M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été rappelé, c’est la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II, qui a créé ce que l’on appelle parfois, à mon avis à tort, la procédure du « plaider-coupable ».

Ce texte proposé par notre collègue Jacques Mézard vise, selon son intitulé, à « réformer » ce mode de poursuites pénales. En réalité, dans la version initiale du texte, il ne s’agissait pas tant de réformer que de rendre quasiment inutilisable la CRPC...

La remise en cause profonde de la CRPC était d’ailleurs à peine voilée puisqu’on pouvait lire dans l’exposé des motifs : « La CRPC va à l’encontre des grands principes de la procédure pénale présents à l’article préliminaire du code de procédure pénale et à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. ». Cela a le mérite de la clarté...

En fait, toutes les modifications proposées auraient eu pour effet de réduire au maximum le recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Or nous croyons à la pertinence et à l’efficacité de ce mode de poursuite, et nous n’aurions pas pu soutenir une proposition de loi dont l’effet aurait été de rendre la CRPC de facto inopérante.

La CRPC, malgré les interrogations légitimes qu’elle a pu susciter lors de son introduction dans notre droit, a rencontré un franc succès.

Les chiffres, que l’on retrouve dans l’excellent rapport de Pierre-Yves Collombat, sont éloquents : en 2012, environ 65 000 affaires pénales ont été traitées dans le cadre de cette procédure, soit 13 % de l’ensemble des poursuites. Et si l’on regarde l’évolution des statistiques ces dernières années, on constate que, depuis 2005, le taux de CRPC ne cesse d’augmenter : on est passé de 19 000 affaires en 2005 à 53 000 en 2008, pour atteindre aujourd’hui plus de 65 000 affaires.

Ces chiffres s’expliquent notamment par le fait que, fort de son succès, la CRPC a vu son champ d’application significativement étendu par la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles, dont j’étais le rapporteur, et qui l’a rendue applicable à tous les délits.

Telle que conçue et voulue par le législateur, rappelons que la CRPC a deux objectifs : premièrement, alléger les audiences correctionnelles des affaires simples dans lesquelles les auteurs reconnaissent les faits et, ce faisant, diminuer les délais de jugement des juridictions répressives ; deuxièmement, conduire au prononcé de peines plus efficaces, car une peine acceptée par l’auteur des faits ayant préalablement reconnu sa culpabilité sera souvent mieux exécutée.

Cependant, cette procédure, bien que son champ d’application ait été largement élargi par la loi du 13 décembre 2011, n’est pas utilisée à l’excès par nos juridictions. Ces dernières ont su lui trouver un usage adapté selon les circonstances et le type de délits observés dans la circonscription ; au quotidien, elle est largement utilisée pour traiter, notamment, le contentieux routier : 58 % de ce type de contentieux fait en effet l’objet d’une CRPC. Conduite sous l’emprise d’un état alcoolique, conduite sans permis, sans assurance ou en récidive d’un très grand excès de vitesse : il s’agit de faits pour lesquels la culpabilité est rarement contestée, qui ne causent normalement pas de victime et qui correspondent à un contentieux de masse, et donc d’une cible privilégiée pour le « plaider-coupable ».

Aujourd’hui, l’usage de cette procédure est devenu indispensable dans nos tribunaux correctionnels, et il est crucial de préserver l’efficacité de ce mode de poursuites qui contribue à désengorger les juridictions, tout en apportant une réponse pénale effective et relativement rapide à des faits bien réels.

Nous saluons donc les modifications proposées par M. le rapporteur, notamment en ce qui concerne la suppression de l’article 1er qui tendait non seulement à restreindre le champ d’application de la CRPC, en limitant cette dernière aux délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure à trois ans, mais également à exclure les cas de récidive.

Ces exclusions auraient conduit à ne plus pouvoir traiter avec cette procédure de nombreuses affaires simples et sans grande gravité, ce qui eût été naturellement très préjudiciable.

En commission, nous avons eu un débat intéressant sur l’article 3 de la proposition de loi et la possibilité pour le juge du siège de diminuer la peine.

Ce pouvoir d’appréciation du juge qui n’aurait pu que diminuer la peine posait problème.

Le juge, avec le refus d’homologation, peut déjà faire recommencer le débat ; mais là, on lui aurait donné un nouveau pouvoir d’appréciation, qui altère l’esprit de la CRPC et me paraît compliquer les relations du procureur de la République avec le prévenu. Je suis donc en accord avec la décision de la commission des lois, qui a finalement préféré ne pas modifier le droit en vigueur sur ce point.

J’ajouterai un mot concernant la présence du procureur à l’audience d’homologation. L’intérêt pratique de la CRPC serait considérablement amoindri si le magistrat du parquet était tenu d’assister à la présentation du prévenu devant le juge chargé de l’homologation. En effet, cette présence représente une contrainte temporelle supplémentaire pour les parquetiers, qui va à l’encontre de l’objectif de désencombrement des juridictions en accélérant les procédures.

De surcroît, la présence du procureur aurait eu pour effet de susciter une discussion devant le juge du siège et de transformer celui-ci en négociateur, ce qui est à l’opposé de sa mission, laquelle consiste à homologuer ou à refuser d’homologuer, et de l’esprit de la procédure. En outre, que va pouvoir dire de plus le parquetier à cette audience, alors qu’il a déjà tout dit au prévenu lors de l’audience de cabinet ?

Là encore, le texte adopté par la commission a opportunément supprimé la présence obligatoire du procureur de la République à l’audience d’homologation.

Enfin, je salue les dispositions introduites à l’article 3 bis, lequel vise à permettre à la victime de faire parvenir ses observations au procureur de la République avant que celui-ci ne s’entretienne avec la personne mise en cause au cours de la première phase de la CRPC.

Actuellement, la victime, lorsqu’elle existe, n’intervient dans le cadre de la CRPC qu’au stade de l’audience d’homologation. Or ses observations pourraient, dans certains cas, permettre au procureur de mieux apprécier les faits commis par la personne mise en cause ou sa personnalité, et par conséquent de mieux adapter les peines proposées lors de l’entretien avec celle-ci.

C’est donc au regard des évolutions positives apportées à la proposition de loi par le rapporteur et la commission que nous voterons le texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a introduit dans notre législation le mécanisme du « plaider-coupable » inspiré du droit américain, afin de diminuer la durée du délai de traitement des affaires correctionnelles. La gauche avait alors contesté cette procédure et s’y était opposée fermement.

De notre côté, nous avons déposé une proposition de loi tendant à la suppression de cette procédure, proposition dont l’exposé des motifs faisait valoir les nombreux griefs que nous avons à l’encontre du CRPC, lesquels figurent d’ailleurs dans l’exposé des motifs du texte dont nous discutons aujourd’hui ; le rapport en fait également état.

D’une part, il est reproché à cette procédure de laisser de trop larges pouvoirs au procureur, un magistrat dont l’indépendance est aujourd’hui plus que jamais contestée, et par ailleurs d’aller à l’encontre des grands principes de la procédure pénale, en particulier celui de la séparation de l’autorité de poursuite et de l’autorité de jugement.

D’autre part, la place donnée à l’aveu sollicité grâce à la menace d’une sanction pénale plus lourde est dénoncée. La détermination de la peine constitue une sorte de « marchandage » entre le parquet et la personne qui reconnaît sa culpabilité en présence d’un avocat, lequel n’a finalement que très peu de marge de manœuvre. En effet, ce dernier sait parfaitement que, si la peine proposée par le parquet est refusée par son client, la peine prononcée à l’issue d’un procès classique pourra être plus lourde.

Si l’article 495-8, alinéa 4, du code de procédure pénale semble constituer un rempart, dans la mesure où il prévoit que la personne ne peut renoncer à son droit d’être assistée par un avocat, on se rend cependant compte, dans la pratique, que celui-ci a souvent un rôle de faire-valoir et qu’il fait littéralement figure d’alibi, comme le dénoncent de nombreux membres de la profession.

Les avocats dénoncent également le rôle très inconfortable dans lequel ils se retrouvent, puisqu’ils ont très peu de temps pour décider d’un accord avec leurs clients.

Il est essentiel pour un avocat, lorsque son client est poursuivi pour un comportement qui ne correspond pas, en réalité, à une qualification juridique, de disposer d’un temps suffisant pour préparer un dossier solide et obtenir éventuellement une relaxe. On comprend alors l’intérêt d’un vrai procès.

Un autre intérêt du procès est qu’il a pour effet, contrairement à la procédure de CRPC, de porter à la connaissance du public les faits précis qui ont conduit au prononcé d’une peine à leur mesure. Or, vous le savez, la procédure de CRPC ne permet pas la publicité autour de la qualification juridique desdits faits. C’est d’ailleurs parfois un avantage pour certains justiciables qui ne souhaitent pas que leurs actes donnent lieu à une telle publicité.

Enfin, la CRPC crée une inégalité entre les justiciables, dans la mesure où elle a pour objet la gestion des flux des dossiers. Le recours à ladite procédure varie donc en fonction de l’engorgement des juridictions.

La commission a fait un travail sérieux et intéressant en adoptant, pour répondre à certaines de ces critiques, plusieurs amendements qui tendent à mieux encadrer le recours à cette procédure.

En particulier, afin d’atténuer la pression pesant sur la personne mise en cause, elle a adopté deux amendements.

Le premier rend caduque la convocation concomitante en audience correctionnelle lorsque la personne mise en cause s’est dûment présentée devant le procureur.

Le second supprime la possibilité de mettre en œuvre la CRPC à la suite d’un déferrement par les services enquêteurs, ce qui est intéressant, car la possibilité de proposer une CRPC même en cas de déferrement conduit à des dérives, comme celle de faire accepter par un prévenu l’exécution immédiate de sa peine alors qu’il aurait pu bénéficier d’un aménagement de peine.

En effet, en cas de déferrement, la personne poursuivie est retenue à l’issue de sa garde à vue pour être présentée au procureur de la République. Elle est donc particulièrement fragilisée par les vingt-quatre ou quarante-huit heures de garde à vue qu’elle vient de connaître, et par l’incertitude de son sort à l’issue de cette dernière.

Certes, la procédure de garde à vue a été réformée et les personnes peuvent aujourd’hui bénéficier de l’assistance d’un avocat tout au long de son déroulement. Mais nous savons tous que ces améliorations ne sont pas suffisantes pour effacer la privation de liberté pendant un ou deux jours et les conditions de cette privation, et il est à craindre que le prévenu ne reconnaisse, par lassitude, des faits qu’il n’a pas commis, ou qu’il ne soit pas en état de mesurer l’incidence de son acceptation d’une telle peine. L’interdiction d’utiliser la CRPC en cas de déferrement nous paraît donc indispensable.

Ensuite, afin de limiter les atteintes au principe de la séparation entre les fonctions de poursuite et de jugement, la commission a précisé le pouvoir du président du tribunal d’accorder ou de refuser l’homologation en inscrivant dans la loi les réserves d’interprétation faites par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004. Néanmoins, cette amélioration notable n’enlèverait rien au fait que, dans cette procédure, nous assistons à un déplacement de la décision relative à la peine : celle-ci n’est plus laissée à l’appréciation du magistrat du siège, indépendant et impartial, mais est déterminée en pratique par la partie poursuivante, le ministère public.

Par ailleurs, la critique majeure qui demeure est que cette procédure, même améliorée, reste conçue comme une variable d’ajustement – je l’ai déjà dit et cela a été rappelé – de la gestion des flux, permettant au parquet d’opter pour telle ou telle procédure en fonction de l’encombrement de la juridiction. Ainsi, certains syndicats de magistrats que nous avons auditionnés déplorent le fait que l’utilisation de cette procédure ne se fait plus sur le seul critère de son adaptation à la gravité d’un fait et/ou de la personnalité de son auteur.

Dans la présentation du projet de loi de finances pour 2014, le ministère de la justice envisage même un recours accru à cette procédure et estime qu’il subsiste des leviers d’action susceptibles d’entraîner des améliorations en termes de traitement.

Mes chers collègues, nous voterons ce texte compte tenu du travail réalisé par M. le rapporteur ; je tiens néanmoins à préciser que, s’agissant de la gestion des flux au sein des juridictions, d’autres solutions doivent être envisagées, plutôt que le recours accru à cette procédure. Outre bien sûr la nécessité d’accorder plus de moyens à la justice, la mise en œuvre d’une politique de décroissance pénale par la dépénalisation de certains contentieux – une partie du contentieux routier par exemple, comme le rappelait Mme la garde des sceaux – pourrait être envisagée. La réforme pénale sera l’occasion d’étudier de manière globale ces solutions. Dans l’attente de celles-ci, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE et de l’UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir failli débattre de la mise à mort ou de la quasi-disparition de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, nous allons finalement discuter des modalités de cette procédure et de l’amélioration de son fonctionnement comme de sa mise en œuvre.

En effet, comme cela a été déjà rappelé plusieurs fois, la CRPC, née en 2004, avait fait l’objet de très fortes réticences – le mot est faible – et d’un a priori extrêmement négatif. Ces très fortes inquiétudes, ces réticences et cet a priori négatif, que j’aurais partagés si j’avais été élue à cette époque, tenaient essentiellement, pour l’ensemble de la gauche, aux risques de déséquilibres entre les différents principes fondamentaux qui guident notre justice.

En effet, il semblait aux élus de gauche, tout d’abord, qu’il y avait une contradiction formelle entre, d’une part, le fait de comparaître en ayant reconnu sa culpabilité et, d’autre part, la présomption d’innocence. Il y avait là aussi, peut-être, une mise à mal du débat contradictoire, avec une concentration des pouvoirs et des décisions entre les mains du parquet, à la fois autorité de poursuite, autorité d’enquête et autorité de jugement. Il y avait en outre un risque de pression forte ou d’extorsion des aveux en poussant les prévenus vers cette CRPC, sans parler de cette crainte de la soustraction du débat à la publicité, au jugement public par le biais d’accords obtenus dans le bureau du procureur.

Toutes ces réserves et ces difficultés ont été de nouveau abordées aujourd’hui, et je ne vais donc pas revenir inutilement dessus.

L’idée initiale était de restreindre très fortement l’utilisation de cette procédure.

Avec un sens de l’écoute et de la mesure auquel je tiens à rendre hommage ici, M. le rapporteur et les auteurs de la proposition de loi eux-mêmes ont entendu les professionnels de la justice et ont pris en compte ce qui s’était réellement passé dans la mise en place de cette procédure : la sagesse de la justice et des professionnels de la justice a permis une utilisation parfaitement mesurée et raisonnable, ainsi qu’un fonctionnement tout à fait efficace de cette procédure, très loin des craintes initialement rapportées.

M. le rapporteur a donc changé son fusil d’épaule – là encore, je lui rends hommage pour avoir su le faire avec modération et efficacité – pour nous proposer finalement des amendements ne remettant pas en cause la procédure elle-même. Au contraire, ils contribuent, d’une part, à inscrire dans la loi le bon fonctionnement et l’utilisation judicieuse de cette procédure, et, d’autre part, à améliorer encore cette dernière par petites touches, de façon à ne pas mettre à mal l’équilibre aujourd’hui atteint.

En effet, 65 000 mesures liées à la procédure de la CRPC sont prises par an – ce n’est pas négligeable – et, selon les années, de 10 à 15 % seulement des décisions du parquet ne sont pas homologuées par le juge du siège.

Le champ d’application de la procédure, alors que l’on avait pensé le restreindre très sérieusement, ne changera finalement pas, car, de fait, cette procédure s’applique aujourd’hui à un contentieux de masse, à un contentieux dans lequel la culpabilité ne dépend pas des aveux, mais est objectivée par des faits matériels ; cela a déjà été rappelé plusieurs fois.

La peine encourue ne changera pas non plus, et là je voudrais souligner – cela a fait un peu débat au sein de la commission – que, si le quantum de peine encourue ne sera finalement pas modifié, restant bien à cinq ans et non à trois ans comme cela avait été initialement proposé, c’est sans doute dû à l’incohérence de notre échelle des peines figurant dans le code pénal, échelle qu’il faut très certainement revoir. Cette incohérence de l’échelle des peines est due à l’accumulation de lois sécuritaires et de lois « tout répressif » adoptées ces dernières années. Il y a donc là très certainement un travail de toilettage à faire…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Plus qu’un simple toilettage, il faut tout revoir !

Mme Virginie Klès. En attendant, le maintien tant du quantum de peine initialement prévu pour la CRPC que de certaines exclusions, notamment liées aux violences, aux atteintes à la personne, délits qui ne doivent pas faire l’objet d’une CRPC,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

Mme Virginie Klès. … est sans doute la meilleure solution. Les droits de la défense ont malgré tout été revus et améliorés dans le texte dont nous débattons aujourd’hui.

Ainsi, le texte exclut le recours à la CRPC après un déferrement ; par ailleurs, grâce à M. le rapporteur, la présence d’un avocat est prévue lors de l’audience devant le procureur, et des délais sont instaurés entre la proposition de peine faite par le procureur et l’acceptation de ladite peine par le prévenu, lequel a donc le temps et la possibilité de s’entretenir avec son avocat, hors présence du procureur, pour accepter ou non la peine proposée.

La pression mise éventuellement sur les prévenus est allégée par les modalités originales de convocation devant le tribunal correctionnel, et par la caducité de ces convocations sur le simple fait de se présenter à la CRPC, sans impliquer pour autant une acceptation de la peine : c’est aussi extrêmement intéressant.

En outre, on constate – et c’est un élément qui n’avait pas été anticipé – que ce dialogue direct du prévenu et du procureur en présence de l’avocat permet sans doute au prévenu de mieux comprendre et de mieux accepter la peine qui lui est proposée.

En revanche, monsieur le ministre, le fait d’inscrire une proposition de peine au greffe avant même d’avoir rencontré le prévenu ne va pas, à mon avis, dans le sens du dialogue, de l’acceptation de la peine et de l’écoute mutuelle et réciproque des arguments des uns et des autres. Si la peine est déjà inscrite au greffe, je crains un amoindrissement de l’effet bénéfique du dialogue et de l’incitation à venir à la CRPC ; d’entrée de jeu, le prévenu aura l’impression que la peine qui lui est proposée n’est pas en rapport avec les faits.

Les droits de la victime n’ont pas été oubliés. Sans la faire participer à la peine, la victime est semble-t-il mieux prise en compte, puisqu’elle a la possibilité de s’exprimer auprès du procureur en amont de ce dialogue entre le prévenu et le procureur.

La possibilité pour le juge du siège de diminuer d’un tiers la peine proposée par le procureur a fait l’objet d’un débat riche et intéressant au sein de la commission. Fallait-il permettre au juge du siège de diminuer la peine proposée par le procureur s’il avait l’impression que cette dernière allait un peu au-delà de ce qui était mérité par le prévenu ? Fallait-il risquer de modifier cet équilibre, en état stable aujourd’hui, en prévoyant simplement que le juge du siège, s’il considère que la peine n’est pas la bonne, n’homologue pas la transaction ? Fallait-il créer un déséquilibre en disant que l’on procède différemment selon que c’est plus ou que c’est moins ?

Après un long débat, la commission n’a finalement pas jugé utile, ou a jugé risqué, voire dangereux, de toucher à cet équilibre, et n’a donc pas retenu la proposition du rapporteur, qui présentait pourtant un intérêt certain. Peut-être y reviendra-t-on plus tard, après réflexion, sachant que, en tout état de cause, aujourd’hui, le jugement rendu en correctionnelle après un échec de la CRPC est en général inférieur. L’équilibre actuel n’est donc pas forcément mauvais ; et il est peut-être délicat d’y toucher alors que l’on modifie déjà d’autres points de cette CRPC.

En conclusion, l’esprit final d’étude et de débat de cette proposition de loi est très différent de celui qui prévalait à l’origine. Je tiens à rendre hommage tant aux auteurs du texte qu’au rapporteur d’avoir su entendre tout ce qui s’est dit sur le terrain, et d’avoir su convaincre tous ceux d’entre nous qui étaient a priori vent debout contre la CRPC : c’est en définitive une bonne mesure, une procédure efficace qui a toute son utilité dans notre arsenal juridique.

Pour l’ensemble de toutes ces raisons, mon groupe soutiendra la proposition de M. le rapporteur et de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. le rapporteur a profondément modifié le texte dont il a la responsabilité, alors même qu’il en était l’un des signataires, en plaçant de côté les idéologies pour retrouver la réalité. Son revirement m’a convaincue…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas un revirement. Sa pensée s’est approfondie.

Mme Hélène Lipietz. … et j’ai eu le plaisir de convaincre mon groupe.

Ce n’était pas évident, tant la CRPC nous paraissait totalement contraire à l’esprit même du droit pénal français. Comme nombre d’entre vous, mes chers collègues, les écologistes étaient en effet très critiques, voire violemment opposés à cette procédure dérogatoire du droit commun au nom barbare de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », et au charmant diminutif de « CRPC ».

Il suffit de lire l’exposé initial des motifs de cette proposition de loi pour se rendre compte de la virulence des critiques que l’on peut formuler. Je n’y reviendrai pas, cela a déjà été dit : rupture d’égalité, condamnation d’innocents, etc.

On entend encore trop souvent que la CRPC est une imitation du « plaider coupable » américain. Elle permettrait une négociation avec le procureur, et des innocents seraient prêts à se reconnaître coupables afin de limiter la peine que pourrait leur infliger un juge qui serait aveugle.

C’est totalement faux ! La peine doit être écrite avant la présentation du prévenu devant le procureur.

Le prévenu peut évidemment refuser la CRPC, et cette décision ne doit pas lui porter préjudice lors de sa comparution devant le juge. Nous reviendrons sur ce point lors de l’examen de l’un de mes amendements. Il faut absolument veiller à ce que cette volonté du législateur figure dans les textes : refuser la CRPC ne doit entraîner aucun préjudice.

Audition après audition, M. le rapporteur s’est aperçu que les défauts juridiques, voire idéologiques, inhérents à ce mécanisme avaient en bonne partie été corrigés par l’intelligence de nos magistrats. Comme nous avons fait confiance à l’intelligence des territoires lors de nos débats sur les métropoles, nous allons pouvoir reconnaître aujourd’hui l’intelligence de nos magistrats, si tant est que nous l’ayons jamais mise en doute.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui, tel qu’il est issu des travaux de la commission, corrige quelques défauts du mécanisme de la CRPC pour renforcer la liberté de choix du prévenu. Il entérine la double convocation, devant le procureur et devant le tribunal correctionnel, à la fois du point de vue matériel et dans le temps. Cela permettra d’éviter de rallonger inutilement la procédure au cas où la CRPC échouerait. Le texte prévoit aussi la présence accrue de l’avocat et l’information du prévenu sur le droit de dire « non ».

La question la plus intéressante sur laquelle nous avons eu à nous pencher est celle de la place des victimes dans la procédure.

Ce texte ne me semble pas le meilleur véhicule pour révolutionner la place des victimes dans notre code de procédure pénale. Dans notre procédure pénale, c’est l’État, et non pas les victimes, qui mène le procès, et ce au nom du peuple français dans son entier. Toute une philosophie sous-tend ce dispositif : l’État s’interpose entre les citoyens pour éviter qu’ils ne se fassent justice eux-mêmes. De plus, en cas d’infraction pénale, c’est le tissu social dans son entier qui est touché, et non simplement les victimes directes.

Ce point de vue est ancien. Je rappelle que la loi du talion, édictée par Moïse, était une tentative pour encadrer et borner la vengeance privée. À défaut d’interdire cette dernière, la réponse doit être proportionnée : pour un œil, un œil ; pour une dent, une dent. Aujourd’hui, on pourrait la traduire ainsi : pour telle infraction, une peine de prison de telle durée. En soulignant cela, je pense aux victimes, notamment à toutes celles que j’ai accompagnées du mieux que j’ai pu dans leur douleur comme avocate. Leur douleur doit être entendue et leur place doit être reconnue, comme nous le propose le rapport de MM. Béchu et Kaltenbach, Pour une meilleure indemnisation des victimes d’infractions pénales.

Cependant, si nous devons réformer la place des victimes dans notre droit, nous devons le faire dans une loi dédiée. En effet, le sujet est trop important pour être glissé par petites touches dans différents textes. En outre, cela risquerait de produire des distorsions dans les droits des victimes, alors que leurs douleurs sont semblables. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.)