M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacques-Bernard Magner. En effet, les colonies de vacances associatives ont un rôle clé à jouer, tant pour la cohésion sociale du pays, l’économie du tourisme social et l’éducation à la citoyenneté que pour l’émancipation des jeunes et la garantie d’un droit aux vacances pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les colonies de vacances sont nées en grand nombre sous le Front populaire et ont connu un important développement après la Seconde Guerre mondiale. Bien souvent, ces colonies de vacances ont été créées par d’anciens résistants qui avaient découvert des lieux adaptés à l’accueil des enfants, qu’ils ont restaurés et aménagés.

Pour ce qui me concerne, j’ai connu les colonies vacances dès ma petite enfance : on allait pour changer d’air et, parfois, pour manger convenablement.

Très vite, des questions de salubrité et de sécurité se sont posées et, petit à petit, le coût des séjours a augmenté. C’est peut-être l’une des raisons qui expliquent la perte de vitesse des colonies de vacances.

M. Roland Courteau. Une raison parmi d’autres !

M. Claude Domeizel. Un autre élément d’explication est l’évolution des structures familiales : l’augmentation du nombre des familles recomposées fait que davantage d’enfants partent en vacances successivement avec chacun de leurs parents ou avec leurs grands-parents. Par ailleurs, les communes ont mis en place des centres de loisirs sans hébergement, les centres aérés, ce qui fait que, progressivement, la fréquentation des colonies de vacances a baissé.

Surtout, l’augmentation du coût pour les familles modestes a sans doute été l’un des facteurs les plus redoutables pour les colonies de vacances.

Pourtant, le besoin de colonies de vacances est patent. En effet, pour les enfants, elles permettent l’apprentissage de l’autonomie et de la responsabilisation, en même temps que celui de la vie en communauté, en dehors du cadre familial. Or ces apprentissages ne sont pas possibles dans les centres de loisirs sans hébergement.

Je voudrais en venir à des considérations plus actuelles sur ce sujet. En 2003, je m’étais inquiété de l’héritage des colonies de vacances, en particulier de son aspect immobilier. J’avais donc interrogé le gouvernement de l’époque sur le parc immobilier désaffecté anciennement occupé par les colonies de vacances. Ce problème est particulièrement prégnant en zone rurale, où les colonies de vacances étaient principalement installées.

La réponse que j’avais obtenue était complètement à côté du sujet, puisqu’elle évoquait des mesures incitatives en faveur de l’habitat dans les territoires ruraux. Cette réponse n’avait absolument rien à voir avec ma question, les communes rurales n’ayant pas les moyens de réhabiliter ou d’aménager ces grands bâtiments tombant parfois en ruine.

On avait donc oublié que les accueils de séjour de vacances pour mineurs apportent bien évidemment une plus-value au tourisme dans les départements littoraux ; tel est aussi le cas dans les zones de montagne, y compris dans les territoires difficiles d’accès.

Ainsi, les départements des Alpes du sud se situent encore aujourd’hui dans le peloton de tête pour le nombre de journées passées en colonies de vacances. Néanmoins, s’il est plus facile de reconvertir, après leur fermeture, des centres de vacances pour mineurs situés au bord de la mer en résidences secondaires ou en résidences de tourisme classiques destinées à accueillir des familles, il n’en est pas de même en montagne où la fermeture signifie bien souvent l’abandon du site, et ce, alors même que des centres de vacances pour mineurs en activité sont un soutien non négligeable pour l’économie locale.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Claude Domeizel. Pour conclure, je voudrais dire que, au-delà des colonies de vacances et de leur héritage, je suis surtout préoccupé par les trois millions de jeunes qui ne partent pas en vacances. C’est vers les plus défavorisés qu’il faut accentuer l’effort, afin de leur permettre d’avoir des vacances décentes, de découvrir un monde nouveau, inconnu pour eux, et de leur donner tout simplement – ce qui n’est pas négligeable, et pourquoi ne pas le dire ? – la possibilité de jouer, d’être pris en charge et même d’avoir une alimentation équilibrée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Alain Dufaut applaudit également.)

Monsieur le président, comme vous pouvez le constater, je n’ai pas utilisé la totalité de mon temps de parole. Je vous demande donc de bien vouloir considérer que j’en ai cédé une partie au groupe CRC pour compenser son dépassement.

Mme Cécile Cukierman. Les socialistes ont aussi un peu débordé !

M. Claude Domeizel. Rassurez-vous, je n’attends aucun remerciement pour ce geste. (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.

Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, chacun d’entre nous l’a dit, les colonies de vacances connaissent depuis désormais une vingtaine d’années une baisse continue de leur fréquentation. Ce phénomène n’est donc pas nouveau, mais ce qui inquiète aujourd’hui, ce sont les menaces qui pèsent sur leur avenir et la pérennité du modèle qu’elles incarnent. Les avantages de ces séjours collectifs ne sont pourtant plus à démontrer. Ils permettent l’émancipation des enfants et favorisent leur sociabilisation, car ces vacances de groupe les aident à se construire aux côtés des autres enfants et à appréhender aussi un milieu inconnu loin de la sphère familiale. Ces séjours participent en outre à la réussite et à l’épanouissement des enfants, parallèlement à l’apprentissage de la vie en collectivité et du respect des valeurs que porte l’intérêt général.

Les colonies de vacances ont également permis, pendant de nombreuses années, une mixité sociale et culturelle enrichissante qui a contribué à renforcer les valeurs de la République. En 130 ans, ces colonies ont accueilli l’équivalent de la population actuelle de la France. Il est d’autant plus important de s’interroger – et je remercie mes collègues du groupe CRC de nous donner l’occasion de débattre de ce sujet – sur les raisons d’une telle désaffection que, dans le même temps, ce sont, chaque année en France, plus de trois millions d’enfants qui n’ont pas la chance de partir en vacances. Il faut certainement chercher des réponses dans les nombreuses mutations qu’a connues au fil des décennies cette institution qui nous est venue de Suisse à la fin du XIXe siècle, à partir d’initiatives confessionnelles – l’historique a été rappelé – relayées ensuite par les syndicats, mutualités, coopératives ouvrières, associations sportives ou encore par des comités créés à cet effet.

Les colonies de vacances ont tout de suite été des réussites et ont démontré leur efficacité, notamment à travers des actions d’éducation à la santé, face à des fléaux comme la tuberculose. Elles ont par la suite essaimé rapidement en France, développant les questions d’hygiène et d’alimentation.

Les collectivités locales, puis l’État sont alors intervenus pour aider au financement et au soutien d’une politique de départ en colo d’été du plus grand nombre et pour mieux encadrer ces initiatives. Les colonies de vacances font désormais partie de notre mémoire collective pour avoir permis à plusieurs générations de découvrir les joies de la campagne, de la mer ou de la montagne.

Les centres de loisirs collectifs ont, tour à tour, été placés sous la tutelle du ministère de la justice, puis, après la Libération, sous celle du ministère de l’éducation nationale, avant d’être repris, depuis 1958, par le ministère des sports. À chaque fois, ces changements de périmètres qui correspondaient finalement aux mutations de la société ont aussi été facteurs d’évolutions profondes du rôle et des missions des colonies de vacances.

Les colos d’aujourd’hui ont beaucoup changé. Elles se sont adaptées et ont évolué vers plusieurs types de structures d’accueils collectifs. Réglementées par l’État, encadrées par des équipes qualifiées et organisées par des associations, des communes, des comités d’entreprise, mais aussi parfois des entreprises privées, elles sont segmentées en fonction de différentes tranches d’âges et offrent des formules variées, permettant un accueil tout au long de l’année pendant les petites et grandes vacances, avec ou sans hébergement. Les séjours de courte ou de longue durée, en France ou à l’étranger, sont souvent des lieux organisés autour d’un projet pédagogique et proposant des activités diversifiées.

Toutefois, comme le confirme le rapport qui fait référence pour beaucoup d’entre nous, présenté en juillet 2013 par notre collègue député Michel Ménard, les effectifs sont en forte baisse, tout comme la durée des séjours, et ce sont les mini-camps, mis en place par les centres de loisirs, qui tendent à se substituer aux séjours classiques. La mixité sociale n’étant plus de mise dans ce contexte, les valeurs républicaines et citoyennes et les messages qu’elle véhicule ne sont, hélas ! plus une préoccupation majeure.

Ces tendances se sont confirmées l’été dernier, alors que les centres de vacances ont encore accueilli plus de 1,5 million d’enfants et de jeunes.

Alors qu’il y a trente ans, les enfants partaient en colo pendant un mois, la durée moyenne des séjours est maintenant de cinq à six jours. Ces séjours de moins d’une semaine en centre de loisirs communal ou à proximité du domicile familial ont même tendance à augmenter.

Plus de 80 % de ces séjours se déroulent encore en France, mais ils concernent essentiellement des jeunes entre treize et dix-huit ans. La baisse de fréquentation touche en effet plus particulièrement les enfants les plus jeunes, ceux qui ont entre quatre et douze ans.

Quant aux séjours sportifs ou linguistiques, qui représentent 10 % de la globalité des séjours, ils échappent à la désaffection, tout comme les séjours dans les camps scouts.

Plusieurs raisons expliquent ces évolutions. Cela a été dit à plusieurs reprises, la principale explication est financière : les séjours ont fortement augmenté ces dernières années, notamment sous les effets d’une législation sociale plus stricte, de normes plus nombreuses et de charges d’entretien plus lourdes, mais aussi parce que l’offre de séjours à thèmes, forcément plus coûteux, s’est bien développée. Les coûts de ces séjours se situent actuellement entre 400 et 800 euros pour une semaine. Cette somme est bien entendu à multiplier selon le nombre d’enfants dans le foyer. Faire bénéficier ses enfants d’une colonie est donc devenu inabordable pour une majorité de parents. Comme l’a souligné, à juste titre, notre collègue François Fortassin, alors que le coût moyen d’une journée en colonie s’élève à 63 euros par jour, il est inférieur pour les centres de loisirs – environ 35 euros – et très nettement plus faible en ce qui concerne le mouvement scout puisque le tarif journalier se situe entre 10 et 15 euros.

En outre, les aides aux parents se font de plus en plus rares. Après la défection des aides de l’État, ce sont les bourses de la caisse d’allocations familiales qui disparaissent, se limitant aux seuls centres aérés, voire aux familles en très grandes difficultés. La participation des comités d’entreprise a également été orientée à la baisse.

À ce compte, ce sont le plus souvent les enfants des milieux aisés qui peuvent accéder aux centres de vacances d’été, tout comme ceux des familles très modestes, aidés par les comités d’entreprise, les municipalités ou les services sociaux. Ce sont les classes moyennes qui sont bel et bien les plus directement touchées par la hausse des tarifs de ces séjours, les parents préférant, quand ils le peuvent, favoriser les vacances familiales.

D’autres causes sont ciblées et ont déjà été largement développées par les orateurs qui m’ont précédée.

Face à ce constat alarmant, le rapport fait des propositions, Jacques-Bernard Magner l’a rappelé, pour relancer des séjours de vacances collectifs. Il s’agit, par exemple, d’intervenir auprès de la SNCF pour obtenir des tarifs préférentiels, de favoriser une plus grande diffusion des chèques-vacances dans les entreprises ou encore de créer un fonds national d’aide aux départs en vacances collectives.

Cela, beaucoup de collectivités l’ont déjà fait, de manière volontariste, à leur niveau et selon leurs capacités financières. Je prendrai l’exemple du département du Nord, qui s’est illustré à travers l’opération « Vacances du cœur » en partenariat avec l’association La Jeunesse au plein air ou à travers un autre dispositif volontariste, l’aide au départ des jeunes, en partenariat avec les centres sociaux et les acteurs locaux de chacun des territoires.

Dès novembre 2013, votre prédécesseur, madame la ministre, avait annoncé l’ouverture d’un vaste chantier visant à faire évoluer le secteur des colonies de vacances à but non lucratif et à le conforter dans sa mission principale, qui est bel et bien de permettre à tous de partir en vacances collectives. Vous avez vous-même assisté, fin mai, à l’assemblée générale des scouts de France, dont vous dites vouloir vous inspirer, notamment au regard de leur succès dans les quartiers populaires. Pouvez-vous nous indiquer les mesures que vous envisagez afin de relancer les séjours en colonies de vacances – ces « jolies colonies de vacances » que défendait Pierre Perret ? Comment comptez-vous, dans l’esprit de solidarité nationale, accélérer ce mouvement de relance, vital pour notre jeunesse et son apprentissage des valeurs républicaines, citoyennes et de la vie en collectivité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens au préalable à saluer l’initiative du groupe CRC, qui a conduit à l’inscription à l’ordre du jour de votre assemblée de cette question extrêmement importante qu’est l’avenir des colonies de vacances.

Extrêmement importante, elle l’est en effet, au moment où nous sommes, comme chaque année, confrontés à la contradiction de voir fleurir dans chaque station de métro la campagne d’affichage des agences de voyages sur le thème « mer ou montagne, où irez-vous passer vos vacances ? », alors que, nous le savons, cette année encore, comme l’année dernière, près de 40 % de nos concitoyens ne partiront sans doute pas en vacances. Chez les jeunes, le constat est encore plus préoccupant puisque ce sont trois millions d’entre eux qui devraient passer à nouveau leurs vacances à leur domicile.

Dans ce contexte général, la situation des colonies de vacances est particulièrement préoccupante, comme vos interventions l’ont souligné. Pour moi, un chiffre résume la situation à laquelle elles sont confrontées : alors que le taux de départ en colonie de vacances était en 1995 de 15 %, il est tombé aujourd’hui à 7,5 %. À la simple lecture de ce chiffre, on pourrait être tenté de répondre immédiatement à la question que vous m’avez, les uns et les autres, posée : s’il y a un avenir pour les colonies de vacances, il paraît en effet assez sombre.

Les évolutions constatées depuis maintenant une bonne dizaine d’années dans ce secteur, comme la tendance spontanée que nous observons, n’engagent pas à beaucoup plus d’optimisme. L’augmentation des prix de séjour a conduit, dans les faits, à l’exclusion progressive des enfants des classes moyennes les plus fragiles. Quand 15 % des enfants dont les parents gagnent plus de 4 000 euros par mois partent en colonies de vacances, ce chiffre tombe à 4 % pour ceux dont les parents gagnent entre 1 000 et 1 500 euros.

Cette évolution s’accompagne du recul de la mixité sociale au sein de séjours de plus en plus spécialisés et dont les coûts s’envolent pour les familles.

Enfin, les acteurs à but lucratif viennent concurrencer de plus en plus frontalement le secteur de l’éducation populaire, qui était pourtant jusqu’à présent le pilier historique des colonies de vacances.

Voilà le tableau des colonies de vacances que nous pourrions dresser, dans dix ans, si nous ne réagissions pas dès aujourd’hui : un secteur dominé par des professionnels des vacances proposant des séjours de plus en plus spécialisés à des publics socialement segmentés et dont seraient exclues les classes moyennes les plus fragiles.

Faut-il accepter cette évolution et céder à la tentation du laisser-faire ? Je ne le crois pas. Certains se demandent, en effet, pourquoi il faudrait favoriser certains types de vacances plutôt que d’autres et les séjours collectifs plutôt que les départs autonomes dans le cadre familial ou entre amis.

Je voudrais tout d’abord souligner que les colonies de vacances ne sont pas « en concurrence » avec les vacances familiales, car elles s’inscrivent très souvent dans un temps différent, pendant lequel les parents travaillent encore.

Par ailleurs, je suis intimement persuadée que le départ en dehors du cadre familial et la rencontre avec d’autres enfants, issus de quartiers, de milieux et de cultures différents, constituent pour chaque enfant une occasion d’ouverture et de découverte indispensable, laquelle est le premier pas vers l’autonomie.

Dans une société confrontée, toujours davantage, à la tentation du repli sur soi, sur sa famille, voire sur sa communauté, l’expérience du départ, de la rencontre de l’autre, est fondamentale dans la construction de soi.

Les lieux de cette rencontre, de cette mixité, me semblent trop peu nombreux aujourd'hui pour que l’on puisse se priver de l’espace de découverte que représentent aujourd’hui les colonies de vacances pour de nombreux enfants.

On entend dire également qu’on pourrait laisser le marché s’adapter à la demande, qu’une entreprise de vacances est tout aussi à même de faire partir des jeunes que la Fédération des œuvres laïques ou La Jeunesse au Plein Air. Là encore, ce n’est pas mon avis. Je suis profondément convaincue que les colonies de vacances ne sont pas qu’un outil d’aide au départ : il ne s’agit pas simplement de faire partir des jeunes dans un bus et de les occuper pendant dix jours.

L’ambition des colonies de vacances, je le redis avec force, est tout autre. Elle doit être un levier d’émancipation, d’éducation, d’apprentissage, d’accompagnement à l’autonomie des jeunes et des enfants qu’elles accueillent, un lieu de découverte et d’ouverture à de nouveaux horizons.

Je ne pense pas qu’une entreprise de loisirs vaille une fédération d’éducation populaire pour organiser de telles vacances des jeunes. Il est aujourd’hui nécessaire, selon moi, de mettre en place un cadre qui permettra de consolider les grandes fédérations d’éducation populaire et les acteurs du tourisme social dans leurs missions.

Au-delà des enjeux sociaux, voire politiques, qui s’attachent à l’avenir des colonies de vacances, nous ne devons pas oublier les enjeux économiques liés à la préservation d’un secteur qui a su construire un modèle innovant, original, et qui offre non seulement un cadre d’éducation pour les enfants qu’il accueille, mais également le lieu d’une première expérience professionnelle pour les jeunes, quel que soit leur statut, qui les encadrent et les accompagnent.

Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très attachée au renforcement des colonies de vacances et à la préservation de ce qui fait leur singularité.

Toutefois, ne nous y trompons pas, défendre les colonies de vacances, ce n’est pas s’enfermer dans un conservatisme teinté de sépia ou s’arc-bouter sur un modèle qui ne correspondrait ni aux attentes des enfants ni à celles des parents d’aujourd'hui. De ce point de vue, je partage avec les grands acteurs du secteur la volonté de construire un nouveau modèle de colonies, qui soit adapté aux évolutions de la société.

La refondation du modèle des colonies de vacances, c’est l’objet du dispositif « Des colos innovantes ! », soutenu par le ministère des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, et lancé sur la base d’une réflexion partagée entre l’administration, les financeurs, au premier rang desquels la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, les élus et les grands réseaux associatifs. Cette initiative vise à poser les bases de ce que devront être les colonies de demain, en tentant d’apporter des réponses aux défis auxquels sont confrontées celles d’aujourd’hui.

Le premier enjeu – le premier défi ! – est selon moi la reconquête de la confiance des parents. Si des causes structurelles, notamment financières, pèsent sur le nombre de départs en colonie, on constate également, il faut le dire, une réticence croissante des parents à confier leurs enfants à des institutions qu’ils estiment ne pas connaître suffisamment.

Il est primordial, dans ce contexte, que la colonie de vacances commence bien avant le jour du départ et qu’un lien s’établisse en amont entre les organisateurs et les parents, afin de tisser des relations de confiance et d’exposer le projet pédagogique qui sera mis en place pendant le séjour. Ce lien doit être maintenu pendant le séjour et entretenu à son issue.

Le deuxième enjeu – le deuxième défi –, consiste à assumer clairement et explicitement les ambitions portées par les colonies de vacances, pour rendre plus visible leur spécificité dans ce qui est devenu un marché très concurrentiel. Cela passe par la mise en avant du projet pédagogique, mais aussi d’un certain nombre de valeurs, au premier rang desquelles figurent la mixité sociale, l’accueil de tous les enfants, notamment ceux qui sont en situation de handicap, l’égalité et la laïcité, valeurs qui sont la « marque de fabrique » des colonies de vacances.

Le troisième enjeu – et troisième défi – est la construction d’un modèle de séjour qui échappe à une forme de « courses aux armements » aiguillonnée par une concurrence toujours plus forte dans ce secteur. En effet, si cette dynamique concurrentielle a pu aboutir à une certaine diversification et à l’enrichissement des programmes d’activité, elle a aussi eu pour conséquence une élévation continue du prix des séjours et l’exclusion progressive des enfants des classes populaires et moyennes des colonies de vacances.

Nous devons pouvoir, aujourd’hui, revenir à des modèles de colonies de vacances qui proposent aux enfants des cadres éducatifs plus simples, plus rustiques peut-être, mais tout aussi stimulants, privilégier les hébergements légers plutôt que les équipements systématiquement construits en dur, développer des séjours qui fassent découvrir non seulement les destinations lointaines, mais aussi les campagnes et les forêts qui entourent nos villes.

Ces défis méritent d’être lancés ! Au-delà de sa participation à l’élaboration de la « Charte nationale des colos innovantes », le ministère des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports s’emploiera très activement à faire connaître cette offre de séjour, notamment par l’organisation de campagnes d’information et de communication auprès du grand public et des grands prescripteurs que sont les CAF, les collectivités et les comités d’entreprise.

Si cette charte est un premier pas dans la construction d’un nouveau modèle de colonies de vacances, elle ne pourra suffire à relever les défis auxquels est confronté ce secteur. Au-delà de la réaffirmation de la singularité de ce modèle et des valeurs qu’il porte, je souhaite également engager avec les acteurs concernés un certain nombre de chantiers structurels, afin de mieux soutenir les organisateurs de séjours.

Je pense, tout d’abord, à l’indispensable simplification de l’organisation des séjours. Cela passe par un travail, d’ores et déjà engagé entre l’État, les collectivités locales et les organisateurs de séjours, visant à passer au crible les contraintes réglementaires qui pèsent sur les organisateurs de séjours collectifs de mineurs.

Si des améliorations permettant d’alléger les démarches auxquelles sont confrontés ces organisateurs peuvent être engagées, elles le seront, mais en gardant à l’esprit que la priorité absolue doit être la protection de la santé et de la sécurité des enfants accueillis. Il existe des marges de progression en la matière.

La simplification passe également par la mise en œuvre de mesures facilitant au quotidien la vie des organisateurs. Je pense, notamment, à la simplification de l’organisation des voyages en train pour les groupes. La SNCF a engagé un travail important en la matière et développe aujourd’hui son offre en direction des groupes, laquelle passera cet été de 1 million à 2,5 millions de places.

Je pense, enfin, à la question financière, afin de soutenir l’émergence d’un nouveau modèle de colonies de vacances.

Comme je l’ai dit précédemment, le soutien aux colonies de vacances est un choix de société, un choix politique, que l’État entend assumer. C’est pourquoi je souhaite mobiliser au service de projets innovants les moyens du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse et du volet « jeunesse » du Programme d’investissements d’avenir.

Au-delà de l’importante question de l’investissement, nous devons réfléchir à la façon de réorienter les moyens aujourd’hui consacrés à l’aide aux vacances en direction des colonies de vacances.

Plusieurs d’entre vous l’on dit, les crédits que notre pays accorde à l’aide aux vacances, que ce soit par les exonérations accordées sur les chèques vacances, par les différentes mesures d’aide sociale, ou via les concours des comités d’entreprises, sont considérables : on les évalue globalement à plus de 2 milliards d’euros. La CNAF a engagé le rééquilibrage de ses crédits de soutien aux départs en vacances en direction des séjours de mineurs. Nous devons accentuer et pérenniser cet effort.

Je souhaite aussi développer les démarches d’achat fondées non seulement sur le critère du coût, mais également sur des critères qualitatifs reprenant, par exemple, les éléments du label « Des colos innovantes ! ». À titre d’illustration, la sphère publique dépense à elle seule, au titre de ses missions d’employeur, plus d’un milliard d’euros pour soutenir le départ en vacances de ses agents.

Une réorientation d’une partie de ces crédits, dans le respect du code des marchés publics bien sûr, permettrait de soutenir efficacement le secteur des colonies de vacances. Je vais donc engager un dialogue avec un certain nombre de grands comités d’entreprise pour les encourager à concentrer leurs achats en direction des séjours labellisés. Nous ferons donc en sorte que ce qui vaut pour la puissance publique vaille également pour le secteur privé.

Nous allons, enfin, poursuivre le dialogue engagé autour du statut des animateurs et des encadrants, et de l’équilibre à trouver entre salariés, volontaires et bénévoles, pour offrir à chacun un cadre lui permettant de s’engager dans les projets éducatifs portés par les colonies des vacances, tout en bénéficiant d’un statut protecteur, et de continuer à faire vivre ce creuset d’engagement qu’a toujours été le monde des colonies de vacances.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, je partage votre préoccupation : oui, l’avenir des colonies de vacances est aujourd’hui incertain. Les évolutions sociales et le développement d’une nouvelle approche des vacances, plus individuelle, plus consumériste, ont fragilisé le modèle de colonies que nous avons connu.

Face à ces évolutions, je suis néanmoins persuadée que nous avons les moyens de mettre en place le cadre qui permettra à un nouveau modèle de colonies de vacances d’émerger, en conciliant la nécessaire adaptation des pratiques et l’affirmation volontaire des ambitions en matière d’éducation populaire.

Vous le constaterez dès cet été, je prendrai en tant que ministre chargée, à la fois, de la jeunesse et de l’éducation populaire, toute ma part dans l’accompagnement de cette transformation, qui d'ailleurs dépasse le simple cadre des colonies de vacances et met en jeu notre capacité collective à garantir l’effectivité du droit aux vacances pour chaque jeune, une ambition collective que je sais partagée sur toutes ces travées.

Les vacances représentent aujourd’hui des enjeux qui dépassent largement la question des loisirs. Il y a là un enjeu de justice sociale, dans une société qui se veut mobile, où l’assignation à résidence d’une frange entière de notre jeunesse pendant les vacances représente la plus grande des frustrations. (Mme Corinne Bouchoux approuve.)

Il y a là, aussi, un enjeu de conquête pour chaque jeune de son autonomie. La capacité à partir de chez soi, ne serait-ce qu’une semaine, représente bien souvent le premier pas vers d’autres départs, vers un logement autonome, vers l’emploi.

Il y a là, enfin, un enjeu économique pour notre pays et son industrie touristique. En effet, un enfant qui n’est pas parti en vacances deviendra un adulte qui ne partira pas en vacances. De la capacité de notre société à accompagner les premiers départs dépend l’existence, demain, d’une demande touristique intérieure forte et dynamique. Cet enjeu, nous devons donc l’avoir à l’esprit.

Pour toutes ces raisons, je souhaite engager dès aujourd’hui, dans la continuité des réflexions menées autour du secteur des colonies de vacances et de la réduction de la fracture touristique, une réflexion plus globale sur l’accès aux vacances des jeunes et de nos concitoyens les plus en difficulté, notamment des mères isolées des quartiers prioritaires, auxquelles nous devons donner l’occasion de rompre avec le quotidien et d’accéder aux loisirs et aux départs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – M. Joël Guerriau applaudit également.)