M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’histoire du droit pénal est en grande partie celle de la répression de la récidive, une histoire jonchée d’échec et qui pourtant se répète.

En France, sous l’Ancien Régime, les anciennes coutumes en vigueur avant les grandes ordonnances royales prévoyaient, par exemple, que l’on essorille – c’est-à-dire que l’on coupe une oreille – le délinquant à sa deuxième condamnation. À la troisième, point de rémission : le voleur était définitivement essorillé pour ne pas avoir entendu ce qui lui était reproché, avant d’être pendu.

La relégation demeure la sanction la plus connue en matière de lutte contre la récidive. Introduite en France par la loi du 27 mai 1885, son objectif majeur était d’éloigner le plus longtemps possible les récidivistes de la ville.

Ces lois partaient toutes de l’idée que les récidivistes étaient incorrigibles, irrécupérables et qu’il fallait les éliminer, du moins les éloigner sans se soucier des suites.

Il n’est malheureusement nul besoin de remonter loin dans notre histoire pour rencontrer de nouveau cette philosophie, laquelle préside encore trop souvent à la rédaction de nos lois pénales. En effet, durant les dernières décennies, les faits divers, terreau de la démagogie, en ont justifié un bon nombre : renforcement des sanctions, instauration de peines planchers, rétention et surveillance de sûreté, mise en place du tribunal correctionnel pour mineurs… Autant de textes utilisés comme des instruments de communication politique, mais qui, aujourd’hui, ne parviennent pas à masquer un bilan particulièrement négatif, pour ne pas dire désastreux.

Avec ces lois, l’élimination n’est évidemment plus physique, mais sociale. Quant à l’éloignement, il se décline sous la politique du « tout-enfermement ».

Il a toutefois échappé aux rédacteurs de ces lois que notre société a heureusement évolué depuis 1885 et que la plupart des personnes emprisonnées ressortent un jour. C’est en maintenant cette politique du « tout-enfermement », qui plus est dans des conditions peu respectueuses des droits de la personne humaine, que sont fabriqués ces récidivistes et ces exclus, qui sont ensuite montrés du doigt.

Avec ces lois, on s’est contenté d’entasser des individus dans des mètres carrés, de les mettre pour un temps à l’écart de la société. On a empêché leur réinsertion en les infantilisant littéralement, quand on ne les a pas carrément brisés par des conditions de détention dégradantes. Là réside le laxisme !

La fameuse loi pénitentiaire de 2009 – encore bien inappliquée à certains égards, comme cela a été rappelé – mise à part, nous examinons ce soir, pour la première fois depuis longtemps, un projet de loi de réforme pénale qui rompt avec cette politique inefficace, aussi bien par la méthode, à travers la mise en place d’une conférence de consensus qui a permis d’avoir un vrai discours scientifique sur la peine, que par le contenu, lequel résulte de ce travail de concertation.

Ce projet de loi entend prévenir efficacement la récidive et donner un sens à la peine. Pour ce faire, il se donne des objectifs précis : sortir du « tout-carcéral », insister sur la personnalisation des peines, supprimer les mécanismes automatiques faisant échec à l’individualisation des peines et construire un parcours d’exécution des peines efficace dans la prévention des risques de récidive.

Nous approuvons l’ensemble de ces objectifs. J’évoquerai tout d’abord celui qui vise à sortir du « tout-carcéral ».

Vous le savez, le taux d’incarcération n’a cessé d’augmenter – 38 % depuis dix ans –, et le taux de récidive n’a pas pour autant diminué, bien au contraire.

La mesure phare de ce texte, qui défend l’idée que la peine ne doit plus être synonyme de privation de liberté, est la contrainte pénale. Il s’agit d’une peine effectuée en milieu ouvert, entièrement tournée vers le suivi socio-éducatif du condamné. Elle est conçue non comme un mode de sanction moins sévère que la peine d’emprisonnement, comme on peut l’entendre parfois, mais plus efficace, car plus adapté au traitement de la plupart des délits, qui ont, d’ailleurs, été énumérés ce soir.

L’expérience montre qu’une peine exécutée en milieu ouvert peut s’avérer plus contraignante qu’une peine de prison, car elle comporte une obligation de résultat. La personne condamnée sera absolument tenue de suivre les injonctions qui lui seront fixées, in fine celle d’aller de l’avant. En termes de lutte contre la récidive, la contrainte pénale sera plus efficace qu’une peine passive effectuée en prison dans les conditions que nous savons.

Pour que cette mesure soit efficace – ne nous voilons pas la face –, il faut que les moyens nécessaires soient donnés aux magistrats et conseillers d’insertion et de probation, véritables chevilles ouvrières de ce texte. Il faudra aussi qu’un important travail pédagogique soit effectué pour faire en sorte que les magistrats s’approprient rapidement cette peine qu’ils devront distinguer d’autres mesures telles que, par exemple, le sursis avec mise à l’épreuve.

Moyens humains, moyens financiers, sachez, madame la garde des sceaux, que nous serons toujours à vos côtés pour aller en ce sens et que nous ne pouvons accepter le statu quo défendu par certains, selon lesquels les difficultés budgétaires, que nous dénonçons par ailleurs, empêcheraient de faire évoluer la philosophie de notre droit pénal. Il s’agit d’une évolution nécessaire, pour ne pas dire indispensable, en ce début de XXIe siècle.

J’ajouterai un mot sur l’important travail de notre rapporteur qui a permis de nourrir le débat sur ce point.

L’adoption de son amendement – nous y reviendrons demain – permettrait de faire de la contrainte pénale une peine autonome, encourue à titre principal pour une série de délits précisément identifiés, lesquels ne seraient plus passibles d’une peine d’emprisonnement.

Tout comme notre rapporteur, je pense que cette solution permettra d’identifier clairement la contrainte pénale comme nouvelle peine de référence en matière correctionnelle. Nous y reviendrons lors du débat sur les articles, mais je peux déjà dire que la solution préconisée par notre rapporteur a notre faveur en ce qu’elle permet de sauver des geôles destructrices les auteurs de vols simples, de filouterie, ou encore les fumeurs invétérés. (Sourires.)

Il ne nous semble pas que cette décision remette en cause le pouvoir des juges, puisqu’il leur reviendra toujours de choisir ou non de recourir à la contrainte pénale ou à l’amende et d’en proposer l’application.

Tout l’enjeu de la contrainte pénale n’est-il pas justement de créer une peine qui permette d’éviter à ces gens un passage en prison dont nous savons tous qu’il est inefficace et désocialisant ?

En ce sens, admettre que certains faits, de faible gravité, soient punissables d’une contrainte pénale et non plus d’une peine d’emprisonnement ne nous semble pas aberrant. La prévention de la récidive passe aussi par là : cet amendement évitera que de petits délinquants, condamnés à de courtes peines, ne ressortent au bout de six mois endurcis par la prison et prêts à commettre de nouveaux délits, parfois différents de ceux pour lesquels ils avaient été condamnés.

Ce texte porte ensuite l’exigence d’une individualisation de la peine selon la personnalité du condamné. Je ne reviens pas ici sur la suppression de mécanismes automatiques limitant les possibilités d’individualisation. Vous connaissez la position de notre groupe sur cette question : nous avons constamment défendu cette exigence à travers les propositions de loi que nous avons déposées.

Je voudrais en revanche souligner une innovation majeure de ce projet de loi : la césure pénale. Ce dispositif permettra de ménager opportunément le temps de la réflexion en autorisant des investigations qui aideront à décider de la peine la plus adaptée à la personnalité du condamné et donc de mieux prévenir la récidive.

Je n’ai pas ici le temps de développer l’ensemble des mesures du texte initial, que nous saluons et que nous soutiendrons, auxquelles s’ajoutent celles qui ont été adoptées par notre commission. Et sur ce que le projet de loi ne contient pas, j’y reviendrai au cours du débat. Il nous semble en effet que, sur certains points, le texte aurait pu aller un peu plus loin.

J’évoquerai brièvement la suppression de la rétention de sûreté, aberrante peine après la peine. Ce projet de loi ne pouvait pas faire l’impasse sur cette mesure ; la commission des lois y a donc veillé. Pour notre part, il nous semble désormais indispensable de supprimer également la surveillance de sûreté.

De la même manière, s’il ne s’agit pas de balayer par principe tout ce qui a été fait précédemment, on ne pouvait pas permettre que la justice des mineurs soit oubliée d’un projet de loi relatif à l’individualisation des peines, et qui concerne donc l’ensemble des condamnés potentiels. C’est ainsi que, la semaine dernière, la commission des lois a permis qu’une première étape vers la réhabilitation de cette justice soit franchie, en adoptant un amendement tendant à supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. On s’en souvient, l’instauration de ces tribunaux, à la veille de l’élection présidentielle, s’était faite sans travail de concertation, et constitua une profonde régression par rapport au principe fondateur de l’ordonnance de 1945, lequel fait primer l’éducatif sur le répressif.

Cette ordonnance est et doit rester la traduction de la volonté de concilier les exigences des principes démocratiques, de la protection de la jeunesse et d’une juste répression de la délinquance des mineurs. Le groupe CRC, qui considère que la priorité éducative n’exclut pas la fermeté, se félicite donc de l’adoption de cet amendement et invite à poursuivre la réflexion sur la justice des mineurs, que les lois successives ont étouffée. Le présent projet de loi manque cruellement d’idées sur le sujet, même si son objet n’est pas de résoudre le problème. Un autre texte sur ce thème est donc attendu.

J’en arrive à mon dernier point. M. le rapporteur l’a indiqué, le présent projet de loi contient des dispositions relatives aux victimes, lesquelles, bien évidemment, ne peuvent être mises de côté. En réalité, je dirai que chacune des dispositions du texte les concerne, car on ne peut s’intéresser aux victimes sans s’intéresser aux délinquants.

Comme l’écrit Serge Portelli, spécialiste des droits des victimes, « victimes et coupables appartiennent à la même humanité. Questionner "l’enfer" de la récidive, se demander qui est […] dans le box des prévenus, c’est aussi aider les victimes. »

L’erreur, jusqu’à présent, a été de vouloir diviser cette humanité. Au gré de l’actualité, de faits qui bien sûr révoltent l’opinion publique, mais qui ne représentent pourtant qu’une petite part de la criminalité, les exclusions ont été renforcées.

En votant ce texte progressiste, nous redonnons aux juges les outils pour penser cette humanité dans toutes ses composantes, pour considérer les délinquants autrement qu’à travers un acte ou une énumération de faits.

En votant ce texte, nous réaffirmons que la peine doit aussi être un temps pour se reconstruire et se réinsérer. C’est le seul moyen efficace pour lutter contre la récidive, que la peine soit purgée en milieu ouvert ou fermé.

Mes chers collègues, le temps de l’essorillement est bien loin ; il nous faut évoluer, et ce projet de loi, qui a gagné encore en ambition grâce à la commission des lois du Sénat, en est l’occasion. Dès lors, en l’état, le groupe CRC le soutiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe RDSE votera très majoritairement ce texte, car nous sommes arrivés au bout d’un système. Nous, nous ne sommes ni laxistes ni répressifs ; nous voulons être des hommes et des femmes de bon sens. Pour nous, la politique pénale ne saurait être une simple réponse aux faits divers médiatiques, chose que nous avons trop souvent vécue au cours des années passées.

La méthode de la conférence de consensus, qui a présidé à l’élaboration du présent projet de loi, a permis de mettre en exergue les points de convergence entre des acteurs d’horizons divers. Dans la forme, néanmoins, nous ne pouvons que déplorer l’engagement de la procédure accélérée. Il s’agit, cela dit, d’une maladie gouvernementale (Mme la garde des sceaux sourit.), sur laquelle nous reviendrons dans quelques jours de manière plus sévère.

Je ferai plusieurs remarques sur le sujet qui nous occupe.

Tout d’abord, je vous pose la question, mes chers collègues : est-il raisonnable d’entasser toujours davantage de prévenus et de condamnés dans nos prisons ? La réponse, simple, de bon sens, ne peut qu’être négative. La situation de la population pénitentiaire, dont nous avons vu l’évolution au cours des dernières années, est devenue strictement intolérable. La solution n’est pas de construire de nouvelles prisons, même si, pour un traitement normal des condamnés, ce serait une bonne chose. D’autres réponses doivent donc être apportées.

Je suis souvent intervenu, avec Anne-Marie Escoffier et d’autres orateurs, pour souligner que les lois adoptées durant le quinquennat précédent nous avaient fait entrer dans un système de « noria », qui exigeait l’entrée d’un nombre toujours plus grand de condamnés en prison afin de les en faire sortir de plus en plus rapidement. C’était une aberration, dans tous les sens du terme !

En réalité, la création législative française en matière de droit pénal a été tout autant prolixe que brouillonne. Elle a laissé les praticiens de la justice aux prises avec les questions de l’utilisation judiciaire des lois adoptées comme des modalités concrètes de leur exécution, et avec des problèmes de structure et de personnel. Ce brouillage des pistes a entraîné un véritable épuisement professionnel des acteurs.

Ensuite, nous le savons, c’est une réalité humaine, la population pénale est socialement démunie. Seulement un tiers de la population pénale a un emploi avant l’entrée en prison, 70 % des personnes concernées ont un niveau scolaire inférieur au BEPC, et plus de 13 % d’entre elles sont illettrées, même si ce taux n’est que légèrement supérieur à la moyenne nationale.

La conférence de consensus a souligné les contradictions d’une politique pénale à la fois tournée vers la sanction et se donnant pour objectif de prévenir la récidive. Il n’y a pas – nous le savons tous, qui avons l’expérience de ces dossiers – de véritable corrélation entre la sévérité de la peine et le taux de récidive. C’est une réalité technique, démontrée par toutes les études, par toutes les données.

Nous savons également que, en cas de suivi, la récidive est 1,6 fois moindre que pour les sorties sèches. Or 80 % des personnes sortant de prison n’en font pas l’objet.

Il n’y a pas de risque zéro. Le crime, malheureusement, est inhérent à la nature humaine. L’objet d’une politique pénale est de réduire ce phénomène. Or je constate que celle qui a été menée depuis une dizaine d’années n’est pas une réussite ; on peut même considérer que c’est un échec.

Le traitement de la récidive a donné lieu à l’adoption d’une législation trop souvent foisonnante, privilégiant une sévérité accrue comme moyen de prévention de la récidive et plaçant l’emprisonnement comme peine de référence. Or, pour citer les mots de Jean-Marie Delarue, pour nous une référence, « l’efficacité de la prison réside moins dans le jour de l’entrée que dans le jour de sortie du condamné ».

L’indicateur le plus parlant de l’échec de cette politique est sans doute le taux d’incarcération, qui a atteint un niveau considérable, identique à celui qui prévalait à la fin du XIXe siècle. La France, en effet, compte aujourd’hui 68 600 détenus.

La révision de la politique pénale est donc nécessaire. Mais, madame le garde des sceaux, vous le savez mieux que nous tous, les moyens financiers et humains manquent ; ils ne sont pas au rendez-vous. Si une volonté politique forte n’y est pas associée, ce projet de loi pourrait se transformer, une nouvelle fois, en un pansement sur une jambe de bois.

La question des moyens est centrale. Nous l’avons tous dit en ces lieux, la loi pénitentiaire de 2009 était porteuse de nombreux espoirs, à contre-courant, d’ailleurs, du climat ultrasécuritaire qui prévalait alors. Le Parlement y avait travaillé dans un esprit consensuel. Malheureusement, cette loi est difficile à appliquer, pour ne pas dire davantage. Or la lutte contre la récidive passe aussi par l’amélioration des conditions de détention.

Je tiens, enfin, à vous faire part d’une observation, madame le garde des sceaux, qui me paraît fondamentale, même si je ne suis pas le premier – et encore moins le dernier – à la faire : la politique pénale laisse trop souvent de côté la question de l’exécution des peines. (M. le président de la commission des lois opine.) C’est très bien de vouloir constamment faire de nouvelles lois, mais si un État n’est pas en mesure d’appliquer les peines que la justice prononce, cela ne sert pas à grand-chose !

M. Jacques Mézard. Nous le savons, les peines sont souvent inappliquées, inutilisées par le juge ou exécutées de manière tellement tardive qu’elles perdent alors tout leur sens. Il y a un an, j’ai visité une maison d’arrêt, comme cela peut m’arriver de temps en temps. Dans la première cellule que l’on m’a ouverte, j’ai rencontré un détenu qui m’a indiqué purger une peine datant de 2001. Je ne crois pas qu’il s’agisse là d’un bon moyen de faire avancer la justice pénale !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est évident !

M. Jacques Mézard. Nous sommes donc très en retard sur ce point.

Lorsque les peines sont très éloignées de l’infraction, leur sens s’évapore. Or 70 % des peines d’emprisonnement connaissent un délai de mise à exécution, et une peine sur deux est mise à exécution entre 3,7 et 60 mois, soit cinq ans, ce qui correspond au délai de prescription de la peine en matière correctionnelle. Si l’on exclut les peines exécutoires sans délai, la moitié des peines d’emprisonnement sont mises à exécution après plus de 225 jours.

J’ai le sentiment que le présent projet de loi, même s’il est une amélioration, se résigne face à ce phénomène, voire l’entérine, puisqu’il va jusqu’à prévoir que les personnes dont la peine, prononcée plus de trois ans auparavant, doit être mise à exécution doivent être préalablement convoquées par le juge de l’application des peines. Je crains que l’exécution tardive n’ait encore de belles années devant elle !

Le changement, néanmoins, c’est que ce projet de loi s’interroge sur le sens de l’emprisonnement et rompt avec la politique pénale de ces dernières années, laquelle a conforté la peine privative de liberté comme peine de référence de notre droit pénal. L’individualisation des peines doit contribuer à faire baisser le taux d’incarcération.

L’action de la justice est souvent critiquée. Je suis pourtant un de ceux qui affirment qu’il faut faire confiance aux magistrats. Ce n’était pas le cas avec les peines planchers.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Absolument !

M. Jacques Mézard. J’avais d’ailleurs déposé une proposition de loi pour les supprimer, et une autre pour supprimer la peine de rétention de sûreté.

De ce point de vue, le texte déposé à l’Assemblée nationale contenait une régression. Il revenait en effet sur la loi pénitentiaire de 2009, en prévoyant l’abaissement des seuils d’aménagement de peine de deux ans à un an pour les primo-délinquants et d’un an à six mois pour les récidivistes. La commission des lois est heureusement revenue à la rédaction de la loi pénitentiaire de 2009.

J’en termine en disant un mot sur l’instauration de la contrainte pénale. Je ne crois qu’il s’agisse là de la panacée ; c’est plutôt un moyen. À ce titre, elle ne justifie pas les débats passionnés dont la presse, notamment parisienne – elle en a l’habitude –, s’est fait l’écho. Cette mesure, néanmoins, peut être un pas vers la réinsertion de certains délinquants. Dès lors, elle peut constituer un progrès.

Il est temps, madame le garde des sceaux, de mettre fin au populisme pénal ! L’ancien garde des sceaux et sénateur Robert Badinter l’a rappelé récemment, le moment est venu de savoir ce que l’on veut faire : une énième loi se fondant dans le foisonnement législatif ou bien une loi redéfinissant notre droit pour les années à venir ?

Ce texte, c’est notre sentiment, constitue non pas une révolution, mais bien plutôt une évolution, rendue nécessaire par les réalités. C’est la raison pour laquelle le groupe RDSE le votera dans sa grande majorité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ouvrirai mon intervention par un mot de Paul Ricœur, philosophe chrétien. Dans Soi-même comme un autre, il écrit : « La sagesse pratique consiste à inventer les conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude en trahissant le moins possible la règle. »

Pour Ricœur, une justice seulement rétributive reste en deçà du juste. Le jugement doit avant tout contribuer à la paix sociale, en rapprochant les points de vue et en repartageant entre eux le soin de l’apaisement et du renouvellement du lien social. Dans la continuité d’Aristote, Ricœur appelle à un effort renouvelé pour ne jamais séparer l’aspect déontologique de la justice, qui est l’affirmation de règles et d’obligations, de son aspect téléologique, dont la visée consiste en un bien-vivre en commun.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et Aristote avait raison !

Mme Esther Benbassa. Madame la garde des sceaux, le texte que vous avez initié constitue un tournant au regard d’une philosophie de la justice aspirant à préserver la touche d’humanité tout en palliant l’indifférence aux oubliés de l’histoire, une philosophie qui est aussi indignation et exigence de défendre les droits des plus démunis, avec et pour eux.

Si le projet de loi dont nous débattons réussit à traverser dignement une atmosphère politique qui est plus à la polémique qu’à la reconstruction sociale positive, il contribuera à faire de la compassion, comme le soulignait Rousseau dans Émile, non pas une faible commisération, mais une force susceptible d’irriguer les liens sociaux. Aussi bien Rousseau que Ricœur réhabilitent en effet la compassion comme composante du lien social, démontrant la force de ce sentiment, loin de tout éphémère sentimentalisme comme de tout stérile apitoiement.

Madame la garde des sceaux, votre texte, même incomplet, porte haut l’humanisme qui a longtemps été celui de notre pays, mais que certains de ses dirigeants tendent parfois à oublier, soumis à la course aux informations rapides et sensationnelles des médias, adeptes d’une philosophie du smartphone et du tweet qui serait, selon le flot du jour, à même de dicter décisions importantes et mesures prêtes à l’emploi ; telle cette utopie de la « tolérance zéro » à l’insécurité, dans un monde d’humains vulnérables et faillibles !

Avec ce texte, nous nous ouvrons aussi au care anglo-américain, tel qu’analysé par Joan Tronto. Selon elle, le care permet la « transformation de la pensée sociale et politique, en particulier de la façon que nous avons de traiter les "autres" ». C’est à partir de sa pratique que se révèlent le mieux les ressources de la compassion pour tisser des liens sociaux plus soucieux des besoins des plus démunis et plus ambitieux dans la défense de leurs droits. C’est en prenant au sérieux les pratiques du care et en les considérant dans toute leur envergure que s’en manifeste la puissance intégrative. À cet égard, votre texte est parfaitement réaliste, madame la garde des sceaux.

Nous, écologistes, sommes heureux et honorés d’examiner avec vous toutes et tous ce projet de loi relatif à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive, qui nous permet d’être les acteurs d’un tournant décisif. Il était temps de mettre fin à l’aberration des peines planchers, ainsi qu’à la révocation automatique du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve.

La contrainte pénale, l’une des mesures phares de ce projet de loi, a certes réveillé les démons les plus puissants de notre imaginaire pénal. Pourtant, au printemps, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive a démontré, chiffres à l’appui, que, pour les petites infractions, la récidive était plus faible après une peine de probation en liberté qu’après un séjour en prison.

L’enfermement à tout prix serait-il donc le seul horizon possible de la peine ? Et pourquoi la peine de probation serait-elle un cadeau fait aux délinquants ? Pourtant, Nicole Maestracci, magistrate, présidente du comité d’organisation de la conférence de consensus, a insisté sur le fait que la peine de probation était « une peine à part entière », ajoutant qu’il convenait de sortir de l’idée selon laquelle les peines en milieu ouvert seraient plus douces que l’enfermement.

Et comme l’écrit Denis Salas : « Cette peine s’inscrit complètement dans la philosophie de la réhabilitation. » Punir, c’est d’abord réinjecter dans l’individu coupable des normes sociales et non morales. La psychanalyse nous a appris que l’on ne pouvait pas éradiquer le désir du mal et qu’il était vain d’espérer rendre le délinquant plus vertueux, mais qu’il était possible d’essayer de l’insérer dans la société et de l’empêcher de devenir pire, comme c’est le cas, justement, dans ces prisons où les petits délinquants fréquentent des bandits d’envergure ou des djihadistes, dans une promiscuité extrême et dans l’abandon à soi-même.

Il s’agit non plus d’entretenir une société sondagière et vengeresse de l’utopie sécuritaire et du populisme pénal, mais de travailler à l’avènement d’une société apaisée qui participe activement à la mise en œuvre de la sanction. En fait, selon Denis Salas, le droit à la probation dit au coupable : « Tu seras puni, mais tu gardes ta place parmi nous. »

M. Philippe Bas. Une utopie en remplace une autre !

Mme Esther Benbassa. Merci d’intervenir et de compléter ma culture ! (Sourires.)

Selon Paul Ricœur, ce droit à la probation dit : « Tu vaux mieux que tes actes. »

Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Il nous faut choisir entre deux options : soit construire de plus en plus de prisons, soit renforcer les actions éducatives, d’insertion et de solidarité à l’endroit des délinquants pour moins de récidive et plus de sécurité.

L’autre grande question est évidemment de savoir si l’on se donnera les moyens de faire aboutir cette réforme, notamment s’agissant de l’instauration d’un examen systématique de la situation des condamnés à une peine de plus de cinq en vue de l’éventuel octroi d’une mesure de libération sous contrainte, mécanisme qui devrait permettre de lutter efficacement contre les sorties sèches, véritable terreau de la récidive.

Il s’agit ici non pas de lâcher des criminels dans la nature, comme certains le prétendent, mais, au contraire, d’éviter l’environnement carcéral souvent criminogène à certains auteurs d’infractions, qui se verront contraints par de nombreuses obligations et interdictions adaptées à leur situation.

N’oublions pas non plus que l’insertion commence en milieu fermé. Aucune mesure n’a été jusqu’à présent véritablement efficace pour lutter contre les sorties sèches, puisque 78 % des personnes incarcérées sortent sans aucun contrôle, ce chiffre atteignant 98 % pour les personnes condamnées à moins de six mois.

Il faudrait préalablement à la sortie obtenir un logement, entamer des procédures difficiles pour obtenir un RSA, une carte Vitale, et ainsi articuler la politique pénitentiaire et les politiques sociales. Car, comme le dit Denis Salas, le récidiviste est non pas une figure de l’incorrigible, mais celui qui attend qu’on l’aide dans sa vulnérabilité et qu’on le reconnaisse dans sa demande de droits sociaux.

Ainsi ce projet de loi tend-il à convertir la prison en chance pour la réinsertion. L’objectif est clair : réduire le risque de récidive. À nous de rappeler à l’opinion que l’inflation législative et l’enfermement comme réponse pénale dissuasive n’ont pas réussi à endiguer la récidive. Si l’incarcération apporte une sécurité provisoire, seule une réinsertion réussie renforce la sécurité à long terme.

Je veux ici rendre hommage au travail de nos collègues de l’Assemblée nationale, et notamment des députés écologistes, qui ont beaucoup amélioré le texte.

Parmi les nombreuses avancées, je mentionne la création à l’article 18 quinquies d’une procédure de demande de mise en liberté pour motif médical au bénéfice des personnes placées en détention provisoire. Cette disposition reprend les termes d’une proposition de loi écologiste déposée par notre ancienne collègue Hélène Lipietz et adoptée à l’unanimité par le Sénat au mois de février dernier, texte dont j’étais alors la rapporteur.

Le texte issu de la commission des lois du Sénat a montré que son rapporteur socialiste, Jean-Pierre Michel, dont je salue ici l’excellence de la contribution, et les écologistes, ainsi que les communistes, portent des combats communs et se retrouvent sur nombre d’amendements. Je pense ainsi à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs délinquants ou de la rétention de sûreté.

Nous voterons donc en faveur de ce projet de loi. Mais je vous exhorte, mes chers collègues, je nous exhorte, quand bien même certains de nos points de vue divergeraient, à nous rassembler autour de ce texte, un texte rompant avec l’imaginaire collectif binaire qui divise le monde entre, d’un côté, les coupables et, de l’autre, les victimes, ces dernières n’étant nullement oubliées dans le dispositif.

Gardons à l’esprit que « l’Autre », c’est encore nous-mêmes. Ne sacrifions donc pas ce texte à la fois humaniste et réaliste sur l’autel de nos clivages politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)