M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les excellentes interventions de Roland Courteau et Delphine Bataille, dont je partage complètement – cela n’étonnera personne ! – l’analyse. Je m’attarderai, pour ma part, sur une question qui, pour des raisons géographiques, me paraît cruciale, à savoir le renouvellement des concessions hydroélectriques.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Jacques Mirassou. Le gouvernement précédent avait décidé d’autoriser une mise en concurrence « brutale » – c’est le mot ! – des concessions intéressant les plus grands ouvrages hydroélectriques. Comme s’il n’existait qu’une seule possibilité, le processus envisagé était fondé sur un scénario de mise en concurrence avec appel d’offres, concession par concession.

Cette libéralisation, sans condition, de 20 % de notre parc hydroélectrique risquait d’aller à contre-courant – n’y voyez là aucun jeu de mots ! (Sourires.) – de notre histoire, celle du programme du Conseil national de la Résistance, en niant avec une grande facilité les intérêts de nos consommateurs, de nos industriels et de nos territoires, tout en prenant bien évidemment le risque de brader ce bien précieux que constituent nos grands barrages hydroélectriques.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Jacques Mirassou. Ces derniers appartiennent en effet au patrimoine national. Leur construction et leur entretien ayant été financés par l’ensemble des Français, c’est une raison suffisante pour ne pas subir le dogme de la concurrence.

Certes, la Cour des comptes a interféré dans ce débat en adressant, au mois de juin 2013, un référé aux ministres concernés, dans lequel elle faisait observer que « la mise en concurrence constitue un moyen adapté pour ne pas abandonner aux concessionnaires la rente hydroélectrique » et « permet de valoriser au mieux l’actif que représentent les grandes installations hydroélectriques, propriété de l’État. »

Ce faisant, la Cour des comptes est dans son rôle – nous y sommes habitués ! –, mais son expertise est purement comptable. D’ailleurs, qui pourrait le lui reprocher ?

Pour autant, dans l’hypothèse de cette mise en concurrence, la question de savoir au bénéfice de qui elle se ferait mériterait d’être sérieusement posée puisque, en la matière, la réciprocité semble plus qu’aléatoire, comme l’ont souligné nos collègues députés Marie-Noëlle Battistel et Éric Straumann dans leur rapport d’information.

Constatons, en effet, que, seule, la France, sur l’initiative du gouvernement Fillon, a décidé, en 2010, de lancer cette mise en concurrence, qui constitue, je le répète, une perte de souveraineté sur notre patrimoine hydroélectrique national.

Mme Évelyne Didier. Pensons aux autoroutes !

M. Jean-Jacques Mirassou. Et c’est cette solution qui semble manifestement avoir la préférence de nos collègues du groupe UMP.

Les bénéficiaires de cette ouverture seraient à tous les coups les nouveaux concessionnaires étrangers, qui pourraient exploiter des ouvrages amortis et revendre une électricité extrêmement compétitive dans des conditions très avantageuses, y compris pour les clients étrangers.

Cette appropriation de la rente hydraulique ne pourrait donc se faire mécaniquement qu’au détriment de la compétitivité de nos industriels et du pouvoir d’achat des consommateurs français.

De multiples autres pistes ont été examinées dans le rapport d’information précité, dont certaines méritent à tout le moins de retenir notre attention.

En tout état de cause, ce dont nous avons besoin, c’est d’une véritable politique de l’hydroélectricité qui ait du sens et trace des perspectives industrielles, tout en préservant l’intérêt général, ce qui constitue, vous en conviendrez, mes chers collègues, un choix véritablement politique.

Pour ce qui me concerne, je reste persuadé que la solution optimale consisterait à prolonger de vingt-quatre ans la durée des concessions, conformément à la proposition de loi que j’ai cosignée avec mes collègues Roland Courteau et Delphine Bataille, notamment, et qui a été déposée l’an dernier.

Cette période de prolongation pourrait être mise à profit pour exiger des exploitants les investissements nécessaires à la modernisation des barrages et au développement des capacités de production d’hydroélectricité, et ce conformément, par exemple, à de nouvelles exigences environnementales, tout en assurant l’intérêt de l’État et des collectivités territoriales. Elle aurait encore l’avantage de lever les incertitudes qui pèsent sur le sort pouvant être réservé à l’ensemble des personnels, notamment ceux qui ne sont pas rattachés aux sites de production et qui, légitimement, se posent des questions sur leur avenir.

Cette manière de procéder, bien plus simple que la méthode dite des « barycentres », présenterait l’avantage de ne pas créer d’imbroglio juridique supplémentaire. Elle n’ajouterait pas non plus de nouveaux coûts liés aux indemnisations nécessaires en cas de raccourcissement de la durée de concession. Dans la conjoncture actuelle, je pense très sincèrement que la Cour des comptes y trouverait… son compte – c’est le cas de le dire ! (Sourires.)

Monsieur le ministre, nous savons que vous avez l’intention d’intégrer dans le futur projet de loi de programmation sur la transition énergétique des dispositions relatives à l’avenir de l’hydroélectricité. Je ne doute pas que votre réforme permettra de faire bénéficier les ménages et les entreprises de la rente hydraulique.

Telle est la contribution que je souhaitais apporter à ce débat. Il n’aura échappé à personne que mon intervention vise, là comme ailleurs, à garantir l’intérêt général, tout en préservant le patrimoine national, deux raisons qui me conduisent à ne pas voter cette proposition de résolution, qui tourne manifestement le dos à cette double préoccupation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Boog.

Mme Françoise Boog. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis de nombreux mois, le grand débat national sur la transition énergétique n’a pas encore abouti au dépôt du projet de loi promis, qui a été repoussé de l’automne 2013 au mois de janvier 2014, puis au lendemain des élections municipales.

Pourtant, la transition énergétique est un sujet hautement important pour notre pays, et ce à deux titres. Tout d’abord, il nous faut préparer le système énergétique de demain. Ensuite, la France est en pointe en matière de production et de distribution de l’énergie.

Concernant les questions du mix énergétique, de la priorité de s’orienter vers un réseau de distribution intelligent et de l’effort à fournir avant tout dans le domaine des économies d’énergie, je rejoins les propos de notre collègue Ladislas Poniatowski, auteur de cette proposition de résolution.

Cependant, en tant que parlementaire alsacienne, je souhaite m’attarder plus particulièrement sur le débat que suscite la centrale nucléaire de Fessenheim.

Bien évidemment, cette centrale devra fermer, mais le bon sens voudrait que cette fermeture soit motivée par des éléments fondés et non pour des raisons uniquement politiciennes.

M. Roland Courteau. Politiques !

Mme Françoise Boog. En effet, j’ai l’impression que toutes les déclarations successives du Gouvernement en matière de politique énergétique n’ont qu’un seul objectif : consolider l’accord de gouvernement conclu avec la frange écologiste de la majorité.

Mme Françoise Boog. Pour ce faire, le Gouvernement est prêt à tout, même à prendre des engagements incompréhensibles d’un point de vue économique, financier et énergétique.

Mme Françoise Boog. Le 16 avril 2013, l’Autorité de sûreté nucléaire a rendu son rapport annuel sur l’état de la sûreté des centrales en France.

Dans ce rapport, cette instance, dont la compétence technique et l’indépendance sont unanimement reconnues, précise que la centrale nucléaire de Fessenheim est l’une des centrales les plus sûres de France.

La qualité du travail réalisé par EDF et les salariés de la centrale pour améliorer encore et toujours la sûreté des installations est indiscutable.

À cet égard, je vous rappelle que 280 millions d’euros ont été investis ces dernières années. En 2012, les agents ont bénéficié de plus de 100 000 heures de formation. Et pourtant, le Gouvernement continue de jouer avec la peur, pour faire accepter l’idée d’une fermeture de la centrale. Rassurez-vous, la population n’est pas dupe !

Les habitants du village dont je suis maire et qui est situé à moins de quinze kilomètres de la centrale ne seraient-ils pas les premiers à exiger l’arrêt du fonctionnement de celle-ci s’il existait un risque du point de vue de la sûreté ?

La décision de fermer Fessenheim ne repose sur rien de concret et s’oppose, au contraire, à toute logique cohérente en matière d’évolution de la politique énergétique de la France.

Pourquoi fermer une centrale sûre et rentable ? Pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ? Rien ne le justifie.

D’ailleurs, pourquoi vouloir à tout prix arrêter une centrale, alors qu’elle pourrait continuer de produire une énergie peu chère pendant plusieurs années encore ? Cette énergie pourrait permettre de compenser une hausse du prix de l’électricité liée à l’apparition de nouvelles sources d’énergie dites « renouvelables », mais dont les coûts de production sont plus élevés.

En France, nous bénéficions du prix de l’électricité le moins cher d’Europe, ce qui est bon pour le pouvoir d’achat de nos concitoyens et, bien entendu, pour nos entreprises.

La filière nucléaire crée de nombreux emplois dans notre pays. Elle est l’un des principaux secteurs exportateurs. Elle constitue une fierté industrielle et technologique de notre nation.

Comment imaginer que cette filière puisse rester compétitive et attrayante à l’exportation si nous en doutons, par simple calcul politicien, sur notre propre territoire ?

M. Jean Bizet. Très juste !

Mme Françoise Boog. À Fessenheim, la fermeture de la centrale menace 2 200 emplois. (M. Ladislas Poniatowski acquiesce.) Bien sûr, les agents d’EDF se verront proposer une mutation ; mais ils se verront aussi déraciner de notre région, où ils ont acheté leur maison et sont engagés dans les associations. En vérité, leur départ déstabilisera tout le territoire et fera chuter son attractivité.

Quant aux 1 200 sous-traitants de la centrale, ils seront purement et simplement licenciés.

Qu’adviendra-t-il aussi des nombreuses entreprises électro-intensives qui se sont installées en Alsace, attirées par la sécurité de l’approvisionnement en électricité garantie par la centrale de Fessenheim ? Elles n’auront d’autre choix que de se délocaliser, peut-être même pas en France compte tenu de notre déficit croissant de compétitivité.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas imaginer accomplir la transition énergétique sans la filière nucléaire. Aussi bien, plutôt que de cibler une centrale en particulier, choisie de surcroît sur un critère aléatoire – celle contre laquelle les militants de l’extrémisme écologique sont le plus mobilisés –, prenons le temps de la réflexion et envisageons la transition énergétique dans son ensemble.

Au moins, attendons les résultats de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire.

En effet, cette commission disposant de six mois pour rendre ses conclusions, elle travaillera en même temps que le Parlement examinera, sans doute à partir de l’automne, le grand projet de loi d’orientation énergétique. Il serait bon que les dispositions relatives au nucléaire, qui seront l’un des aspects les plus importants de ce texte, puissent s’inspirer des travaux de cette commission d’enquête ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens, tout d’abord, à remercier les membres du groupe UMP du Sénat, en particulier M. Ladislas Poniatowski, de nous donner l’occasion de débattre de la transition énergétique, car c’est une question dont chacun mesure l’importance et qui est au cœur de notre actualité.

Monsieur le sénateur, en lisant l’exposé des motifs de votre proposition de résolution, j’ai songé que nous partagions de nombreuses analyses. Après tout, n’avez-vous pas raison lorsque vous affirmez : « La raréfaction des énergies fossiles, l’insécurité dans l’approvisionnement de ces sources d’énergie, la hausse de la facture énergétique, la détérioration de l’environnement dont l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre est l’une des principales manifestations, tous ces phénomènes impliquent que la France conduise une politique de l’énergie empreinte de vision et de responsabilité » ? À la vérité, je ne saurais dire mieux !

Je ne saurais non plus mieux dire lorsque vous ajoutez : « La réduction de notre consommation en combustibles fossiles doit aussi être au cœur de la politique publique énergétique française pour les prochaines décennies. »

Mesdames, messieurs les sénateurs, quels sont les enjeux de la transition énergétique ?

Au début de votre propos, monsieur Chevènement, vous avez notamment souligné que l’époque était à la transition.

Je me souviens de l’époque où il m’arrivait, jeune plume militante œuvrant à vos côtés, d’utiliser un mot qui alors comptait beaucoup et que vous employiez souvent : le mot « projet ». Monsieur Chevènement, vous étiez un homme de projets ; peut-être d’ailleurs l’êtes-vous demeuré. Eh bien, la transition énergétique, c’est un projet !

Ce projet doit devenir un atout pour la compétitivité de nos entreprises. En effet, en anticipant les évolutions du contexte énergétique mondial, nous nous doterons d’un indéniable avantage compétitif.

La transition énergétique est aussi un projet climatique. À cet égard, les estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, sont, hélas, plus inquiétantes que prévu : nous ne saurions attendre davantage pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, qui proviennent à 70 % de la combustion d’énergies fossiles.

La transition énergétique est, comme Mme Schurch l’a signalé, un projet social. De fait, si nous ne faisons rien, un renchérissement du prix de l’énergie se produira ; il est prévisible et même prédictible. Aussi, il importe d’accompagner les Français en améliorant l’efficacité énergétique des lieux où ils vivent et travaillent. Il convient aussi de lutter contre la précarité énergétique – pour ma part, j’emploie l’expression – qui touche les plus modestes d’entre eux.

Monsieur Poniatowski, vous avez ironisé sur le nombre d’interlocuteurs vers lesquels nos concitoyens peuvent se tourner pour ce qui concerne la rénovation énergétique. Dois-je vous rappeler que, dans le cadre du plan de rénovation énergétique de l’habitat que nous avons lancé, Cécile Duflot et moi-même avons mis en place un guichet unique ? Au demeurant, celui-ci fonctionne bien puisque les demandes de financement qui lui sont adressées dépassent de beaucoup nos prévisions ! Par ailleurs, je vous rappelle que nous avons obtenu une mesure qui n’était pas tout à fait à l’ordre du jour sous la précédente majorité : un taux réduit de TVA pour les travaux de rénovation thermique. (M. Ronan Dantec acquiesce.)

La transition énergétique est aussi un projet industriel, car de nos choix dépendra la capacité de la France à se doter de filières d’avenir robustes et compétitives à l’échelon mondial, dans le domaine du nucléaire comme, demain, dans celui des énergies renouvelables.

La transition énergétique est enfin, ce que l’on dit moins, un projet de santé publique, eu égard notamment à la qualité de l’air que nous respirons.

Changer notre manière de produire, d’aménager le territoire, de nous loger, de consommer et de nous déplacer : tel est le projet global de la transition énergétique, dont le cap a été fixé par le Président de la République et le Premier ministre lors de la deuxième conférence environnementale, au mois de septembre 2013. Je vous rappelle que ce cap consiste à diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, par rapport au niveau de 1990.

Le premier volume du cinquième rapport du GIEC nous a, une fois de plus, placés devant nos responsabilités. Or la responsabilité de la France est d’autant plus grande que, comme vous le savez, notre pays accueillera en 2015 la vingt et unième conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

Notre cap consiste aussi à réduire de 50 % notre consommation finale d’énergie d’ici à 2050 ; à un horizon plus proche, il consiste à réduire de 30 % notre consommation d’hydrocarbures d’ici à 2030.

Nous nous sommes également donné pour objectif de diversifier le mix électrique : en particulier, nous entendons ramener la part du nucléaire à 50 % à l’horizon de 2025, afin de garantir dans la durée la diversification de notre production d’électricité.

M. Poniatowski a cité le chiffre de 420 térawattheures de production nucléaire. M. Lenoir, qui connaît bien les chiffres, a parlé de 400 térawattheures. Cette seconde donnée est la bonne, la première correspondant à la production potentielle. Il faut savoir, du reste, qu’EDF limite sa production à 400 térawattheures parce qu’elle n’a pas intérêt à aller au-delà, ne pouvant pas exporter. Toujours est-il que 20 térawattheures représentent la production de quatre ou cinq réacteurs nucléaires.

Enfin, notre cap consiste à bâtir la communauté européenne de l’énergie. En effet, s’il ne saurait être question de remettre en cause la souveraineté nationale de la France et de chaque État en matière d’énergie, il faut adopter, comme l’a souhaité le Président de la République, une vision européenne de la transition énergétique, qui doit être fondée notamment sur un rapprochement franco-allemand.

M. Jean Bizet. Très bien !

M. Philippe Martin, ministre. Je serai de nouveau à Berlin demain pour inciter les acteurs européens à travailler ensemble, afin d’être plus forts face à la concurrence internationale. Le sommet franco-allemand qui s’est tenu le 19 février a marqué, en matière énergétique, un rapprochement entre nos deux pays qui sera utile et nous rendra plus forts en Europe et ailleurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez les objectifs européens du premier paquet énergie-climat, qui ont été acceptés par la précédente majorité : à l’horizon de 2020, 20 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique, une efficacité énergétique améliorée de 20 % et 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, les États membres débattent au sujet d’une nouvelle échéance ; la Commission européenne a présenté, le 22 janvier dernier, des propositions qui résultent d’un compromis issu des premières discussions.

Depuis plusieurs mois, la France défend un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 %. Par ailleurs, elle soutient, avec l’Allemagne, un objectif d’au moins 27 % au niveau européen pour ce qui concerne la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie en 2030. Ce qui ne nous empêchera pas d’inscrire dans le projet de loi de programmation sur la transition énergétique un objectif probablement plus ambitieux encore.

La fixation, le plus tôt possible, d’un nouveau paquet européen énergie-climat donnera aux industriels et au monde économique en général la prévisibilité nécessaire à l’optimisation de leurs choix d’investissements. Elle permettra surtout à l’Europe de parler d’une seule voix lors des négociations préalables au sommet sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015.

Pour revenir à nos choix nationaux, la réflexion sur la transition énergétique s’est beaucoup focalisée sur la question du nucléaire ; le débat de ce soir en est l’illustration.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyons clairs : à une époque particulière de notre histoire, des ingénieurs exceptionnels, des techniciens motivés et des ouvriers patriotes ont fait la renommée de notre filière nucléaire, en particulier sa réputation internationale en matière de sécurité ; de tels professionnels continuent aujourd’hui de maintenir cette réputation.

Croyez bien, madame Boog, que je suis sensible à la situation de votre région, d’autant plus que le département dont je suis originaire et dont je suis l’élu, le Gers, entretient avec l’Alsace des liens historiques très forts : Fessenheim est jumelée avec une ville du Gers et le canton dont je suis l’élu est jumelé avec la ville de Rixheim ; des jumelages existent aussi avec la ville de Saint-Louis.

Pendant la guerre, en effet, de nombreux compatriotes alsaciens sont venus trouver refuge dans le Sud-Ouest, notamment dans le Gers, par exemple à Fleurance, la ville de Raymond Vall. C’est pourquoi, madame la sénatrice, je suis particulièrement sensible à tout ce qui touche à l’Alsace ; je vous annonce d’ores et déjà que je recevrai personnellement les élus de la région de Fessenheim pour examiner avec eux l’avenir du territoire.

Vouloir passer d’un peu plus de 75 % d’énergie électrique d’origine nucléaire, ce qui est la situation actuelle, à 50 % à l’horizon de 2025 n’est en rien une marque de défiance à l’égard des ingénieurs, des techniciens et des ouvriers dont j’ai parlé. C’est encore moins le résultat de je ne sais quel accord politicien : l’opposition nous rebat les oreilles avec un prétendu accord, mais cela n’a rien à voir avec la réalité !

M. Jean Bizet. C’est tout de même curieux !

M. Philippe Martin, ministre. Notre décision est industrielle, économique et énergétique ; elle est à la fois rationnelle et responsable.

Elle est indispensable pour garantir dans la durée notre sécurité d’approvisionnement et pour éviter à nos successeurs de se trouver face à un mur d’investissements. En vérité, nous commettrions une faute en agissant différemment, car il serait irrationnel et irresponsable de laisser aux générations futures le fardeau de ces investissements.

De fait, la mise à jour de nos centrales, dont la plupart, vous le savez, ont été construites au cours de la même décennie, nécessitera des investissements extrêmement lourds, à supposer même que l’Autorité de sûreté nucléaire leur donne son aval.

En se tournant résolument vers l’avenir, en étalant dans le temps les investissements nécessaires et en choisissant d’encourager le recours à une part croissante d’énergies renouvelables, nous faisons le choix de la responsabilité économique et de la sécurité d’approvisionnement.

Du reste, monsieur Bizet, ce rééquilibrage n’est pas contradictoire avec la volonté du Gouvernement de maintenir l’excellence de la filière nucléaire, notamment en achevant l’EPR de Flamanville ou en soutenant nos industriels à l’exportation. Lorsque j’accompagne le Président de la République ou le Premier ministre à l’étranger, nous parlons parfois du nucléaire avec nos interlocuteurs, par exemple turcs ou britanniques. Or il arrive que ceux-ci voient dans l’excellence française en matière de démantèlement et de stockage des déchets un atout de nos entreprises. En effet, il est très important pour ces pays de savoir non seulement qu’une centrale sera construite et exploitée, mais aussi que les déchets seront stockés et le site démantelé dans de bonnes conditions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette stratégie s’inscrit dans une logique de progrès continu sur le plan de la sûreté nucléaire ; à cet égard, nos réacteurs ont tous subi les stress tests, en même temps que l’Autorité de sûreté nucléaire intégrait dans ses évaluations les enseignements de l’accident survenu à Fukushima.

Le rééquilibrage de notre mix électrique doit nous conduire à développer les énergies renouvelables, pour lesquelles nous avons pris du retard, du fait des politiques erratiques menées avant 2012.

Les énergies renouvelables thermiques, notamment, sont essentielles. Elles assureront, à terme, la part la plus élevée des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Leur développement est par conséquent prioritaire.

Je l’ai dit et je le répète, les énergies renouvelables ont beaucoup souffert des soubresauts de la politique de soutien des gouvernements précédents. Depuis la fin de l’année 2013, la stabilisation menée par le gouvernement actuel a permis d’insuffler une reprise, que ce soit pour l’éolien ou le photovoltaïque. Savez-vous que, fin 2013, nous arrivions à retrouver un rythme d’installation équivalent à 1 000 mégawatts par an ? Il faut poursuivre le soutien à toutes ces filières renouvelables. Nous lancerons, à la fin du mois de mars, un appel d’offres pour les installations photovoltaïques de plus de 250 kilowatts, avec un objectif d’au moins 800 mégawatts installés à l’horizon 2017.

Puisque la question de la compétitivité de l’éolien et du photovoltaïque a été évoquée, et même si Ronan Dantec l’a excellemment expliqué, je redis comme lui que le photovoltaïque revient à un peu moins de 100 euros du mégawattheure. Ce pourrait être, en 2025, moins de 80 euros. Quant à l’éolien, son prix de revient est aujourd'hui de moins de 80 euros le mégawattheure ; et ce pourrait être moins de 70 euros. Comparativement, l’EPR, dont nous sommes heureux qu’il soit construit avec des entreprises françaises à Hinkley Point, au Royaume-Uni, produira une énergie estimée à 109 euros le mégawattheure. Soyons donc prudents lorsque nous évoquons la fameuse compétitivité différenciée de ces diverses sources d’énergie !

Pour ce qui concerne les nouvelles filières marines, nous avons lancé un second appel d’offres pour l’éolien offshore au début de l’année 2013 et, à l’automne dernier, un appel à manifestation d’intérêt pour des fermes-pilotes hydroliennes, à Cherbourg. Ce soutien correspond à un objectif clair : placer les industriels français, sur ces technologies, en position de leader aux niveaux européen et international.

Pour inscrire le développement des énergies renouvelables dans la durée, j’ai lancé deux consultations.

La première vise la nécessaire évolution des modalités de soutien aux énergies renouvelables. Un peu partout en Europe, y compris en Allemagne, se pose en effet la question d’un tel soutien et de l’intégration progressive des énergies renouvelables aux marchés. D’ailleurs, la Commission européenne s’intéresse beaucoup à la façon dont l’Allemagne a soutenu ces énergies, notamment en privilégiant les entreprises, aux dépens des ménages.

La seconde consultation porte sur l’autoconsommation, c'est-à-dire le fait de consommer soi-même l’énergie que l’on produit.

Il s’agit d’assurer la mise en place de bonnes résolutions et d’éviter toute décision hâtive, qui pourrait être préjudiciable à nos industriels dans la mise en œuvre de principes vertueux.

Le soutien aux énergies renouvelables passe aussi par la consolidation de leur cadre législatif et réglementaire, ainsi que par la simplification des procédures administratives.