compte rendu intégral

Présidence de Mme Christiane Demontès

vice-présidente

Secrétaires :

M. François Fortassin,

Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte commun sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 7 juillet prennent effet.

3

Candidature à une délégation sénatoriale

Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en remplacement de Mme Laurence Rossignol, dont le mandat sénatorial a cessé.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

4

Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du mercredi 9 juillet 2014, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 41-4 du code de procédure pénale (n° 406–2014 QPC).

Acte est donné de cette communication.

5

Renvoi pour avis unique

Mme la présidente. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 (n° 689, 2013–2014), dont la commission des affaires sociales est saisie au fond, est envoyé pour avis, à sa demande, à la commission des finances.

6

Réforme ferroviaire – Nomination des dirigeants de la SNCF

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission

 
 
 

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme ferroviaire (projet n° 650, texte de la commission n° 682, rapport n° 681, avis n° 652) et de la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la nomination des dirigeants de la SNCF (proposition n° 651, texte de la commission n° 683, rapport n° 681).

La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, le 30 octobre 2012, alors que la SNCF célébrait ses soixante-quinze ans d’existence, le constat que nous faisions était celui d’un système ferroviaire en crise, tant dans le fonctionnement entre la SNCF et Réseau ferré de France, RFF, qu’en termes financiers, constat aussi exprimé par nos concitoyens, et qui s’est parfois illustré dramatiquement par des accidents – je pense notamment au terrible accident de Brétigny-sur-Orge qui s’est produit il y a près d’un an. Aussi, nous devons mesurer la responsabilité qui est la nôtre lorsque nous évoquons la réforme du système ferroviaire et son indispensable modernisation, ainsi que l’enjeu que représente le ferroviaire pour notre nation. À l’époque, j’annonçais la nécessité d’une vaste réforme du système ferroviaire lui redonnant du souffle, de la clarté et de l’efficacité.

Fruit d’une large concertation durant de nombreux mois avec l’ensemble des parties prenantes, le projet de loi fut présenté en conseil des ministres le 16 octobre dernier. Il a été adopté par l’Assemblée nationale le 24 juin après des échanges intenses et constructifs, alors que l’actualité n’était pas moins intense. Je sais combien le débat ici même en séance publique – ce fut le cas en commission – sera très riche, afin de nous permettre d’améliorer encore le texte. Je souhaite que, grâce à l’amélioration du dispositif voté par l’Assemblée nationale et au travers de nos échanges, nous puissions adresser un message de confiance en notre système ferroviaire et d’espoir en son avenir, et dessiner un projet ambitieux pour le système ferroviaire français mais aussi pour nos territoires.

Ambitieux, parce qu’il exige de la nation qu’elle s’empare de l’enjeu ferroviaire, qu’elle se réapproprie les enjeux d’aménagement du territoire – je sais combien vous êtes sensibles à cette question majeure –, de cohésion sociale et de développement économique et industriel sur nos territoires. C’est aussi cela le défi du ferroviaire ; c’est aussi cela le patrimoine ferroviaire national.

C’est une réforme qui peut paraître technique, même si elle fut largement vulgarisée ces dernières semaines, mais qui n’en est pas moins une réforme de progrès, moderne et qui vise à atteindre cinq objectifs.

Le premier est l’affirmation d’un service public renforcé, mieux piloté, avec un État qui donne des impulsions, qui agit sous le contrôle de la nation et de ses représentants, lesquels seront désormais associés.

Le deuxième objectif est la mise en place d’un gestionnaire d’infrastructure unifié et la création d’un groupe public industriel intégré – la nouvelle SNCF – qui sera un acteur majeur et puissant du ferroviaire en Europe et dans le monde, et une véritable vitrine du savoir-faire industriel du ferroviaire français.

Le troisième objectif est la mise en place d’un pacte national pour assurer à terme l’équilibre financier du système ferroviaire. Je sais, là aussi, combien vous y êtes sensibles.

Le quatrième objectif est la nécessité, parce que le monde ferroviaire évolue, d’assurer la construction d’un cadre social commun à l’ensemble des acteurs du secteur ferroviaire, en maintenant le statut des cheminots et en unifiant la famille cheminote. Nous devons aussi avoir à l’esprit aujourd’hui que le paysage ferroviaire évolue, que plus d’une dizaine d’opérateurs agissent dans le ferroviaire et qu’il ne saurait plus y avoir de règles disparates, synonymes d’une concurrence déloyale et faussée ; j’y reviendrai.

Enfin, cinquième objectif, il faut, parce que nous avons un grand groupe intégré, renforcer le rôle du régulateur, afin de garantir l’impartialité dans l’accès au réseau.

Je vous propose de revenir sur chacun de ces cinq objectifs, mais sans trop entrer dans le détail puisque les débats nous permettront d’approfondir les propos tenus dans cette discussion générale.

Concernant tout d’abord le premier axe de la réforme, renforcer le service public est une nécessité.

Il faut redonner du contenu à la notion même de service public ferroviaire, car le paysage ferroviaire a beaucoup évolué. Le service public ne se limite pas à la seule mise en œuvre des conventions de service public. Ce sont aussi, et surtout, la sécurité, la sûreté, la qualité et la continuité du service public. C’est ce qu’attendent nos concitoyens et usagers.

Il faut aussi faire respecter par tous les exigences de ce service public ferroviaire : il nous faut favoriser la coordination entre les différentes autorités organisatrices, l’État mais aussi les régions, et veiller à la qualité de service, à la sécurité, à l’efficacité de tous les acteurs du ferroviaire, et pas à la seule SNCF. Il faut redonner une stratégie ferroviaire à notre pays, en finir avec des décisions d’opportunités dictées par une vision à court terme.

Le projet de loi crée plusieurs outils pour mettre en œuvre cette stratégie, elle illustrera le retour de l’État et plus largement de la puissance publique.

Ce sera la fonction du Haut Comité du ferroviaire. Ce lieu n’existe pas aujourd’hui et nous manque, car il permet l’association des élus, des régions, des entreprises et des organisations syndicales, bref, de tous les acteurs qui contribuent à la structuration, à l’orientation de l’avenir même de notre système ferroviaire.

En effet, ce n’est pas au seul groupe SNCF, certes historique et dont le monopole est avéré, de déterminer ce qui est un enjeu pour la nation tout entière. Remettons les enjeux d’efficacité économique, d’équité territoriale et de puissance industrielle, qui sont stratégiques pour le pays, au cœur même des lieux de décision.

Le Parlement – vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs –, trop longtemps tenu à distance, pourra ainsi se saisir, s’il le souhaite, de ces enjeux d’avenir. Le texte le prévoit. Il doit pouvoir être amené à prendre position régulièrement, par le biais d’une surveillance, sur les enjeux financiers, les enjeux d’aménagement du territoire et les enjeux environnementaux et sociaux du système ferroviaire.

L’État fixera enfin les objectifs du groupe public SNCF – j’y reviendrai – à travers des contrats qui seront conclus. C’est l’État qui dressera les perspectives et enclenchera la dynamique.

L’Assemblée nationale a souhaité renforcer ces aspects, et je sais pouvoir compter sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour contribuer au renforcement de la nation et de l’État.

Le deuxième axe de la réforme consiste en la mise en place d’un gestionnaire d’infrastructure unifié et la création d’un groupe public industriel intégré, réunifiant la famille cheminote.

Ce constat est dressé par tous, nous assistons à une forme d’atomisation des fonctions, d’éclatement des structures, des rôles, des missions... Aujourd’hui, RFF comme la SNCF souffrent de ce manque de cohésion, laquelle est pourtant gage d’efficacité. Le dialogue existe peu ou n’existe plus, les synergies sont à recréer. Il est indispensable pour la France de pouvoir disposer d’un acteur public majeur sur le plan national mais aussi au niveau européen et mondial.

Je vous propose de créer ce groupe public puissant, rassemblant les fonctions en son sein, les fonctions liées à l’infrastructure d’une part, réunies au sein de SNCF Réseau, et les missions de l’exploitation, d’autre part, rassemblées au sein de SNCF Mobilités.

Il s’agira, je le redis, d’un groupe intégré, parce que nous avons besoin que la famille cheminote vise les mêmes objectifs, associe ses forces, ses ambitions, ses volontés.

Nous voulons en finir avec ce séparatisme stérile et souvent très pénalisant. L’intégration permettra de gagner en efficacité, qu’il s’agisse de l’efficacité technique, de l’efficacité des investissements, de la mutualisation des coûts. L’impulsion de la dynamique ferroviaire viendra de l’établissement public de tête qui assurera le contrôle et le pilotage stratégique, et désignera une partie importante des membres du conseil d’administration du transporteur – SNCF Mobilités – et du gestionnaire d’infrastructure – SNCF Réseau.

Ce groupe public sera contrôlé par l’État, ou plus précisément l’État reprendra la place qui doit être la sienne dans une stratégie nationale. La SNCF sera dirigée par un directoire composé des présidents de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités. Ces deux dirigeants seront nommés par l’État et placés sous l’autorité d’un conseil de surveillance dont le président lui-même sera choisi par l’État.

Parce que l’œuvre ferroviaire est une œuvre collective, chacun doit y trouver sa place. Bien sûr, d’autres représentants doivent siéger au sein de ces instances. Leur présence est prévue par les textes que je soumets à votre approbation. Je songe aux délégués des régions. Le rôle de ces collectivités s’est considérablement accru au cours des dernières années, dans la structuration de l’offre ferroviaire de proximité. Je songe également aux représentants des salariés. Quant à l’État, il doit reprendre la main face aux défis du ferroviaire.

S’y ajoute un signal fort pour l’efficacité économique et industrielle : avec SNCF Réseau, le gestionnaire d’infrastructure sera enfin unifié.

Aujourd’hui, les agents de la direction de la circulation ferroviaire, la DCF, de SNCF Infra ou encore de RFF sont tous chargés, chacun dans leur entité, de la gestion de l’infrastructure. Ils sont séparés les uns des autres, répartis en services éclatés. Je le répète, cette séparation entrave la convergence des volontés communes. Je peux même dire que ces services ont été, à l’occasion, opposés.

Vous en conviendrez, ce n’est pas en séparant ceux qui doivent travailler ensemble, ceux qui gèrent l’infrastructure de ceux qui l’utilisent, que nous donnerons les gages d’une plus grande efficacité. Bien au contraire, nous devons les rassembler ! L’actualité nous en a, là aussi, donné une illustration flagrante. (M. Roger Karoutchi manifeste sa circonspection.) Nous y reviendrons dans nos débats.

Je le disais, cette entreprise que nous proposons, c’est un groupe unifié qui permettra de fédérer toutes les énergies, de faciliter – c’est important – les mobilités internes et de garantir la cohérence entre les investissements et le service. Nous devons veiller à conjuguer les investissements et l’utilisation des infrastructures.

Le troisième axe de la réforme, c’est la conclusion d’un pacte national pour sauver et assurer la pérennité financière de ce qui est, pour nous, un modèle de service public ferroviaire national.

Nous devons en avoir conscience : chaque année, le système actuel produit plus de 1,5 milliard d’euros de dette supplémentaire. Ce chiffre est même plus élevé si l’on intègre la construction en cours des quatre lignes à grande vitesse, ou LGV, financées par RFF via l’impôt.

Nous sommes placés face à un défi : le financement d’un certain nombre d’infrastructures a engagé l’avenir même du secteur ferroviaire. Avec ce projet de loi, le Gouvernement propose de stopper l’alourdissement du fardeau de la dette. À cette fin, un certain nombre de dispositions nécessiteront la contribution de tous et l’engagement de la nation.

Tout d’abord, il faut cesser de faire financer les grands travaux par des emprunts de RFF dont nous ne pouvons affirmer s’ils pourront, oui ou non, être remboursés. Il faut rappeler ce constat : au cours des dernières années, l’État s’est déchargé sur RFF du financement des LGV. (M. Michel Teston, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, opine.)

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Quelle en est la conséquence ? De moindres financements pour l’entretien et la modernisation de nos lignes de train du quotidien !

Mesdames, messieurs les sénateurs, chacun d’entre vous, sur son territoire, en est le témoin. Chacun d’entre vous m’alerte concernant telle ou telle remise à niveau nécessaire. L’expertise qui m’a été remise lors de ma prise de fonctions, il y a plus de deux ans, par l’École polytechnique de Lausanne, sur le niveau de dégradation de notre réseau ferroviaire, en a fourni un constat supplémentaire.

M. Michel Teston, rapporteur. Absolument !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Nous devons assurer, selon les cas, la modernisation, le renouvellement et le maintien au niveau du réseau ferré.

Il ne faut pas reléguer cette réalité au second plan. Il s’agit d’un patrimoine national, qui doit être préservé, développé et modernisé. Avec ce texte, nous souhaitons résolument mettre un terme à cette politique de la course en avant, qui s’est affranchie de toute obligation de financement et qui a laissé reposer sur les générations futures une dette aujourd’hui lestée de plus de 40 milliards d’euros.

Depuis deux ans, sous l’autorité des Premiers ministres Jean-Marc Ayrault puis Manuel Valls, j’ai tenu à redéfinir clairement les orientations en matière de politique de transports. Priorité a été donnée au transport du quotidien !

Deux exemples l’illustrent. Le premier, c’est la redéfinition du schéma national des infrastructures de transport, le SNIT, avec le célèbre rapport Duron. Le second, qui nous concerne ici en priorité, c’est la mise en place d’un plan ambitieux de modernisation du réseau ferroviaire. Je le précise à ce propos, ce document n’a de sens que si nous portons un regard d’ensemble sur ce sujet, si nous restructurons le système ferroviaire tout entier, si nous avons le souci de l’efficacité économique, pour mettre en place une véritable stratégie d’investissement pour l’ensemble du système.

Nous devons également optimiser le savoir-faire, la capacité et la compétence. Nous devons faire en sorte que cette ingénierie, cette capacité de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre des agents de RFF et de la SNCF soient réunies, coordonnées, optimisées, et rendent enfin sa fierté à la famille cheminote.

Ensuite, l’État prendra part à cet effort financier. Certains de nos concitoyens l’ignorent, car cette information n’est pas très répandue. Il faut pourtant l’avoir à l’esprit : à l’heure actuelle, l’État perçoit des dividendes sur le secteur ferroviaire, alors même que ce dernier est endetté de plus de 40 milliards d’euros ! Il faut retrouver de la logique.

M. Roger Karoutchi. Ça s’impose !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Il faut se montrer responsable. Nous proposons donc le reversement de dividendes du transporteur vers le gestionnaire d’infrastructure et, parallèlement, la compensation fiscale, au sein du groupe, des excédents et des déficits. Le transporteur et le gestionnaire d’infrastructure concourront à cet effort via des mesures d’optimisation, d’efficacité et de meilleure organisation du travail.

Enfin, nous vous proposons une règle : que le rétablissement des équilibres financiers fasse l’objet d’un contrat avec l’État. Ce pacte national n’a ni pour objectif ni pour effet, comme je l’ai entendu ces dernières semaines, de dégrader les conditions de travail ou le niveau de rémunération des cheminots. Il ne remet nullement en cause le statut de ces derniers. Cette contrevérité a été propagée à des fins de mobilisation, alors que le pacte national a précisément pour ambition de préserver, de renforcer et de développer le système ferroviaire français.

Le projet de loi donne ainsi les instruments au futur groupe pour stabiliser en dix ans son endettement. Cet effort est indispensable. Il ne supprimera pas le fardeau de la dette historique, j’en conviens, mais, vous le savez, l’État n’a pas aujourd’hui les moyens de prendre à son compte une partie de cette dette.

Au reste, je remarque qu’il s’agit d’une question de méthode : il n’y aurait aucun sens, pour l’État, à reprendre une partie de la dette sans avoir au préalable replacé le système dans une logique vertueuse. C’est précisément ce que garantit ce projet de loi, en prévoyant que le Gouvernement transmettra au Parlement un rapport sur les moyens pour traiter la question de l’évolution de la dette historique. Monsieur le rapporteur, cher Michel Teston, je sais que vous êtes sensible à cet enjeu. (M. le rapporteur acquiesce.) En commission, vous avez d’ailleurs souhaité que l’on aille plus loin en la matière, et je salue cette position.

Le quatrième axe de la réforme, c’est le volet social.

Dans ce domaine également, que n’ai-je entendu au cours des dernières semaines ? J’ai conscience des inquiétudes exprimées, parfois même véhiculées, voire instrumentalisées. Certains ont fait dire au projet de loi ce qu’il ne disait pas. Cette lecture ici même me permettra d’y revenir et de vous le démontrer, mesdames, messieurs les sénateurs.

Cela étant, je n’ignore pas ces inquiétudes. C’est précisément parce qu’elles existent que nous souhaitons y répondre. La France ne peut s’engager sans conséquence dans une bataille sociale du rail. D’ailleurs, depuis deux ans, l’esprit de dialogue s’est imposé. Il est marqué par la volonté de travailler avec l’ensemble des organisations syndicales, et avec les groupes parlementaires. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous en avez été les acteurs, les témoins ! C’est ce souci du dialogue social qui a animé mon travail et celui mon équipe, ce dans le seul but de faire réussir le ferroviaire français du quotidien.

À ce propos, je réaffirme avec force ma conviction, et je rappelle ma méthode, fondée sur le dialogue social, pour accompagner les changements dont la SNCF a besoin. Ce mouvement est indispensable : chacun en a conscience, les usagers bien sûr, mais aussi les professionnels du ferroviaire. La nécessité de réformer fait l’unanimité.

Je le dis avec beaucoup de conviction et de solennité : j’ai pu mesurer l’esprit de responsabilité qui était à l’œuvre, et je le salue. Je remercie les organisations syndicales représentatives qui ont accepté de s’engager, par la signature des accords de modernisation du 13 juin dernier.

M. Roger Karoutchi. Il faut le dire aux usagers !

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Monsieur Karoutchi, vous vous trompez : certains syndicats s’engagent, négocient et signent les accords, ce afin de prévenir des conflits sociaux préjudiciables aux usagers. Je le répète, je rends hommage à cet esprit de responsabilité. Je suis persuadé que vous n’avez pas bien perçu le sens de ma formule, faute de quoi vous auriez approuvé mes propos ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. Roger Karoutchi. Naturellement ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État. Les accords conclus se sont traduits par des avancées adoptées et complétées par l’Assemblée nationale. Elles portent notamment sur les modes d’intégration sociale du futur groupe. Celui-ci disposera d’instances représentatives du personnel centralisées et de délégués syndicaux centraux assurant la négociation sociale au niveau transversal.

Cette intégration sera également garantie par la réforme de la gestion des ressources humaines, laquelle sera pilotée au niveau de l’EPIC de tête, avec – c’est essentiel – la gestion coordonnée des parcours et de la mobilité au sein même de cette grande entreprise, de ce grand groupe public.

Il s’agit tout simplement de traduire en faits la volonté du Gouvernement, que j’ai rappelée à plusieurs reprises : permettre à chaque cheminot de dessiner son propre parcours par la mobilité professionnelle ; de disposer de possibilités de progression, de formations, qu’il s’agisse d’apprendre ou d’apporter une expérience ; de changer de métier s’il le souhaite, pour donner de nouvelles perspectives à sa carrière. La découverte d’autres métiers va de pair avec la modernisation, la progression individuelle et professionnelle. Cela est garanti par ce texte.

Il s’agit d’accompagner à la fois l’ambition collective du futur groupe public SNCF et les aspirations légitimes de chacun de ses salariés.

En outre, ce volet social est important en ce qu’il représente l’avenir du service public, lequel ne peut se concevoir sans l’existence d’un cadre social commun à l’ensemble des acteurs du secteur ferroviaire.

Vous le savez, depuis un certain nombre d’années déjà, la branche « fret » de ce secteur est ouverte à la concurrence. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) Las, faute d’avoir pris un certain nombre de précautions, les promoteurs de cette ouverture à la concurrence ont conduit à la déstabilisation du fret. Il fallait garantir une concurrence non faussée. Il fallait éviter que des règles disparates ne s’appliquent à chacun des acteurs. Aujourd’hui, il faut donc instaurer des règles sociales communes, ne laissant pas les charges au secteur public et les profits au secteur privé !

Les erreurs commises lors de la libéralisation du fret ne doivent pas être reproduites.

Tout d’abord, un calendrier européen sera suivi – nous y reviendrons. Pour défendre un service public, nous devons le moderniser et le préparer pour les rendez-vous qui conditionneront son existence et son avenir. On ne peut donc pas laisser la libre concurrence s’exercer sans imposer à tous un minimum de règles.

C’est à cette condition que nous pourrons mener une véritable politique publique ferroviaire respectueuse des impératifs de sécurité comme des nécessités d’aménagement du territoire et appuyée sur une ambition partagée de développement industriel et économique.

Par ailleurs, et là encore je répondrai certainement à des interrogations qui ne manqueront pas d’être formulées, je n’ai pas souhaité, et je l’ai dit dès les premiers jours de ma prise de fonctions, devancer une mise en concurrence, car il fallait auparavant permettre à l’entreprise nationale d’être efficace et compétitive. (M. Jean-Jacques Filleul opine.) Il ne faut pas ouvrir le marché sans qu’un certain nombre de garde-fous ne s’appliquent à chacun. C’est ma méthode. Voilà pourquoi, dans ce projet de loi, je n’ai donc pas souhaité anticiper un calendrier européen, d’ailleurs fort incertain. On m’indiquait, lors de ma première prise de fonctions, que celui-ci nous était opposable, or tel n’est pas le cas. À preuve, nous ne connaissons toujours pas de façon certaine les dates de l’ensemble de la libéralisation du secteur.

Durant d’autres périodes, une certaine absence de vigilance de l’État, du Gouvernement de la France, au niveau européen, a pu être perceptible. Désormais, lorsque nous engageons des négociations avec le commissaire européen, en faisant valoir nos exigences au niveau européen, nous n’envisageons pas de reculer, nous voulons au contraire faire triompher notre vision. Nous refusons donc d’anticiper des réformes qui nous seraient imposées sans même que nous fassions valoir certains des principes que j’expose devant vous.

L’objectif de ce projet de loi, n’en déplaise aux esprits pétris du dogme libéral, n’est donc pas de devancer des échéances (Exclamations sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Capo-Canellas s’exclame également.), que j’entends d’ailleurs négocier pied à pied au niveau européen.

Je veux que des règles protectrices soient appliquées par tous. Nous proposons donc de construire un cadre social commun. Chacun s’accorde sur la concurrence : elle doit se mettre en place entre acteurs appliquant des règles identiques. Encore faut-il nous mettre en situation de les imposer à tous. Il ne faudrait pas, une fois encore, prendre prétexte d’une certaine aversion envers le secteur public pour le condamner à assumer seul le coût du service public, en abandonnant les lignes bénéficiaires à une libre concurrence devenue soudain vertueuse. Je le dis d’autant plus solennellement devant les sénateurs que ces questions touchent à la réalité des territoires, à la sécurité et aux attentes des usagers en termes d’équilibre du territoire.

Ce cadre social commun doit porter sur l’organisation du travail et être compatible avec le maintien du statut des cheminots. Nous devons saisir ces enjeux majeurs pour ne pas laisser place aux partisans d’un libéralisme européen, ne pas sacrifier l’équilibre des territoires à des logiques purement financières.

La bataille du rail est désormais économique (M. Yves Chastan opine.) et se joue au niveau européen. Le projet de loi constitue, je le dis et je l’assume, une réelle avancée contre les velléités de concurrence déchaînée que j’entends à chacun des Conseils des ministres européens, comme, parfois, dans le cadre national. Ce texte c’est une forme de protection, de renforcement, c’est l’armature d’un édifice public sécurisé, prêt à affronter les défis de l’avenir et qui, loin de toute nostalgie, devra assurer la modernisation du ferroviaire.

Cinquième et dernier axe, il nous faudra assurer que le cadre de la régulation s’applique – nous y reviendrons en débattant de certains amendements –, grâce à un régulateur extérieur – puisque nous appelons de nos vœux un groupe public intégré et puissant –, qui garantira l’accès au réseau dans des conditions transparentes. Le régulateur a un rôle central dans le nouveau dispositif. Il devra prévenir d’éventuelles dérives du système et sera attentif au respect scrupuleux de la stratégie financière.

Je suis également attaché à son indépendance. C’est pourquoi j’ai, par exemple, soutenu à l’Assemblée nationale des initiatives tendant à exiger un avis conforme de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, non seulement sur les péages mais aussi sur les redevances gare.

L’existence d’un régulateur fort est la contrepartie nécessaire à la mise en place d’un groupe ferroviaire fort.

Pour clore mon propos, je tiens à dire ici que je suis conscient de mon rôle : défendre notre héritage commun, issu de la grande histoire humaine du ferroviaire et intimement lié au patrimoine de notre nation, à sa réalité, à ses territoires, mais également refuser que cette histoire ne soit cantonnée dans le passé, afin de lui permettre de se poursuivre et de s’amplifier.

Notre histoire est marquée par la symbolique du ferroviaire, jusque dans la réalité de notre pays : il a été structuré par le chemin de fer, illustration du progrès initié durant la première partie du XIXe siècle. Aujourd’hui n’est plus le temps des fondations, mais d’un nouveau tournant, d’une refondation, dans le contexte européen et mondial.

Dans notre rôle d’État stratège, nous devons soutenir l’industrie ferroviaire française, cette grande richesse, en nous assurant que notre vision lui confère une impulsion. Soyons conscients de la réalité à laquelle nous sommes confrontés en matière de lignes nationales et de trains d’équilibre du territoire : l’industrie ferroviaire n’ayant pas anticipé l’enjeu stratégique de l’organisation des réseaux et de la complémentarité entre train régional, train national et grande vitesse, il n’existait pas de trains susceptibles de remplacer dans leurs missions les Corails, les fameux trains Intercités. Sur ce point, nos débats s’enrichiront sans doute de vos expériences.

Il faut donc une impulsion, nous lui offrons un cadre.

Je remercie d’ailleurs Arnaud Montebourg d’avoir présidé à plusieurs reprises, à mes côtés, le comité stratégique ferroviaire, et d’avoir accordé les budgets nécessaires. M. Louis Nègre ne pourra pas méconnaître cette réalité. (M. Louis Nègre en convient.) Il ne pourra pas nous priver des discours qu’il tient dans le cadre d’autres responsabilités…