M. Hervé Maurey. Ma conviction ne date pas d’aujourd’hui !

Mme Évelyne Didier. Madame la ministre, vous proposez de poursuivre la voie tracée par la précédente majorité, dès 2010, avec le projet de « plus de service au public » en lieu et place de « plus de service public ». Les mots ont un sens !

Vous avez annoncé comme un engagement fort, le 4 novembre dernier, 1 000 nouvelles maisons de services au public à l’horizon 2017. L’État et les opérateurs contribueront à couvrir 50 % des besoins de fonctionnement des initiatives locales. Le reste sera, encore une fois, à la charge des collectivités locales. Une telle démarche relève pourtant, à nos yeux, de la responsabilité nationale.

Sur le fond, et plus généralement, le Gouvernement est lié par Bruxelles et sa politique de l’austérité. En adoptant le traité européen, vous avez autorisé la Commission à se prononcer sur les budgets nationaux et même à exiger des modifications si elle estime que les documents ne sont pas conformes aux objectifs.

Elle a d’ailleurs fait savoir qu’elle attendait beaucoup plus de rigueur de l’État français. Le budget dont nous débattrons bientôt, qui nous semble déjà contestable, est même jugé insuffisamment rigoureux et trop dispendieux.

Nous croyons donc, et je terminerai sur ce point, que les politiques d’aménagement du territoire ne pourront trouver de cadre d’amélioration qu’en rompant avec le carcan libéral imposé, qui conforte les inégalités territoriales et sociales. Au fond, c’est l’idée même d’une politique publique qu’il faut réhabiliter.

À défaut de remise en cause des dogmes libéraux appliqués aux territoires, l’idée même d’aménagement du territoire n’est plus opérationnelle pour assurer le développement de tous nos territoires tant elle est assimilée par certains à une véritable politique d’assistance. (Mme Hélène Lipietz applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Camani.

M. Hervé Maurey. Courage, Pierre !

M. Pierre Camani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous me permettrez tout d’abord de regretter le ton outrancièrement polémique de M. Maurey, que j’ai connu, parfois, plus mesuré.

Comme toutes les politiques publiques, la politique de l’aménagement du territoire a oscillé au cours des cinquante dernières années entre une option libérale et une option plus régulatrice.

La création du ministère de l’égalité des territoires symbolise la volonté du Gouvernement de lutter contre la fracture territoriale qui s’est aggravée ces dernières années.

Laurent Davezies nous rappelle que, grâce à la décentralisation, les inégalités régionales se sont considérablement réduites. Le fameux ouvrage de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, publié en 1947, décrivait une France déséquilibrée entre une région-capitale écrasante où tout se passait et une province endormie dont l’ennui faisait fuir les talents vers la ville lumière. Nous n’en sommes plus là, fort heureusement.

Mais en même temps que les inégalités régionales se réduisaient considérablement, les inégalités infrarégionales, elles, persistaient, voire se développaient, notamment ces dernières années.

L’égalité des territoires constitue non pas un absolu, mais un cadre pour l’action publique. À cet égard, je me félicite du changement de cap du Gouvernement dans ce domaine, et en dix-huit mois la logique de l’intervention de l’État a été inversée.

Elle a tout d’abord été inversée par l’instauration d’une nouvelle relation entre l’État et les collectivités territoriales et leurs élus. Une relation de confiance…

M. Jean-Claude Lenoir. Ça se voit dans les sondages !

M. Pierre Camani. … affichée par le Président de la République à la Sorbonne, en octobre 2012, lors des états généraux de la démocratie territoriale. Une nouvelle relation proposée par le Premier ministre dans le cadre de l’élaboration du nouveau Pacte de confiance et de responsabilité entre l’État et les collectivités territoriales.

« L’État et les collectivités territoriales doivent retrouver le chemin de la confiance. Ils doivent être des partenaires, des acteurs qui se complètent », a déclaré le Premier ministre. Je cite cette phrase car, vous le reconnaîtrez tous aisément, elle nous change des discours stigmatisant les collectivités territoriales et les élus qui avaient contribué à installer un lourd climat de défiance dans les territoires.

Ce changement de paradigme s’établit dans un contexte financier difficile et l’opposition a beau jeu de critiquer les réductions de crédits, mais le cap est le bon !

La logique d’intervention de l’État a été inversée, parce que, madame la ministre, vous avez clairement et fortement affirmé, dans votre discours de Vesoul en particulier, que l’aménagement du territoire doit redevenir une priorité !

La crise que nous traversons est violente pour tous, mais selon la place que l’on occupe désormais dans le réseau de production mondial, on est plus ou moins exposé, on résiste plus ou moins. La crise est violente, mais tous les territoires ne la subissent pas de la même manière.

Le journal Le Monde daté du 31 octobre présente une carte de l’INSEE qui dépeint, de manière impressionnante, les fractures territoriales à partir des évolutions du nombre d’emplois par bassin d’emploi entre 2008 et 2012. Celles-ci varient de moins 14 % à plus 6 %. Certains bassins d’emploi ont un taux de chômage supérieur à 13 %.

Dans mon département de Lot-et-Garonne, les trois bassins d’emploi ont tous subi une baisse du nombre d’emplois : pour deux d’entre eux, la baisse s’établit entre 0 % et 5 % et, pour le troisième, autour de 10 %. Ce département est situé, pour partie, dans la fameuse « diagonale aride » identifiée par le géographe André Brunet et vous comprendrez que je sois particulièrement sensibilisé à la question de l’aménagement du territoire.

Cette géographie du choc de la crise appelle un volontarisme de l’action publique, un partenariat étroit entre les collectivités territoriales et les acteurs économiques et sociaux. La politique d’aménagement du territoire doit viser à soutenir les territoires en difficulté, tout en encourageant la dynamique des territoires les plus compétitifs, car ceux-ci « tirent » la croissance et assurent la péréquation.

Je salue votre volontarisme, madame la ministre, dans ce contexte extrêmement difficile, je le répète.

Je me félicite de la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, qui regroupera les services de la DATAR, de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances et du secrétariat général du comité interministériel des villes. Le Commissariat général à l’égalité des territoires atteste la volonté d’en finir avec la dichotomie entre l’urbain et le rural, qui a marqué la conduite des politiques en faveur des territoires ces dernières années. Il devrait doter l’État d’une structure lui permettant de concevoir ces politiques de façon plus globale, et donc plus cohérente. Il devrait également lui permettre de conduire ses missions de manière plus « transversale ». Il constitue en tout cas une nouvelle et belle occasion pour revisiter notre conception de l’aménagement du territoire.

Parmi les objectifs majeurs fixés au CGET, vous insistez sur l’accessibilité des services au public. Nous le constatons tous, la disparition des services publics et des services au public en milieu rural engendre un sentiment d’abandon extrêmement fort de la part des élus et des populations locales. Il est urgent de réagir.

La création d’emplois dans l’éducation et dans les forces de sécurité constitue un geste fort à l’égard des territoires. Pour la première fois depuis sept ans, vingt et un postes d’enseignants ont été créés à la rentrée de septembre 2013 dans mon département. De tout cela, M. Maurey ne dit rien, et il ose parler d’objectivité !

Les maisons de services au public peuvent constituer une réponse pour les territoires les plus démunis et je vous demande, madame la ministre, de bien vouloir nous préciser vos ambitions en la matière.

J’attends avec impatience la mise en œuvre des schémas départementaux d’accessibilité des services au public, prévus dans le deuxième projet de loi de décentralisation. Madame la ministre, vous envisagez d’expérimenter cette mesure avant le vote de la loi, avec les départements qui le souhaitent. Je me permets donc de vous proposer la candidature du département de Lot-et-Garonne, que j’ai l’honneur de présider.

Je suis persuadé que les départements peuvent, en partenariat avec les intercommunalités et l’État, jouer un rôle de premier plan dans le maillage des services publics et des services au public ; tel est d’ailleurs le cas dans mon département.

De la même manière, ils peuvent et doivent mener des politiques partenariales avec l’État et les intercommunalités en faveur des aménagements des centres-bourgs ruraux, pour éviter leur dépérissement et accompagner leur revitalisation. Dans le secteur du logement, les partenariats entre l’État, les collectivités et les opérateurs peuvent également s’avérer féconds.

La nouvelle vision de l’aménagement du territoire que vous défendez, madame la ministre, doit trouver sa traduction dans la nouvelle phase de négociation des contrats de plan État-région qui font suite aux contrats de projet.

Ceux-ci devront, me semble-t-il, incarner une autre approche de l’aménagement du territoire pour passer d’une logique de compétition entre les territoires à une logique d’accompagnement d’une stratégie régionale de prise en compte des territoires en déshérence. Il est en effet choquant de constater, mes chers collègues, que ce sont généralement les territoires disposant de moyens importants en ingénierie qui remportent ces appels à projet, même si, je le répète, les territoires dynamiques doivent aussi être encouragés. Cependant, la logique libérale des appels à projet contribue à exclure les territoires les plus fragiles. Ces procédures peuvent donc créer des inégalités là où elles sont censées les réduire. Des mesures spécifiques doivent donc être envisagées pour les territoires les plus fragiles. De ce point de vue, les pôles territoriaux de solidarité et d’aménagement, introduits par le Sénat dans le projet de loi relatif aux métropoles, peuvent constituer des outils intéressants.

Au-delà de la problématique essentielle de la création de valeur et de la création d’emploi dans les espaces ruraux, je voudrais m’attacher à rappeler l’importance stratégique du numérique et de la démographie médicale dans l’aménagement du territoire.

Le numérique est en train de bouleverser l’économie, le rapport entre les individus, le rapport à la distance et au temps. Il constitue un vecteur et un enjeu de développement majeur pour nos sociétés. Il constitue également un vecteur de fracture territoriale, si l’on en reste à une simple logique libérale de déploiement des réseaux, comme le faisait le précédent gouvernement.

La logique engagée par le Gouvernement est tout autre : un État stratège au service de la compétitivité et des territoires.

M. Hervé Maurey. Vous avez raison !

M. Pierre Camani. La feuille de route numérique et le plan « France très haut débit » portent une nouvelle vision de l’aménagement du territoire avec, d’une part, une volonté affichée de couvrir l’ensemble du territoire en très haut débit dans les dix ans et, d’autre part, la prise en compte des spécificités territoriales dans le soutien de l’État : financement des déploiements du très haut débit dans les zones denses par les opérateurs, cofinancement par les opérateurs et les collectivités territoriales et l’État dans les zones moins denses, cofinancement par l’État et les collectivités territoriales dans les zones très peu denses, avec des soutiens financiers de l’État pouvant atteindre 62 %.

Le modèle proposé semble recueillir l’assentiment de la plupart des acteurs du numérique. Un grand pas en avant a été fait dans ce domaine par rapport à la situation antérieure (M. Hervé Maurey s’exclame.), et il ne tardera pas à produire ses effets, monsieur Maurey,…

M. Hervé Maurey. On verra !

M. Pierre Camani. … tant les projets sont nombreux sur nos territoires.

De la même manière, la démographie médicale constitue un enjeu majeur pour l’aménagement équilibré du territoire, car la désertification médicale précède la désertification tout court ! Cette réalité inquiète les Français concernés, car les inégalités de territoire sont flagrantes. Le pacte territoire-santé, présenté par Marisol Touraine, vise à mettre en place un plan global de lutte contre les déserts médicaux. Il va dans la bonne voie, mais il faudra aller plus loin pour éviter que ne s’établissent des situations irréversibles sur certains territoires.

Les territoires ruraux attendent une meilleure considération de la place qu’ils tiennent dans notre pays. La France ne peut se réduire à quelques métropoles entourées d’espaces récréatifs. Les espaces ruraux peuvent être des espaces d’innovation pour peu que les volontés locales, soutenues par un État stratège, trouvent là une expression commune.

Dans son ouvrage Du contrat social, Rousseau écrivait : « C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir ». À nous, législateur de contribuer à cette entreprise au travers de la future loi pour l’égalité des territoires que vous allez bientôt nous présenter, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République a rappelé, dès son élection, la nécessité de lutter contre la « fracture territoriale ». Comme certains d’entre nous l’ont souligné, il a créé à cet effet le bienvenu ministère de l’égalité des territoires, ce qui devrait permettre de prolonger un souci relativement constant de l’action publique, celui de l’aménagement du territoire. En effet, nous avons souvent légiféré en ce domaine, soit directement, par l’adoption de grandes lois, soit indirectement, à travers des textes ambitieux sur la politique rurale, les transports et le logement.

À l’issue de quelques décennies de pratique de la politique d’aménagement du territoire par l’État, mais aussi par les collectivités locales responsabilisées par la décentralisation, la question est de savoir si le déséquilibre entre le milieu rural et le milieu urbain apparu après la guerre s’est aggravé.

Je dirai, pour ma part, que le bilan est mitigé. Nous sommes heureusement loin, madame la ministre, du « désert français » décrit en 1947 par le fameux géographe Jean-François Gravier dénonçant la macrocéphalie parisienne.

L’espace rural a conservé un certain dynamisme, malgré la diminution de l’emploi agricole. Sans occulter les difficultés, je voudrais rappeler, comme le fait régulièrement l’Association des maires ruraux de France, qu’il faut changer de regard sur la ruralité pour lui donner sa véritable dimension, car l’espace rural représente tout de même 70 % de la superficie totale de l’Hexagone. Dans mon département de Tarn-et-Garonne, de trop nombreuses communes enregistrent plus de décès que de naissances. Pourtant, les lois de décentralisation ont donné des compétences aux collectivités locales, qui ont permis de maintenir, pour la plupart des communes, un cadre de vie et des équipements collectifs tous aussi attractifs que ceux des grandes villes.

Il est également vrai – et nous le déplorons tous, mes chers collègues – que l’on observe un retrait très progressif, mais certain, des services publics. Je pense en particulier à la poste, à la santé, à la justice et à la sécurité, avec un affaiblissement de la gendarmerie en milieu rural, qui subit pourtant de nouvelles formes de délinquance. La révision générale des politiques publiques, la RGPP, a ses limites : aujourd’hui, dans certains services de l’État, on a « atteint l’os ».

La couverture numérique, plusieurs orateurs l’ont rappelé, n’est pas non plus à la hauteur des besoins de tous les territoires. Il faut souvent plaider sa cause auprès des opérateurs pour qu’ils assurent une certaine continuité territoriale.

Je n’oublie évidemment pas l’emploi qui est une préoccupation plus aiguë lorsqu’on ne vit pas directement dans l’orbite d’une grande métropole. Quand les salariés du groupe Doux crient « Non à la misère ! », ils rappellent que le malaise de notre industrie touche en premier lieu les territoires ruraux, tandis que le milieu urbain, nous le savons, amortit mieux la crise. Pendant trente ans, grâce à un effet redistributif, la cohésion territoriale a semblé se maintenir, mais elle se fissure dangereusement aujourd’hui.

En réponse à ce constat, que pouvons-nous faire que nous n’ayons pas déjà expérimenté ? Récemment, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de la politique d’aménagement du territoire. Je me réjouis de cette nouvelle initiative qui prolonge celle du groupe RDSE, auteur d’une proposition de résolution sur l’égalité territoriale que nous avions examinée l’année dernière. À l’époque, le président de notre groupe, Jacques Mézard, avait rappelé que la République, conformément à ses valeurs fondatrices, était garante de l’égal accès des citoyens aux services publics, mais aussi à l’emploi et au logement.

Cela suppose, mes chers collègues, de se remobiliser pour une nouvelle politique d’aménagement du territoire adaptée aux nouveaux enjeux issus de la mondialisation. Certains outils publics ont besoin d’être toilettés. L’État ne doit pas être plus présent, mais plus efficace. La DATAR doit être réformée. Nous devons mettre en place une démarche planificatrice. Bien sûr, la question des moyens financiers est prégnante. À cet égard, soyons clairs : tant qu’il n’y aura pas de véritable péréquation, les inégalités entre territoires perdureront. Notre Constitution dispose pourtant à son article 72-2 que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ». Cette affirmation est fondamentale, mais disons-le sans détour, mes chers collègues, elle ne crée aucune contrainte.

Les outils existent : qu’il s’agisse de la péréquation verticale ou de la péréquation horizontale, nous disposons d’une palette de dotations et de fonds. Pour autant, la conjugaison de tous ces instruments n’aboutit pas à une véritable solidarité financière qui permettrait aux communes les plus concernées de mieux lutter contre les processus de désertification.

Nous savons comment le sentiment d’abandon alimente tous les populismes. C’est pourquoi, madame la ministre, nous attendons avec beaucoup d’impatience la grande loi de modernisation que vous allez nous proposer : nous participerons très activement au débat auquel elle donnera lieu. (Mme Hélène Lipietz applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par quelques observations liminaires.

Première observation : la fracture territoriale s’est aggravée ces dernières années. Elle a toujours existé, comme en témoigne la situation de la France au lendemain de la guerre – cela a été rappelé –, et l’on pourrait remonter plus loin encore ; mais elle s’est accentuée en raison de la crise, et dans un État ne disposant pas des moyens qui lui seraient nécessaires, certains territoires souffrent plus que d’autres.

Deuxième observation : le clivage entre monde urbain et territoire rural est largement effacé au profit d’autres clivages, qui ont d’ailleurs été mis en exergue dans un rapport récent issu des travaux de la mission commune d’information créée par le Sénat et présidée par Jean-Pierre Raffarin sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République.

Ces constatations reposent sur les appréciations de Laurent Davezies qui décrit très bien la réalité de la France : sans distinguer le monde rural et le monde urbain, il identifie « quatre France » : les territoires marchands et dynamiques, constitués de grandes villes, de zones industrielles ; les territoires marchands en difficulté, rassemblant les anciens bassins industriels, sidérurgiques, miniers ; mais aussi les territoires non marchands dynamiques, notamment toute la partie ouest de la France, du Nord au Sud à partir de la Manche ; enfin, les territoires non marchands en difficulté, à savoir les zones de montagnes et les zones éloignées. Chacun s’y retrouvera !

Troisième observation : oserai-je le dire, car je ne voudrais choquer personne, je ne crois pas au principe de l’égalité en matière de politique d’aménagement du territoire. Nos territoires ne se ressemblent pas ; chacun a sa spécificité, son identité, et je revendique, d’une certaine façon, le droit à la différence et à la diversité. Vouloir appliquer les mêmes recettes, les mêmes normes, les mêmes modes d’intervention à tous nos territoires, quels qu’ils soient, me paraît complètement utopique. (Mme la ministre acquiesce.)

Je vous dirai à la fin de mon intervention vers quel concept, en revanche, je pense qu’il faut tendre. Mais ce mot d’« égalité », même s’il est prononcé avec bonheur et délectation par celles et ceux, nombreux, qui affirment que c’est le deuxième terme de la devise de la République française, n’est pas aisé à mettre en œuvre.

Devant ces « différentes France » que Laurent Davezies évoquait, madame la ministre, vous disposez de deux leviers : celui de l’efficacité pour les territoires aux industries de pointe et aux centres de recherche particulièrement performants, mais également celui de la solidarité, au profit des territoires qui connaissent aujourd’hui de grandes difficultés.

Quelles sont les politiques à mener ?

Citons tout d’abord celles que l’État doit mener : ce sont les fonctions régaliennes de l’État s’agissant de l’aménagement du territoire, au premier rang desquelles s’entendent évidemment les missions confiées, d’une part, aux forces de police et de gendarmerie, et, d’autre part, à la justice.

À ce propos, des mesures réorganisant les juridictions en France avaient été prises avant les élections, mais ce n’est pas la réintroduction du tribunal de grande instance à Tulle qui doit nous faire croire que de grands changements sont intervenus ! (Sourires.) D’autres villes sont légitimes à en attendre plus.

Il est bien sûr une autre fonction régalienne : l’école. À cet égard, et contrairement à l’appréciation portée par l’un de nos collègues qui ne comprenait pas que la question des rythmes scolaires fût évoquée par notre collègue Hervé Maurey, je dirai que cette question est extrêmement importante, car les territoires les plus éloignés, les moins peuplés, les territoires ruraux, surtout ceux en difficulté, ont bien du mal à mettre en œuvre ces mesures qui ont été décidées par le ministre.

Qu’il me soit permis d’ouvrir une petite parenthèse sur ce point, puisque c’est la première fois depuis ce week-end que j’ai l’occasion de m’exprimer à la tribune de la Haute Assemblée.

Le Premier ministre a fustigé, samedi dernier, les maires qui « refusaient », disait-il, de mettre en œuvre la réforme des rythmes scolaires à la rentrée 2014. Selon lui, ils ne pouvaient pas « aller contre la loi ».

Mes chers collègues, je me permets de rappeler que ce n’est pas la loi qui a fixé les rythmes scolaires ;…

M. Gérard César. C’est un décret !

M. Jean-Claude Lenoir. … c’est un décret du 24 janvier 2013 et une circulaire prise quelques jours auparavant.

Je ne dis pas que le sens du respect des textes ne doit pas conduire les élus, notamment, à les respecter, mais affirmer que ces textes sont du domaine de la loi, c’est responsabiliser les parlementaires. M. le Premier ministre ne peut tenir de tels propos, et je me permets de le corriger sur ce point, avec le plus grand respect pour sa fonction et sa personne !

D’autres fonctions importantes relèvent aussi de l’État : ce sont celles qui consistent à soutenir les territoires les plus dynamiques, mais aussi à apporter à ceux qui le sont moins, les moyens ou les compensations leur permettant d’affronter des difficultés, temporaires pour certains, malheureusement durables pour de nombreux autres.

Madame la ministre, ce territoire que l’on va qualifier de « rural », quelle que soit l’appréciation que j’ai portée tout à l’heure, est animé par des élus extrêmement volontaristes. La créativité y est quotidienne. Autour des élus, des citoyennes et des citoyens, particulièrement bien inspirés, souhaitent participer à l’action publique locale. Encore faut-il leur en donner les moyens.

Dans quels domaines cette intervention est-elle la plus importante ? Il suffit tout simplement, pour le savoir, de demander à un citoyen nouveau venu dans un territoire ce qu’il espère y trouver. Beaucoup parmi nous sont maires – encore que la loi risque de les en empêcher dans quelques années – ; qu’entendons-nous de la part des personnes qui viennent s’installer dans nos territoires ?

Tout d’abord, pour être certain que l’on puisse y demeurer, il faut vérifier la possibilité de s’y rendre. La question des communications, plus particulièrement routières s’agissant de mon territoire, est évidemment essentielle. L’État a réduit son réseau national, encore faut-il qu’il consacre les moyens nécessaires pour que les kilomètres demeurant à sa charge soient non seulement entretenus, mais modernisés.

Je ne peux m’empêcher à ce propos, madame la ministre, d’évoquer un sujet dont je reconnais volontiers qu’il n’est certainement pas présent dans votre esprit ce soir – mais au moins l’aurais-je évoqué – : l’aménagement de la nationale 12 qui conduit les automobilistes parisiens vers la Bretagne et vers Brest. J’insiste notamment, et je l’évoque régulièrement quand on parle d’aménagement du territoire, sur le goulet d’étranglement qui pénalise une bonne partie de l’ouest de la France, situé à Saint-Denis-sur-Sarthon, une commune de l’Orne.

Ensuite, il faut des télécommunications performantes. Beaucoup a été dit par les collègues qui m’ont précédé à cette tribune sur l’importance du très haut débit – je ne m’étendrai pas sur une telle évidence – ; c’est la chance de nos territoires. Aujourd’hui, chacun peut être relié à l’ensemble du monde de par son activité professionnelle ou du fait des liens familiaux et sociaux entretenus grâce à cette technologie.

De ce point de vue, il nous faut être bien plus ambitieux que le Gouvernement. Tout à l’heure, l’un de mes collègues affirmait savoir qui serait servi la dixième année.

M. Jean-Claude Lenoir. On peut penser, en effet, que les premiers servis seront les territoires déjà bien pourvus et plus riches que les autres. Mais on n’attendra pas dix ans pour que des territoires éloignés et dépourvus connaissent l’arrivée du très haut débit. Il faut être imaginatif, et rappeler, madame la ministre, que les collectivités territoriales sont assez désireuses de vous accompagner, au travers de procédés contractuels, afin de renforcer les moyens mis en œuvre par l’État.

Il est un autre domaine important : la culture.

Une politique culturelle ambitieuse dans un territoire est un des piliers du développement économique. Les Français ne supportent plus qu’il puisse exister un décalage, comme on l’a connu autrefois – quand j’étais jeune, je le subissais avec une grande amertume – entre les villes et nos territoires les plus éloignés. Ces territoires – et je pense plus particulièrement à celui que je représente – se sont dotés d’installations et d’équipements et ne demandent qu’à offrir à nos concitoyens des expositions, des représentations et des concerts. Aujourd’hui, le spectacle vivant a toute sa place au sein du territoire rural, d’autant que depuis longtemps, notamment après la guerre, nombre d’animateurs ont excellé pour distraire, divertir et apporter un peu d’animation dans nos campagnes les plus reculées.

Un autre domaine essentiel est la santé.

Mon appréciation diverge de celle de notre collègue Hervé Maurey, car je crois beaucoup aux pôles de santé. C’est pourquoi je demande à l’État de nous aider à en construire. Chacun a son expérience, et je peux comprendre que le département de l’Orne, proche du mien, ait pu éprouver quelques déconvenues.

Pour ce qui nous concerne, la chance nous a sans doute souri, car certaines de nos réalisations connaissent au contraire un très grand succès. Finalement, offrir aux professionnels de la santé un cadre leur permettant de travailler ensemble, de façon coordonnée et cohérence, est certainement un moyen de les attirer, si j’en juge par le nombre de jeunes médecins nouvellement arrivés. Mais ils ne sont pas les seuls : infirmiers et autres professions paramédicales peuvent aussi venir enrichir ces pôles de santé.

Lorsque des personnes s’installent dans nos communes, nous sommes interrogés sur de nombreux autres domaines ; il en est un, madame la ministre, qui vous concerne directement, puisque j’ai lu vos déclarations à cet égard : ce sont les maisons de service public.

Vraiment, je pense que c’est une bonne idée.