Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, les écologistes plaident en faveur de l’alignement du taux de TVA de la presse numérique sur celui de la presse imprimée.

C’est donc avec une vive satisfaction que nous accueillons cette mesure et c’est sans surprise que nous voterons cette proposition de loi dans le texte issu de l’Assemblée nationale, comme nous y invite la commission de la culture.

Le pluralisme de l’information est un enjeu démocratique majeur. À cet égard, l’État reste le principal garant d’une presse libre et indépendante, notamment à travers les aides qu’il accorde à ce secteur.

La baisse du taux de TVA inscrit évidemment dans cette logique. Elle constitue une réparation face à une injustice, qui devenait chaque jour plus criante. Elle rétablit deux principes fondamentaux du droit : le principe de neutralité fiscale et celui, défini plus récemment, de neutralité technologique, puisqu’elle va permettre de réunifier, d’un point de vue conceptuel et juridique, la presse imprimée et la presse en ligne, sans discrimination entre ces deux modes de diffusion.

Enfin, elle ouvre la possibilité de raisonner globalement, en termes de marques d’information, sans s’arrêter à d’artificielles barrières technologiques.

En effet, même si elle leur facilitera la vie, cette mesure ne bénéficiera pas uniquement aux seuls médias d’information en ligne : elle concerne l’ensemble des titres de presse d’information qui ont choisi d’engager une mutation en développant diverses formes d’édition électronique, en complément de leur édition papier. Sans cette harmonisation de la TVA, il serait notamment très difficile, pour ces titres de presse, de proposer des offres couplées d’abonnement aux deux supports.

Surtout, cette mesure devrait permettre aux entreprises de presse de retrouver un modèle économique en adéquation avec le caractère exigeant de la production d’une information de qualité, car elle va faciliter le redéploiement du modèle économique de la presse sur internet vers le payant.

En effet, il faut en finir avec l’illusion d’une presse d’information de qualité fondée sur la gratuité et sur son corollaire, le financement exclusif par la publicité.

C’est un fait : les recettes publicitaires n’ont jamais été en mesure, à elles seules, de couvrir les coûts de production des authentiques sites d’information. Pourquoi ? Tout simplement parce que la ressource publicitaire, qui aurait logiquement dû leur échoir, est le plus souvent captée, en amont, par les agrégateurs, les moteurs de recherche, des sociétés comme Google, capables de tracer les usages d’internet par la population, individu par individu, et de commercialiser pour leur compte ces données personnelles qu’elles n’ont pas produites. Ces sociétés ne se contentent pas de récupérer les contenus et de les agréger sous Google News : elles les revendent comme nouveaux vecteurs publicitaires.

Trop tardivement, les entreprises de presse ont fini par prendre conscience de cette nouvelle donne économique. Elles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à développer des offres payantes pour leurs contenus sur internet.

Dans ces conditions, l’abaissement du taux de TVA pour ces services est une bouffée d’air dans le monde de plus en plus sinistré de l’information.

Au reste, on peut s’interroger : pourquoi cette mesure, qui semble si évidente à présent, n’a-t-elle pas été prise plus tôt ?

Le principal argument que nous ont opposé, dans cette enceinte, les gouvernements successifs se fondait sur une réglementation européenne hostile. C’était là forcer un peu le trait : en réalité, la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, applicable aux services, généralement invoquée pour juger la presse numérique comme inéligible au taux super-réduit de TVA, fait l’objet d’une interprétation très restrictive. Pourtant, ce que contient son chapitre 3 offre vraiment matière à plaider !

Surtout, nous avons jusqu’à présent trop superbement ignoré d’autres dispositions, tout aussi importantes, concernant le principe de neutralité fiscale dans le droit européen. Ainsi, dans sa jurisprudence, notamment dans l’arrêt The Rank Group, rendu le 10 novembre 2011, que ma collègue Sophie Primas a cité, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de rappeler le principe selon lequel deux prestations identiques ne peuvent en aucun cas être traitées différemment du point de vue fiscal.

Bref, le risque de voir la France sanctionnée pour l’application d’une telle mesure est aujourd'hui proche de zéro !

Pour autant, cette proposition de loi, que nous serions fous de ne pas adopter, ne réglera pas tout.

Je pense en particulier à la situation de plusieurs supports numériques payants d’information de qualité qui, parce qu’ils avaient décidé de s’auto-appliquer le taux super-réduit pour survivre financièrement et ouvrir la voie à la loi que nous étudions aujourd’hui, font toujours l’objet de procédures de recouvrements fiscaux, au terme desquelles elles risquent de « mourir guéries ». Ainsi, si la procédure est maintenue, Mediapart pourrait se voir réclamer un recouvrement de 6 millions d’euros ! Quant à Arrêt sur images, ne disposant pas de la trésorerie nécessaire pour faire cesser le recouvrement fiscal dont il était l’objet, il a vu son fonds nanti. La situation est ubuesque : le directeur de l’administration fiscale est quasiment devenu le directeur de publication de fait d’Arrêt sur images !

Certes, en matière de droit, la rétroactivité est toujours une opération dangereuse. Pour autant, nous appelons le Gouvernement à tenir compte de l’esprit de la loi. En l’espèce, un dispositif d’amnistie fiscale circonstancié serait, à notre sens, le bienvenu.

Madame la ministre, mes chers collègues, cette mesure, si louable et si indispensable soit-elle, ne demeure cependant qu’un des éléments de la nécessaire refonte des aides à la presse dans notre pays.

Un décret actuellement en préparation devrait notamment fusionner les trois sections actuelles du Fonds stratégique pour le développement de la presse et un nouveau « club des innovateurs » devrait être mis en place pour définir la pertinence à moyen terme des mesures à prendre. Avec une telle avancée, le bien-fondé des aides distribuées pourrait être apprécié plus globalement. En effet, trop d’argent a été accordé pour de prétendues innovations technologiques qui, en réalité, ne permettaient pas aux entreprises concernées de drainer de nouvelles ressources ou de nouveaux lecteurs. Nous devons donc être très vigilants quant aux compétences réelles et à l’expertise des membres de ce futur comité, pour éviter les errements du passé.

Si l’innovation ne se décrète pas, elle doit être accompagnée avec intelligence et souplesse. Mes chers collègues, cela fait trop longtemps que le secteur de la presse subit le tournant numérique plus qu’il ne le fait fructifier ! (Mme la présidente de la commission de la culture et M. Pierre Laurent applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, dont je salue la première intervention dans cet hémicycle.

M. Didier Marie. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne. Enfin ! diront certains.

Comme l’a souligné David Assouline dans son excellent rapport, cette mesure est en effet attendue par l’ensemble du secteur de la presse, tant en France que dans le reste de l’Europe, comme en témoigne la « déclaration de Berlin », rendue publique en mars 2011, qui a réuni les signatures de plus de deux cents associations professionnelles et groupe de presse européens autour de l’objectif du taux de TVA réduit pour le numérique au même titre que pour la presse écrite.

Elle est aussi attendue par les usagers, ainsi que l’attestent les 30 000 signatures recueillies par le site Mediapart, à la suite de son « appel pour l’égalité fiscale ».

Elle est en outre souhaitée depuis longtemps par de nombreux parlementaires, qui ont déposé des amendements ayant le même objet lors de l’examen des dernières lois de finances. D'ailleurs, dans ce combat pour obtenir l’alignement des taux de TVA, notre rapporteur avait été en première ligne.

Enfin, rappelons qu’elle fait suite à un engagement du Président de la République, confirmé le 17 janvier aux éditeurs de presse par le Premier ministre.

Chacun ici sait que la presse est confrontée à une grave crise, liée au vieillissement de son lectorat, à la migration de ses lecteurs vers d’autres supports, à la baisse de ses recettes publicitaires – de quelque 8,2 % en 2012 –, dans un contexte économique atone, à l’affaiblissement du réseau de distribution et à la fermeture de nombreux points de vente. Ces différentes évolutions entraînent un recul du chiffre d’affaires de l’ensemble de la presse – de l’ordre de 8 % en 2013 – et s’accompagnent malheureusement d’un effondrement des marges, malgré une augmentation des prix de vente.

Cette crise se traduit par des destructions d’emplois – 1 500 en deux ans – et par des menaces sur certains titres. Ce qui se passe en ce moment à Libération en est une illustration, sans parler de la disparition de France-Soir et de La Tribune ou des inquiétudes que peut susciter la situation de Nice-Matin et de Var-Matin.

L’écosystème de la presse imprimée est engagé dans une spirale dangereuse.

Cette situation est par ailleurs une source préoccupation majeure quant au fonctionnement même de notre démocratie, dont l’un des piliers est l’accès libre à l’information indépendante et aux outils de communication Nous avons besoin d’une presse libre, indépendante et pluraliste pour garantir les fondements de l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ». C’est ce principe qui constitue le socle de la politique de soutien public à la presse et qui justifie aujourd’hui cette nouvelle intervention de l’État et l’examen de cette proposition de loi. Il s’agit de favoriser l’émergence d’un nouveau modèle économique pour la presse.

Certes, la presse imprimée reste un vecteur efficace pour obtenir une information approfondie, mais tout le monde convient que la presse en ligne constitue le prolongement, voire l’avenir du travail d’information et d’investigation du journalisme.

Cette mutation numérique est vitale pour l’ensemble du secteur. Elle offre un relais de croissance, permet de trouver de nouveaux lecteurs et accompagne la révolution des usages qui voit 65 % des ménages – soit 38 millions de personnes – raccordés à internet. Ces mêmes ménages s'équipent massivement en outils numériques, comme en témoignent les acquisitions de tablettes numériques : on devrait en compter près de 20 millions en 2017.

Jusqu’à présent, la presse imprimée et la presse en ligne restent considérées comme deux catégories distinctes au regard du droit fiscal : la première bénéficie du taux super-réduit de 2,1 % et la seconde du taux normal de 20 %.

Ce différentiel de TVA est un lourd handicap pour la presse et un obstacle à l’émergence d’un modèle économique viable pour la presse payante en ligne qui, à ce jour, présente une rentabilité trop faible au regard d’investissements et de coûts d’hébergement représentant jusqu’à 30 % ou 40 % du coût total.

Il interfère avec la stratégie des titres de presse comme avec l’évolution des modes de consommation et de diffusion de l’information.

Cette différence de traitement constitue une entrave évidente à l’évolution du modèle économique. Elle se trouve aussi en contradiction avec le principe de neutralité technologique de la fiscalité, reconnu par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment avec le fameux arrêt Rank du 10 novembre 2011, qui a condamné le Royaume-Uni pour avoir mis en œuvre des TVA différentes pour des produits semblables.

Le niveau actuel de la TVA affaiblit l’attractivité de l’offre en ligne, détourne les lecteurs potentiels – souvent plus jeunes – et diminue la capacité d’investissement des sites de presse. Cette réglementation est incompatible avec le développement du numérique. La complémentarité des supports papier et digital est en effet indispensable et présuppose une stricte égalité de traitement fiscal.

En appliquant le taux de 2,1 % de TVA à la presse en ligne, l’objectif est de rendre accessible et attractive sur internet l’information politique et générale. Cette disposition permettra de renforcer les sites qui respectent les normes professionnelles. Ces sites sont en effet soumis à la concurrence de sites qui n’ont « d’information » que le nom et produisent des contenus à coût nul, en collectant des informations non vérifiées, souvent fournies par les internautes eux-mêmes, sans respecter les règles de la profession.

Il est important que les usagers aient la possibilité de se référer à des sites dotés d’un label de qualité, encadrés par une responsabilité éditoriale et validés par la commission paritaire des publications et agences de presse.

On pourrait nous objecter deux raisons pour ne pas appliquer le même taux à l’ensemble de la presse.

Tout d’abord, dans une période difficile pour les finances publiques, son coût, qui est estimé par une étude de référence à 5 millions d'euros pour la première année d’application. Ce coût est à comparer aux 270 millions d'euros que représente cette mesure pour la presse imprimée. Il en résulte un manque à gagner relatif qui, selon la même étude, serait compensé en trois ou quatre ans par le développement de la filière et les recettes supplémentaires de TVA ainsi engendrées. Aussi l’argument budgétaire ne tient-il pas.

Deuxième objection : actuellement, la réglementation européenne ne le permet pas. C’est justement la raison pour laquelle les autorités françaises ont entrepris des démarches actives auprès des institutions européennes. Ces démarches produisent leurs effets : le Parlement européen s’est prononcé trois fois en faveur d’un taux réduit de TVA pour les œuvres culturelles numériques et la Commission a annoncé – le rapporteur l’a rappelé – une étude exhaustive sur cette question.

À la suite de l’accord entre le CDU et le SPD, l’Allemagne s'est récemment ralliée à la position française, par ailleurs soutenue par dix pays, en particulier la Suède, qui a déjà transcrit cette mesure dans son droit interne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique ou encore la Pologne. Cette évolution ouvre des perspectives favorables de modification de la directive européenne du 28 novembre 2006 pour permettre l’application du taux de TVA réduit aux biens et services culturels.

Cependant, l’urgence est là. Toutes les études ont conclu que l’adoption du taux super-réduit de 2,1 % pour la presse en ligne – qui déboucherait sur un soutien global et indifférencié à l’ensemble du secteur de la presse – est d’une importance vitale : aussi bien celle qu’a conduite Pierre Lescure sur l’adaptation des industries culturelles au numérique, remise en mai 2013, que celle de Roch-Olivier Maistre sur les aides à la presse.

Rappelons que cette baisse de TVA est un soutien plus intéressant que le versement de subventions directes aux organes de presse, car ces subventions, en éveillant souvent le soupçon de conflits d’intérêts, posent la question de l’indépendance des titres.

Le droit européen est aujourd’hui en contradiction avec l’obligation constitutionnelle des pouvoirs publics de soutenir un secteur qui traverse une crise extrêmement préoccupante et dont l’avenir, voire la survie sont largement conditionnés par sa capacité à réussir sa mutation numérique.

La légitimité doit prendre le pas sur la légalité européenne. Le Gouvernement a lancé ce mouvement en instaurant un taux réduit pour le livre numérique. Nous devons appuyer ses efforts et faire valoir l’exception culturelle.

Agir pour l’existence, la pérennité et le pluralisme d’une presse indépendante – parfois impertinente, mais toujours professionnelle – est une mission d’intérêt général, une responsabilité que nous devons assumer et une garantie pour la vigueur de la démocratie.

En adoptant à l’unanimité cette proposition de loi, nous donnerons un horizon à la presse de notre pays et nous renforcerons, mes chers collègues, la position française dans les négociations en cours avec l’Union européenne.

La France a toujours eu un rôle moteur et pionnier pour défendre et promouvoir le respect de la liberté, l’indépendance des médias et la mise en œuvre de l’exception culturelle.

Ce texte, une nouvelle fois, en fait la démonstration, et les membres du groupe socialiste sont heureux de le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jacques Gautier applaudit également.)

(M. Thierry Foucaud remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est le fruit d’un long combat mené par l’ensemble des groupes des deux assemblées, comme cela a été largement rappelé. Elle s’appuie sur de nombreux travaux, les derniers en date ayant été réalisés, à votre demande, madame la ministre, par le groupe de travail sur les aides à la presse, réuni sous la présidence de Roch-Olivier Maistre.

Ainsi, ce texte fait l’objet d’un consensus au sein des deux assemblées : nous partageons tous, et c'est heureux, l’ambition et la volonté de maintenir la pluralité de la presse dans notre pays, qui est un principe à valeur constitutionnelle.

Les pouvoirs publics ont permis ce pluralisme en s'appuyant sur un socle équilibré, comprenant trois dispositifs : la loi Bichet de 1947, qui assure la distribution de tous les titres dans tous les points de vente ; l’application d’un taux préférentiel, dit « super-réduit », de TVA ; les aides à la distribution.

Ce socle est aujourd’hui remis en cause par l’avènement d’internet et les mutations qu’il opère. D'une part, les points de vente de la presse sont de moins en moins nombreux, la loi Bichet perdant ainsi de sa pertinence. D'autre part, la presse connaît des évolutions importantes, notamment avec l’apparition de médias en ligne, qui ne bénéficient que marginalement des aides à la presse tout en étant soumis à un taux de TVA dit « normal », mais prohibitif pour le développement de ce secteur d’activité.

En d’autres termes, le dispositif global de soutien à la presse doit être mis à jour afin que le pluralisme de l’information, vital en démocratie, demeure une réalité. Le débat d’aujourd’hui est ainsi une première étape vers la refondation du socle.

Au nom du principe de l’équité fiscale et de la neutralité des supports, il est injuste et inopérant à court terme, compte tenu de la migration des lecteurs de la presse papier vers la presse numérique, que la presse en ligne soit soumise à une TVA à 20 % et la presse papier à une TVA à 2,1 %. C’est d’ailleurs dans cet esprit et sur la base de ces mêmes arguments que nous avons voté ensemble, en 2011, l’alignement de la TVA applicable au livre numérique sur la TVA applicable au livre papier, comme tous les intervenants l’ont rappelé.

Ce parallélisme des formes en matière de TVA revêt par ailleurs une signification symbolique forte : il permet de reconnaître enfin que le travail du journaliste professionnel peut se faire sur internet et qu’il a la même légitimité que celui qui est effectué sur le support papier. Il s’agit de donner à un article en ligne la même valeur qu’un article imprimé.

Toutefois, cette mesure fiscale ne peut répondre, à elle seule, aux défis que doit relever la presse d’information. Je souhaiterais donc profiter de ce moment pour que nous puissions nous interroger ensemble sur la meilleure façon de faire vivre le pluralisme de l’information, mais aussi l’information tout court.

Nous vivons en effet dans un monde saturé d’images, d’écrits, de données. Dès lors, la presse quotidienne d’information générale se retrouve dans une situation de plus en plus compliquée : depuis l’émergence des chaînes d’information continue, la presse quotidienne nationale n’a plus le monopole des scoops, de la nouvelle… Quand nous lisons un journal, nous avons déjà en tête les grands faits marquants du jour.

Le lecteur attend de son quotidien un regard, une analyse, une intelligence ajoutée. Rappelons ici que les médias ont un rôle de médiation : n’oublions jamais la parenté étymologique des deux termes. À ce titre, les médias formatent les représentations, exerçant ainsi une éminente responsabilité citoyenne.

Les médias ont donc un rôle d’explication, d’analyse, de formation de l’opinion et d’interpellation du pouvoir. Quand ils tiennent vraiment ce rôle, ils constituent alors ce « quatrième pouvoir » qui est une pierre de touche d’une réelle démocratie et le gage de la crédibilité de la presse comme du développement de son pluralisme.

La masse d'informations à vérifier, à hiérarchiser et à analyser est devenue considérable. Or toutes ces actions doivent être réalisées dans un temps de plus en plus court. Le défi de la presse d’information quotidienne est alors double : apporter une valeur ajoutée importante à la dépêche AFP qui circule sur le web, tout en alimentant, en contenu et en continu, son site d’information.

De plus, cette double mutation de l’accélération du temps social et de l’accroissement des données – tant par l’accès que par le nombre – s’inscrit dans une équation économique intenable : d’un côté, la presse papier se vend moins, impliquant une diminution des recettes liées aux annonceurs ; de l’autre, la presse en ligne est comme soumise à une culture de gratuité. Sur le web, les lecteurs attendent une information immédiate, renouvelée, mais ne consentent pas à payer pour elle.

La presse quotidienne n’a pas encore trouvé le ou les modèles économiques lui permettant de répondre à ces nouvelles attentes et de mener à bien cette mutation.

Certains éditeurs ont fait le choix d’une offre, généralement payante, uniquement présente sur le web : ce sont les pure players, nouveaux entrants du secteur. Ils seront assurément les premiers bénéficiaires de la mesure que nous nous apprêtons à voter, et certains d’entre eux atteindront la viabilité économique, ou en seront proches.

D’autres éditeurs possèdent un support papier et proposent dès lors une offre dite « couplée », comprenant les deux formats. Pour ces derniers, la viabilité à court et long terme, malgré cette mesure, n’est pas certaine. S’il est désormais admis que la gratuité du journal numérique n’est pas tenable, toutes les solutions payantes n’ont pas encore fait leurs preuves.

Les éditeurs tâtonnent entre plusieurs modalités : entre le gratuit et le payant, entre ce qui est papier et ce qui est numérique, entre ce qui est interactif et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est fixe et ce qui est enrichi au fur et à mesure de la construction de l’article…

Quant aux journalistes, l’écriture de blogs en complément des articles devient pour eux une nécessité, tandis que se mettent en place des équipes dédiées au travail en ligne. Dans un tel contexte, ce sont surtout les quotidiens qui sont fragilisés : France-Soir et La Tribune ont cessé de paraître en version papier, et l’on s’inquiète maintenant du sort de Libération.

La mutation numérique affecte bien davantage les quotidiens que les hebdomadaires. Quoique…

Il convient de souligner que, prenant le contre-pied d’un modèle numérique caractérisé par l’immédiateté, la gratuité et la brièveté, plusieurs acteurs ont lancé, avec un réel succès, des publications uniquement sur support papier, payantes et proposant des articles d’information longs. Le lancement réussi de la revue XXI a ouvert la voie à d’autres titres. Le lancement d’un nouveau quotidien d’opinion, l’an passé, dans un climat économique pourtant défavorable, atteste que la presse papier répond encore à une attente.

Le maintien d’une presse quotidienne pluraliste, dans sa version papier, reste une condition de la vie démocratique, notamment parce que tous nos concitoyens ne disposent pas d’un accès à internet et que certains d’entre eux ont un lien affectif avec l’imprimé – ce qui se vérifie aussi pour le livre.

Dans cette perspective, la réorientation des aides à la presse doit permettre à chacune des entreprises de presse de trouver son propre modèle économique. Si je crois fondamentalement que la quête d’un contenu apportant une intelligence ajoutée certaine à l’actualité constitue un objectif majeur pour lutter contre la fragilisation de la presse, je pense que nous avons aussi des choix politiques à opérer. Ces choix, qui excèdent la seule question de la mutation numérique, concernent l’ensemble des aides à la presse.

Le Gouvernement a adopté une politique de mutation progressive des aides à la presse. Il s’agit notamment d’accompagner les mutations en participant à la restructuration du secteur plutôt que de continuer à soutenir un système devenu inadapté.

Cette réorientation passe par le fonds stratégique pour le développement de la presse, qui est un levier d’aide à la transformation du secteur en encourageant l’innovation ainsi que la mutualisation des ressources. Ce ne sont plus des projets isolés que l’on doit privilégier, mais bien les projets globaux assurant une meilleure maîtrise des coûts, particulièrement dans le domaine de l’impression et de la distribution. Seuls ces derniers sont en mesure d’assurer des effets d’échelle et des externalités positives pour l’ensemble de la profession.

Le portage, essentiel pour les titres de presse, a fait l’objet de lourds investissements ces trois dernières années, sans résultats probants.

Quelles peuvent être, madame la ministre, les orientations de la politique gouvernementale en la matière ? Comptez-vous favoriser un portage multi-titres ? Donnerez-vous davantage d’aides au portage en zone peu dense ?

Pour ce qui est de la présente proposition de loi, son adoption sera un bol d’oxygène pour les acteurs de la presse, pure player ou multisupport, et devrait contribuer à dessiner un modèle économique viable à plus long terme. L’exposé de notre rapporteur nous conduira bien évidemment à la voter.

Par ailleurs, l’adoption prochaine d’une ordonnance portant sur le financement participatif, annoncée par François Hollande, pourrait également permettre à de nouveaux modèles économiques d’émerger.

En effet, la TVA super-réduite ne saurait répondre à elle seule à tous les enjeux que pose la question de l’avenir de la presse. Quelles que soient les solutions que doivent imaginer les patrons de presse, les modèles économiques ne peuvent faire l’impasse sur la nécessité, pour la presse quotidienne, de renouer un lien de confiance avec son lectorat. Nous comptons sur eux, car l’affaiblissement de la presse pourrait causer à terme une régression de notre démocratie. Outre l’enjeu économique, il s’agit bien d’une exigence, voire d’un impératif démocratique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. André Gattolin et Louis Duvernois applaudissent également.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Aurélie Filippetti, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez fait part de vos interrogations sur la réforme globale des aides à la presse. Évidemment, tout ne figure pas dans cette proposition de loi, qui ne concerne que la TVA applicable à la presse en ligne : c’est l’un des aspects d’un plan global que j’ai commencé à mettre en place au mois de juillet dernier et qui comporte plusieurs piliers. Bien entendu, dans ce travail, la presse en ligne est largement prise en compte.

Je remercie d’ailleurs André Gattolin d’avoir évoqué la création d’un club des innovateurs ; celui-ci constitue l’une des grandes avancées de la réforme des aides puisque les éditeurs de presse en ligne pourront y siéger. Les éditeurs de presse étant les premiers responsables de la mutation économique du secteur, les dispositifs de droit commun pour les entreprises doivent leur être ouverts. L’innovation doit s’accélérer. Pour ce faire, nous avons besoin de compétences scientifiques, de responsables de recherche et développement, etc.

Mais il faut également que ces personnes puissent siéger au fonds stratégique pour le développement de la presse.

Je rappelle que j’ai réformé les fonds d’aide à la presse existants afin de les orienter vers des projets de modernisation, portant notamment sur la transition numérique de la presse, mais aussi pour encourager la mutualisation de l’effort entre plusieurs éditeurs de presse. La réforme des fonds d’aides à la presse est fondée sur ce grand principe.

J’ai ensuite veillé – je réponds là, en particulier, à Pierre Laurent – à maintenir la gouvernance particulière du fonds d’aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires, destiné à la préservation du pluralisme. Son budget n’a pas été diminué, eu égard aux difficultés que traversent les titres de presse qui en bénéficient.

Il convient également de tenir compte de l’héritage du fonds dit « d’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale », qui permettait d’accompagner la restructuration des imprimeries. Ce fonds date d’avant 2005 et a vocation à s’éteindre progressivement.

Les autres types de soutien à la presse portent essentiellement sur la diffusion. Je l’ai dit, une mission d’inspection conjointe a commencé à travailler sur la diffusion et rendra ses conclusions en juin prochain. Il s’agit d’améliorer le fonctionnement de la diffusion et de déterminer les pistes d’avenir afin de faire coexister les trois réseaux que sont le postage, le portage et la vente au numéro. La coexistence de trois réseaux parallèles de distribution, qui peut aboutir à une certaine concurrence entre eux, et la chute des ventes de la presse papier appellent évidemment une sérieuse expertise économique.

S’agissant du portage, madame Khiari, j’ai veillé à ce que l’aide soit orientée vers le portage multi-titres, qui va dans le sens de la modernisation et de la rationalisation.

On parle du milliard d’euros, ou presque, des aides à la presse, mais je rappelle qu’il ne s’agit pas d’aides directes, à part l’aide au transport postal, qui permet aux entreprises de presse de supporter des coûts de transport moindres que ceux qu’elles devraient normalement acquitter, ceux-ci étant compensés à La Poste par l’État.

Les aides au transport postal ont effectivement diminué de 82 millions d’euros cette année. Dans le cadre de l’analyse économique que nous avons engagée, nous allons essayer d’avoir une vue objective des différents coûts, afin de déterminer où et comment l’État doit faire porter l’effort, entre les éditeurs de presse, d’une part, et La Poste, d’autre part. Ces aides sont accordées pour l’essentiel à la presse d’information politique et générale.

Les réformes mises en œuvre l’année dernière comportent également un volet relatif à la transparence des aides, qui était attendu par nombre de professionnels et de concitoyens. La transparence est totale, les aides – TVA, FSDP, transport postal – étant désormais publiées sur le site du ministère de la culture et de la communication, et donc accessibles à tous.