Mme Muguette Dini. Ça, c’est dit !

Mme Hélène Lipietz. Certes, et j’en suis bien consciente, les départements sont en faillite…

M. René-Paul Savary. Oui, en faillite !

Mme Hélène Lipietz. … ou, du moins, connaissent de grandes difficultés budgétaires. (M. René-Paul Savary s’exclame.) Mais est-ce la faute des mineurs isolés, notamment étrangers ?

M. Éric Doligé. Ce n’est la faute de personne ; c’est classique…

Mme Hélène Lipietz. Les mineurs étrangers ne viennent pas prendre la place des mineurs de chez nous. Ils ont les mêmes droits : la protection. Et même si je sais qu’il y a parfois des majeurs parmi eux, il suffit qu’il y ait un mineur pour que tout le travail de prise en charge par les départements soit validé !

Il est évident que le poids de la solidarité repose aujourd'hui essentiellement sur les conseils généraux. Les mineurs isolés étrangers doivent être pris non pas comme des boucs émissaires, mais comme un signal d’un problème plus profond pour notre société : qui doit avoir en charge la solidarité ?

Pourtant, dans son rapport fondamental sur les mineurs isolés, notre collègue Isabelle Debré, si elle avait souligné la nécessité de repenser la prise en charge financière de ces mineurs, avait avant tout mis l’accent sur leur accompagnement vers la vie d’adulte, comme pour tous les mineurs.

Les écologistes espèrent et attendent depuis mai 2012 une grande loi d’accueil des étrangers, digne de la République française. Nous n’avons, hélas ! ici qu’une proposition de loi qui déforme à la fois le rapport Debré et, plus grave encore, la convention de New York sans apporter à ce problème profondément humain, profondément fraternel de réponse autre que financière ou policière, à travers un fichage.

Nous ne pouvons donc pas, nous, les écologistes, voter un texte qui oublie de traiter un certain nombre de points. Je pense à la validité des actes d’état civil étrangers. En effet, ces jeunes viennent souvent avec des actes d’état civil étrangers. Et, contrairement à ce qui est affirmé dans le code civil, nous refusons parfois leur validité, qui devrait dès l’origine être considérée comme telle, ou l’établissement d’un titre d’identité provisoire en cas de doute, parce qu’il peut y avoir doute.

Pourtant, combien de jeunes sont considérés comme majeurs au titre de l’aide sociale à l’enfance et comme mineurs par OFPRA, ce dernier estimant que les actes d’état civil font foi de leur minorité ? C’est un véritable problème, et il n’est pas traité ici.

Rien n’est dit non plus dans cette proposition de loi sur les problèmes de la représentation légale dès sa prise en charge initiale, et pas simplement la nomination d’un administrateur ad hoc. Une représentation légale et une prise en charge complètes par un référent parental sont nécessaires.

Rien n’est dit de l’errance dans les rues des presque majeurs, qui ne relèvent plus de l’obligation scolaire et qui sont parfois, pardonnez-moi l’expression, « stockés » dans des hôtels.

Rien n’est dit de la condamnation du test osseux pour la détermination de l’âge et de toutes les difficultés – elles sont réelles – qu’il va falloir prendre à bras-le-corps pour déterminer l’âge par d’autres moyens, sujet extrêmement compliqué.

Rien n’est dit de la protection de leur santé.

Rien n’est dit de la protection contre les passeurs. Je l’ai indiqué, certains sont effectivement victimes de passeurs, voire de traite. Je pense notamment aux filles. Au mois de décembre, lorsque j’ai examiné le projet de loi de finances en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, j’ai entendu des associations me dire que beaucoup de mineurs isolés étaient arrivés en France sans venir sonner à la porte de l’aide sociale à l’enfance. C’est en particulier vrai des filles, parce qu’elles étaient exploitées dans des réseaux de prostitution.

Surtout, rien n’est dit dans cette proposition de loi de la reconnaissance de la réalité de l’insertion, malgré un parcours chaotique, d’enfants devenus adultes dans un monde dont ils ne connaissent pas encore les codes et de l’attribution du titre de séjour prévu à l’article L. 313–15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Et l’immense progrès que constitue cet article a été permis grâce au rapport de Mme Isabelle Debré, à laquelle je tiens publiquement ici à dire « merci » au nom de ces étrangers qu’elle a regardés d’abord comme des jeunes. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. Christian Favier et Jacky Le Menn applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à ce stade de la discussion générale, il y a au moins, me semble-t-il, un acquis.

Nous pouvons faire l’économie d’un débat sur le fait de savoir si la France a, oui ou non, des obligations à l’égard des enfants sans famille, quelle que soit leur nationalité, présents sur son territoire. À l’évidence, elle a une obligation morale, et elle n’a d’ailleurs pas attendu la convention relative aux droits de l’enfant pour l’assumer. Nous pouvons donc laisser une telle question de côté. À l’instar de ce que nous avions constaté pour le vote de la loi de mars 2007, il y aura, je le crois, unanimité pour considérer que nous ne pouvons pas laisser sans protection des enfants sans famille.

Toutefois, ce préalable posé, nous n’avons pas tranché sur tous les sujets. Car rien dans mes propos ne postule qu’il appartient nécessairement aux départements d’assumer la prise en charge d’enfants étrangers sans famille en situation irrégulière sur notre territoire. Et le lien juridique que l’on est parfois tenté d’établir entre la convention et les modes d’organisation de la protection de l’enfance me paraît très abusif.

Nous sommes confrontés à une réalité que constatent des départements de gauche, de droite ou du centre. D’ailleurs, les premiers à la relever ont été la Seine-Saint-Denis, dont le président a suspendu par arrêté en 2011 l’accueil par ses services des enfants étrangers sans famille, puis Paris. D’autres départements ont suivi.

Certes, le problème ne se posait peut-être pas avec une telle acuité avant la signature du protocole d’accord entre l’État et l’Assemblée des départements de France et la publication de votre circulaire, madame le garde des sceaux.

Or, aujourd'hui, ce problème, qui était concentré sur certains points du territoire, prend une ampleur nationale.

Madame le garde des sceaux, la tribune d’où j’ai souhaité m’exprimer cet après-midi est celle de l’une des deux assemblées du Parlement français, et non celle de l’assemblée des collectivités, comme vous l’avez dit, même si je sais que c’était en toute innocence de votre part.

M. Éric Doligé. Elle voulait faire plaisir !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en suis mal récompensée ! (Sourires.)

M. Philippe Bas. Pour ce qui me concerne, je souhaite souligner que nous sommes en présence d’un véritable afflux, et que le mouvement s’amplifie. Vous avez eu l’objectivité et l’honnêteté – je vous en remercie – de rappeler les chiffres, la différence entre les estimations de départ, les réalités constatées et les projections que l’on peut faire. Cependant, lorsque l’on passe de 1 500 à 4 000 nouveaux arrivants sur une année, on peut très sérieusement s’interroger sur l’existence d’un tel afflux, qui peut même être qualifié d’explosion, ce qui est évidemment de nature à nous inquiéter.

Me souvenant de l’adoption de la loi de 2007, bien sûr, mais surtout constatant les difficultés de sa mise en œuvre en tant qu’acteur dans un conseil général, je rappelle que ce texte, contrairement à ce qui a été parfois avancé, ne tranche nullement la question de savoir s’il revient à l’État ou aux départements de prendre en charge ces enfants étrangers sans famille. On cite le rapporteur de l’Assemblée nationale sur cette loi, mais elle regrette justement que ce point ne soit pas traité. C’est donc bien que le texte ne le traite pas !

Quant à l’amendement de Mme Adam auquel vous avez fait référence tout à l’heure, madame le garde des sceaux, précisément, s’il a été adopté, c’est qu’il ne prévoit pas que la charge revient aux conseils généraux. Il précise simplement ce que la Convention internationale des droits de l’enfant établit déjà, à savoir que nous avons une obligation à l’égard de ces enfants, ce que personne, je le redis avec force, ne vient contester ici !

La loi de 2007, pour tous ceux qui sont chargés de la mettre en œuvre, c’est de l’orfèvrerie, c’est une mécanique sensible et délicate, avec des équilibres précaires. Quand on me dit que ces enfants étrangers sans famille ne sont pas vraiment un problème parce qu’ils ne représentent que 4 % ou 5 % des mineurs pris en charge, sous-entendu, les départements crient avant d’avoir mal et peuvent assumer la dépense, je m’inscris en faux contre un tel raisonnement, car il méconnaît la réalité des politiques de l’enfance dans les départements.

Depuis sept ans, dans les départements, nous essayons le plus possible de redéployer nos actions de placement en famille d’accueil ou en établissement vers un accompagnement intensif en milieu ouvert. Pour les mêmes dépenses de personnel, un accompagnement intensif en milieu ouvert permet la prise en charge de cinq enfants là où l’on ne pouvait en accompagner qu’un en hébergement. Un supplément de 5 % d’enfants, si tous sont pris en charge en hébergement, représente en réalité un accroissement de charge tout à fait considérable pour les départements !

Je souhaite vous sensibiliser à cet aspect de la question, qui est pour nous un sujet de vive préoccupation. Ce n’est pas seulement une affaire de crédits – même si cette difficulté se pose avec acuité –, c’est aussi un problème de disponibilité matérielle des hébergements et des familles d’accueil. Il ne suffit pas d’un claquement de doigts pour trouver un moyen d’assumer la prise en charge de ces enfants sur une durée plus ou moins longue.

Cette situation présente donc un risque de désorganisation des politiques de l’enfance dans les départements. Si nous voulons assumer correctement ces politiques de l’enfance, nous ne pouvons pas l’accepter, madame le garde des sceaux. Aussi, c’est bien au nom de l’intérêt des enfants en général, sans opposer les enfants étrangers aux enfants français, que nous vous répondons que la solution que vous mettez en œuvre, en accord avec l’Assemblée des départements de France, n’est pas la bonne. Il est possible qu’elle desserre l’étau temporairement sur certains départements, mais elle aura surtout pour effet de diffuser le problème sur l’ensemble du territoire national, alors qu’il se posait seulement sur une partie de celui-ci.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est la solidarité !

M. Philippe Bas. C’est donc avec une très vive inquiétude que je m’exprime cet après-midi devant notre assemblée pour vous alerter : il est nécessaire de changer d’approche et d’aborder la question de manière totalement différente.

Vous êtes libre de le faire sur le plan juridique, car l’argument selon lequel nous serions obligés de prendre en charge tous les enfants avec le même mode d’organisation sous prétexte qu’ils ont droit à la même protection est un argument qui ne tient pas la route.

Nous devons prendre le problème à bras-le-corps et amorcer une évolution profonde de la prise en charge de ces enfants.

C’est la raison pour laquelle je soutiens la proposition de loi de notre collègue Jean Arthuis. Ce texte me semble indispensable. D’ailleurs, nul ne conteste, en général, dans le débat, quels que soient les différents points de vue, la nécessité d’une prise en charge très forte de ce problème par l’État, d’autant que le Fonds national de financement de la protection de l’enfance, créé en 2007, n’a jamais été suffisamment doté. Le gouvernement auquel vous appartenez, madame, s’honorerait à faire mieux que ses prédécesseurs immédiats (Mme Muguette Dini sourit.) en dotant ce fonds des moyens nécessaires pour mettre en œuvre la réforme de la protection de l’enfance (M. René-Paul Savary applaudit.) et permettre d’assumer la charge très lourde des mineurs étrangers, sans désorganiser la politique de protection de l’enfance ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi prend la suite de nombreux rapports déjà cités : le rapport réalisé par le préfet Bertrand Landrieu, celui de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, en 2005 et celui de notre collègue Isabelle Debré. Ce texte ne procède donc pas d’une initiative isolée ni du hasard, il est le fruit d’un travail de longue haleine.

Ce sujet n’est pas nouveau, le phénomène est connu et a été largement analysé. Nous estimons qu’il est temps d’agir, de le faire en modifiant la loi car le système actuel ne fonctionne plus et, dans certains départements, il est pratiquement asphyxié.

Avec cette proposition de loi, nous nous faisons les porte-parole d’une situation préoccupante. Sur le terrain, tous les acteurs savent que les filières d’immigration clandestine se développent. Dans la plupart des départements, tous les jeunes que nous rencontrons ont le même parcours : ils arrivent à Roissy sans papiers, ils sont livrés à eux-mêmes ou suivent l’adresse que leur a donnée leur passeur.

Car ces mineurs sont souvent, n’ayons pas peur de le dire, exploités par des mafias. Lorsque notre collègue Alain Richard a soulevé ce point en commission, certains membres de la commission ont été outrés : mais c’est pourtant une réalité ! Bien sûr, il ne faut pas généraliser, mais nier que « ces circuits correspondent à ce que le droit pénal appelle du trafic de personnes humaines », pour reprendre les propos d’Alain Richard, c’est refuser la réalité. N’encourageons pas le phénomène : cela nuirait à la cohésion sociale de notre pays et porterait préjudice avant tout à ces jeunes eux-mêmes.

L’accroissement du nombre des mineurs isolés étrangers place les services d’aide sociale à l’enfance dans une situation préoccupante. Je profite de cette intervention pour saluer le travail réalisé par ces personnels : ils sont dévoués et compétents,…

M. René Vandierendonck, rapporteur. C’est vrai !

M. Yves Détraigne. … mais finissent aujourd’hui par être dépassés par la situation, contraints qu’ils sont de prendre en charge des jeunes d’âge incertain, déracinés du fait de leur parcours tragique. Dans les foyers règne parfois la confusion la plus totale : rixes, grèves du personnel, etc. Cette proposition de loi est donc l’occasion de faire remonter, si je puis dire, un ras-le-bol, et vise à faire cesser les débordements.

Il ne faut pas aborder cette problématique comme un simple problème financier, qui ne concernerait que les présidents de conseil général. L’enjeu, c’est celui de la répartition des compétences et des responsabilités : responsabilité de l’entrée sur le territoire national, responsabilité de la détermination de l’état de minorité de ces jeunes, responsabilité de l’accueil et de leur prise en charge.

Notre devoir de législateur est de nous emparer de ce problème pour apporter des solutions pragmatiques et efficaces, car le statu quo n’est plus tenable.

Votre circulaire de mai 2013, madame la garde des sceaux, n’a pas réglé tous les problèmes. Nous pensons que la répartition de ces jeunes entre départements n’est pas la solution. J’ai conscience que cette idée n’est pas la vôtre, mais qu’elle est celle de votre prédécesseur. Sauf qu’à l’époque il ne s’agissait que d’expérimenter un dispositif, et ce uniquement sur certains territoires. L’expérience montre aujourd’hui que cette méthode n’est pas la bonne et qu’il faut chercher d’autres solutions.

Certes, le texte que nous examinons aujourd'hui est probablement imparfait, mais nous devons engager la discussion dès à présent. La navette parlementaire est d’ailleurs là pour nous permettre d’aboutir à un texte solide et, je l’espère, rapidement applicable.

Je connais les qualités du rapporteur et je salue le travail important qu’il a réalisé, mais un renvoi en commission n’est certainement pas la bonne solution.

Ce sujet étant difficile et propice à l’accumulation de non-dits, l’examen de ce texte est l’occasion d’énoncer clairement les choses. Il faut donc aborder le fond du texte, ouvrir réellement le débat au-delà de la seule discussion générale.

Le nombre de mineurs isolés qui arrivent sur notre territoire augmente dans des proportions difficiles à quantifier. Que ce soit l’État ou le département qui prenne en mains ce dossier, les établissements d’accueil sont les mêmes : ceux-ci ont d’ailleurs souvent déjà une double habilitation et une double tarification. Dans plusieurs départements, ils sont systématiquement pleins, et les conseils généraux sont obligés de louer des hôtels – ce point a été souligné en commission – pour que ces jeunes aient un hébergement et de quoi manger.

La question de la responsabilité est double : il y a le financement – le fonds de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, ne suffira certainement pas – et sa répartition, qui renvoie à la péréquation. Nous avons voté récemment la création de deux fonds de péréquation : que n’en avons-nous profité pour régler ce problème !

Au fond, la question est simple : qui autorise l’arrivée sur notre territoire de ces mineurs et leur permet d’y rester ? C’est l’État !

M. Yves Détraigne. Il est vrai qu’il ne peut renvoyer des mineurs. Mais le plus souvent, la difficulté réside précisément dans la détermination de leur état de minorité. Ils savent dire « mineur » dans notre langue et nous sommes incapables, faute de preuves, de leur répondre « majeur » ! Les travailleurs sociaux sont à l’œuvre, mais n’en savent pas plus que nous.

La question financière existe bien, donc, mais n’est pas essentielle : il ne s’agit pas en réalité de sommes astronomiques pour les départements.

L’autre question de fond est : qui est responsable de la présence de ces jeunes sur notre territoire ? Les conventions internationales lient l’État, elles ne lient pas les collectivités territoriales. Celui-ci ne peut donc être absent. Il doit, par exemple, se charger de vérifier l’âge de ces personnes.

Je dirai quelques mots, enfin, sur l’article 40 de la Constitution. Nous connaissons tous, chers collègues, cet article, et l’auteur de la présente proposition de loi, ancien président de la commission des finances, le connaît mieux que quiconque ! J’ai cru comprendre que le Gouvernement envisagerait de nous opposer l’article 40… J’espère qu’il ne s’agit que d’une rumeur. J’ose croire, madame la garde des sceaux, que vous n’utiliserez pas cet article pour tenter d’échapper à un débat de fond qui est nécessaire. Je l’ai dit voilà quelques instants : notre proposition de loi n’est pas parfaite et nous sommes donc tout à fait ouverts au débat. Certains articles peuvent paraître inadaptés ou mal rédigés, mais le droit d’amendement et la navette sont là pour rectifier ces défauts.

Certes, sur la forme, l’adoption de cette proposition de loi engendrerait une aggravation de la charge publique. Mais soyons honnêtes, nous savons tous que c’est le cas de plus de 90 % des textes déposés par les parlementaires. Autrement dit, invoquer l’article 40 dans ces conditions serait, si j’ose dire, relativement hypocrite et, surtout, constituerait un bien mauvais geste à l’égard de notre groupe, et du Sénat en général. Est-ce à dire que ce serait une nouvelle jurisprudence en matière d’application de l’article 40 aux propositions de loi ? Si tel était le cas, nous saurions le rappeler à l’avenir...

Laissons donc le débat se poursuivre, madame la garde des sceaux, et nous verrons bien ce que décidera la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je regrette tout d’abord que sur un sujet de cette importance, qui concerne les conseils généraux, si peu de présidents de département soient présents cet après-midi dans l’hémicycle :…

M. Éric Doligé. Les meilleurs sont présents !

M. René-Paul Savary. Votre remarque vaut surtout pour les travées de gauche, monsieur Favier !

M. Philippe Bas. Regardez plutôt là ! (M. Philippe Bas désigne les travées de la gauche de l’hémicycle.)

M. Christian Favier. … notre assemblée en compte pourtant plus d’une trentaine, or je n’ai cru en reconnaître que cinq ou six !

Selon les chiffres de la protection judiciaire de la jeunesse, entre 8 000 et 9 000 mineurs isolés étrangers sont pris en charge par les départements au titre de leur mission de protection de l’enfance et de la jeunesse, et, pour ma part, je m’honore que notre pays assume pleinement ce devoir de solidarité.

Dans mon propre département, le Val-de-Marne, la prise en charge des 278 mineurs isolés étrangers qui y ont été dénombrés représente un coût global annuel de 16 millions d’euros, soit 18 % du budget total de l’aide sociale à l’enfance du département. Évidemment, pour un département qui fait face à des difficultés financières, il s’agit là d’une charge non négligeable.

Malgré ces difficultés, il faut souligner que de nombreux départements ont déployé des efforts notables pour développer une prise en charge adaptée ; il faut rappeler aussi que 8 000 mineurs isolés ne représentent que 4 % des enfants protégés par des mesures d’assistance éducative. Si cet effectif de 4 % ne semble a priori pas de nature à menacer le bon fonctionnement des services d’aide sociale à l’enfance, les difficultés financières globales rencontrées dans les départements conduisent certains à chercher des boucs émissaires. Et nous savons tous que ces jeunes immigrés sont des cibles faciles pour tous ceux qui n’hésitent pas, en période électorale, à tenir des propos populistes et démagogiques, frisant parfois la xénophobie.

Au vu des difficultés rencontrées par les départements, le texte qui nous est soumis prévoit le transfert à l’État des charges relatives aux mineurs isolés étrangers, sortant ainsi ces enfants du dispositif de droit commun sous le seul prétexte qu’ils sont de nationalité étrangère, oubliant au passage que la France est signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant.

On s’interroge sur la pertinence de la solution retenue dans cette proposition de loi, qui, en filigrane, par une interprétation erronée des normes internationales, ne fait qu’opérer un glissement de la protection de l’enfance vers le contrôle migratoire.

En effet, je ne ferai pas l’affront à mes collègues de leur rappeler qu’il y a une différence non négligeable entre des personnes étrangères et des personnes en situation irrégulière. Les mineurs isolés étrangers ne sont pas en « situation irrégulière » sur le territoire français, contrairement à ce qui est affirmé dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.

Ainsi, à moins d’opérer au sein des mineurs en difficulté une distinction plus que contestable entre les nationaux et les non-nationaux, notre législation doit prévoir des dispositions communes applicables à l’ensemble des mineurs en difficultés. Le Défenseur des droits a récemment rappelé que les mineurs isolés étrangers devaient « être considérés comme des enfants, bénéficiant à ce titre de la protection prévue par les dispositions nationales et internationales applicables à cette population particulièrement vulnérable, avant d’être appréhendés comme étant de nationalité étrangère ».

Une fois la question de la compétence résolue, la proposition de loi nous amène néanmoins à nous interroger sur une problématique réelle. La question n’est pas de savoir comment exclure, elle est de savoir comment donner les moyens aux départements d’assumer seuls une charge très lourde en termes financiers, en termes de mobilisation du personnel socio-éducatif et de place dans les structures d’accueil.

La récente circulaire du ministère de la justice relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers opère une première avancée en accordant une contribution financière forfaitaire de l’État à la procédure d’évaluation des mineurs isolés étrangers limitée à cinq jours. En soulignant la responsabilité exclusive de l’État dans la procédure de vérification de la minorité du jeune, la circulaire apporte un éclaircissement attendu, notamment par les travailleurs sociaux, qui avaient largement exprimé leur préoccupation sur le fait qu’ils n’étaient pas eux-mêmes compétents pour procéder à cette vérification de minorité.

Ces cinq jours sont un début, certainement encore insuffisant, mais d’autres pistes peuvent être suivies pour aider les départements.

L’État pourrait améliorer son intervention en apportant par exemple un soutien à travers la mise en œuvre de formations adéquates accessibles aux professionnels de la protection de l’enfance et une meilleure mutualisation des compétences.

Une autre contribution étatique peut concerner l’accès au titre de séjour des jeunes étrangers à leur majorité. Depuis 2003, le personnel éducatif prend en charge l’accompagnement des mineurs isolés étrangers pour la préparation des dossiers de demande de titre de séjour ou de demande d’asile.

Sur ce point, nous rappellerons également la recommandation formulée par le Défenseur des droits en décembre 2012 : « Lorsque ce travail est mené à bien au prix d’un investissement humain et financier important des conseils généraux, que ces jeunes se sont inscrits dans un réel parcours d’intégration et qu’ils souhaitent rester sur le territoire national une fois sa majorité acquise, […] leurs demandes de titre de séjour doivent être examinées avec bienveillance. »

Face aux difficultés budgétaires rencontrées par les conseils généraux, et que personne évidemment ne nie, je crois, chers collègues, qu’il serait plus judicieux d’exiger du Gouvernement le respect des engagements pris par le Président de la République en octobre 2012 pour la compensation intégrale et pérenne des allocations individuelles de solidarité, telles que le revenu de solidarité active, le RSA, la prestation compensatoire du handicap, la PCH, ou l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, plutôt que de se focaliser sur ce volet très spécifique des mineurs isolés étrangers.

Vous le voyez, mes chers collègues, plutôt que l’exclusion ou la stigmatisation, d’autres moyens d’action existent.

En conséquence, le groupe CRC votera contre cette proposition de loi, qui réduit la problématique des mineurs isolés à une simple question de nationalité et ignore nos principes républicains d’égalité, de fraternité, de prise en charge des enfants qui nous sont confiés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.