M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’affaire est connue et a fait les gros titres : il y a un an, l’inspection de la prison des Baumettes, à Marseille, par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait abouti à la publication de recommandations en urgence.

Cette procédure exceptionnelle était justifiée par les traitements inhumains et dégradants constatés. Les contrôleurs avaient notamment relevé des odeurs d’ordures et un pullulement de rats tel que les surveillants devaient taper des pieds pendant les rondes de nuit pour les éloigner…

Cela avait, à juste titre, fait grand bruit et obligé l’administration pénitentiaire à engager de profondes transformations et des travaux d’entretien.

Madame la garde des sceaux, vous aviez reçu M. Jean-Marie Delarue et longuement répondu par écrit à ses demandes. Vous aviez, à la suite de la publication de ce rapport édifiant, demandé un audit de la sécurité à l’administration, qui devait faire des « propositions précises ». Le procureur et le procureur général avaient été, en outre, sommés « d’apporter une attention toute particulière aux faits de violence ». De surcroît, vous aviez sollicité une inspection.

Tout cela a donc été accompli sous l’impulsion de cette nouvelle institution, si particulière au sein des autorités administratives indépendantes : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Née du constat des carences du dispositif français, l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est issue de la loi du 30 octobre 2007. Cette jeune autorité tente de restaurer la dignité de notre institution pénitentiaire, en rendant la leur aux personnes privées de liberté, que celles-ci se trouvent en centre de rétention administrative, en établissement pénitentiaire ou en établissement d’hébergement.

Cette autorité, avec plus de 800 établissements visités, a largement contribué, grâce à la personnalité de son titulaire et à la qualité de ses collaborateurs, à faire progresser et à améliorer la situation des personnes privées de liberté.

Les cinq années d’existence de cette institution, dont l’indépendance a fait honneur à notre pays, ont cependant mis en lumière des distorsions entre le texte et la pratique, pouvant parfois se révéler dommageables à l’exercice même de la mission du Contrôleur général.

Certes, M. Delarue a parfois expliqué n’avoir pas peur de l’« insistance inconvenante ». Toutefois, les différents rapports rendus par l’institution ont souligné à de nombreuses reprises la perfectibilité des prérogatives qui lui sont attribuées, ainsi que le manque de réactivité ponctuel des autorités publiques.

Le groupe RDSE se félicite donc de cette initiative, particulièrement éclairée, qui tend à prendre en compte les leçons tirées de la pratique des années d’existence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il nous faut ici rappeler que le Sénat s’était opposé, en 2011, à l’intégration du Contrôleur général au sein du nouveau Défenseur des droits.

Comme l’a rappelé Mme Tasca, à laquelle je rends hommage, Patrice Gélard avait justement souligné, dans son rapport, que cette intégration aurait entraîné un affaiblissement du statut du Contrôleur général. Ce constat de l’utilité du Contrôleur général, que partage le groupe RDSE, est aujourd’hui plus que jamais d’actualité.

À l’aune de la condition des personnes détenues, ainsi que des difficultés rencontrées par le Contrôleur général dans l’exercice de sa mission, on mesure combien il est nécessaire de renforcer les pouvoirs de celui-ci.

La création d’un délit d’entrave, la protection des correspondances avec les personnes détenues, ainsi que la protection contre les risques de représailles des personnels entrant en contact avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté vont dans ce sens !

Parce qu’il se voit quotidiennement opposer un certain nombre de restrictions, légales ou pratiques, il était également indispensable de renforcer les prérogatives du Contrôleur général, notamment de lui permettre d’accéder aux procès-verbaux de déroulement de garde à vue, de mettre en demeure les personnes concernées de répondre à ses demandes d’informations ou de documents, mais aussi de lever, dans certains cas, le secret médical, avec l’autorisation de la personne privée de liberté.

Cette question de la levée du secret médical était particulièrement sensible. Elle a pourtant fait l’objet d’un compromis équilibré, obtenu sous l’égide de Mme la rapporteur et de la commission des lois. Ce droit est accordé aux seuls contrôleurs autorisés à exercer en France la profession de médecin. L’accord des personnes concernées est requis, sauf dans le cas où sont en jeu des privations, sévices et violences commis sur un mineur ou sur une personne qui n’est pas en mesure de se protéger.

Par l’attribution de cette nouvelle prérogative, le caractère d’autorité administrative indépendante du Contrôleur général se trouve également renforcé.

La pratique de ce dernier a par ailleurs mis en lumière quelques imprécisions en matière de dialogue avec les différentes autorités responsables. Il est ainsi particulièrement salutaire que la proposition de loi s’attache à préciser les modalités de l’exercice des prérogatives du Contrôleur général, notamment lorsque ce dernier adresse des observations aux ministres concernés. Aux termes de cette proposition de loi, les ministres seront désormais systématiquement tenus de répondre au Contrôleur général, et ce dans un délai déterminé par celui-ci, qui sera également informé des suites données à ses démarches par le procureur de la République ou par l’autorité disciplinaire.

Enfin, l’élargissement de la compétence du Contrôleur général à l’exécution des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière constitue la suite logique des missions conférées à ce dernier en matière de personnes privées de liberté.

Le groupe RDSE, vous l’aurez compris, accueille très favorablement cette proposition de loi telle qu’issue des travaux de la commission, et la considère comme une clarification particulièrement bienvenue des missions du Contrôleur général.

Alors que son mandat, non renouvelable, touche à son terme, l’ensemble des membres de mon groupe tient à rendre hommage à l’excellent travail de M. Jean-Marie Delarue, à sa compétence et à son engagement. Il aura très largement contribué à assurer l’efficacité et l’indépendance de cette institution républicaine. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en 2007, devait montrer la volonté de la France de s’engager pleinement dans la voie d’un contrôle indépendant et effectif de l’ensemble des lieux de détention, quelle que soit la structure concernée : établissements pénitentiaires, centres hospitaliers spécialisés, dépôts des palais de justice, centres de rétention administrative, etc.

Après cinq années d’exercice de la fonction, la nécessité d’avoir un Contrôleur général des lieux de privation de liberté n’est plus à démontrer. Je veux saluer ici le travail indépendant et sans concession mené par Jean-Marie Delarue, qui a, sans nul doute, fait progresser l’effectivité des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et a rempli sa fonction en vrai républicain, grâce à sa grande sensibilité aux droits humains et aux libertés individuelles.

Le groupe écologiste partage l’ensemble des préoccupations qui ont inspiré le texte dont nous débattons aujourd’hui, au premier rang desquelles se trouve la volonté de favoriser l’exercice des missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Il s’agit en fait de traduire la pratique dans la loi, en explicitant la possibilité pour le Contrôleur général de conduire des enquêtes, y compris sur place, et en détaillant la procédure de saisine, ainsi que la procédure de déroulement de l’enquête.

Autre point important, le texte prévoit d’inscrire dans notre droit le principe posé par l’article 21 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux termes duquel aucune sanction ne peut être prononcée et aucun préjudice ne peut résulter du seul fait des liens établis avec le Contrôleur général ou des informations qui lui ont été données se rapportant à l’exercice de sa fonction.

Je veux saluer à mon tour le travail et l’engagement de Mme la rapporteur, notre collègue Catherine Tasca, qui a notablement enrichi le texte.

Ainsi, un amendement visant à étendre le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté au contrôle de l’exécution des mesures d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière, et ce jusqu’au pays de destination, a été adopté par la commission des lois.

Cette disposition me semble capitale pour la défense des droits des étrangers en situation irrégulière. Elle relève non seulement du respect du plus élémentaire des droits humains, mais aussi d’un principe humaniste honorant les pays qui l’observent. Les étrangers expulsés ne sont pas des colis que l’on jette dans les avions ; ils sont des êtres humains dignes d’égards. Ces égards, nous les leur devons, ne serait-ce qu’en raison de notre longue tradition de pays d’immigration. Une certaine propagande anti-immigration a fait des immigrés des indésirables, des parasites. Elle peut, à la longue, les déshumaniser : voilà le danger ! Évitons-le, ne serait-ce qu’en les accompagnant, pendant les expulsions, dans des conditions dignes, pour que nous ne perdions jamais de vue cette humanité qui nous unit irrévocablement aux étrangers, quels qu’ils soient : une humanité réelle, sans frontières, insensible aux différences de nationalité, d’origine ou de religion.

En l’état actuel du droit, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est compétent pour contrôler les zones d’attente des ports et des aéroports, ainsi que les centres de rétention administrative. Mais le terme de « transfèrement » utilisé par la loi ne s’appliquant qu’aux personnes détenues, le Contrôleur général n’a jusqu’à présent aucun droit de regard sur les conditions de transfert forcé des étrangers, de la sortie du centre de rétention à l’arrivée dans le pays de destination. Or, on le sait, cette phase a donné lieu à maints abus de la part des forces de police. Les témoignages ne manquent pas et nombreux sont ceux qui, de retour au centre de rétention, racontent les coups, les menaces, les humiliations subis durant le trajet vers l’aéroport.

Il me semble donc capital que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse contrôler l’exécution de l’ensemble de la mesure d’éloignement, jusqu’à la remise de l’intéressé aux autorités du pays de destination, et que ses équipes puissent être présentes dans l’avion ou enquêter sur des faits s’y étant éventuellement déroulés. Chacun se souvient avec effroi des cas de ce jeune Somalien de 24 ans et de cet Argentin de 52 ans décédés sur notre sol dans des circonstances troubles, au cours de leur reconduite à la frontière.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe écologiste souhaite que les prérogatives du Contrôleur général soient le plus étendues possible. Ma collègue Aline Archimbaud, très engagée sur le sujet, aura l’occasion de vous en dire davantage lors de la discussion des articles et d’aborder la délicate question des personnes âgées vivant en EHPAD.

Viscéralement attaché à la défense des droits fondamentaux, notamment à ceux des personnes privées de liberté, le groupe écologiste votera, avec engagement et conviction, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai toujours été convaincu que le Sénat était particulièrement investi de deux missions essentielles : l’une, constitutionnelle, de représentation des collectivités territoriales de la République ; l’autre, historique, de défense des libertés et de la dignité humaine.

Nul n’a oublié que c’est au président du Sénat Alain Poher que nous devons la sauvegarde de la grande loi de 1901 sur la liberté d’association, au travers de sa saisine du Conseil constitutionnel, lequel rendit alors sans doute la plus importante de ses décisions, celle du 16 juillet 1971.

Dans le même esprit, l’attention à la situation des personnes détenues et l’ardente obligation de préserver leur dignité et l’espoir de leur réinsertion sont partagées sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée.

Une fois encore, je rappellerai le constat affligeant dressé en 2000 par la commission d’enquête sénatoriale que présidait notre collègue Jean-Jacques Hyest, et résumé avec la brutalité nécessaire par le titre de son rapport : « Prisons : une humiliation pour la République ».

Même partagé, un diagnostic ne suffit pas à lui seul à contrecarrer pareilles dérives. Je citerai les propos tenus par le Président Sarkozy devant le Congrès réuni à Versailles, le 28 juin 2009, presque dix ans plus tard : « Comment accepter que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? […] Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu’on aura privés pendant des années de toute dignité ? L’état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République, quel que soit par ailleurs le dévouement du personnel pénitentiaire. »

Pourtant, des pas ont été franchis ces dernières années, qui marquent un indiscutable progrès ; il convient bien sûr de le consolider. Vous ne serez pas surpris que je cite la loi pénitentiaire de 2009, même si la règle de l’encellulement individuel demeure plus que jamais virtuelle et si tous ses décrets d’application n’ont pas encore été pris.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il n’en manque qu’un !

M. Jean-René Lecerf. Tout à fait, madame la ministre, mais c’est un de trop !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est parce que la concertation est difficile !

M. Jean-René Lecerf. Je citerai également la loi du 30 octobre 2007 instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont le champ de compétence dépasse largement les lieux hébergeant des personnes détenues, pour inclure l’ensemble des personnes privées de liberté par décision d’une autorité publique.

Ne sont donc pas concernées – je le note pour ne plus y revenir – les personnes âgées dépendantes, dont l’admission en EHPAD ne résulte d’aucune décision administrative et dont la restriction de liberté s’avère indissociable de leur perte d’autonomie et de la nécessité de les protéger.

Comme l’écrit Mme Tasca dans son rapport, « institution récente – il a débuté ses visites en septembre 2008 –, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté présente au terme de cinq ans et demi d’exercice un bilan quantitatif et qualitatif extrêmement positif, qui a fait de lui une autorité reconnue dans la défense des droits fondamentaux ».

Nous savions tous l’importance que revêtait le choix du premier titulaire de cette fonction. Aussi le Parlement, sur l’initiative du Sénat, avait-il anticipé la saisine pour avis des commissions des lois de chaque assemblée, et chacun se félicite aujourd’hui de la nomination, sur proposition du Président Sarkozy, de Jean-Marie Delarue.

Je citerai encore Éric Senna, conseiller à la cour d’appel de Montpellier et maître de conférences associé à la faculté de droit de cette même ville : « L’organisation administrative et la place du contrôle général des lieux de privation de liberté dans le paysage institutionnel national ne sont plus interrogées dans le débat public. Nombreux sont ceux qui se félicitent, autant dans l’Hexagone qu’à l’échelon européen, de la richesse et de la finesse des observations et du travail considérable qui a été accompli par le Contrôleur général et son équipe. »

À la veille du terme de son mandat non renouvelable, Jean-Marie Delarue a ouvert un dialogue avec les pouvoirs publics sur l’évolution de notre mécanisme national de prévention des atteintes aux droits fondamentaux des personnes captives ; on peut penser que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui devrait en être l’aboutissement.

La première interrogation porte sur l’avenir du Contrôle général, avec les deux branches de l’alternative suivante : maintien de l’autonomie ou intégration au sein des missions du Défenseur des droits. Si la question se pose encore, on le doit au Sénat, puisque l’Assemblée nationale avait opté pour l’intégration à la fin du mandat de Jean-Marie Delarue. Notre assemblée avait en revanche suivi l’argumentation de son rapporteur de la loi organique et de la loi ordinaire relatives au Défenseur des droits, notre collègue Patrice Gélard, qui avait estimé qu’une éventuelle intégration ne pourrait être décidée qu’au regard du premier bilan d’activité du Contrôleur général et qu’un choix prématuré affaiblirait son autorité.

En modifiant la loi de 2007, nous prenons délibérément parti pour l’autonomie de cette institution.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Absolument !

M. Jean-René Lecerf. Les arguments ne manquent pas.

Certains sont conjoncturels et tiennent à la situation aujourd’hui toujours aussi délicate de l’univers carcéral : les niveaux de surpopulation pénale demeurent inquiétants et imposeront le renouvellement du moratoire pour l’application des dispositions relatives à l’encellulement individuel.

D’autres arguments présentent un caractère structurel : la démarche de contrôle, de prévention, d’évaluation du Contrôleur général se différencie largement des missions du Défenseur des droits, que peuvent saisir les personnes s’estimant lésées dans leurs droits et qui a repris les responsabilités de médiation.

Enfin, Défenseur des droits et Contrôleur général ont signé le 8 novembre 2011 une convention ayant pour objet d’organiser la transmission des saisines et d’assurer l’information réciproque des deux institutions, dans le respect de leur indépendance et de la protection des données personnelles.

La complémentarité est notamment organisée par l’article 3 de cette convention, dont je me permets de vous donner lecture : « Lorsque l’une ou l’autre des deux autorités est saisie d’une réclamation témoignant à la fois, d’une part, d’un dysfonctionnement administratif, d’une atteinte aux droits ou à l’intérêt supérieur d’un enfant, d’une discrimination, ou du non-respect des règles de déontologie par des personnes exerçant des activités de sécurité et, d’autre part, d’une atteinte aux règles et aux mesures générales d’organisation et de fonctionnement de la prise en charge ou du transfèrement d’une personne privée de liberté, elle met en œuvre les procédures qui lui sont propres et saisit l’autre autorité pour ce qui relève de sa compétence. » Une étroite complémentarité est ainsi assurée.

Cependant, vouloir la pérennité du Contrôle général comme autorité administrative indépendante amène aussi à prendre acte du bilan de l’institution, de ses forces comme de ses faiblesses, pour – je cite encore le rapport – « conforter sa place et son rôle dans le paysage de la défense des libertés publiques ».

La proposition de loi prévoit ainsi toutes mesures utiles pour mettre fin au risque de représailles et de pressions dont peuvent parfois faire l’objet tant les personnes captives que les membres du personnel qui saisissent le Contrôleur général ou s’entretiennent avec ses équipes.

En dépit des évolutions considérables de l’administration pénitentiaire, de la qualification de plus en plus poussée des directeurs d’établissement, des efforts de formation de l’ensemble des personnels, cette administration reste marquée par une certaine opacité et par quelques difficultés parfois rencontrées par la hiérarchie pour se faire entendre.

Il était d’autant plus important d’y porter remède que la crainte de représailles – fût-elle dans bon nombre d’établissements infondée – risquait de déstabiliser toute l’action du Contrôleur général, comme le laissent supposer bon nombre de courriers adressés par des personnes détenues aux parlementaires.

De même, il importe de réexaminer l’interdiction faite au Contrôleur général d’accéder à des informations couvertes par le secret médical.

Le Contrôle général se rend sur place, voit la réalité des situations et peut avoir besoin d’un accès immédiat au dossier médical. L’aide des médecins lui est également précieuse, et l’instauration d’un accès inconditionnel au secret médical risquait de nuire à la qualité des relations avec les professionnels de santé.

L’amendement de notre rapporteur précisant que seuls les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d’un diplôme de médecin auraient la faculté de prendre connaissance d’informations couvertes par le secret médical, à charge pour eux d’en extraire les éléments nécessaires à l’exercice du contrôle, devrait apaiser les inquiétudes tout en marquant un indiscutable progrès.

Le texte laisse cependant subsister un certain nombre d’interdictions. On connaît l’état de la surpopulation carcérale et la dangerosité d’un certain nombre de détenus. Le Contrôleur général ne pourra toujours pas accéder au dossier médical de celui dont la dangerosité est alléguée par un de ses codétenus sans son accord, bien hypothétique. Il est vrai que d’autres solutions existent.

Il importait aussi de préciser la procédure applicable aux enquêtes réalisées par les services du Contrôleur général sur saisine de ce dernier de faits ou situations relevant de sa compétence, en inscrivant dans la loi la pratique mise en place : tout collaborateur du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est autorisé à procéder à toutes vérifications nécessaires sans que les autorités responsables du lieu de privation de liberté puissent s’y opposer pour d’autres motifs que ceux qui encadrent les visites ; toute personne sollicitée sera en outre, sous les mêmes réserves, tenue d’apporter toute information en sa possession.

Enfin, le Contrôleur général apparaissant parfois largement démuni devant l’inertie de certains de ses interlocuteurs, l’article 5 de la proposition de loi lui donne la possibilité de mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai déterminé. En effet, les réponses ministérielles posaient parfois problème, tant par leur contenu que par leur délai.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un vote aussi consensuel que possible sur cette proposition de loi permettra au Sénat de réaffirmer toute l’importance qu’il accorde à la dignité des personnes et à l’évolution nécessaire de l’univers carcéral. Suivant le chemin tracé par le premier Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, il nous appartient de consolider les fondements de la loi du 30 octobre 2007 au regard des imperfections que cette première expérience a permis de mettre en évidence.

Je remercie Mme la rapporteur de la qualité et de l’esprit de son travail et confirme que le groupe UMP apportera tout son appui à cette proposition de loi, en souhaitant qu’elle puisse être examinée rapidement par nos collègues députés. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de cette proposition de loi, dont je remercie notre collègue Catherine Tasca d’avoir pris l’initiative. Je la félicite également d’être parvenue à inscrire l’examen de ce texte à l’ordre du jour de cette séance. Les dispositions qu’il contient ont déjà été abondamment évoquées et semblent faire largement consensus.

Il m’a donc paru plus important de faire le point sur le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, de se remémorer les raisons pour lesquelles nous avons institué cette autorité indépendante et pourquoi il est aujourd’hui nécessaire de modifier la loi de 2007. La survie de cette institution l’exige, parce que son contrôle s’exerce dans ce que l’on définit comme des lieux de privation de liberté ; ce sont des mots, mais les mots ont leur importance.

La devise de la République est : « liberté, égalité, fraternité ». Certains vivent pourtant, sur décision d'une autorité publique, dans des lieux où ils sont privés de liberté, quelles que soient les raisons pour lesquelles ils y ont été placés.

On ne peut pas évoquer le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sans réfléchir aux conditions matérielles de la vie quotidienne et à la nécessité d’assurer la sécurité dans ces lieux, qui engendrent des contraintes et des tensions dans les relations sociales, qui brouillent les repères et le positionnement des individus les uns par rapport aux autres.

Dans ces endroits de privation de liberté, que ce soient des lieux de détention ou de garde à vue, des centres de rétention ou des hôpitaux psychiatriques, il y a ceux qui ont l’autorité, le savoir et le pouvoir, et les autres. Les relations y sont donc nécessairement tout à fait différentes de celles que nous connaissons dans la vie de tous les jours, lesquelles s’inscrivent dans un contexte de liberté, d’égalité et de fraternité.

C’est bien pour cette raison qu’il est primordial qu’un contrôle indépendant et objectif puisse s’exercer dans ces lieux de privation de liberté, afin qu’y soient respectés a minima les droits fondamentaux des individus, aussi bien ceux qui y sont retenus par décision de l’autorité publique que ceux qui y travaillent, par obligation ou par vocation, un certain nombre d’heures par jour et de jours par semaine.

On ne peut pas ignorer les relations qu’ont les personnels entre eux, selon leur niveau hiérarchique.

On ne peut pas ignorer les relations qu’ont les personnes retenues ou détenues entre elles, et la hiérarchie qui va nécessairement en découler dans un monde qui ne correspond pas à celui dans lequel elles ont jusque-là évolué et dont elles ne comprennent souvent ni l’ordre, ni le règlement, ni la loi.

On ne peut pas ignorer non plus, bien évidemment, les relations entre ceux qui ont le pouvoir, le savoir et l’autorité et ceux qui ne les ont plus.

Dans ces lieux – l’actualité est malheureusement là pour nous le rappeler de temps à autre –, on peut être confronté à la violence la plus extrême, à la résignation, à l’indifférence totale, y compris à l’égard de son propre sort, à la révolte, à l’injustice ou au sentiment d’injustice. On y côtoie le pire et le meilleur de ce dont l’homme est capable, sous une forme concentrée, enfermée, nécessairement explosive à certains moments.

Je profite de cette occasion pour évoquer un point abordé par le Contrôleur général lui-même lors de son audition en vue d’établir l’avis budgétaire relatif aux droits et libertés publics : quand il reçoit une lettre d’un individu désespéré, humilié ou « au bout du rouleau », pour quelque raison que ce soit, il doit absolument y répondre rapidement pour lui montrer qu’une personne l’a entendu et va s’occuper de son cas ; sinon la situation deviendra de plus en plus explosive.

Le taux de suicide élevé dans les prisons françaises, les nombreuses révoltes qui y ont lieu et le mal-être de certains surveillants le montrent bien, il faut absolument garantir un minimum de liberté, d’égalité et de fraternité dans ces lieux de privation de liberté.

Pour cette raison, il est important que le Contrôleur général dispose des moyens d’exercer sa mission, d’apporter des réponses rapides et de se déplacer. Il faut également aider l’administration pénitentiaire et celle de la santé, ainsi que les hommes et les femmes qui, pour une période plus ou moins longue, travaillent dans ces lieux de privation de liberté, à faire régner, dans la mesure du possible, la paix et la sérénité, pour la sécurité de tous.

C’est pour cela que le Sénat a voté à l’unanimité, en 2007, une loi instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et qu’il est aujourd’hui important de modifier cette loi, non pas pour le Contrôleur général en tant que personne, mais pour l’institution qu’il représente.

En effet, depuis sa nomination en 2007, c’est un homme d’exception – nous sommes tous d’accord, me semble-t-il, sur ce point – qui a assumé cette fonction.

Cet homme d’exception a créé son rôle et mis en place l’institution ; il a constitué autour de lui une équipe de contrôleurs qui ont adopté ses valeurs et ses méthodes. Alors qu’il arrive aujourd'hui au terme de son mandat, cette institution doit rester une institution d’exception. Il est donc primordial d’inscrire dans la loi le mode de fonctionnement qu’il a institué et qui a été accepté par toutes les administrations ayant fait l’objet de ses contrôles. Il faut prendre acte des avancées qu’il demande, notamment en matière de secret médical, pour mieux protéger les personnes concernées.

Il est important aujourd’hui d’avancer et de pérenniser l’institution telle qu’elle existe et fonctionne, parce qu’elle donne satisfaction, ainsi que de soutenir l’administration pénitentiaire dans les efforts qu’elle fait.

Ces efforts, c'est elle-même qui les a produits dans un premier temps, mais ils sont aussi le résultat des remarques et des rapports, toujours contradictoires, dressés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ils permettront à cette administration de mieux fonctionner et d’apporter de l’humanité dans ces endroits de déshumanisation que sont les lieux de privation de liberté.

C’est reconnaître la valeur de l’immense majorité des personnels de l’administration pénitentiaire, des médecins et autres intervenants dans les hôpitaux psychiatriques, des agents de sécurité, des officiers de police judiciaire – gendarmerie et police nationale – que de continuer à les aider.

Qui pourrait prétendre aujourd’hui connaître absolument tout ce qui se passe dans son administration, y compris les exceptions, les dérogations au droit, les vexations, les humiliations ? Celles-ci existent dans tous les services, mais elles sont d’autant plus cachées et destructrices qu’elles se déroulent dans des lieux de privation de liberté !

Il s’agit non pas de jeter l’opprobre sur tous, mais simplement de continuer à aider l’administration à progresser, à corriger ses dysfonctionnements, à être plus humaine, pour instaurer davantage de sérénité dans les lieux de privation de liberté.

Pour toutes ces raisons, l’ensemble du groupe socialiste suivra Mme la rapporteur. Nous tenons à remercier une nouvelle fois Catherine Tasca de l’immense travail qu’elle a accompli. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)