M. Georges Labazée. Je termine, monsieur le président.

Trop d’événements révoltants ont émaillé notre actualité économique ces dernières années.

Pour ma part, j’ai en mémoire l’usine de la Celanese, sur le complexe de Lacq, qui appartenait à un groupe américain, dont les taux de rentabilité oscillaient entre 15 % et 20 % et qui avait été fermée, sacrifiée sur l’autel de la rentabilité. L’usine avait alors été délocalisée dans les pays du Golfe…

Ce sont alors 380 emplois de haute technicité qui avaient été radiés d’un trait de plume, avec interdiction pour une quelconque entreprise de s’installer sur ce site, pourtant rentable.

Parce que ce texte entoure de garanties sérieuses l’arrêt ou la cession d’un site, et parce qu’il donne aux grandes entreprises un actionnariat stable, il permet de réaffirmer que la France est une terre industrielle.

C’est pourquoi, mes chers collègues, le groupe socialiste, au nom duquel j’ai eu l’honneur de m’exprimer, votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire – M. Moscovici est vite reparti –,…

M. Jean Desessard. Il s’est délocalisé ! (Sourires.)

Mme Catherine Procaccia. … madame le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je fais partie de ceux qui se sont interrogés en commission des affaires sociales – et qui s’interrogent encore aujourd'hui – sur l’intitulé de cette proposition de loi. Malgré les explications des uns et des autres, qui ne m’ont pas convaincue, je demeure perplexe sur cet intitulé vague. Je ne comprends toujours pas de quelle reconquête il s’agit !

Je m’interroge également sur les sujets traités dans la proposition de loi. Il y est question de reprises d’entreprises, d’actionnariat, d’encadrement des OPA. Ce serait donc cela, l’économie réelle ? (Mme Isabelle Debré s’exclame.) Mais alors, monsieur le ministre, tout le reste relèverait de l’économie « irréelle » ? Je vous ai déjà entendu parler d’économie sociale et solidaire. Voilà du concret, …

M. Jean Desessard. Et encore !...

Mme Catherine Procaccia. … mais quid de l’économie irréelle ? Peut-être pourriez-vous m’expliquer ce dont il s’agit ?

M. Georges Labazée. Vous perdez du temps !

Mme Catherine Procaccia. Je ne comprends toujours pas non plus, malgré les explications des uns et des autres, pourquoi la commission des affaires sociales a été saisie au fond, alors que les sujets abordés dans ce texte sont avant tout d’ordre économique. D’ailleurs, à l’Assemblée nationale, c’est bien la commission des affaires économiques qui a été chargée de rapporter au fond ce texte.

Mme Isabelle Debré. C’est très bizarre !

Mme Catherine Procaccia. J’avoue n’avoir jusqu’à présent jamais eu à traiter en commission des affaires sociales de « bons Breton en cas d’OPA », de dispositifs « anti-excès de vitesse » – je ne connaissais de tels dispositifs que sur la route, mais j’avoue qu’ils pourraient être utiles en commission lorsque nous examinons les amendements trop rapidement – ou encore de « clause de grand-père ».

Mme Isabelle Debré. Et les grands-mères ? (Sourires.)

Mme Catherine Procaccia. M. Hamon l’a évoquée la semaine dernière ; je l’ai repris et il a rectifié, parlant cette fois de clause « des grands-parents », mais l’intitulé de cette clause n’a pas été modifié pour autant !

Mme Isabelle Debré. Et l’égalité entre les femmes et les hommes ?...

Mme Catherine Procaccia. Je laisse aux autres orateurs le soin d’approfondir ces questions.

Contre toute logique, donc, ce texte a été soumis à la commission des affaires sociales, en plus des trois autres commissions saisies.

Mme Isabelle Debré. Comme si nous n’avions pas assez de travail !

Mme Catherine Procaccia. Je ne comprends pas pourquoi une commission spéciale n’est pas constituée pour examiner les textes de ce type. Les spécialistes de chacune des commissions pourraient y intervenir, ce qui nous permettrait de mobiliser un peu moins d’administrateurs et d’être plus efficaces.

Comme l’a rappelé M. Marseille à l’instant, la procédure accélérée a été engagée sur ce texte. N’est-il pas étrange d’engager cette procédure s’agissant d’une proposition de loi ?

Même l’examen du texte en commission mixte paritaire est accéléré, si j’en juge au SMS que je viens de recevoir m’annonçant que la CMP se réunirait demain, à dix-sept heures, soit moins de vingt-quatre heures après l’adoption, ou le rejet, du texte !

Mme Isabelle Debré. Excès de vitesse !

Mme Catherine Procaccia. C’est effectivement très accéléré ! Je rappelle que cette proposition de loi met en œuvre l’une des promesses du président Hollande. Je ne vois donc pas en quoi il y avait une telle urgence.

Pour être régulièrement rapporteur de textes de nature sociale, portant en particulier sur le dialogue social, je rappelle que les propositions de loi sont souvent l’occasion de légiférer sans avoir à effectuer l’étude d’impact qui est en revanche obligatoire pour les projets de loi. Une telle étude sur le texte qui nous est aujourd'hui soumis aurait pourtant permis d’évaluer et d’analyser ses conséquences sur l’économie et, plus précisément, son effet repoussoir sur le volume des investissements nationaux et étrangers.

En outre, passer par une proposition de loi réduit la consultation des partenaires sociaux aux seules auditions du rapporteur. Même si Mme le rapporteur en a effectué un grand nombre, ce n’est pas ce qui est prévu dans le cas d’un projet de loi. Le processus législatif est décidément bien malmené !

La semaine dernière, les débats en commission des affaires sociales ont été un peu confus et précipités. Faute de temps, nous n’avons pas pu étudier l’ensemble des amendements proposés par la commission des lois saisie pour avis. Nous avons alors tous, et toutes tendances politiques confondues, souligné nos conditions de travail déplorables.

Aujourd'hui, un quart d’heure avant la séance publique, nous avons « balayé » assez rapidement – en trois quarts d’heure – tous les amendements, en particulier ceux qui ont été déposés par le groupe UMP, lesquels ont tous reçu, comme nous nous y attendions, un avis défavorable.

Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas normal !

M. Jean Desessard. C’est l’économie en temps réel ! (Sourires.)

Mme Catherine Procaccia. Nous voici donc face à un texte si indigent qu’il a été profondément remanié par les députés, car plusieurs de ses dispositions encouraient un risque d’inconstitutionnalité, comme l’avait démontré le Conseil d’État. (M. Jean Desessard s’exclame.) Malgré les modifications apportées à l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat a encore pointé diverses difficultés, heureusement, du moins si ce texte a un avenir…

Ainsi, l’article 1er impose de nombreuses contraintes aux chefs d’entreprise, qui devront rechercher activement un repreneur, en informer les salariés, l’autorité administrative et les élus – sans qu’on sache lesquels –, et motiver leur refus d’offres de reprise. Des sanctions lourdes sont prévues pour tous ceux qui ne respecteraient pas la procédure ou qui refuseraient une offre de reprise d’une façon que le juge estimerait non légitime.

Dans sa rédaction initiale, le texte allait très loin : le niveau de sanction pour les chefs d’entreprise pouvait atteindre jusqu’à vingt fois le montant mensuel du SMIC par emploi supprimé ! Cette pénalité a été maintenue par l’Assemblée nationale, mais elle ne pourra pas désormais dépasser 2 % du chiffre d’affaires de l’entreprise.

Toujours est-il qu’un tel risque contraint le pouvoir de décision des dirigeants, ce qui constitue une atteinte à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété. Mais la majorité actuelle nous y a habitués…

Je donnerai un autre exemple, qui illustre à la fois l’irrégularité constitutionnelle de certaines dispositions et leur inutilité.

L’article 1er prévoit que le tribunal de commerce peut enjoindre à l’entreprise de rembourser tout ou partie des subventions publiques qu’elle a reçues. La commission des lois saisie pour avis a estimé qu’une telle procédure d’injonction remettait en cause une situation légalement acquise, ce qui est inconstitutionnel, et a fait adopter un amendement prévoyant que la demande de remboursement viendrait finalement des personnes publiques. Cette disposition est d’autant plus inutile que lesdites personnes publiques, en émettant un titre exécutoire, peuvent déjà demander le remboursement direct des subventions irrégulièrement employées, en saisissant, s’il y a lieu, le tribunal compétent.

Cet exemple est révélateur de la méthode adoptée par les auteurs de la proposition de loi : pointer la responsabilité des entrepreneurs dans tout projet de fermeture, alors même que des textes empêchant les abus existent déjà.

La France est, parmi les pays d’Europe, celui qui a connu le plus fort mouvement de désindustrialisation. D’après les chiffres récents, entre le mois de janvier et le mois de septembre 2013, ce sont 191 usines qui ont été fermées, ces fermetures causant la destruction de 17 000 emplois.

En revanche, le nombre d’ouvertures de sites a chuté de 25 % en un an et 71 usines seulement ont été créées.

M. le président. Ma chère collègue, veuillez conclure.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, je dépasserai sans doute un peu le temps qui m’est imparti, mais pas plus que mon prédécesseur. (Sourires.)

Au lieu de rendre notre pays plus attractif, par cette proposition de loi, vous adressez un très mauvais signal aux investisseurs nationaux et internationaux, alors même qu’il y a quelques instants, Mme Nicole Bricq, à l’Assemblée nationale, annonçait un objectif de 1 000 investissements en France par an. Voici encore une incongruité !

Nous ne créerons pas d’emplois dans ce pays sans les entreprises et sans un environnement qui suscite un minimum de confiance !

Le chef de l’État s’est fixé comme objectif « de donner de la visibilité aux entreprises », précisant même qu’ « il ne peut pas y avoir d’investissements si le cadre n’est pas clair, si les règles changent ». Il semble que vous n’ayez pas la même vision que lui ! Le présent texte est en totale contradiction avec ces principes. On n’y comprend rien ! Le Gouvernement n’a plus de gouvernail. C’est la raison pour laquelle ce texte n’engage pas de réforme de fond.

Le groupe UMP votera, comme vous vous en doutez, contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Georges Labazée. Applaudissements timides !

M. le président. Mes chers collègues, faut-il vous rappeler les décisions de la conférence des présidents s’agissant des temps de parole ?

J’invite chacun à respecter désormais le temps imparti.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Alquier.

Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et qui, je l’espère, sera adoptée au plus vite, est un premier pas important.

Elle constitue en effet une première étape dans notre lutte contre une économie financiarisée qui fragilise et même détruit l’économie réelle, l’économie de proximité, celle qui structure nos territoires. Peut-être faudrait-il sortir de Paris – je m’adresse maintenant, par exemple, à Mme Procaccia – pour comprendre quelle est cette urgence.

Cette proposition est donc une première étape, car d’autres moyens juridiques sont nécessaires pour mettre fin à un système qui, depuis plusieurs années, est totalement déconnecté des entreprises, de leur développement, de la création de richesses et d’emplois.

Les collègues qui se sont exprimés avant moi ont parfaitement présenté ce texte, par conséquent je serai plus concise sur les différentes mesures qu’il contient.

Cette proposition de loi a plusieurs objectifs, tels que favoriser la recherche d’un repreneur, donner plus de pouvoirs aux salariés dans l’entreprise, notamment dans sa gouvernance, privilégier l’actionnariat de long terme au détriment de la rentabilité immédiate et, enfin, renforcer la capacité des entreprises à résister à la spéculation et aux opérations financières déstabilisantes.

Dans son discours introductif, M. Pierre Moscovici l’a annoncé fermement : il s’agit d’une proposition de loi stratégique pour aider au maintien du tissu industriel.

Ainsi, favoriser la reprise d’un site, y compris par les salariés, constitue une première réponse aux stratégies financières obsédées par la rentabilité quasi immédiate. Nous constatons d’ailleurs tous les jours, dans les territoires, les drames humains qu’elles ont pu engendrer. Or, quand l’industrie est touchée, ce sont aussi les autres secteurs qui en pâtissent. À cet égard, je veux rappeler un chiffre révélé lors de nos précédents débats : un emploi industriel détruit entraîne la disparition de deux emplois et demi dans les services et aggrave d’autant la crise sociale.

Il nous faut donc mettre en place des dispositifs qui permettent, autant que faire se peut, de protéger et de sauver l’emploi industriel.

Cela commence dans ce texte par un renforcement des obligations de l’employeur dans sa recherche de repreneur. Il était important d’énumérer clairement les actions à mener dans ces cas-là pour que les bonnes pratiques soient adoptées.

Un autre point important est l’introduction du tribunal de commerce en vue de sanctionner le non-respect de la procédure de recherche. Il s’agit, ici encore, d’un nouveau progrès, mais ces dispositions et la question très sensible qu’elles concernent, à savoir la reprise d’une entreprise, me poussent à ouvrir une courte parenthèse au sujet de la composition et du fonctionnement des tribunaux de commerce.

Loin de moi l’idée de jeter le doute sur la justice consulaire tout entière, mais je souhaite simplement faire remarquer que l’on ne peut laisser perdurer certaines situations de conflits d’intérêts au sein même de l’institution judiciaire, car, lorsque ces conflits sont avérés, cette juridiction n’est plus à même de jouer équitablement son rôle de régulateur. Néanmoins, je reste convaincue que nous parviendrons à progresser sur la question.

Pour en revenir aux dispositions du texte, l’autre volet important sur lequel je souhaite insister concerne l’actionnariat. Ce texte nous fournit enfin le début de l’indispensable remise en cause d’un modèle face auquel nous restons immobiles depuis des années.

En effet, comme vous le savez, l’évolution qui a commencé à la fin des années soixante-dix, n’a cessé de s’approfondir dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, puis s’est trouvée lancée à pleine vitesse dans les années deux mille, a vu entrer le capitalisme dans sa configuration néolibérale. Pour reprendre l’exposé des motifs, cette période correspond à « trente années durant lesquelles l’économie réelle a été délaissée au profit de la finance ».

Ces trente années ont consacré le primat des actionnaires, dans le but, disaient leurs défenseurs, de faciliter le financement des entreprises et donc leurs investissements. Or nous nous retrouvons aujourd’hui dans la situation contraire : la pression de l’actionnariat met les entreprises sous l’injonction de créer de la valeur, d’augmenter leur rentabilité financière et d’assécher leurs investissements.

C’est pourquoi il était temps de commencer à enrayer le phénomène. L’article 5, renforcé notamment par Mme la rapporteur, va permettre aux actionnaires des sociétés cotées de bénéficier automatiquement d’un droit de vote double pour les actions détenues depuis deux ans. En inversant la logique actuelle, nous franchissons donc un premier pas.

Sur ce point, il ne fallait pas céder face à certains acteurs qui, comme d’habitude, ont étalé leur pessimisme à la vue des changements que nous envisagions. Ainsi, certains banquiers et investisseurs ont pu déclarer dans la presse que cet article était la disposition « la plus grave » de ce texte. Et, mélangeant à peu près tout, ils n’ont pas hésité non plus à parler du « triomphe de l’idéologie de la rente ». Selon eux, cette mesure aura un effet immédiat de perte de valeur pour l’entreprise ; c’est bien la preuve, encore une fois, que la rentabilité financière obsède toujours !

Madame la rapporteur, vous le disiez en commission, cette disposition est extrêmement importante et constituera peut-être une mesure phare de la législature.

La question des offres publiques d’achat, ou OPA, est aussi centrale, mais l’article 4, qui envisageait d’abaisser son seuil de déclenchement obligatoire, n’a malheureusement pu être maintenu.

Comme je l’ai dit précédemment, ce texte contient de bonnes mesures. La loi de séparation et de régulation des activités bancaires était un premier pas, la loi dite « de reconquête de l’économie réelle » en constitue un autre. Toutefois, à mon sens, elle ne sera une bonne loi qu’à la condition d’être le début d’une série de mesures plus fortes que le législateur et le Gouvernement se devront de proposer.

Certes, pour relancer l’activité, il est nécessaire de faire confiance aux différents acteurs économiques de notre pays – nous exprimons régulièrement cette nécessité depuis bientôt deux ans. Du reste, cette confiance doit être réciproque lorsque le législateur envisage de modifier certaines règles, comme c’est le cas actuellement. Le législateur ne doit donc pas avoir peur d’instaurer un début de régulation, quand nos collègues, aujourd’hui dans l’opposition, ne se gênaient pas pour y mettre fin.

Sur ces sujets, nous devrons donc aller encore plus loin et ne pas céder aux sirènes de ceux qui ont organisé la financiarisation excessive de l’économie et en ont profité pendant des années. Aujourd’hui, nous commençons enfin à nous attaquer à cette dérive en proposant des mesures intéressantes et que j’espère efficaces. C’est pourquoi, avec mon groupe, je me prononcerai en faveur du texte ainsi amélioré. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne m’en voudrez pas de m’intéresser particulièrement au rapport pour avis de la commission des lois.

Mais permettez-moi avant tout, monsieur le ministre, de m’étonner du caractère légèrement décalé de la présente proposition de loi. Il a déjà beaucoup été question de cette économie réelle qu’il s’agit de reconquérir, mais aurait-on déjà oublié la loi sur la sécurisation de l’emploi ?

L’essentiel ici réside dans la situation d’établissements dits « rentables » pour lesquels il faut trouver un repreneur.

Sur la forme, je remarque que les initiatives parlementaires présentent l’intérêt, ou plutôt l’inconvénient, de ne pas faire l’objet d’étude d’impact. Dans le cas qui nous occupe, le texte a été examiné par le Conseil d’État, me semble-t-il.

Il n’en demeure pas moins que cette absence d’étude d’impact est problématique sur des sujets aussi complexes que celui-ci, qui soulève des problèmes juridiques multiples en droit des sociétés ou en droit commercial, toutes choses qui ne sont pas banales et méritent un examen approfondi.

Il est très bien d’élaborer des propositions de loi, mais je doute parfois de leur parfaite pertinence et, surtout, de la coordination avec d’autres dispositions votées par ailleurs et qui figurent dans les projets de loi.

Ayant entendu à l’instant le ministre de l’économie et des finances, je dois avouer que l’on peut adhérer à beaucoup des objectifs que présente le Gouvernement - on verra ensuite les modalités ! Cependant, ce qu’annonce le Gouvernement n’a pas grand-chose à voir avec les dispositions prévues dans ce texte.

Mais venons-en précisément au texte, en l’occurrence à son article 1er. Je crois savoir, madame la rapporteur, qu’après avoir, dans un premier temps, balayé les amendements de la commission des lois, la commission des affaires sociales les a acceptés.

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Oui.

M. Jean-Jacques Hyest. C’était tout de même nécessaire !

Si l’objectif est bien d’empêcher la disparition d’établissements rentables, on ne voit pas qui pourrait ne pas y être favorable, du moins à condition que l’on respecte un certain nombre de principes constitutionnels.

Si des offres sont faites, des questions se posent ; par exemple, une offre à très bas prix doit-elle être acceptée obligatoirement ? Non ! Voilà un vrai sujet. C’est pourquoi la commission des lois a laissé au tribunal de commerce la liberté d’apprécier les offres sans encadrer trop ses décisions. La mise en péril de la poursuite de l’ensemble de l’activité de l’entreprise était le seul motif légitime de refus, et cela n’était pas suffisant. Il faut laisser au tribunal de commerce le soin d’examiner in concreto ce qu’il en est.

Je me contenterai de ces remarques sur l’article 1er parce que, ce qui me préoccupe le plus est le bricolage que l’on est en train de faire en matière de droit des sociétés et d’OPA.

Sur le droit des sociétés, je vous le dis : je suis hostile à l’obligation du droit de vote double. Pourquoi ? Je me réfère simplement à une institution experte dans le domaine, l’Autorité des marchés financiers. Or, selon l’AMF, l’application automatique serait, au mieux, sans effet réel significatif et, au pire, pourrait susciter des effets négatifs ou des effets pervers.

Mme Isabelle Debré. C’est exact !

M. Jean-Jacques Hyest. Actuellement, la moitié des sociétés cotées disposent d’un droit de vote double, mais, dans leur cas, c’est volontaire ! Et il ne suffit pas toujours de détenir une action depuis deux ans pour obtenir le droit de vote double, il faut parfois trois ou quatre ans – sur amendement de la commission des lois, le texte de l’article 5 a été modifié dans le sens d’une durée supérieure d’inscription.

Un actionnariat stable ne peut être que profitable aux entreprises, bien entendu. Je rappelle d’ailleurs que d’autres dispositifs existent, telles que la dégressivité de l’imposition des plus-values de cession de titres ou la majoration du dividende au-delà de deux ans – je le sais parfaitement pour avoir rapporté ces dispositions. Attention, monsieur le ministre, il faut tout prendre en compte !

Plusieurs de nos collègues ont tiré la conclusion, s’agissant des entreprises dans lesquelles l’État détient une participation, que le droit de vote double lui permettrait, avec moins de voix, d’avoir autant d’influence, raison pour laquelle il serait incité à vendre une partie de ses participations. Franchement, je n’y avais pas pensé, et si l’argument paraît intéressant, il nous éloigne de l’économie réelle pour nous plonger cette fois dans l’économie bizarre ! (Sourires.)

Mme Catherine Procaccia. C’est un OVNI !

Mme Catherine Deroche. C’est l’économie lunaire…

M. Jean-Jacques Hyest. Mais c’est ainsi que certains voient l’économie ! Ils font leur petit Meccano dans leur coin, et croient pour cela avoir créé de grands ensembles. C’est extraordinaire !

Je pense qu’il faut conserver de la souplesse et se garder de rendre ce droit de vote double obligatoire. D’ailleurs, obligatoire, il ne le sera que faute de décision contraire de l’assemblée générale extraordinaire. Par conséquent, les entreprises qui ne veulent pas de droit de vote double pourront s’y opposer.

Mais, dans tous les cas, je ne vois rien dans cette mesure qui soit susceptible d’attirer les investisseurs. Monsieur le ministre, au vu de la chute des investissements étrangers en France entre 2012 et 2013, il faudrait encourager les investisseurs, au lieu de leur faire craindre l’instauration de dispositifs de cette nature…

Je souhaite enfin aborder la question des offres publiques d’achat, les OPA.

Les OPA sont moins à la mode qu’à une certaine époque, et il y a très peu d’OPA hostiles. Comme on nous l’a expliqué, le droit communautaire les autorise. Cela pose le problème de la neutralisation du conseil d'administration. Je pense qu’il y a un vrai risque de conflits d’intérêts si l’on ne conserve pas le principe de la neutralisation du conseil d'administration.

Il existe des moyens d’éviter les OPA hostiles. La pratique en vigueur depuis vingt-cinq ans ne pose pas de problème. Pourquoi modifier ce qui fonctionne ? C’est tout de même extraordinaire ! On dirait qu’il s’agit de modifier pour modifier. Cela me paraît un peu regrettable. J’aurais souhaité bénéficier d’une expertise plus approfondie, qui repose sur des cas précis montrant les incidences de la levée de la neutralisation.

Là encore, on a simplement voulu faire quelque chose. On peut ne pas être d'accord avec l’article 1er, mais il a au moins un objectif précis, tandis que le reste consiste à bouleverser un peu plus encore le droit des sociétés, qui n’en peuvent mais. On ajoute toute une série de contraintes que l’on met à la charge des entreprises au moment même où le Gouvernement nous annonce la simplification ; un certain nombre de procédures sont d'ailleurs effectivement simplifiées. Cela donne une impression de schizophrénie : un jour, on simplifie, le lendemain, on complexifie !

Mme Isabelle Debré. Où est donc le choc de simplification ?...

M. Jean-Jacques Hyest. Mes chers collègues, nous légiférons trop, nous légiférons mal. Le rythme législatif s’accélère de plus en plus. Je considère que la stabilité du droit, et notamment du droit économique, est certainement plus utile aux entreprises, et donc à l’emploi, que nos bricolages de propositions de loi qui ne durent qu’un temps !

Je suivrai la commission des lois dans son choix de supprimer les articles 5 et 8, sachant que le rapporteur pour avis de la commission des lois a prudemment déposé des amendements de repli, pour éviter le pire.

Cela étant, je ne pourrai pas voter cette proposition de loi, car elle n’est pas à la hauteur de l’ambition qui est la nôtre, mais qui est aussi celle qu’affichent le Président de la République et le Gouvernement, de permettre aux entreprises d’embaucher et d’être compétitives. Je ne partage pas cet état d’esprit selon lequel plus on administre l’économie, plus on résout les problèmes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je vous félicite, mon cher collègue, vous avez, vous, parfaitement respecté votre temps de parole. (Sourires.)

La parole est à M. René Teulade.