs : services à la personne, petite enfance, création culturelle, travaux publics – je pense notamment à l’isolation énergétique –, production et distribution de produits agricoles et alimentaires sains, industrie, commerce équitable, recyclage, circuits courts en général, services aux entreprises,… La liste est longue !

Il est temps que, à côté des deux autres secteurs économiques que sont le secteur public et le secteur privé classique, la loi reconnaisse à sa juste valeur ce troisième secteur qu’est l’économie sociale et solidaire. Compte tenu de ce qu’elle apporte à la nation, des valeurs de solidarité et de démocratie qu’elle ne se contente pas de proclamer, mais qu’elle met concrètement jour après jour en action – c’est plus difficile –, elle doit être soutenue par les pouvoirs publics.

Étant donné les enjeux, l’économie sociale et solidaire doit changer de dimension, sortir des seules expérimentations ou des petites réalisations. Ce qui doit être à l’ordre du jour, c’est l’essaimage des réalisations, des savoir-faire déjà accumulés depuis des décennies. La loi doit rendre possible le développement de projets à grande échelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)