M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, réjouissons-nous que le sujet de la culture, dont je ne rappellerai pas ici l’importance, fasse ce soir l’objet d’une réflexion et d’un débat spécifique, bien en amont des discussions que nous aurons sur la réforme territoriale.

Il ne suffit plus aujourd’hui de proclamer une « exception culturelle » ; il faut aussi, plus de cinquante ans après la création du ministère de la culture, dresser un bilan, prendre acte de la situation et mesurer l’implication grandissante des collectivités locales, devenues également, au fil du temps des acteurs majeurs de la culture.

Depuis 1959, grâce à la politique dite de « décentralisation culturelle », notre pays a vu se développer nombre d’institutions de référence, d’équipements de proximité, d’associations culturelles portant un certain nombre de missions. Mais force est aujourd’hui de constater l’essoufflement de l’action publique : stagnation, voire baisse des moyens financiers, mais aussi absence de projets mobilisateurs et de perspectives nouvelles. Le ministère de la culture paraît à ce jour incapable de faire face aux missions qu’il prétend exercer et de définir ses propres priorités.

Cette situation explique le réel malaise dans lequel se trouvent ainsi la plupart des professionnels de la culture, malaise encore accru par le développement du numérique, avec le bouleversement tant des modes de production et de diffusion des écritures que du financement de la création.

Certes, il serait injuste de faire porter au seul ministère de la culture et à l’actuel gouvernement l’ensemble des responsabilités, mais il nous faut cependant bien constater l’inaction, pour ne pas dire la panne, devant laquelle nous nous trouvons depuis maintenant deux ans.

Une priorité avait été tout d’abord affichée en faveur de l’éducation artistique et culturelle. Nous attendions par conséquent la définition de cadres spécifiques : rôle des établissements d’enseignement spécialisé, formation des professeurs et des intervenants, définition des financements, articulation avec les nouveaux rythmes scolaires. Or on en reste à la promotion de quelques initiatives de terrain, certes pertinentes, voire exemplaires, mais dont la simple juxtaposition ne saurait en aucun cas dessiner une politique.

Nous attendions également la mise en œuvre de « l’acte II de l’exception culturelle à l’ère du numérique », qui devait faire suite au rapport Lescure, porteur de propositions concrètes. Nous avons finalement eu une multitude d’autres études et rapports, tous sans lendemain...

Nous sommes aussi toujours en attente des projets de loi annoncés, qu’il s’agisse de la création ou du patrimoine.

Par ailleurs, nous pouvons mesurer les baisses réelles du budget de la culture. Entre la loi de finances initiale de 2012 et celle de 2014, le total des crédits alloués aux missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles » est passé de 3,846 milliards d’euros à 3,440 milliards d’euros, marquant ainsi la baisse de l’implication de l’État dans ces domaines. Ce n’est pas exactement ce qu’avait promis le candidat François Hollande...

M. Roland Courteau. Nous y voilà !

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, vous assumez, avec courage, les choix du Gouvernement. Mais pourriez-vous nous préciser les perspectives que vous offrez aux opérateurs culturels pour leur permettre d’inscrire leurs actions dans la durée ?

Le ministère de la culture était un ministère de mission, d’impulsion, dont l’expertise et les conseils étaient précieux. Il est devenu aujourd’hui, faute de projet politique, une bureaucratie qui gère la pénurie en tentant de préserver le statu quo.

La politique contractuelle, qui était la base des relations entre le ministère et les institutions culturelles, est aujourd’hui mise à mal. On veut faire croire que l’on fera toujours autant avec moins de moyens : comment s’assurer ainsi une réelle crédibilité ?

Dans ce contexte, il est un sujet qui semble avoir mobilisé ces derniers mois : la disposition de la loi du 19 décembre 2013 qui prévoit que l’État peut « déléguer par convention à une collectivité territoriale ou à un EPCI qui en fait la demande l’exercice de certaines de [ses] compétences ».

Les explications que vous avez apportées, madame la ministre, se voulaient rassurantes, à défaut d’être toujours très claires. Cette disposition s’articulait avec le retour à la clause de compétence générale, sur laquelle on semble aujourd’hui vouloir revenir.

Surtout, dans le domaine de la culture, et à l’exception de quelques secteurs très particuliers tels que le patrimoine, on voit mal en quoi cette disposition ouvre des perspectives vraiment nouvelles : la plupart des actions conduites dans le domaine de la création ne le sont-elles pas déjà sur des bases contractuelles, en partenariat avec des collectivités locales ? N’est-ce pas là justement ce qui caractérise depuis l’origine le mouvement de décentralisation culturelle ?

Cependant, il est clair que, si ce mouvement devait aboutir à une sorte de décentralisation à la carte, chaque collectivité prenant ce qu’elle souhaite, il deviendrait difficile de concevoir et de mettre en œuvre toute politique culturelle un tant soit peu cohérente.

Pour autant, il nous semble bien que le modèle français de partage et de coresponsabilité tel qu’il s’est développé paraît aujourd’hui à bout de souffle. Dans le contexte actuel de rigueur budgétaire, plus personne ne fait de vrais choix assumés et les professionnels, renvoyés d’un partenaire à l’autre, se trouvent perdus dans d’épuisantes discussions.

À l’occasion des discussions sur la prochaine réforme de l’organisation territoriale, le groupe UDI-UC se fera force de proposition afin de sortir de cette impasse et d’opérer dans le domaine de la culture – mais cela vaut sans doute aussi pour d’autres secteurs, tels le tourisme ou le sport – une véritable répartition des compétences.

Il ne s’agira pas d’organiser le « saucissonnage », comme cela a été dit, mais de mieux coordonner pour une nouvelle dynamique. Cela suppose que soient clairement affirmées dans la loi les compétences de l’État, de la région, des établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre, des métropoles, des agglomérations ou encore des communautés de communes, et cela en fonction, bien entendu, des objectifs visés, des publics potentiellement concernés et des moyens mobilisables.

Ensuite, il importera de prévoir, à un moment ou à un autre, le vote d’une série de lois-cadres propres à chaque secteur culturel, définissant le rôle de chacun, la façon dont ces compétences s’exercent et organisant les transferts de moyens correspondants.

Bien sûr, il est permis de déplorer les tendances au retrait que manifestent certaines régions et dont sont victimes des institutions telles que le centre Pompidou à Metz ou encore le centre dramatique du Nord. Justement, ces attitudes illustrent bien les inconvénients du cadre actuel, marqué par l’absence de cohérence tenant aux objectifs multiples imposés aux acteurs culturels, aux attentes formulées, mais surtout aux moyens alloués.

Nous entendons bien le discours selon lequel seul l’État saurait imposer, dans un souci d’équité, une même approche sur l’ensemble du territoire national. Mais c’est aussi au bilan de cette ambition que nous sommes aujourd’hui confrontés : une récente étude de l’Arcade montre que sur les quatre régions étudiées, à savoir Lorraine, Poitou-Charentes, PACA et Rhône-Alpes, la dépense culturelle par habitant de l’État varie de 17,67 euros à 23,27 euros. On mesure donc bien la relativité du poids de l’État en région, sa faible capacité à opérer de réelles redistributions, et, bien sûr aussi, la concentration de son intervention, la proportion des communes concernées variant de 8 % à 19 %. Sans doute les écarts seraient-ils encore plus importants si nous disposions de données pour la France entière.

Combien de scènes nationales dans le Nord ou en Seine-Maritime, combien en Gironde ou dans les Vosges ? Que comprendre à la façon dont les labels sont attribués ? Pourquoi quasiment la moitié du budget du ministère se trouve-t-elle dépensée à Paris intra-muros ?

Comment penser que l’État fera demain, avec des moyens réduits, ce qu’il n’a pas fait durant plus de cinquante ans ? Un État qui, aujourd’hui, se montre incapable d’engager sa signature dans des contrats pluriannuels, pourtant indispensables au fonctionnement des institutions culturelles, et qui leur impose de fonctionner au rythme capricieux des annonces de gels et de dégels.

Nous avons pourtant pu le vérifier, lorsque des compétences sont effectivement transférées, les collectivités savent s’en saisir. Dans le domaine des archives ou de la lecture publique, non seulement les moyens ont été globalement accrus, mais les disparités territoriales se sont réduites.

Nous entendons aussi les inquiétudes exprimées par certains acteurs culturels qui considèrent que seul l’État protégerait leur liberté artistique face aux décisions subjectives parfois discutables des élus. Là aussi, mesurons concrètement ce que pèsent réellement les services du ministère dans les choix qui sont opérés tant pour les nominations que dans le cadre des évaluations des responsables de structures.

En réalité, nous voyons bien que les collectivités ont su se doter de services compétents et que bon nombre d’élus savent que l’action culturelle repose sur la collaboration de professionnels reconnus et respectés au profit des territoires qu’ils gèrent et de leurs habitants.

Même dans le secteur du spectacle, ou plus largement de la création, que nous savons sensible, seule une véritable décentralisation portée par les régions et les communautés de communes permettra justement une meilleure couverture de notre territoire national.

Ce mouvement poussera l’État à s’affirmer dans un rôle de médiation, qui permettra aux partenaires sociaux, dans le dossier de l’intermittence par exemple, de dépasser les approches à courte vue pour assurer, dans des conditions financières supportables, l’efficience et la survie du dispositif.

Je rappelle que le Sénat a, dans ce domaine, fait des propositions dont le Gouvernement pourrait s’inspirer dans le cadre de la discussion prochaine prévue par l’accord de mars 2014. Là encore, vous faites des déclarations de principe, mais vous ne proposez pas d’orientations sur l’évolution du système

Bien sûr, nous sommes conscients que le problème du financement de la culture ne passe pas seulement par de simples transferts entre collectivités publiques, les biens culturels étant une ressource irremplaçable pour les industries culturelles et pour les nouveaux services qui se développent sur internet.

Or les évolutions que connaît le monde numérique fragilisent le financement même de la création, et ce dans tous les domaines. Dès lors, il importe que, sur le modèle du CNC – Centre national du cinéma et de l’image animée – ou du Centre national des variétés, l’État mette en place de nouveaux mécanismes de collecte et de redistribution de recettes. Aussi, on ne peut que regretter l’abandon par le ministère du projet de Centre national de la musique, sur lequel la réflexion engagée par le gouvernement précédent avait pourtant bien progressé.

N’oublions pas non plus les évolutions qu’une réelle décentralisation imposera aux secteurs du patrimoine.

Comment opérer le transfert des archives, dès lors que les départements disparaissent ?

Comment organiser les compétences relatives aux monuments historiques, aux abords, aux objets mobiliers ?

Que deviendront les missions exercées par les architectes des bâtiments de France ? À cet égard, je rappelle la proposition de loi déposée par notre collègue Françoise Férat, qui tend à la création d’un Haut conseil du patrimoine permettant de rendre plus transparentes les décisions prises par l’État.

Comment articuler ces décisions avec les pouvoirs des collectivités en matière d’urbanisme ?

Tout cela doit être clarifié.

Enfin, je veux dire quelques mots sur la confusion dans laquelle se trouvent aujourd’hui les secteurs de la formation supérieure, de l’enseignement spécialisé et de l’éducation artistique et culturelle.

S’agissant de l’enseignement spécialisé, après les tergiversations imposées par certaines régions et malgré les expérimentations concluantes conduites en Poitou-Charentes et en Nord-Pas-de-Calais, la mise en œuvre de la loi de 2004 reste, hélas, au point mort. Pis, les crédits préservés par le précédent gouvernement ont aujourd’hui disparu !

Le travail d’élaboration de lois-cadres permettra ainsi non d’affaiblir le rôle de l’État, mais de le mettre au contraire à sa juste place, qui consiste à définir les cadres nationaux dans lesquels s’exercent et se financent les activités culturelles et artistiques, alors même que la capacité d’impulsion et de garant dont il se prévaut encore se trouve aujourd’hui mise à mal par sa propre inaction. À l’État aussi de définir, en lien avec les institutions européennes, les modalités de l’inscription de l’art et de la culture dans le monde et les pratiques d’internet.

Au moment où le Gouvernement semble vouloir engager une nouvelle étape pour notre organisation territoriale, nous voulons ainsi affirmer notre vision résolument décentralisatrice. (Applaudissements sur les travées l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.

M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, évoquer la relation entre culture et collectivités territoriales revient à poser avec force la question de la décentralisation culturelle, ainsi que celle, non moins essentielle à mes yeux, de la démocratisation culturelle.

La richesse du paysage culturel et artistique, la vitalité de la création que doit garantir une politique culturelle digne de ce nom ne se conçoivent en effet que dans une perspective d’exigence démocratique en termes d’accès à la culture.

Les collectivités territoriales jouent, vous le savez, un rôle primordial et déterminant dans ces domaines. Elles contribuent pleinement au dynamisme de la culture française, à côté de l’État, dans des domaines tels que le livre, avec les bibliothèques et les médiathèques, la musique, avec les écoles et les conservatoires, le spectacle vivant, avec les troupes en résidence, les arts de la rue.

Elles sont en réalité les principaux financeurs de l’action culturelle en France puisque les budgets qu’elles y consacrent annuellement dépassent le budget de l’État attribué à la culture !

Les collectivités territoriales trouvent pleinement la spécificité et le sens de leur intervention dans la relation de proximité qu’elles entretiennent sur leurs territoires, avec leurs habitants, pour réaliser l’objectif d’accès de toutes et de tous aux œuvres culturelles.

Ainsi, l’action des collectivités, consacrée par les différentes phases de décentralisation, doit, à mon sens, être intimement liée à la volonté de lutte contre les inégalités culturelles, territoriales ou sociales. Elle doit permettre de s’assurer que tous les citoyens, quels que soient leur lieu de résidence et leur milieu, ont accès à la culture.

Malraux, en 1966, parlait de la « culture pour chacun » à propos de la responsabilité de l’État dans cette mission : garantir l’accès de tous ceux qui le souhaitent à la culture et développer une offre culturelle sur tout le territoire, en particulier pour la jeunesse. Il la concevait alors comme un déploiement des services culturels sur l’ensemble du territoire : les services déconcentrés, les maisons des jeunes et de la culture. Cela trouvera une suite avec les lois de décentralisation, à partir de 1982.

La culture pour tous, c’est aussi, j’en suis convaincu, dans le prolongement de Jean Vilar et d’Antoine Vitez avec son « théâtre élitaire pour tous », le souci d’allier démocratisation culturelle et exigence artistique. C’est accompagner les publics les plus éloignés de la culture par une action spécifique, qui permette la rencontre entre artistes, œuvres et population. En réalité, il s’agit de réduire la distance symbolique qui existe entre les milieux populaires et la culture, encore assimilée au monde « bourgeois ».

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Bosino. C’est à tout cela qu’œuvrent, ou devraient pouvoir œuvrer, les collectivités locales.

En matière de réduction des inégalités territoriales, les collectivités jouent donc un rôle fondamental, qui suppose également une volonté forte d’accompagnement, d’aide et de soutien de la part de l’État.

La coopération à tous les échelons d’intervention est en effet la clé de la vitalité culturelle : tous participent au financement, au rayonnement de projets, de structures, de compagnies qui ont besoin de cette complémentarité pour exister.

Effectivement, cela a été dit, la compétence dans le domaine culturel est partagée, et elle doit le rester. Les lois de décentralisation ne précisent d’ailleurs pas les rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales en matière de financements, ce qui permet à chacun de se saisir de cette question. La clause de compétence générale donne la possibilité d’agir dans le domaine culturel, mais ne confère pas de compétence obligatoire ou exclusive.

L’annonce d’une énième réforme des collectivités territoriales pourrait remettre en cause cette clause et cet équilibre déjà très précaire, à l’image de la précarité des intermittents du spectacle. Eu égard aux objectifs d’une telle réforme, les enjeux culturels risquent fort d’être négligés, car rien ne garantit leur pérennité. Ainsi, la clause de compétence générale, supprimée par l’ancien gouvernement et tout juste rétablie par le nouveau, serait finalement remise en cause. Telle est du moins l’annonce qu’a faite le Premier ministre lors de son discours de politique générale.

Or c’est précisément cette clause de compétence générale, avec la possibilité qu’elle ouvre d’effectuer des financements croisés, qui permet au milieu culturel de vivre – plus précisément, de survivre – via la participation de collectivités locales de divers niveaux. Il faut donc impérativement la préserver.

L’action culturelle locale est fondée sur l’entente et la coopération de différents acteurs, parmi lesquels figure l’État. Comment les collectivités locales vont-elles pouvoir continuer leur action culturelle quand, outre la perte envisagée de la clause de compétence générale, une ponction de 11 milliards d’euros va d’ores et déjà être opérée dans leurs budgets ? Rappelons également que la réforme des rythmes scolaires, qui aurait pu permettre une véritable avancée dans l’accès à la culture des enfants, va surtout se traduire par une dépense supplémentaire considérable.

Pour indispensables que soient les collectivités locales, elles ne peuvent jouer leur rôle si l’État se désengage de ses missions et de ses responsabilités financières.

Si les mots ont un sens, la décentralisation correspond bien à un transfert de missions de l’État vers les communes, départements et régions, ce transfert de compétences devant alors s’accompagner d’un transfert de financements, c’est-à-dire par le versement de dotations de l’État aux collectivités locales à la hauteur des missions qui leur sont confiées.

Or, force est de le constater, le montant de ces dotations n’a jamais été estimé à la juste valeur des missions des collectivités locales et, plus grave, il n’a en fait cessé de diminuer.

Le précédent gouvernement dénonçait la prétendue « folie fiscale » des collectivités territoriales. Si les termes employés sont moins provocateurs aujourd’hui, malheureusement, le discours n’a pas fondamentalement changé.

Telle est la situation que nous connaissons, alors que les moyens des collectivités locales ont déjà été rigoureusement réduits en 2009 par le biais de la suppression de la taxe professionnelle appliquée aux entreprises ! Rappelons que cette taxe représentait plus de 50 % des moyens propres des collectivités locales.

Nous sommes donc particulièrement préoccupés, car la capacité d’intervention de celles-ci, dans le domaine de la culture peut-être encore plus dans d’autres secteurs, va s’amenuiser, ce qui éloignera la perspective d’un développement territorial équilibré de la culture et remettra en cause l’existence de certaines compagnies et structures particulièrement fragiles.

En effet, la culture est toujours la première que l’on sacrifie. Mais comme le dit Jack Ralite dans sa lettre au Président de la République : « La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable. La culture n’est pas un luxe, dont en période de disette il faudrait se débarrasser, la culture c’est l’avenir, le redressement, l’instrument de l’émancipation. C’est aussi le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme. »

C’est avec cette vision que, pour ma part, en tant qu’élu local et avec mes collègues, j’ai jusqu’à présent, malgré les diminutions budgétaires, maintenu les financements du budget culturel de ma ville et de sa salle de spectacles. Un tel choix est malheureusement trop rare, et surtout de plus en plus difficile à faire d’année en année, car les mauvaises nouvelles ne cessent de pleuvoir.

La situation financière mène à des décisions absurdes. Je pense, par exemple, aux compagnies en résidence – il en existe une dans ma ville –, dont on réduit le budget consacré à la production tout en épargnant le budget dédié à la diffusion. Mais que diffuseront-elles, à terme, si elles n’ont même plus les moyens de créer ?

L’annonce de la baisse des dotations de l’État ne nous permet pas d’être optimistes quant à la capacité de financement d’un véritable service public de la culture. Le désengagement de ce même service public est dramatique, car on abandonne, ce faisant, la culture à des intérêts privés qui se substituent au vide laissé peu à peu par l’action publique. Nous sommes bien loin de la vision pourtant développée et défendue par la France avec la notion d’exception culturelle !

Attachés à ne pas considérer les biens et les services culturels comme de simples marchandises, en raison du sens et des valeurs que la culture porte en elle, nous nous opposerons ainsi à tout ce qui, dans une réforme des collectivités locales, pourrait provoquer une nouvelle déstabilisation de l’action culturelle, de la même manière que nous combattrons toute diminution du budget de la culture, qu’il s’agisse de celui de l’État ou des moyens que lui consacrent les collectivités locales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la culture n’est peut-être pas la préoccupation première de nos concitoyens, mais nous sommes à la veille d’une grande réforme administrative et politique, dans un contexte de baisse des dotations publiques. Le moment me semble tout à fait indiqué pour procéder à un état des lieux et avancer quelques propositions. Je remercie donc mes collègues du groupe CRC d’avoir pris l’initiative du présent débat.

Après trente ans de démocratie culturelle, avec un territoire maillé par un grand nombre d’équipements, la mise en œuvre de politiques culturelles locales diverses et variées, la tentation est grande de relâcher nos efforts face à la réduction des moyens accordés aux collectivités locales.

Mes chers collègues, imaginons que tout le secteur culturel disparaisse de nos villes : plus de spectacles dans nos rues, plus de musique dans nos quartiers. Nos territoires ne perdraient-ils pas de leur saveur et de leur couleur ? Nous risquerions, à terme, une perte de notre identité et, par voie de conséquence, une uniformisation de l’image de notre pays, voire du monde.

Or, on le sait, la culture est un vecteur de partage, de vitalité, de démocratie et du vivre ensemble. Les collectivités locales l’ont bien compris : en 2010, leurs dépenses culturelles ont atteint 7,6 milliards d’euros, soit près du triple du budget du ministère de la culture qui s’élevait, cette année-là, à 2,9 milliards d’euros.

Si la culture est une dépense, elle est aussi source de richesse pour notre pays. Selon une étude conjointe de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires culturelles, l’industrie culturelle représente 3,2 % du PIB national, soit 58 milliards d’euros de valeur ajoutée, presque autant que l’agriculture et les industries alimentaires. D’après la même étude, cette industrie emploie par ailleurs 670 000 personnes, représentant 2,5 % de l’emploi total en France. Parmi celles-ci, on dénombre 200 000 intermittents qui sont des acteurs économiques à part entière, sans lesquels il n’y aurait pas de vie culturelle !

Une toute jeune circassienne me disait la semaine dernière : « Un artiste, madame Blondin, est un acteur et un poète, prêt à émerveiller son public, à oublier sa situation de précaire pour produire un rêve commun le temps d’un spectacle. » Cette jeune fille est âgée de dix-neuf ans, elle connaît toutes les difficultés de ce métier, mais elle a cette passion chevillée au corps. Je crois que nous devons encourager et aider ces intermittents !

Est-il nécessaire de rappeler le préambule de l’Acte constitutif de l’UNESCO, ratifié par la France en 1946 ? La diffusion de la culture est l’un de nos devoirs sacrés. L’accès de tous à la culture et à l’éducation fait partie intégrante de la dignité humaine et des droits de l’homme ; il est aussi important pour le genre humain que la biodiversité l’est pour le vivant.

Les collectivités locales se sont saisies de la culture, bien au-delà des compétences qui leur avaient été attribuées, à savoir la gestion des bibliothèques départementales de prêt et des archives départementales. Elles ont bien compris l’enjeu de développement culturel, social et territorial.

J’en veux pour preuve l’engagement tout récent d’un bourg rural du Finistère comptant 800 habitants, plutôt tourné vers les activités sportives traditionnelles, comme le football et le tennis. Grâce à l’intervention d’une artiste dans l’école, cette commune a mis en place un partenariat avec une petite compagnie pour proposer des activités culturelles de proximité, en complémentarité avec celles de la communauté de communes, à la satisfaction des habitants. Cet exemple montre bien le rôle de la médiation culturelle qu’il ne faut pas non plus négliger.

De plus grandes collectivités locales, comme le conseil général du Finistère, ont fait de la culture pour tous un axe essentiel de leur projet stratégique. Je ne citerai que quelques actions.

Le conseil général contribue au financement des structures labellisées afin d’agir au plus près de la population. Il a mis en œuvre un schéma départemental d’éducation artistique et culturelle, un schéma d’orientation de développement des lieux de musiques actuelles, ou SOLIMA, un plan de développement de la lecture publique. Je rappelle que le Finistère est l’un des dix départements qui font partie de l’Observatoire de la lecture publique.

Je n’oublie pas non plus le soutien qu’apporte notre département aux pratiques amateurs – on en a peu parlé jusque-là, mais celles-ci sont très importantes en Bretagne, surtout dans le domaine de la culture bretonne ; en bénéficient 38 bagadou – pluriel de bagad –, 4 000 sonneurs, 1 200 écoles de musique, ainsi que des professeurs qui circulent dans tout le département pour enseigner et diffuser la musique, le chant, la danse et la langue bretons. Le conseil général consacre plus de 2,3 millions d’euros à la promotion et au développement du breton depuis plus de vingt ans : sans les collectivités territoriales, ce magnifique et unique patrimoine immatériel que représente une langue régionale aurait disparu de la surface de la terre !

Avec l’inscription de la culture dans son pacte territorial d’insertion, le conseil général agit pour l’insertion des personnes les plus fragiles économiquement parlant ou en situation de handicap. La culture peut leur donner le moyen de redynamiser leur parcours personnel, de reprendre confiance en elles-mêmes et de s’engager dans un vrai parcours d’autonomie.

La Plateforme d’initiatives pour les artistes du Finistère, également appelée PIAF – quel beau nom, n’est-ce pas ? –, est un autre exemple de cette action. Ce dispositif s’adresse aux artistes bénéficiaires du RSA : il vise à les accompagner individuellement dans la structuration de leur projet artistique et à les rendre autonomes financièrement.

Un autre outil de démocratisation culturelle permettant d’associer partenaires et financeurs multiples est constitué par les EPCC, dont a parlé M. Bordier. En France, il en existe entre 90 et 100, dont la majorité a pris la forme d’EPIC. Les acteurs s’accordent à reconnaître que ces structures – qui se sont souvent substituées à d’anciens services publics ou régies – ont permis une meilleure coopération entre les différents échelons et une meilleure offre de services, même s’il faut peut-être revoir le dispositif et envisager quelques évolutions qui ont été mentionnées précédemment.

Les quelques exemples que je viens de vous donner, madame la ministre, mes chers collègues, nourrissent ma conviction que les collectivités, quel que soit leur niveau, ont un rôle à jouer dans le soutien à la création et à l’accessibilité de tous à la culture

Dans le cadre des futures lois de décentralisation – et je ne parle pas du projet de loi en préparation sur la création artistique –, la possibilité d’une délégation des compétences de l’État dans le domaine culturel et de compétences partagées semble avoir été retenue. C’est bien la transversalité qui justifie que la culture soit une compétence partagée.

Bien que je sois contrainte par le temps, je souhaite évoquer, pour terminer, le pacte d’avenir pour la Bretagne signé à Rennes en 2013. Il prend en compte le fait que la culture a été envisagée comme un élément central de développement de la région par la signature d’une convention spécifique consacrée à la culture pour les années 2014-2020 dont les principaux axes sont : une gouvernance partagée entre l’État, le conseil régional et les collectivités territoriales dans le cadre d’un processus de coordination régionale des politiques culturelles publiques ; la reconnaissance des spécificités du développement culturel en Bretagne ; la recherche d’une simplification administrative, le tout dans un dialogue étroit, une concertation et une volonté permanente de coconstruction avec les conseils généraux, les grandes villes et l’État, qui reste le garant de l’intérêt national et des personnels dans les régions.

Pour reprendre les mots de Pierre Curzi, coprésident de la Coalition canadienne pour la diversité culturelle, « l’art et la culture sont les ferments essentiels de l’identité et de la cohésion d’une société. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)