Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ma qualité de Rhônalpin et, plus précisément, de Savoyard, c’est un honneur et un réel plaisir d’intervenir au nom de mon groupe en faveur du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord franco-italien du 30 janvier 2012.

C’est un projet majeur. En effet, depuis la réalisation du tunnel sous la Manche reliant la France et la Grande-Bretagne, il s’agit du projet d’infrastructure de transport le plus important pour notre pays.

C’est aussi un projet structurant, car, bien au-delà de l’enjeu franco-italien, qui aurait suffi à lui seul à justifier sa réalisation, il s’agit d’une ambition européenne qui nécessite d’être soulignée et développée.

Force est de le constater, les débats qui ont pu naître ici et là méritent que l’on rappelle les principales étapes de ce projet, pour conforter, s’il en était besoin, le choix de nos deux pays soutenus par l’Europe, même si les craintes, voire les critiques exprimées – on vient d’en avoir un exemple –, nécessitent une réponse.

Dès le 17 janvier 1989, le conseil général de la Savoie, prenant acte de la mise en place d’un réseau ferroviaire européen, demande « une priorité pour l’étude et la réalisation de la liaison Lyon-Turin-Milan ».

Le 23 novembre 1992, le même conseil général délibère longuement sur la réalisation de cette liaison, en soulignant, « face aux perspectives de saturation des axes routiers et ferroviaires […], la nécessité de promouvoir des techniques intermodales de transport ».

Est-il besoin de rappeler la Convention alpine sur la protection des Alpes, signée en 1991 par huit États, dont la France, l’Italie, la Suisse et l’Autriche, ainsi que par l’Europe ? Il est précisé à son article 2-10, au titre des transports, que « les parties contractantes prennent des mesures appropriées, notamment dans les transports :

« - En vue de réduire les nuisances et les risques dans le secteur du transport interalpin et transalpin, de telle sorte qu’ils soient supportables pour les hommes, pour leur cadre de vie et leurs habitats, notamment par un transfert sur la voie ferrée d’une partie croissante du trafic, en particulier du trafic de marchandises, notamment par la création des infrastructures appropriées. »

Nous sommes alors en 1991…

Il est bon quelquefois de rappeler l’histoire à ceux qui se targuent d’être les visionnaires du monde de demain. Oui, l’esprit du Grenelle inspirait déjà le Lyon-Turin, avec vingt ans d’avance !

Ainsi, dès 1994, au sommet d’Essen, l’Europe retenait dix projets prioritaires, parmi lesquels l’axe sud européen, dont la section Lyon-Turin, qui allait devenir le corridor méditerranéen n°3, Algésiras-Budapest.

Les catastrophes des tunnels du Mont-Blanc, en 1999, du Saint-Gothard, en 2001, et du Fréjus, en 2005, allaient accélérer la prise de conscience de la réalité des transports dans les Alpes, au regard de la sécurité, de l’environnement, de l’économie et de son enjeu géostratégique.

Sur le plan de la sécurité, il est difficile d’imaginer qu’un ouvrage monotube de plus de treize kilomètres de long, chers collègues écologistes, datant du XIXsiècle – Cavour en avait lancé la réalisation avant le rattachement de la Savoie à la France –, puisse être prolongé indéfiniment, au moment même où tous les autres ouvrages de l’arc alpin entre la Suisse, l’Autriche et l’Italie ont été modernisés ou sont en cours de l’être, qu’il s’agisse du Lötschberg, du Saint-Gothard ou du Brenner.

L’histoire récente des grands ouvrages tant ferroviaires que routiers, ponctuée de multiples drames, nous apprend que nous ne pouvons nous appuyer sur des infrastructures fragiles pour franchir l’arc alpin. L’itinéraire ferroviaire par la Maurienne et le val de Suse, en Italie, a vocation à rester la colonne vertébrale de nos échanges franco-italiens, d’autant que l’axe par Vintimille ne peut assurer qu’un trafic modeste.

Bien qu’intéressantes, les autres solutions souvent évoquées, telles que le merroutage, ne peuvent être que partielles.

C’est ainsi que les trois principaux ouvrages de franchissement des Alpes entre la Suisse, l’Autriche et l’Italie, dont les altitudes respectives s’échelonnaient de 1 100 à 1 300 mètres, auront été ramenés à une altitude de 500 à 600 mètres, pour accroître la sécurité, la qualité et la capacité d’un meilleur service ferroviaire.

Il en est de même sur le plan de la protection de l’environnement, quand on sait les nuisances qui résultent des transports par poids lourds, des millions de camions traversant chaque année nos agglomérations et nos vallées alpines de Chamonix et de Maurienne ou suivant l’itinéraire côtier par Nice et Vintimille. La seule réponse à apporter ne peut relever que d’une ambition : transférer un million de camions de la route sur le rail, ce qui équivaut de surcroît à un gain annuel équivalent à 700 000 tonnes de CO2.

Sur le plan économique, pour échapper à toute interprétation fantaisiste, il est utile de rappeler l’importance des relations de la France et de l’Italie dans les échanges plus larges au cœur de l’Europe de l’arc alpin. L’Europe l’a bien compris, et son soutien financier, d’une hauteur exceptionnelle, témoigne de la prise de conscience du caractère majeur de ce verrou du franchissement des Alpes ; j’y reviendrai.

Depuis trente ans, oui, mes chers collègues, depuis trente ans, le trafic de marchandises par la route et le rail n’a cessé de progresser à travers l’arc alpin. Il a plus que doublé, passant de 68 millions de tonnes à 150 millions de tonnes, un tiers de ce trafic s’effectuant par les Alpes franco-italiennes.

Certes, ce trafic a été considérablement diminué par la crise économique, dans les années 2008-2010, mais il est de nouveau reparti à la hausse, l’Europe tablant, pour le seul mode routier, sur une progression de 60 % d’ici à 2030.

Même le mode ferroviaire, longtemps en recul, a repris le chemin de la croissance, puisque, avant la crise, la progression du transport de marchandises des neuf pays de l’Union européenne les plus proches a été, en cinq ans, de 32 %, dont 47 % pour la seule Allemagne.

Il est vrai qu’en France l’évolution pendant la même période aura été négative, enregistrant une baisse de 13 %, ce qui témoigne du défi à relever.

M. Jean-Pierre Vial. Non, la baisse du transport du fret par le rail ne doit pas être une fatalité dont la France et elle seule cultiverait l’idée ! Les prétendus mauvais chiffres du trafic ferroviaire entre la France et l’Italie, qui s’expliqueraient par des travaux et des marchés captés par nos voisins, doivent nous imposer plus de lucidité.

Se trouverait-il quelqu’un, mes chers collègues, pour condamner la pertinence du transport maritime au motif que certains ports français ont perdu pied face au succès de bien d’autres ports européens ? Non ! Là encore, nous savons la part de reconquête qui s’offre à notre pays, à condition de le vouloir. Certains résultats ne constituent-ils pas déjà un encouragement ?

Oui, le rail transfrontalier a de fortes marges de progression, dès que les infrastructures adaptées sont mises en place et que la qualité du service est assurée.

Mes chers collègues, nous en avons un début de démonstration, grâce à des chiffres vérifiables ne pouvant être discutés par une opposition qui avance pour sa part des données ne reposant sur rien.

Ainsi, l’autoroute ferroviaire alpine Aiton-Orbassano, installée à titre expérimental en 2003 à l’entrée de la vallée de la Maurienne, vient de connaître ses progressions les plus spectaculaires, avec l’amélioration, qui vient d’être rappelée, du gabarit du tunnel historique du Mont-Cenis depuis la mi-2012 : de plus de 17 % au deuxième semestre 2012, et de plus de 25 % sur les dix premiers mois de 2013, ce qui aboutira prochainement à la saturation des capacités existantes et nécessitera l’ouverture de la plateforme opérationnelle de Grenay, au sud de Lyon, pour accroître les capacités et, surtout, créer une section de transfert modal suffisante en distance.

Oui, mes chers collègues, tels sont les chiffres !

Mais le Lyon-Turin est aussi un enjeu géostratégique. En effet, les échanges, pour intéressants et importants qu’ils soient entre la France et l’Italie, respectivement deuxième et troisième exportateur l’un envers l’autre avec plus de 77 milliards d’euros par an, ne doivent pas masquer la vocation géostratégique de cette infrastructure au cœur de l’économie européenne.

Certes, l’Italie, parmi nos voisins européens, est le seul pays avec lequel nous ne disposons pas d’une infrastructure ferrée moderne, adaptée aux transports et aux échanges du XXIe siècle : le passage actuel entre Modane et Bardonecchia, à une altitude rédhibitoire pour des transports efficaces, reste un ouvrage de cent cinquante ans, inadapté aux transports du futur.

Ainsi, par la route comme par le rail, la France a aujourd'hui le coût d’accès à l’Italie le plus élevé d’Europe.

Mais il nous faut avoir un regard encore plus large. Oui, les grands courants mondiaux d’échanges ont placé le transport maritime au cœur du commerce mondial.

Face à la position jusqu’alors prédominante des ports du Nord, avec Anvers, Rotterdam, Amsterdam et Hambourg, l’Union européenne a souhaité renforcer le rôle méditerranéen du fuseau Algésiras-Barcelone-Marseille-Trieste-Koper.

Le Lyon-Turin s’inscrit dans cette stratégie du sud de l’Europe. Mais, pour l’Europe, il s’agit également d’un repositionnement à quinze ans du rail dans les rapports avec l’Asie, l’ancienne « route de la soie » permettant de replacer le trafic intérieur de marchandises en concurrence avec le fret maritime.

Puis-je citer, à titre d’exemple, la Deutsche Bahn Schenker, qui opère un service quotidien à destination de la Chine via la Russie, ou Hupac, qui réalise chaque semaine, depuis Barcelone, des convois sur Shanghai, en utilisant déjà l’axe du Mont-Cenis, que nous évoquons ce soir ?

Oui, mes chers collègues, en retenant, en 1994, au sommet d’Essen, le Lyon-Turin parmi les projets prioritaires, l’Europe avait une vraie vision des enjeux stratégiques de l’économie de notre continent. En décidant de contribuer de façon exceptionnelle à hauteur de 40 % du financement de ce maillon central, l’Europe confirme son ambition et l’importance de la réalisation de cette section ferroviaire.

Cette ambition, nos amis italiens la confortent également en décidant un effort financier plus important, pour tenir compte de la difficulté des accès français, plus compliqués.

Ainsi, en prenant en compte l’aide européenne, à hauteur de 40 %, et la contribution italienne, à hauteur de 35 %, la quote-part de la France sera limitée à 25 % d’un ouvrage estimé à 8,5 milliards d’euros, et ce alors que la majeure partie du tunnel transfrontalier se trouve en territoire national, soit 45 kilomètres sur un total de 57 kilomètres à réaliser. Et je ne parle pas des emplois que cette réalisation suscitera sur notre territoire, qu’il s’agisse du chantier lui-même ou de la maintenance.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. On est bien d’accord !

M. Jean-Pierre Vial. Nous parlons donc d’un ouvrage de 8,5 milliards d’euros et d’une contribution de la France de 2,2 milliards d’euros. Pour vous donner une idée des ordres de grandeur, mes chers collègues, sachez que nous avons, depuis dix ans, réalisé des descenderies dont le coût atteint aujourd'hui presque 1 milliard d’euros, ce qui signifie que la France aura à payer, pour la réalisation du tunnel de base, un peu plus du double d’une somme qui a été dépensée mais qui n’a jamais suscité, dans cet hémicycle, la moindre question… De temps en temps, certains chiffres valent la peine d’être cités !

M. Jean-Pierre Vial. Faut-il rappeler que le financement de l’ouvrage du Saint-Gothard aura été supporté intégralement par la Suisse ?

Ce sujet n’était-il pas, monsieur le ministre, au cœur des débats entre chefs d’État, voilà quelque mois ? Il s’agissait de convaincre l’Europe de financer de grands projets structurants, préparant l’économie de demain tout en créant les emplois d’aujourd’hui, avec le souhait que ces grands chantiers ne rentrent pas dans le ratio d’endettement de 3 %.

Parmi les grands projets européens et français, je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup qui, comme le Lyon-Turin, soient prêts à démarrer immédiatement et donc à jouer l’effet de levier souhaité et attendu. Le lancement, voilà quelques jours, côté italien, des travaux du tunnelier en est une illustration.

Oui, monsieur le rapporteur, vous avez eu raison de souligner, et je vous en remercie, la dimension européenne du Lyon-Turin, même si l’appellation retenue, parce qu’elle identifie la ligne aux deux capitales régionales frontalières, a pu, je dois l’avouer, avoir un effet réducteur sur la véritable dimension de cette infrastructure de transport.

Est-ce un hasard, si, à côté de l’appel de quatre-vingt-onze parlementaires au Président de la République, en vue du sommet franco-italien du 20 novembre prochain, rappelant ainsi l’engagement des Présidents de la République successifs, plus de cinq cents chefs d’entreprises italiens et mille entrepreneurs français ont répondu à l’appel lancé par Jean-Paul Mauduy, président de la chambre de commerce et d’industrie Rhône-Alpes ?

Certes, les mobilisations côté Italie ne doivent pas masquer les risques de récupération politique, de la même façon que les critiques exprimées côté français ne doivent pas masquer davantage les craintes ou appréhensions, notamment celles qui sont exprimées par la profession agricole.

Mais si ces inquiétudes ne concernent pas l’objet traité, qui est le tunnel international, elles méritent en revanche d’être prises en compte le moment venu, lorsqu’il s’agira d’aborder la phase des accès, dont l’impact foncier ne saurait être ni marginalisé ni minimisé.

Oui, monsieur le ministre, vous avez raison, au moment où l’Europe interroge, interpelle, voire inquiète nos concitoyens, alors qu’elle a été une part de rêve de l’après-guerre, cette Europe qui a su montrer avec Jean Monnet des projets structurants, comme ce fut le cas avec l’Europe de l’acier et du charbon, cette Europe qui a réussi le défi de la monnaie unique avec l’euro, n’est-ce pas une chance pour elle de se repositionner au cœur de l’économie réelle, créatrice de richesses et d’emplois, à travers une infrastructure qui favorisera l’échange des biens et des personnes mettant la France et l’Italie au cœur des relations sociales, culturelles et économiques du sud de notre continent ?

Hasard du calendrier, le Parlement européen adoptera demain un budget pour la période 2014–2020 dont la partie consacrée aux transports et aux infrastructures atteindra le niveau exceptionnel de 13 milliards d’euros, une enveloppe financière supérieure à celle du dernier budget, qui n’était que de 8 milliards d’euros.

Dès lors que le Parlement, avec le vote du Sénat, aura ratifié ce soir le traité de 2012 et que l’Europe aura adopté demain son budget, il reviendra aux chefs d’État français et italien, lors du sommet du 20 novembre prochain, d’engager leurs gouvernements respectifs à répondre à l’appel à projets qui sera lancé par l’Europe afin de satisfaire aux exigences de l’article 4 du traité du 29 janvier 2001, ratifié en 2002.

Oui, monsieur le ministre, le vote de ce soir est pour le Sénat l’occasion d’autoriser la ratification du traité qu’il lui est soumis, mais il marque en même temps, pour le Gouvernement, ainsi que le rappelait récemment Laurens Jan Brinkhorst, le coordinateur européen, l’exigence de s’engager à mener à bien la réalisation de la liaison Lyon-Turin, conformément aux moyens que l’Europe a décidé de mobiliser pour ce projet du XXIsiècle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’accord sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer ce soir fait partie de ces grands projets dont les enjeux sont tout à la fois économiques, environnementaux et sociaux, des projets qui préparent l’avenir et structurent le territoire.

Cet accord entre l’Italie et notre pays sur la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire entre Lyon et Turin est la phase décisive qui permettra enfin la concrétisation d’une idée maintenant vieille d’une quinzaine d’années.

En effet, nos deux pays ont déjà signé deux traités sur cette question, en 1996, puis, sous le gouvernement de Lionel Jospin, en 2001, avec Jean-Claude Gayssot comme ministre des transports.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Exact !

Mme Évelyne Didier. Depuis lors, les atermoiements des différents gouvernements ont entraîné des retards dommageables à ce grand projet d’infrastructure.

M. Roland Courteau. Ce n’est pas le seul !

Mme Évelyne Didier. Cet accord, sous forme de traité, a été signé à Rome au mois de janvier de l’année dernière. Il serait donc heureux et de bon augure que nous lui donnions notre approbation parlementaire, à la veille de la rencontre entre nos deux chefs d’État lors du prochain sommet franco-italien. Ce serait montrer la détermination de la représentation nationale à soutenir et à contrôler une réalisation qui va dans le sens de l’intérêt général.

Cela étant, pour se prononcer en toute connaissance de cause, il faut aussi avoir conscience des enjeux élevés et de toute la complexité de ce projet.

Tout d’abord un constat : aujourd’hui, l’essentiel du trafic transalpin passe par la route, que ce soit par les tunnels du Mont-Blanc ou du Fréjus ou bien par l’autoroute A8, qui longe la côte. Ces axes causent d’importantes nuisances à l’environnement et posent de réels problèmes de sécurité. Chacun se souvient des terribles accidents dans les deux tunnels, en 1999 et en 2005.

Ce constat parle de lui-même : les principaux axes qui relient notre pays à l’Italie sont saturés, obsolètes et dangereux. Près de 2,7 millions de poids lourds franchissent annuellement les passages franco-italiens, soit 7 400 camions par jour environ.

En permettant de basculer de la route vers le fer le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes, cette nouvelle liaison ferroviaire entre Lyon et Turin vise à résoudre ces difficultés. Par ailleurs, d’après les prévisions, vers 2035, la nouvelle ligne pourrait drainer 4,5 millions de voyageurs par an, dont 1,1 million transférés de l’avion vers le rail, avec un bénéfice environnemental évident.

Elle aurait également pour avantage non négligeable de réduire la durée des liaisons entre Lyon et Turin, bien sûr, mais aussi entre Paris et Milan, ce qui rapprocherait les deux régions.

L’accord comporte en outre un aspect financier considérable, puisque le coût total du percement du tunnel et de la construction de ses accès français et italiens, dans son évaluation actuelle, s’élèverait à 26 milliards d’euros.

Il faut également souligner la dimension européenne de cette initiative, qui a été très tôt inscrite parmi les dix-huit projets ferroviaires du réseau transeuropéen de transports.

Cette inscription dans le réseau est un atout déterminant. Il permet de prévoir dans le prochain cadre financier pluriannuel 2014–2020 de l’Union européenne une enveloppe importante pour les projets de transport, avec plus de 23 milliards d’euros qui devraient être alloués au mécanisme européen d’interconnexions.

C’est ainsi que l’Union européenne financera à hauteur de 40 % du coût les travaux du tunnel transfrontalier. Grâce à cet apport significatif, ainsi qu’à la clef de répartition du financement retenue par la France et l’Italie, notre pays ne paierait, au total, « que » 25 % du coût du tunnel transfrontalier, ainsi que le financement des infrastructures d’accès de notre côté et le contournement de Lyon.

Enfin, ce gigantesque ouvrage aurait un impact très positif en matière d’emplois dans la région. Dans sa phase « chantier », il pourrait induire environ 3 000 emplois directs dans la vallée de la Maurienne, dont plus de 2 000 sur les cinq années les plus importantes. Quant aux emplois pérennes liés à l’exploitation du tunnel de base, ils sont estimés à près de 300.

Tous ces aspects positifs font que ce projet a une cohérence globale qui paraît constituer une alternative crédible, pertinente et nécessaire pour réduire le trafic routier et ses nuisances, tout en renforçant la sécurité.

Pourtant, si la théorie paraît solide et logique, la mise en œuvre pratique se révèle complexe et peut-être incertaine.

Il faut mesurer que ce projet est aussi fortement contesté, des deux côtés des Alpes, par une partie des populations, diverses associations et quelques élus. Nous en avons eu l’illustration tout à l’heure.

Certains s’interrogent en effet sur l’utilité de cette nouvelle liaison, alors que le fret routier entre la France et l’Italie stagne voire diminue régulièrement depuis quinze ans. D’autres ont relevé le référé d’août 2012, par lequel la Cour des comptes avait signalé des coûts prévisionnels en forte augmentation ainsi que la faible rentabilité par rapport aux investissements consentis, et avait regretté « que d’autres solutions alternatives moins coûteuses aient été écartées sans avoir été explorées de façon approfondie ».

Il y a également ceux qui craignent un « désastre environnemental » faisant notamment disparaître des terres agricoles.

On le voit, ce projet comporte des avantages et des inconvénients sur le plan environnemental, mais, pour nous, le transfert modal est très important.

Reste que notre soutien raisonné à cette nouvelle liaison ferroviaire s’accompagne de quelques inquiétudes, sur les financements en particulier.

L’Union européenne parviendra-t-elle à financer ce projet comme prévu ? Nous en doutons. (M. Alain Néri s’exclame.) Nous avons vu récemment que les autorisations d’engagement européennes…

M. Jean Besson. Il faut croire en l’Europe !

Mme Évelyne Didier. … pour la période 2014–2020 étaient en baisse, en particulier concernant les transports : 23 milliards d’euros sont consacrés aux infrastructures, dont 10 milliards d’euros pour des projets de cohésion. Seuls 13 milliards d’euros seront disponibles pour les grandes infrastructures.

Par ailleurs, compte tenu de nos propres difficultés nationales, nous pouvons aussi concevoir quelques inquiétudes sur les capacités de l’État et des collectivités territoriales concernées.

Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous assuriez que cette liaison fait bien partie des priorités du Gouvernement en matière de report modal et qu’elle marque de sa part une réelle volonté de relancer le fret ferroviaire.

Notre discussion de ce soir prend un relief particulier avec l’actualité récente et les débats polémiques autour de l’écotaxe. Les violentes manifestations d’opposition à cette taxe qui devait être prélevée sur la circulation routière des poids lourds ne peuvent qu’aggraver nos inquiétudes quant au financement. Malgré nos critiques sur les conditions peut-être maladroites de sa mise en œuvre, et bien que l’écotaxe ne soit, nous l’espérons, que provisoirement suspendue, nous redoutons que la situation actuelle ne prive, pendant quelque temps, ce projet des financements qui lui sont indispensables.

En dépit de ces inquiétudes, nous réitérons notre souhait de voir ce projet aboutir. En tout cas, le groupe CRC votera ce projet de loi, en rappelant que les élus communistes de la région Rhône-Alpes ont toujours soutenu cette opération. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la France et l’Italie, deux grands pays aux origines de la construction européenne, prolongent régulièrement leur coopération de manière bilatérale sur les questions de défense, de sécurité intérieure, d’enseignement supérieur ou encore de recherche. Les liens qui nous unissent sont particulièrement étroits en matière économique : la France est le premier partenaire commercial de l’Italie, et l’Italie, le deuxième partenaire de la France. Les échanges commerciaux entre les deux partenaires atteignent 70 milliards d’euros par an.

Les grands projets bilatéraux d’infrastructures de transport entre nos deux pays apportent donc une plus-value indéniable à ces coopérations et à ces échanges. Ainsi, la construction de la ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin est un grand pas de plus qui rapprochera les deux États, leurs économies et leurs peuples. Il s’agit d’un projet ambitieux et réfléchi, conforté par les accords de 1996, de 2001 et par celui que nous examinons ce soir, signé à Rome le 30 janvier 2012.

Un tel projet n’a pas que des enjeux économiques : il est aussi une source de soulagement pour les habitants des zones alpines concernées. Aujourd’hui 7 400 camions traversent chaque jour le massif alpin, affectant durablement la qualité de l’air et impactant négativement le paysage. Cette situation est devenue insoutenable pour les 14 millions d’habitants de l’arc alpin, qui espèrent avec impatience le report modal de la route vers le transport ferroviaire.

Contrairement aux critiques que l’on a pu lire ou entendre, ce projet comporte donc bien une réelle dimension écologique. Il participe à la mise en œuvre de la Convention alpine signée en 1991 par huit pays, en plus de la Communauté européenne, dont l’un des objectifs est « la réduction drastique des émissions de polluants et de leurs nuisances dans l’espace alpin ainsi que des apports externes de polluants de manière à parvenir à un taux non nuisible aux hommes, à la faune et à la flore ».

La nouvelle ligne Lyon-Turin est aussi un outil de lutte contre les pollutions, un outil qui doit participer aux objectifs et à la stratégie de la France et de l’Union européenne en matière de réduction de gaz à effet de serre.

La baisse de la fréquentation de la ligne historique figure parmi les arguments en défaveur de la nouvelle ligne. Un tel argument ignore que le trafic de marchandises transalpin a connu une croissance de 22,7 % entre 1999 et 2011. Certes, un ralentissement consécutif à la crise de 2008 a pu être constaté, touchant particulièrement le transport ferroviaire. Ce ralentissement ne représente cependant pas la tendance d’ensemble, puisque ce sont 2,7 millions de camions qui traversaient la frontière en 2011.

Cette nouvelle infrastructure se justifie plus que jamais, car elle permettra le report chaque année de 1,7 million de poids lourds sur le ferroviaire, comme le prévoit le dossier d’enquête d’utilité publique. Elle aura la capacité de transporter 40 millions de tonnes de marchandises, soit l’équivalent de ce qui est réalisé aujourd’hui tous modes confondus, alors que 85 % de ces échanges reposent sur le mode routier.

Enfin, les enjeux en question ne revêtent pas un caractère uniquement international : le projet améliore avant tout la desserte des territoires situés sur la section française de la ligne ferroviaire. Ainsi, Chambéry, Grenoble et Annecy seront respectivement à deux heures vingt-cinq, deux heures trente-cinq et trois heures de Paris.

Au-delà de ces avantages indéniables, nous sommes conscients que les enjeux financiers soulèvent des interrogations. N’oublions pas que l’accord qui est soumis à ratification ne signifiera pas engagement des travaux. Il ne procède qu’à une simple préparation en fixant les modalités de réalisation, le droit applicable ou encore de nouvelles règles de gouvernance.

À ce titre, il convient de saluer le renforcement du contrôle par les deux États, indispensable au regard des sommes en jeu. La mise en place d’un tiers certificateur sera essentielle pour obtenir une vision claire des coûts. Et, en ce qui concerne ces derniers, il est utile de rappeler que la France ne financera pas les 26,1 milliards d’euros : sur 8,5 milliards d’euros de la section transfrontalière couverte par le présent accord, la France n’apportera plus que 2,2 milliards d’euros si l’Union européenne confirme sa participation au projet à hauteur de 40 %.

Élu du Lot, département de Maurice Faure, qui a signé le traité de Rome, je préfère voir l’Europe investir dans les grands équipements et dans les grands chantiers plutôt que de se focaliser sur les normes, les règlements et l’interdiction des fromages à pâte molle ! (Rires et applaudissements.)