M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l'égalité des territoires et du logement, chargé de la ville. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici quasiment parvenus au terme du processus législatif devant conduire à l’adoption de ce projet de loi. Conscient de la charge de travail du Sénat, je vais m’efforcer d’être bref.

Je n’ai pas été surpris du vote de la commission mixte paritaire, dont je me félicite, cette réforme d’ampleur de la politique de la ville étant le fruit d’une longue élaboration à laquelle a participé une association que vous connaissez bien, monsieur le rapporteur, l’association des maires Ville et banlieue de France.

Nombre des éléments importants de cette réforme figuraient déjà dans les propositions de ceux qui connaissent le mieux le terrain : les maires et les présidents d’intercommunalités.

Tout au long de ce processus, nous avons su non seulement ne pas renoncer à nos objectifs, mais aussi nous montrer capables d’enrichir le texte à chacune des étapes, qu’il s’agisse de la grande concertation, des travaux menés avec l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat ou du travail parlementaire lui-même, en commission comme en séance publique.

Vous l’avez souligné à plusieurs reprises, monsieur le rapporteur, il était fondamental que nous puissions réaliser ce que beaucoup avaient souhaité sans jamais y parvenir, à savoir une véritable réforme de la géographie prioritaire laquelle, dorénavant, reposera sur le fameux critère unique de la concentration de pauvreté.

Quels que soient mes successeurs à la tête du ministère de la ville, quelles que soient les majorités dans chacune des chambres, ce critère unique – donc objectif, lisible et transparent – nous permettra de disposer d’une base solide pour réviser cette géographie prioritaire dans un climat apaisé.

Il nous fallait également – ce n’était pas forcément évident – finir de sécuriser financièrement le premier programme national de rénovation urbaine, tout en permettant la montée en puissance, sans attendre, d’un nouveau programme cette fois de renouvellement urbain, sur les dix prochaines années, afin de nous attaquer aux quartiers nécessitant une restructuration lourde tout en menant à bien le premier programme national. Je crois que nous y arriverons avec ce texte : l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, sera dotée de 5 milliards d’euros, lesquels permettront de lever vingt autres milliards.

Avec ce projet de loi, et c’est peut-être cela le plus important, nous disposons du cadre et des outils pour mobiliser l’ensemble des politiques publiques, ce qui aura un effet majeur. Telle était du reste l’analyse de la Cour des comptes dans son rapport public thématique de juillet 2012 sur la politique de la ville.

Personne ne sait ce qu’il serait advenu de ces quartiers sans la politique de la ville, mais nous savons qu’elle ne sera pleinement efficace qu’en exerçant un effet de levier sur l’ensemble des politiques publiques. L’enjeu résidera donc dans notre capacité à mobiliser non seulement le Gouvernement à l’échelle nationale – j’ai entière confiance à cet égard, le Gouvernement ayant déjà commencé à agir –, mais aussi et surtout les acteurs de terrain dans le cadre des futurs contrats de ville globaux à l’échelle intercommunale – c’est-à-dire un territoire plus vaste que celui du quartier –, qu’il s’agisse des représentants du monde associatif, des élus ou des professionnels, bref, tous les acteurs des politiques publiques.

Je voudrais enfin vous remercier une nouvelle fois, monsieur le rapporteur, pour le travail engagé en commun depuis des mois sur ce projet de loi. Je tiens également à remercier l’ensemble des sénateurs pour leur participation et la qualité des débats et des échanges qui nous ont permis d’aboutir à un texte équilibré sans avoir sacrifié aucun de nos objectifs.

L’ancien parlementaire que je suis n’en doutait pas, mais je me félicite une fois de plus que le Sénat ait été un acteur engagé dans l’élaboration de cette réforme. (Applaudissements.)

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Il faut dire plus souvent que le Sénat joue son rôle !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai eu l’occasion de le dire en première lecture, s’il y a un domaine où une réforme était attendue, c’est bien celui de la politique des quartiers populaires. Cette réforme, vous l’avez faite, monsieur le ministre.

Dix ans après la loi du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, le texte qui nous est soumis marque la volonté du Gouvernement d’engager une nouvelle étape de la politique de la ville, surtout en direction des quartiers défavorisés.

Je ne vais pas résumer les grands axes de cette loi, tout le monde les connaît. Je vais seulement saluer le travail de nos deux rapporteurs ainsi que votre ouverture, monsieur le ministre, laquelle a permis une véritable coconstruction dans l’élaboration de ce projet de loi.

Nous nous réjouissons que l’article 1er reprenne la rédaction issue du Sénat, notamment parce que – grâce aux amendements déposés par les groupes de la majorité – le rôle et la place des habitants dans la définition et la mise en œuvre de la politique de la ville y sont reconnus dès l’alinéa 1.

Le groupe écologiste avait également défendu l’idée que le droit à un environnement sain et de qualité soit reconnu par la loi. Les objectifs environnementaux, au même titre que les objectifs sociaux, sont essentiels pour assurer le bien-être et l’amélioration des conditions de vie des habitants et doivent donc évidemment être pris en compte par la politique de la ville. Nous sommes satisfaits d’avoir été rejoints sur ce sujet par le rapporteur, Claude Dilain.

Toutefois, les propositions écologistes n’ont pas toutes été entendues et je veux revenir ici sur l’histoire de l’amendement n° 63, qui visait à améliorer le droit pénal pour rendre plus effectives les dispositions de lutte contre les discriminations en prohibant de manière explicite l’exercice abusif du droit de préemption pour des motifs discriminatoires.

Originellement conçu comme un outil permettant aux maires de défendre des projets de développement immobilier précis sur le sol de leurs communes, le droit de préemption a parfois été perverti, comme vous le savez. Il s’agissait donc de rappeler avec force qu’il n’est pas acceptable que ce droit soit utilisé à des fins discriminatoires, notamment pour des motifs ethniques ou raciaux, et qu’il est de la responsabilité du législateur de mettre fin à ces pratiques.

L’adoption de cet amendement aurait permis aux sénateurs de franchir un nouveau cap en matière de lutte contre les discriminations, alors même que vient d’être présentée la feuille de route pour la politique d’égalité républicaine et d’intégration.

Hélas, malgré le soutien du Gouvernement, le Sénat a rejeté cette proposition et s’est privé de l’occasion qu’il avait d’envoyer un signal fort à l’ensemble de nos concitoyens, notamment de ceux des quartiers populaires qui font bien souvent l’amère expérience de la discrimination.

Réjouissons-nous toutefois que le présent projet de loi ne soit pas totalement dénué de dispositions en matière de discrimination : l’article 10 A, issu d’un amendement du député socialiste Daniel Goldberg, introduit un nouveau critère de discrimination en fonction du lieu de résidence. On le sait, les habitants des quartiers populaires sont souvent discriminés, notamment en matière d’emploi, en raison de leur lieu de résidence ou de leur code postal. L’inscription dans la loi de ce vingtième critère de discrimination constitue sans aucun doute un nouveau pas vers l’égalité.

Je conclurai sur cette note optimiste et, même s’il aurait souhaité un texte encore plus ambitieux, le groupe écologiste se félicite de ce travail commun qui a abouti à un texte équilibré auquel il apportera tout son soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bécot.

M. Michel Bécot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi consacré à la politique de la ville s’inscrit dans une œuvre législative déjà bien fournie et à laquelle toutes les majorités ont participé.

Les politiques de la ville et de la rénovation urbaine constituent deux problématiques essentielles pour l’avenir de notre société. Comme nous le savons, elles ne peuvent à elles seules régler le problème essentiel des quartiers, celui du chômage. Elles ont toutefois montré la voie et donné l’élan indispensable.

Dans cet esprit, la précédente majorité a réalisé le plus grand nombre de rénovations urbaines jamais entreprises dans notre pays et mené une politique courageuse et volontaire permettant au plus grand nombre de territoires d’accéder à des outils et des crédits.

Nous connaissons tous la source des difficultés chroniques que nous rencontrons : la construction de grands ensembles, ceux-là même qui apparaissaient à l’époque comme un progrès et qui relevaient alors de l’urgence.

La greffe de ces grands ensembles sur le reste de la ville n’a jamais pris, elle ne le pouvait pas ! Car un quartier, si récent soit-il, doit toujours s’inscrire dans une histoire qu’il partagera avec le reste de la ville.

Cette prise de conscience n’est pas nouvelle. Déjà, en 1982, étaient créées les conventions de développement social des quartiers.

L’acte fondateur des politiques de la ville reste la loi du 1er août 2003 pour la ville et la rénovation urbaine, qui mit en place le programme national pour la rénovation urbaine, le PNRU. Certes, les considérations budgétaires ne sont pas l’unique critère d’évaluation d’une politique publique, mais force est de constater que les précédents gouvernements se sont donné les moyens de leurs ambitions.

Des moyens ont donc été mis à disposition et une politique publique forte a été mise en place pour s’attaquer à la réhabilitation des quartiers défavorisés. Nous devons tirer aujourd’hui des enseignements de ces dix dernières années.

Premier enseignement, la réhabilitation des quartiers doit se réaliser dans un contexte déjà favorable et avec un niveau minimal de sécurité. En effet, les rares échecs de réhabilitation ont été constatés là où les quartiers réhabilités n’étaient pas suffisamment sécurisés et où, par conséquent, cette réhabilitation n’avait pas suffi à sortir le quartier de l’isolement.

Deuxième enseignement, si le dialogue entre les acteurs fonctionne bien, alors, de cette relation, naîtront des réhabilitations très largement réussies. L’État, les collectivités, les agences de l’État, les investisseurs, les habitants, tous ces acteurs ont des intérêts communs, et ils le savent.

Enfin, troisième et dernier enseignement des dix ans qui se sont écoulés, nous sommes arrivés à maturité en ce qui concerne les réhabilitations.

En conclusion, c’est surtout l’intégration économique de ces quartiers qui devra désormais mobiliser notre attention. Pour ces raisons, je ferai un examen critique de l’article 1er.

La politique de la ville nécessite des moyens et exige que les acteurs chargés de mettre ses moyens en œuvre soient dans les meilleures dispositions.

La politique de la ville doit se recentrer sur un objectif simple et, surtout, quantifiable : celui de la réhabilitation de ces quartiers, que cela soit à travers des démolitions-productions ou des réhabilitations.

À l’article 2, sans grande surprise, mais avec satisfaction, nous constatons la prolongation pour deux années supplémentaires du programme national de rénovation urbaine et la création du programme national de renouvellement urbain qui, jusqu’en 2024, prendra la place de l’ancien PNRU.

L’article 2 dispose que les moyens de l’ANRU atteindront 5 milliards d’euros pour la période allant de 2014 à 2024, soit une durée identique à celle du premier programme national pour la rénovation urbaine, pour lequel avaient été prévus 12 milliards d’euros.

M. Claude Dilain, rapporteur. Non ! Seulement 2,5 milliards d’euros !

M. Michel Bécot. Sur le fond, nous comprenons que le contexte budgétaire se prête à un relatif désengagement de l’État. Mais, dans ce cas, vous auriez gagné en crédibilité en modérant vos propos sur l’action de la précédente majorité…

En ce qui concerne la géographie prioritaire, l’article 4 du projet de loi de programmation va substituer des quartiers prioritaires aux zones urbaines sensibles, aux zones de redynamisation urbaine et aux quartiers sous contrat urbain de cohésion sociale. Cette disposition manifeste une évidente volonté de simplifier et d’éviter l’empilement des dispositifs.

Le dispositif de veille active prévu par l’article 9 bis pour les quartiers qui sortiront de la géographie prioritaire de la politique de la ville va également dans le bon sens ; cette mesure était nécessaire et nous sommes satisfaits qu’elle figure dans le présent projet de loi.

Nous regrettons simplement que le législateur ne soit pas en mesure d’examiner le projet de loi de programmation avec toute la rigueur qui convient, étant donné que les modalités d’identification de ces quartiers seront fixées par décret et ne seront connues qu’une fois la concertation achevée.

M. François Lamy, ministre délégué. La fameuse liste !

M. Michel Bécot. Le ciblage, nous pourrions en discuter des heures durant ; fondamentalement, nous ne nous opposons pas à celui-ci, qui reste assez large, compte tenu de la baisse des financements.

Pour ce qui est des critères, les quartiers prioritaires de la politique de la ville devront compter un nombre minimal d’habitants et présenter un certain écart de développement économique et social, apprécié en termes de revenu par habitant. Nous nous étonnons que les critères prévus soient aussi peu nombreux et que la présence de grands ensembles n’ait pas été retenue à ce titre.

Quant aux contrats de ville, leur mise en place à l’échelle intercommunale mérite d’autant plus débat que le projet de loi de programmation prévoit un régime dérogatoire pour les contrats de ville de l’Île-de-France, et peut-être pour ceux de toutes les métropoles.

Enfin, un conseil citoyen est prévu pour associer les habitants à l’élaboration et à la mise en œuvre des contrats de ville. À cet égard, nous invitons à la prudence sur une association excessive des habitants qui, de fait, pour des raisons que nous comprenons, ne sont pas toujours enthousiastes à l’idée d’une réhabilitation, alors que les mêmes sont très satisfaits une fois le projet mené à bien.

En définitive, malgré les motifs de satisfaction que je viens d’énumérer, le groupe UMP s’oriente vers l’abstention. En effet, même si le projet de loi de programmation nous semble comporter parfois de bonnes mesures, deux raisons fondamentales nous empêchent de le voter.

D’abord, il nous est impossible de cautionner de quelque manière que ce soit un projet de loi de programmation dont l’un des principaux éléments – la liste des quartiers prioritaires – demeure inconnu.

Ensuite, monsieur le ministre, nous déplorons le bavardage incessant qui entache votre projet loi, notamment son article 1er. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Je n’ai pas voulu le faire observer en commençant, mais je ne pouvais pas conclure sans l’avoir signalé. (M. le rapporteur rit.) Le même bavardage sur les outils et les objectifs de la politique de la ville caractérise aussi les dispositions relatives à l’association des habitants, à nos yeux excessive et fondée sur des structures qui se superposent.

Pour ces raisons, et même s’il reconnaît de véritables efforts de simplification, le groupe UMP s’abstiendra. Je n’en tiens pas moins à remercier, pour leur écoute, M. le rapporteur et M. le président de la commission des affaires économiques, et pour leur travail l’ensemble des fonctionnaires de la commission. (Applaudissements au banc des commissions, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Si les débats pouvaient être toujours aussi apaisés !

Mme Mireille Schurch. Ne rêvons pas ! Et ce serait peut-être mauvais signe…

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous savons tous que, dans la conduite des politiques publiques, l’enfer est le plus souvent pavé de bonnes intentions et d’initiatives louables qui ne résistent pas à la confrontation avec les contraintes de la réalité.

A priori, le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine semblait avoir de grandes chances d’échapper à ce risque : fruit d’une concertation longue et approfondie, construit sur la recherche d’un consensus et de critères clairs et objectifs, il avait fait l’objet, dans notre assemblée, d’un débat en commission constructif, qui laissait bien augurer de la séance publique.

Notre porte-parole en séance publique, ma collègue Valérie Létard, s’était félicitée des trois piliers sur lesquels reposait le dispositif : un effort réel de simplification, la consécration de l’intercommunalité comme chef de file de la politique de la ville et la poursuite du programme national de rénovation urbaine.

Certes, plusieurs points restaient à préciser : la mise en œuvre du nouveau contrat de ville, l’association des habitants des quartiers prioritaires par l’intermédiaire des conseils citoyens et les contours exacts de la nouvelle géographie prioritaire et de la nouvelle dotation budgétaire « politique de la ville ».

Toujours est-il que, suivant la position qu’il avait fait connaître d’emblée, le groupe UDI-UC abordait ce débat de manière constructive, même s’il regrettait le recours à la procédure accélérée.

Bien que notre groupe fût assez réservé sur le résultat de nos travaux en séance publique, un tiers environ de ses membres avaient choisi de considérer les avancées positives plutôt que les points de blocage, et par conséquent de voter le projet de loi de programmation.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 4 février dernier, n’a malheureusement pas contribué à améliorer le projet de loi de programmation. Bien au contraire, on a délibérément pris le parti de rigidifier le nouveau dispositif sur les points les plus emblématiques et les plus discutés.

À vouloir trop préciser et trop encadrer les initiatives locales, on court le risque d’être incapable de s’adapter aux réalités des territoires, et ainsi de perdre la réactivité et la souplesse d’une politique de la ville ajustée au plus près des besoins de chaque quartier prioritaire.

Comme notre collègue Valérie Létard l’a fait valoir en commission mixte paritaire, « le projet de loi entre […] trop dans le détail et fige le dispositif, méconnaissant la diversité des territoires ». Ce défaut est particulièrement accusé à l’article 5 bis : non seulement la commission mixte paritaire a entériné un dispositif extrêmement détaillé et contraignant pour le fonctionnement du conseil citoyen, mais encore elle a ajouté le principe du tirage au sort d’une partie des membres de ce conseil, alors que cette procédure n’avait été envisagée ni au Sénat ni à l’Assemblée nationale. (M. le ministre le conteste.)

Cette rédaction ignore toutes les initiatives locales existantes ; elle ne prend pas en compte la réalité du périmètre de certains quartiers prioritaires, qui sont intercommunaux. Nous avions plaidé pour la souplesse : le périmètre et les règles de fonctionnement des conseils citoyens auraient pu être fixés dans les contrats de ville. Hélas, le choix d’imposer un conseil citoyen par quartier et de rendre obligatoire le financement d’un lieu, de moyens de fonctionnement et du recours à des experts extérieurs va inéluctablement faire de ces structures un poids pour les collectivités territoriales. En effet, le projet de loi de programmation ne précise pas si l’État assumera la totalité du coût de ce fonctionnement. Est-il judicieux d’alourdir ainsi les coûts de fonctionnement, et quels moyens restera-t-il pour financer des actions concrètes ?

En définitive, le plus gênant dans ce choix est qu’il donne le sentiment que l’on ne fait pas confiance aux territoires. Notre priorité aurait dû être d’organiser la participation citoyenne dans la proximité. Le texte issu de la commission mixte paritaire repose sur le choix inverse : celui du manque de confiance vis-à-vis des élus locaux et de la complexité. Notre groupe ne peut que le regretter.

De même, l’approche par publics prioritaires a été écartée du projet de loi de programmation, qui prévoit un ciblage fondé sur des quartiers prioritaires. Cette construction se heurtera aux réalités des territoires, car certaines politiques ne peuvent pas être circonscrites aux limites géographiques d’un quartier, notamment en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, de prévention sanitaire, de lutte contre l’illettrisme et de prévention de la délinquance. J’observe que cette question a fait l’objet en commission mixte paritaire d’une discussion très intéressante, qui a bien montré à quel point les rapporteurs de chaque assemblée avaient des conceptions différentes.

Le projet de loi de programmation n’ayant pas tranché cette question, il est à craindre bien des incertitudes lors de sa mise en œuvre. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour faire en sorte que nos habitants n’en subissent pas les conséquences.

À l’article 1er bis A, la commission mixte paritaire a prévu la possibilité de sanctionner les collectivités territoriales et leurs groupements qui n’auraient pas signé, à compter de 2016, un contrat de ville prévu à l’article 5.

Le Sénat s’était opposé, à juste titre, aux pénalités inscrites à l’article 5. Voilà leur possibilité rétablie par l’article 1er bis A relatif au rapport sur la mise en œuvre de la dotation « politique de la ville ».

Le principe même de pénalités est redondant avec l’attribution aux intercommunalités d’une compétence obligatoire « politique de la ville », que, par définition, elles seront tenues de mettre en œuvre. Prévoir la possibilité d’une sanction, c’est de facto donner à penser qu’une collectivité territoriale pourrait s’exonérer de cette compétence. Il y a là une incohérence totale.

Enfin, une incertitude persiste aussi sur le périmètre exact de la nouvelle géographie prioritaire. Vous avez annoncé, monsieur le ministre, le lancement d’une concertation avec les élus et les préfets dès la promulgation de la loi. Quant aux discussions sur les nouveaux contrats de ville, elles s’engageront à partir du mois d’avril. Espérons que ce secret, gardé jusqu’au vote de la loi, ne réserve pas de mauvaises surprises ! Car nous savons tous que les carroyages sont déjà établis, et les jeux, pour ainsi dire, déjà faits.

Pour toutes ces raisons, partagés entre leur satisfaction sur la méthode de préparation de la réforme et leur incertitude sur les moyens et les outils de sa mise en œuvre, les membres du groupe UDI-UC ont choisi de s’abstenir sur les conclusions de la commission mixte paritaire. (M. Michel Bécot applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine arrive à la fin de son parcours législatif, nous retenons de nos débats plusieurs faits.

D’abord, nous avons apprécié votre disponibilité, monsieur le ministre, ainsi que votre sens du dialogue ; ces qualités nous ont permis d’aboutir collectivement à un projet de loi de programmation que je crois meilleur dans sa rédaction actuelle que dans sa version initiale. Je salue également le travail de notre rapporteur, Claude Dilain, qui nous a réservé une écoute bienveillante.

Ensuite, nous prenons acte avec satisfaction de la rupture de méthode et de langage : enfin, les banlieues ne sont plus regardées comme un problème à « nettoyer », mais comme une promesse et comme un défi à relever !

La politique de ville est un sujet sensible, par nature transversal et complexe à appréhender, alors même que la crise sociale et économique que nous traversons semble mettre en péril le ciment de la cohésion nationale, favorisant les replis identitaires et le rejet de l’autre.

C’est dans ce contexte que le projet de loi de programmation prévoit des actes forts.

D’abord, il opère une refonte de la géographie prioritaire par la définition d’un critère unique, que nous approuvons, fondé sur l’indice de pauvreté des ménages. De fait, il était nécessaire, monsieur le ministre, de rendre plus clairs et plus lisibles les modes d’intervention des pouvoirs publics.

Ensuite, le projet de loi de programmation prévoit la mobilisation prioritaire des moyens de droit commun. Cette articulation se justifie par la nature transversale de la politique de la ville, qui, à elle seule, ne peut pas répondre de manière satisfaisante à l’ensemble des problèmes qui entravent le développement des quartiers.

Le projet de loi de programmation entérine également le lancement, très attendu, d’un PNRU 2 ; nous nous en réjouissons, même si nous aurions voulu que des moyens plus importants lui soient consacrés.

Enfin, nous considérons comme un progrès significatif l’association des habitants à la définition de la politique de la ville, dans le cadre de conseils citoyens et de maisons du projet. Il s’agit d’une nécessité démocratique, car trop d’ensembles ont été détruits contre l’avis des habitants, donnant lieu à des drames humains. Pour cette raison, nous avons fait adopter à l’article 1er un amendement tendant à affirmer la nature intrinsèquement humaine de cette politique.

Nous soutenons ces démarches participatives, qui renforceront le lien entre les élus et les citoyens : elles sont le meilleur gage que les politiques menées prendront en compte au plus juste les besoins des habitants.

Nous avons imprimé notre marque au projet de loi de programmation en faisant adopter plusieurs amendements. En particulier, nous avons permis la reconnaissance de la place déterminante et structurelle du maire dans la mise en œuvre des contrats de ville, sans qu’il s’agisse de nier la nécessité, évidente pour tous, d’aborder à l’échelle intercommunale les questions de logement ou de mobilité. Cette avancée a été maintenue par la commission mixte paritaire, ce qui est une bonne nouvelle pour les élus locaux et pour la démocratie de proximité ; elle est, par ailleurs, un gage d’efficacité, puisque le maire et les élus locaux seront à l’évidence les meilleurs relais du conseil citoyen.

Ce projet de loi, nous l’avons dit, porte une idée fort intéressante de coconstruction par les élus d’un même territoire, et de coformation – je sais, monsieur le rapporteur, que vous êtes attentif à cet aspect –, permettant de ne pas réduire la politique de la ville à une simple question de transfert de compétence, comme c’est trop souvent le cas des projets de loi qui nous sont soumis.

Le dispositif institué permet, dans un équilibre juste entre les communes et les intercommunalités, un partage des compétences propre à conjuguer les différentes expertises, au bénéfice des habitants. Tout cela est positif.

Cependant, monsieur le ministre, nous vous avons fait partager nos inquiétudes concernant la sortie de la géographie prioritaire d’un certain nombre de quartiers.

En effet, si nous soutenons le critère unique, nous estimons que son application conduira à sortir du dispositif la moitié des quartiers relevant aujourd’hui d’un contrat urbain de cohésion sociale. Mais les débats nous ont permis d’avancer sur cette question. L’adoption de notre amendement prévoyant le maintien, à la demande des villes concernées, de contrats de ville sur ces territoires permettra d’évaluer très précisément les conséquences d’une telle sortie de la géographie prioritaire.

Si des élus locaux nous alertent sur la fragilisation de leur territoire, nous devrons alors reconsidérer le périmètre, lequel doit, selon nous, être évolutif. Nous comptons, monsieur le ministre, sur votre attention. Nous exercerons toute la vigilance nécessaire concernant des territoires qui se verraient fragilisés.

Pour autant, ce projet de loi, comme l’ensemble des textes présentés par ce gouvernement, crée un hiatus entre le niveau d’ambition et les moyens mis en œuvre pour y accéder. Disons-le clairement, diminuer les dotations aux collectivités de 4,5 milliards d’euros en trois ans pénalise et pénalisera directement la politique de la ville. En effet, alors que les contrats de ville devront être financés pour partie par les collectivités, nous craignons que ces dernières n’aient de plus en plus de mal à assumer cet investissement.

Vous le savez bien, les collectivités, compte tenu de l’état financier dans lequel elles se trouvent, ne pourront pas suivre. En diminuant la présence humaine et financière de l’État au sein des territoires, les inégalités territoriales risquent de se renforcer, ce que nous redoutons. Nous estimons qu’il est urgent d’investir pour mailler le territoire de services publics innovants et performants. Il faut donc, dans ces territoires, toujours plus de structures d’accompagnement social, de crèches, d’écoles, de médecins, de policiers. C’est à ce prix que le défi de l’égalité pourra être relevé.

Pourtant, la politique d’austérité menée actuellement par le Gouvernement est clairement incompatible avec ces exigences. Pour que l’ANRU puisse mener à bien ces missions, il faudrait ainsi remettre en cause son financement, qui repose aujourd’hui quasi exclusivement sur Action Logement.

Il faut prioritairement agir pour l’emploi. C’est donc une bonne chose, selon nous, que le rapport sur l’efficacité des dispositifs créés pour l’emploi ait été réintroduit en commission mixte paritaire. En effet, ce qui mine les quartiers populaires, c’est bien le chômage, c’est bien la baisse du pouvoir d’achat.

Nous aurons l’occasion de revenir sur ces débats lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, qui devrait voir l’instauration d’une dotation « politique de la ville », en lieu et place de la dotation de développement urbain. Nous espérons que cette nouvelle dotation sera abondée à hauteur des besoins.

Au fond, par ce projet de loi, vous l’avez dit, monsieur le ministre, nous créons un cadre et des outils intéressants. Pour toutes ces raisons, nous apporterons nos voix à ce texte. Il ne manque plus désormais que les crédits pour relever le défi de l’égalité et répondre à votre ambition, qui est aussi la nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)