M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le présent texte a une très forte dimension politique et anachronique.

Politique, parce que, chacun le sait, son objet est de concrétiser un engagement de campagne de celui qui est devenu Président de la République.

Cette proposition de loi visant à reconquérir l’économie dite réelle est en réalité la proposition de loi « Florange », elle-même sœur cadette d’un texte déposé le 28 février 2012 par des députés socialistes, en pleine affaire ArcelorMittal.

Anachronique, car cette proposition a été exhumée d’un autre temps politique : celui qui précédait le revirement social-libéral du Président de la République. D’où le malaise, compréhensible, de certains de ses promoteurs. D’où, surtout, le fait que le texte soit resté une proposition de loi.

Peinant à assumer la responsabilité d’une proposition relevant d’options en décalage avec ses nouvelles orientations, on comprend que l’exécutif ait eu à cœur de la faire endosser par sa majorité parlementaire.

Le problème est que ce choix n’est pas neutre : passer par une proposition de loi permet de contourner la double obligation de consulter les partenaires sociaux et de produire une étude d’impact, cette dernière lacune étant majeure.

En l’absence d’étude d’impact, on ne peut absolument pas savoir si le dispositif proposé peut effectivement maintenir l’activité dans un certain nombre de cas. Si le texte avait été en vigueur au moment de l’affaire Mittal, l’issue aurait-elle été plus favorable ? Même dans l’affirmative, combien de sites et, donc, d’emplois pourraient aujourd'hui encore être concernés ?

A contrario, l’impact négatif des nouvelles obligations et sanctions ne serait-il pas de nature à peser bien plus lourdement sur l’ensemble de l’économie que les éventuels effets bénéfiques que l’on pourrait en attendre ?

Là sont évidemment les questions centrales. Elles demeurent sans réponse.

Face à ce vide, on ne peut que s’interroger sur le caractère avant tout publicitaire et idéologique de cette proposition de loi.

D’abord, ce texte aurait, de l’aveu même de Mme la rapporteur de l’Assemblée nationale, « une portée essentiellement symbolique » et, selon notre rapporteur, il ne concerne « qu’une poignée de cas ».

Ensuite, souvenons-nous-en, lorsqu’il a fallu arbitrer, dans l’affaire Florange, entre une solution de reprise hasardeuse et l’impact en termes d’image pour l’économie française, le Gouvernement a choisi cette dernière solution...

Après avoir tardé pour concrétiser cet engagement électoral, pourquoi déclencher la procédure accélérée, si ce n’est pour faire un coup politique à la veille des élections municipales ? Déclarer la procédure accélérée sur une proposition de loi, c’est original ! Convenons-en, la ficelle est un peu grosse.

Enfin, le choix de la commission saisie au fond au Sénat est également révélateur sur le plan idéologique.

Comme l’a très justement fait observer notre collègue Gérard Longuet en commission, saisir au fond la commission des affaires économiques, c’est admettre que l’économie détermine l’emploi ; saisir au fond la commission des affaires sociales, c’est affirmer que l’emploi peut être administré. Cette dernière option ne correspond évidemment pas à notre manière de voir les choses.

Cela me conduit à évoquer le fond.

Le texte a deux objets distincts : d’une part, garantir que des sites industriels rentables ne puissent à l’avenir être fermés pour des raisons stratégiques et financières sans que tout ait été fait pour trouver un repreneur et, d’autre part, favoriser l’actionnariat de long terme.

Je me concentrerai sur le premier de ces deux volets, qui constitue la raison d’être du texte.

Ce volet ne fait que renforcer les dispositions de l’article L. 1233–90–1 du code du travail. On le sait, cet article, introduit par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui, elle-même, transposait l’article 12 de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, imposait déjà la recherche d’un repreneur en cas de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d’un établissement.

Alors que l’encre des signataires de l’ANI et celle du législateur ne sont pas encore sèches, la présente proposition de loi renforce les obligations d’information imposées à l’employeur envisageant une fermeture et énumère les actions de recherche d’un repreneur.

Au nombre de celles-ci figure l’obligation « d’engager la réalisation d’un bilan environnemental […] et de présenter les solutions de dépollution envisageables ainsi que leur coût », et nous ne pouvons que nous en féliciter. Cette mesure répond à une préoccupation vivement exprimée par notre collègue Catherine Morin-Desailly, qui avait d’ailleurs préparé une proposition de loi en ce sens dans le cadre du dossier Petroplus.

Par ailleurs, le texte renforce les pouvoirs du comité d’entreprise et, surtout, permet au tribunal de commerce de sanctionner le non-respect de la procédure de recherche. Cette dernière mesure est bien sûr, de loin, la plus significative. Qu’en dire ?

On peut comprendre que la recherche d’un repreneur soit susceptible d’être sanctionnée. Mais pourquoi le serait-elle par le juge ? Nous nous opposons très vivement à cette judiciarisation de la procédure, qui ne peut qu’être source de contentieux et de complexité.

C’est pourquoi nous défendrons un amendement visant à remplacer la sanction judiciaire par une simple sanction administrative, moins lourde, beaucoup plus conforme à l’ANI du 11 janvier 2013 et aux prescriptions du choc de simplification tant attendu.

Plus globalement, il est incontestable que le texte ait été grandement amélioré par la navette parlementaire.

L’avis très critique du Conseil d’État sur sa mouture initiale, en particulier quant à son aspect rédactionnel, a donné lieu à de substantielles modifications en commission à l’Assemblée nationale.

Les députés ont aussi amélioré le texte sur le fond. Singulièrement, nous nous réjouissons que, conformément à la demande de nos collègues du groupe UDI, le montant de la sanction infligée à l’entreprise ait été plafonné à 2 % du chiffre d’affaires, tant il est vrai qu’un tel dispositif doit être le plus équilibré possible.

La quête de cet équilibre s’est poursuivie ici même, en commission. À cet égard, permettez-moi de saluer la démarche de la rapporteur de la commission des affaires sociales, Mme Anne Emery-Dumas, et l’esprit dans lequel elle a travaillé, en abordant cette question avec toute la mesure qui s’impose.

Nous ne pouvons qu’appuyer le rétablissement du seuil de cinquante salariés pour déterminer les sites concernés ou la suppression de « la double peine » consistant à enjoindre l’entreprise sanctionnée de rembourser aussi les aides publiques dont elle aurait pu bénéficier.

Les principales insuffisances du texte provenaient du caractère trop restrictif ou trop flou des notions centrales autour duquel il se structurait.

Tel était encore le cas de la notion de « motif légitime de refus de cession », uniquement définie comme « la mise en péril de la poursuite de l’ensemble de l’activité de l’entreprise ». La commission a eu raison de constater qu’une telle définition ne couvrait pas tous les cas envisageables de motifs légitimes.

A contrario, pourquoi ne pas avoir mieux défini « le caractère sérieux des offres de reprise », comme le recommandait d’ailleurs le Conseil d’État ? C’est là un point clé, et nous défendrons par conséquent un amendement en ce sens.

En dépit de ces améliorations rédactionnelles, s’agit-il d’un texte satisfaisant ?

Nous ne le pensons pas, car il s’agit d’un texte trompeur, qui tend à faire croire que l’on agit pour l’emploi.

Or, chacun le sait, jamais les obligations et sanctions nouvelles n’auront le moindre impact sur la courbe de l’emploi industriel.

Au contraire, elles ne peuvent que desservir l’ensemble de l’économie française, en écornant un peu plus l’image de notre pays, seul à prendre des mesures à rebours de l’évolution actuelle, des mesures susceptibles de dissuader l’investissement dont nous avons, pourtant, si cruellement besoin pour faire repartir la croissance. Au demeurant, vous observerez que les investissements industriels étrangers ont baissé de 77 % entre 2012 et 2013.

On est bien loin non seulement du choc de simplification, mais aussi, et surtout, du choc de compétitivité, dont l’évocation devient chaque année un peu plus incantatoire.

C’est non pas en obligeant et en sanctionnant, mais en gagnant en compétitivité que nous éviterons, demain, de nouveaux Florange ! On le sait, ce sont les emplois les moins qualifiés qui résistent le moins à la concurrence internationale, notamment parce que la dimension fiscale y est trop importante.

Dans ces conditions, il est urgent de déporter les charges pesant sur la production vers la consommation, ce qui, par surcroît, permettrait de toucher les produits d’importation.

Nous pouvions imaginer que la conversion social-libérale du Président de la République le conduirait à cette solution de bons sens, mais l’examen de la présente proposition de loi nous conduit hélas à en douter.

Aussi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe de l’UDI-UC ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Jean Desessard. Vous ne voulez pas de l’économie réelle, monsieur Marseille ?

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, personne ne peut ici, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège, se réjouir de la montée persistante du chômage.

Ce constat, loin d’être alarmiste est celui d’un sénateur du Pas-de-Calais qui côtoie au quotidien la misère, celle qui s’installe durablement dans nos communes, où le taux de chômage peut excéder 25 %.

C’est le constat d’un sénateur qui, comme vous, rencontre quotidiennement des jeunes et des moins jeunes, qui, pour certains, n’ont jamais connu autre chose que la privation d’emploi ou les contrats précaires et sous-payés.

C’est également le constat d’un sénateur qui n’en peut plus de voir ses concitoyens penser que plus rien n’est possible pour changer la donne, ce qui les rend plus réceptifs aux discours simplistes qui favorisent la division.

C’est, enfin, le constat d’un homme qui ressent, lui aussi, comme un choc une certaine forme de démission collective face à la désindustrialisation et aux délocalisations dont notre pays est victime.

Voilà un an, quasiment jour pour jour, j’intervenais pour dire que le groupe CRC voterait en faveur du projet de loi portant création des emplois d’avenir.

Pointant les insuffisances de ce texte, nous avions fait des propositions alternatives plus ambitieuses, sans doute trop ambitieuses pour être retenues par le Sénat. Au final, malgré nos réserves, nous avions voté en faveur de ce projet de loi, non sans avoir rappelé que cette mesure ne serait positive qu’à la condition que le Gouvernement « s’attaque au chômage des jeunes dans sa globalité, c’est-à-dire aux pertes d’emplois industriels et tertiaires, en prenant des mesures structurelles. » « Nous devons faire en sorte que la finance, qui domine trop souvent l’économie réelle, cède de son pouvoir, afin que l’emploi soit mieux pris en compte », avions-nous insisté.

Notre démarche, hier comme aujourd’hui, consiste à soutenir les dispositions visant à faciliter le retour à l’emploi et à permettre aux demandeurs d’emploi de retrouver pleinement leur place au travail, ainsi que la satisfaction d’être utiles à la société.

Ce que je viens de dire en rappelant les exigences formulées en 2013 nous conduit à porter un regard réservé, pour ne pas dire critique, sur la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui.

Force est de constater que nous sommes loin de la proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers que nous avions déposée, et que les groupes socialiste et écologiste avaient votée. En 2011, nous avions fait, ensemble, le constat qu’il n’était plus supportable que les entreprises en bonne santé – qui plus est, celles qui distribuent des dividendes à leurs actionnaires – continuent de briser la vie de centaines de milliers de salariés aux seules fins de rentabilité financière.

Nous avions admis, ensemble, que les intérêts de la société étaient de faire primer l’emploi sur le capital ; le travail sur les actionnaires. En votant en faveur de cette proposition de loi, la gauche avait adressé un signal fort. Il s’agissait non pas, dans notre esprit du moins, d’une posture, mais, bel et bien, d’un choix politique assumé et porteur d’espoirs.

Or force est de constater que cette proposition de loi, qui nous est présentée comme devant reconquérir l’économie réelle, est en très net retrait par rapport à ce que nous avions soutenu ensemble.

Elle est même en retrait par rapport à ce que souhaitait François Hollande, qui, lors d’un déplacement à Florange en février 2012, annonçait légiférer sur l’obligation pour l’employeur de rechercher un repreneur en cas de fermeture d’un site. Cette promesse s’est immédiatement traduite par le dépôt, le 12 février 2012, d’une proposition de loi tendant à garantir la poursuite de l’activité des établissements viables notamment lorsqu’ils sont laissés à l’abandon par leur exploitant. Cette proposition deviendra par la suite la proposition n° 35 de son programme présidentiel, qui prévoyait de donner « aux ouvriers et aux employés victimes de licenciements boursiers, la possibilité de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l’intérêt de l’entreprise ». Vous avez bien entendu, mes chers collègues, le tribunal de grande instance et non pas le tribunal de commerce !

Cette promesse a été tempérée dès juillet 2012, lors de la première conférence sociale, avec la proposition visant seulement à « encadrer les licenciements manifestement abusifs et les obligations liées à des projets de fermeture de sites rentables ».

Viendra ensuite la transposition de l’ANI du 11 janvier 2013, dont l’article 19 prévoyait une simple obligation d’information et de consultation du comité d’entreprise sur les offres de reprise, une obligation assortie d’ailleurs d’aucune sanction, ce que nous n’avions pas manqué de dénoncer.

Épilogue de ce parcours législatif : le dépôt à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel. Or celle-ci arrive au Sénat affaiblie – c’est un constat –, avec la réintroduction par la commission des affaires sociales du seuil de cinquante salariés pour ce qui concerne l’établissement concerné par la fermeture. Autant dire que peu d’entreprises seraient concernées par cette proposition de loi, dont le champ serait soumis à trois conditions cumulatives : une entreprise employant plus de mille salariés, un site d’au moins cinquante salariés promis à la fermeture et un PSE, un plan de sauvegarde de l’emploi, c'est-à-dire l’engagement d’une procédure de licenciement concernant au moins dix salariés.

Oui, naturellement, nous nous réjouissons que les salariés via les comités d’entreprise soient informés des projets de fermeture de sites, ainsi que des projets de reprise. La procédure d’information-consultation nous semble effectivement positive. Pour autant, et nous y reviendrons sous forme d’amendements, elle ne doit pas être limitative et priver les représentants des salariés de la capacité d’informer leurs collègues des effets des offres de reprise sur l’emploi.

Chercher à sanctionner les dirigeants et les entreprises qui ne jouent pas le jeu de la recherche d’un repreneur quand le site est rentable constitue, là encore, une mesure salutaire que nous aurions été tout prêts à soutenir si les pénalités prévues n’étaient pas aussi basses. En réalité, le mécanisme choisi permettra aux employeurs qui refusent à tout prix – on connaît de tels cas – de vendre le site à un repreneur concurrent, d’anticiper et d’intégrer le coût de cette pénalité dans le plan social.

Nous nous étonnons également que les aides financières publiques fassent l’objet non pas, comme nous le souhaitons, d’un remboursement obligatoire, mais d’un recours facultatif. Celui-ci pourrait être d’autant plus rare que la proposition de loi ne mentionne pas la manière dont les personnes publiques chargées de cette mission pourront être tenues informées des décisions rendues par les tribunaux de commerce.

Enfin, si nous soutenons l’idée d’un recours en justice en cas de non-respect des obligations patronales quant à la recherche de repreneurs, nous aurions préféré que ce soit le tribunal de grande instance qui soit saisi – cela aurait été fidèle à l’engagement de François Hollande ! –, et non les tribunaux de commerce, dont la composition et le fonctionnement ont d’ailleurs été critiqués par la ministre de la justice elle-même.

Bref, tout cela nous donne l’impression que l’on ne va pas au bout de la logique et encore moins des ambitions initialement posées. Ce texte est à l’image du pacte de responsabilité promis récemment par le Président de la République : tout en donnant quelques illusions, tout y est mis en œuvre pour ne pas brusquer ou contraindre le patronat. Les quelques avancées – trop modestes ! – pourraient bien n’être que des mirages qui se dissiperont quand les salariés voudront mettre en œuvre ces actions.

C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs du groupe CRC s’abstiendront sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, assurer le primat de l’économie réelle sur la finance, tel est l’objectif affiché et louable de cette proposition de loi, portée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale.

Annoncée lors de la première conférence sociale, en juillet 2012, cette proposition de loi vise à mettre en œuvre un engagement du Président de la République : éviter la fermeture d’entreprises et d’usines rentables et lutter contre les licenciements boursiers. Elle fait suite à une série d’autres mesures visant à redresser notre économie : le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, la création de la Banque publique d’investissement et la loi relative à la sécurisation de l’emploi.

Le premier volet de ce texte vise à redonner des perspectives aux salariés des entreprises frappées de délocalisation et de fermeture, alors qu’elles sont rentables. Il s’agit de préserver l’intérêt général, menacé par des fermetures de sites qui risquent de déstructurer le tissu industriel local et national.

De fait, l’industrie française a perdu 2 millions d’emplois en trente ans ; rien qu’au cours des dix dernières années, 750 000 emplois ont disparu. Le phénomène est d’autant plus grave que, depuis 2009, pour deux usines qui ferment, une seule est recréée. L’actualité de ces dernières années a été tristement marquée par des fermetures de sites industriels rentables pour des raisons stratégiques et financières, et la liste des plans sociaux s’allonge de jour en jour.

Les grands groupes industriels en cause obéissent à une logique d’optimisation de leurs profits : leur unique objectif est la maximisation de la richesse de leurs actionnaires, ce qui les conduit à privilégier les dividendes d’aujourd’hui aux emplois et aux investissements de demain. Sous la pression des marchés, certains dirigeants d’entreprise préfèrent payer le prix d’un plan social plutôt que de s’embarrasser d’un site qui ne dégage pas un assez bon retour sur investissement.

C’est ainsi que nous assistons, impuissants, à la disparition de sites qu’un repreneur serait prêt à relancer en garantissant la pérennité des emplois et la survie du territoire. Enrayer cette désindustrialisation, qui provoque de véritables drames humains, suppose plus que jamais la mobilisation de tous les acteurs. Nous ne pouvons pas laisser des entreprises saines fermer sans réagir ; leurs salariés ne le comprendraient pas. Mes chers collègues, le politique ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité !

J’entends bien les inquiétudes que la proposition de loi suscite ici ou là : les uns la trouvent contre-productive, les autres, insuffisante. De notre point de vue, elle représente un bon compromis, qui permettra de préserver l’attractivité de notre territoire tout en protégeant nos salariés et notre tissu industriel. C’est d’autant plus vrai que les travaux des différentes commissions me semblent aller dans le sens d’un meilleur équilibre entre la volonté de sauver des établissements encore rentables et le souci de ne pas décourager les investissements en France.

En vérité, le redressement industriel du pays devient une impérieuse nécessité : dans le dernier classement annuel des pays selon leur indice global de compétitivité, établi par le Forum économique mondial de Davos, la France recule de deux places et figure désormais à la vingt-troisième position, loin derrière la Suisse, l’Allemagne et les États-Unis.

Le second volet de la proposition de loi pose les bases d’un nouveau modèle de gouvernance des entreprises en luttant contre les OPA hostiles et en encourageant les investissements de long terme.

Dans un pays où la part de l’industrie dans la valeur ajoutée est passée en dix ans de 22 % à 16 % – quand, en Allemagne, l’industrie pèse 30 % du PIB –, il est temps de mettre fin au modèle économique que Jean-Louis Beffa qualifie de « libéral-financier » : un modèle qui repose, pour l’essentiel, sur la maximisation du profit des actionnaires à court terme, au détriment de la prise en compte de toutes les parties prenantes à plus long terme. Plus précisément, l’ancien patron de Saint-Gobain loue, dans son ouvrage La France doit choisir, les mérites du modèle allemand : outre-Rhin, l’actionnariat des entreprises, combiné à un arsenal législatif et réglementaire qui les protège contre les OPA hostiles, favorise le développement productif sur la longue durée.

De même, le rapport Gallois nous invite à privilégier les actionnaires qui misent sur le long terme. À cet égard, en 2007 déjà, la mission commune d’information sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s’attachent, en ce domaine, à l’attractivité du territoire national proposait d’étendre l’usage des actions à droits de vote multiples, en s’inspirant, par exemple, des pays nordiques. C’est dans cet esprit que la proposition de loi prévoit la mise en place du droit de vote double pour les actionnaires qui restent au capital d’une entreprise pendant au moins deux ans.

Nous savons bien qu’une partie des excès de la planète financière est liée à la recherche de rendements élevés à court terme. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de renforcer l’ancrage actionnarial des sociétés, afin que les centres de décision, les usines et les emplois restent en France.

Je me réjouis aussi que l’Assemblée nationale ait fait de la neutralité des organes de gouvernance en cas d’OPA une exception, et non plus la règle. Alors que la directive européenne du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition, dite directive OPA, laisse aux États la possibilité de choisir un système plus ou moins protecteur, la France a d’abord décidé d’appliquer le principe de neutralité. Aujourd’hui, comme l’Allemagne et le Benelux, nous faisons le choix de ne pas appliquer ce principe, afin de permettre au conseil d’administration d’organiser la défense de l’entreprise face à une OPA hostile.

Parce que ce texte encourage les salariés et les entrepreneurs qui œuvrent quotidiennement pour la survie du tissu industriel sur nos territoires, la majorité des membres du groupe RDSE le votera ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste. – Mme la rapporteur applaudit également.)

M. Jean Desessard. Pas la quasi-unanimité ? (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.

M. Georges Labazée. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à reconquérir l’économie réelle ; certains ont pu s’étonner du choix de cet intitulé.

M. Georges Labazée. Ils se sont étonné aussi que la commission des affaires sociales ait été saisie au fond.

Mme Isabelle Debré. Absolument !

M. Georges Labazée. Mes chers collègues, les questions centrales ne sont pas forcément celles-là !

Il s’agit plutôt de se demander pourquoi il est urgent d’agir aujourd’hui. Un certain nombre de réponses ont déjà été apportées par M. le ministre de l’économie et des finances, par les premiers orateurs des groupes et par nos rapporteurs, qu’il m’appartient, au nom du groupe socialiste, de remercier – je pense en particulier à notre collègue Anne Emery-Dumas.

La prééminence des stratégies financières sur les véritables projets industriels a, depuis plusieurs années, des conséquences dramatiques dans de multiples bassins d’emploi. Mes chers collègues, il faut mesurer que notre pays a perdu 750 000 emplois industriels en dix ans !

Les fermetures de sites industriels, que nos territoires sont trop nombreux à avoir subies, sont avant tout des drames humains. Elles représentent un traumatisme pour les salariés, qui sont nombreux laissés sur le carreau, et pour leurs familles. Elles provoquent aussi, parce que l’activité locale disparaît, un véritable choc pour les habitants et pour les élus, souvent désemparés et impuissants. Il est de notre devoir de réagir !

La deuxième raison pour laquelle nous devons intervenir tient à la financiarisation de notre économie, résultat d’une logique qui a longtemps conduit à favoriser les intérêts financiers de très court terme. Quel est le bilan de ce système ? La destruction de notre économie réelle, c’est-à-dire de notre outil industriel et de nos entreprises, mais aussi le sacrifice de stratégies de long terme pour le développement des filières industrielles, de la recherche et de l’innovation.

Dans ce contexte, la proposition de loi marque une nouvelle étape dans la recherche d’un équilibre entre le maintien de l’activité industrielle et la liberté d’entreprendre.

L’économie réelle, c’est l’économie de proximité : c’est à la fois la valeur travail, les travailleurs, les entreprises, les chefs d’entreprise, les filières industrielles, les investissements de long terme et les territoires.

Certains se demanderont comment l’on peut tenter de reconquérir cette économie sans que les entreprises qui décident de fermer un établissement, avec pour conséquences des licenciements massifs, soient obligées, à peine de lourdes sanctions, de tout mettre en œuvre pour chercher un repreneur. Nous leur répondons avec sincérité : nous ne sommes pas frileux, mais notre devoir est d’élaborer un texte utile, c’est-à-dire un texte applicable, que la censure du Conseil constitutionnel ne risque pas de transformer en coquille vide.

Que la sauvegarde de l’emploi soit un motif d’intérêt général justifiant des restrictions à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété, je le pense en effet. Toujours est-il qu’un doute subsiste, dans la mesure où il s’agit de principes constitutionnels, nécessairement sacrés. C’est pourquoi la proposition de loi me paraît adaptée.

Sans doute, une autre solution aurait pu consister à interdire les licenciements boursiers ; cette mesure a été débattue en commission et M. Watrin vient à nouveau de la soutenir. Nous nous souvenons qu’Annie David et les membres du groupe CRC ont présenté une proposition de loi, examinée en séance publique le 16 février 2012, tendant à interdire les licenciements boursiers. Plus précisément, la proposition de loi prévoyait que le licenciement économique ne pourrait être prononcé « si, dans l’exercice comptable de l’année écoulée, l’entreprise a distribué des dividendes aux actionnaires » ; elle prévoyait en outre le remboursement des aides publiques. Le groupe socialiste l’avait d’ailleurs votée, et je m’en félicite.

Toutefois, dans un arrêt du 3 mai 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé l’arrêt Viveo rendu par la Cour d’appel de Paris, au motif que le code du travail ne prévoit que deux cas de nullité d’un plan de licenciements : le non-respect de la procédure et l’insuffisance du plan de reclassement. De cette jurisprudence, il résulte clairement que le juge ne peut statuer sur la validité d’un plan social, mais seulement sur son absence ou son insuffisance, et sur le non-respect des procédures. En d’autres termes, le juge ne peut que constater a posteriori l’absence de motif économique d’un plan de licenciements, et éventuellement accorder des dommages et intérêts aux salariés.

Dans ces conditions, un changement d’orientation s’imposait à nous : favoriser la reprise des sites. Il s’agit d’abord de refuser la fermeture de sites rentables : la proposition de loi facilite la reprise de sites rentables chaque fois qu’elle est possible, afin de préserver l’activité économique, l’emploi et nos territoires. Il s’agit ensuite de construire un nouveau modèle de gouvernance permettant la stabilisation dans la durée de l’actionnariat des entreprises ; en préservant celles-ci des opérations purement financières, les nouvelles règles serviront leur intérêt social et leurs stratégies de long terme.

La feuille de route consécutive à la conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012 précise que la négociation sur la sécurisation de l’emploi comprendra « un volet relatif à l’accompagnement des mutations économiques », dont l’objectif sera notamment « d’encadrer les licenciements manifestement abusifs et les obligations liées à des projets de fermeture de sites rentables ».

L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 prévoit, dans le sixième paragraphe de son article 12, un renforcement de l’information du comité d’entreprise sur les offres de reprise. Ces stipulations ont été transposées dans le code du travail par l’article 19 de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi.

Enfin, je vous rappelle que nous avons récemment voté les articles 11 et 12 du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire – M. le ministre s’en souvient. Parce que, selon les estimations, plus de 50 000 emplois sont supprimés chaque année faute de repreneurs d’entreprises en bonne santé, ce projet de loi, dont la discussion parlementaire est en cours, prévoit d’encourager la transmission des entreprises, en particulier celle des TPE et des PME.

Reste que ces dispositions, portant uniquement sur le code de commerce, ne modifient pas les attributions des comités d’entreprise. La proposition de loi s’en charge heureusement, ce qui donnera à la démarche du Gouvernement une pleine cohérence.

Le 30 avril dernier a donc été déposée à l’Assemblée nationale la proposition de loi visant à « redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel ». Tel était l’intitulé initial de ce texte. L’Assemblée nationale a ensuite enrichi le contenu du texte avant sa transmission au Sénat.

Si nous avons, dans un premier temps, adopté 35 amendements en commission des affaires sociales, lesquels visaient essentiellement à sécuriser le texte et à rendre opérationnelles certaines de ses dispositions, nous avons, je tiens à le dire cet après-midi, refusé d’en adopter deux : ceux qui visaient à supprimer les articles 5 et 8 du texte.

Pourquoi ?

L’article 5 prévoit l’application automatique du droit de vote double dans les assemblées générales d’actionnaires des sociétés cotées pour les actions détenues au nominatif depuis deux ans. Selon vous, chers collègues de la commission des lois, cet article n’était pas justifié. Pour nous, membres de la commission des affaires sociales, le renforcement de l’actionnariat à long terme, second grand objectif de ce texte, je le rappelle, repose essentiellement sur l’instauration par principe du droit de vote double, car les conséquences de cet article sont de deux ordres.

D’une part, en conférant un avantage aux actionnaires qui ne mettent pas en œuvre une stratégie de court terme, dont l’impact sur l’emploi et les territoires est souvent dramatique, cet article vise explicitement à promouvoir un actionnariat stable de longue durée dans les sociétés cotées.

D’autre part, cet article permettra à l’État actionnaire de vendre certaines participations tout en conservant le même niveau de contrôle. Il s’agit là d’une conséquence indirecte du dispositif, mais dont les bénéfices pour l’État pourraient être à moyen et à long terme considérables, selon l’Agence des participations de l’État.

Pour améliorer le dispositif, nous avons instauré une clause de rendez-vous périodique pour les assemblées générales des sociétés cotées ayant refusé de mettre en place le droit de vote double, afin qu’elles abordent cette question au moins une fois tous les deux ans.

L’article 8 renverse la logique actuelle en matière de neutralité des organes de gouvernance en cas d’OPA. Il autorise le conseil d’administration et le directoire, après autorisation du conseil de surveillance, à prendre de leur propre initiative, sans autorisation préalable de l’assemblée générale, toute décision dont la mise en œuvre est susceptible de faire échouer une offre, tout en permettant la réintroduction du principe de neutralité, sous conditions, dans les statuts d’une société cotée.

Lorsque la France a, en 2006, transposé la directive OPA, elle a fait le choix le plus libéral qui soit en ne permettant pas ainsi au conseil d’administration d’organiser la défense de l’entreprise face à une OPA hostile, contrairement au choix effectué par les pays du Benelux et par d’autres de l’Union européenne, comme l’Allemagne.

L’article 8 inverse donc le choix fait à l’époque par la France.

Preuve, finalement, que nous savons nous retrouver : je salue le bon sens de nos quatre commissions, qui ont décidé de supprimer l’article 9 de la proposition de loi.

Cet article prévoyait de renforcer les règles d’urbanisme afin de protéger les anciens îlots industriels de plus de deux mille mètres carrés. Il rendait obligatoire la prise en compte des implantations industrielles existantes dans le projet d’aménagement et de développement durables.

Chers collègues, le projet de loi ALUR, qui a été adopté au Sénat vendredi dernier, serait entré en contradiction avec la présente proposition de loi si nous avions adopté cet article 9. Il introduisait, nous le savons, des lourdeurs excessives qui allaient à rebours de la volonté du Gouvernement et de sa majorité de desserrer les contraintes en matière d’urbanisme.

Je souhaite enfin attirer votre attention sur l’amendement n°8 de notre collègue Marie-Noëlle Lienemann que nous allons examiner. Il vise à introduire un droit de préférence, à offre équivalente, au profit des salariés pour la reprise de leur entreprise. Il sera très intéressant de connaître l’avis du Gouvernement sur ce point.

Mes chers collègues, nous voici donc prêts à examiner cette proposition de loi équilibrée, qui privilégie la voie de la dissuasion par rapport à celle de la sanction, même si elle n’y renonce pas.

Je conclurai, monsieur le ministre, mes chers collègues, en appelant chacun de vous à prendre ses responsabilités sur ce texte, qui est pour nous l’occasion non seulement de réfléchir à la conception que nous avons de ce que doit être la politique industrielle de notre pays, mais également de discourir sur la méthode. Celle que nous appelons de nos vœux, c’est celle de la responsabilité et du dialogue, celle de l’intelligence partagée.

M. le président. Merci de bien vouloir conclure, mon cher collègue.