Mme la présidente. La parole est à Mme Elisabeth Doineau.

Mme Elisabeth Doineau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’impact de l’amiante sur la santé des travailleurs est terrible : chaque année, 3 000 décès sont recensés par l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA. À titre de comparaison, cela représente 200 morts de moins que les accidentés de la route ! L’amiante est responsable de 9 % des maladies professionnelles et de 76 % des décès dus à une maladie professionnelle en 2011.

La question de l’amiante est l’un des scandales sanitaires les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle. N’oublions pas que la France a été l’un des plus importants importateurs d’amiante dans le monde.

Le Centre international de recherche sur le cancer a classé dès 1977 toutes les variétés d’amiante comme cancérigènes pour l’homme. Or cette fibre a seulement été interdite dans notre pays en 1997, alors que le Danemark l’interdisait dès 1986, l’Allemagne et la Suisse, dès 1990.

Je ne relancerai pas la polémique sur les décisions prises alors. Cependant, il n’en demeure pas moins que l’héritage est lourd. Nous devons donc nous mobiliser encore davantage.

Comme cela figure dans l’excellent rapport du comité de suivi, présidé par Mme Archimbaud, il faut « éviter qu’au drame de l’amiante né de son interdiction tardive en 1997 ne s’ajoute un nouveau drame lié aux conditions du désamiantage ».

C’est pourquoi le Parlement s’est saisi du sujet. L’amiante est la preuve même de l’importance de l’action parlementaire dans notre pays, et en particulier de l’action sénatoriale. C’est sur un sujet tel que celui-ci que le pouvoir de contrôle du Parlement prend tout son sens.

Pendant la campagne pour les élections sénatoriales, combien d’articles programmant la fin inévitable de la Haute Assemblée ou dénonçant son inaction et son inutilité avons-nous lus ! Or le travail mené par le Sénat au sujet de l’amiante est, à ce titre, remarquable.

Le 20 octobre 2005, une mission commune d’information du Sénat présentait, après plus de soixante-dix auditions, son rapport sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante.

Après avoir analysé les raisons du « drame de l’amiante en France », les auteurs ont avancé vingt-huit propositions pour répondre aux attentes des victimes et régler le problème de l’amiante.

Au mois de février 2013, la commission des affaires sociales a créé en son sein un comité de suivi de l’amiante, afin de dresser un bilan de la mise en œuvre des propositions formulées en 2005. Son travail s’est achevé au mois de juin dernier avec la publication de son rapport.

Il en ressort que les propositions formulées en 2005 ont été majoritairement suivies : près de dix-sept sur vingt-huit, notamment pour la protection des travailleurs. Le comité a approfondi la réflexion sur deux sujets : d’une part, l’indemnisation des victimes, sachant que sept des propositions du rapport de 2005 sur le sujet n’ont pas été appliquées ; d’autre part, les enjeux du désamiantage.

Cependant, nous pouvons aujourd'hui affirmer sans crainte que la réglementation française est d’un bon niveau, au regard de la protection contre le risque de l’amiante. Elle s’articule sur deux volets : la protection de la population relevant du code de la santé publique et la protection des travailleurs inscrite dans le code du travail.

Cette protection en deux volets, rendue possible par les décrets du 3 juin 2011 et du 4 mai 2012, est relativement unique en Europe, parce que plus protectrice. En effet, les réglementations italienne, allemande, britannique et espagnole concernent principalement les travailleurs et l’environnement. Il n’existe pas dans ces pays une réglementation pour la population exposée, comme en France.

Enfin, je me félicite du rôle important que ma famille politique a joué dans ce travail. Notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe s’est très tôt investi sur ce sujet difficile. Et c’est naturellement qu’il a présidé la mission commune d’information formée en 2005, dont le travail fait référence encore aujourd’hui.

Par ailleurs, dans la suite de cette politique, nous ne pouvons que saluer la formation, au mois de février 2013, du comité de suivi, dont les conclusions sont lourdes d’enseignements. J’en profite pour féliciter une nouvelle fois Mme Archimbaud pour l’excellence du rapport, qui a le mérite d’exposer clairement le chemin parcouru, ainsi que les pistes à approfondir pour en finir avec le drame de l’amiante.

Je ne puis que le noter, si près des deux tiers des propositions de la mission commune d’information de 2005 ont été appliqués, des lacunes ou défaillances persistent encore. Onze mesures n’ont pas été mises en œuvre : sept sont relatives à l’indemnisation des victimes et son financement et quatre concernent la qualification des diagnostiqueurs et la constitution de bases de données.

Ainsi, deux axes prioritaires se dégagent : d’une part, la réparation en faveur des victimes ; d’autre part, la prévention et l’identification de l’amiante.

J’évoquerai d’abord l’indemnisation des victimes. La faiblesse des avancées est justifiée par le manque de moyens mis en œuvre. Pourtant, les solutions sont connues ; il ne reste plus qu’à les appliquer.

Le rapport de 2005 préconisait de revaloriser le montant de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Or son montant ne progresse pas. Il reste proche du SMIC. (M. Jean-Pierre Godefroy s’exclame.)

Dans l’un de ses derniers rapports, la Cour des comptes estimait que les graves difficultés liées au contentieux de l’indemnisation des victimes de l’amiante rendent nécessaire une harmonisation. Or le Gouvernement demeure inactif. Selon une avocate qui s’exprimait dans le journal Les Échos, les contentieux liés à l’amiante « sont depuis longtemps un véritable laboratoire qui teste tous types de recours ».

Enfin, il s’agit de doter les fonds d’indemnisation d’un réel financement pérenne, d’un échéancier et d’un suivi régulier, dans une optique de bonne gestion des comptes publics.

Or, neuf ans après, les propositions nos 10 et 11 de la mission commune, destinées à permettre un financement pérenne du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, ou FIVA, sont restées lettre morte. Il me semble pourtant nécessaire que la contribution de l’État dans la dotation du FIVA soit revalorisée de manière significative. Cet engagement doit se traduire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le deuxième axe prioritaire que je souhaite évoquer dans ce débat est la question centrale de l’identification et de la prévention de l’amiante. Nous ne pourrons pas éradiquer les dangers de l’amiante tant que notre système de prévention et de repérage de cette fibre ne sera pas renforcé.

L’identification et la prévention de l’amiante doit s’effectuer en trois temps.

Tout d’abord, il est primordial de flécher des crédits vers la recherche et le développement en ce qui concerne la détection amiante – une cartographie exhaustive est primordiale, notamment dans les établissements sanitaires, éducatifs, administratifs et médico-sociaux –, les techniques de désamiantage, avec la mise en place d’une méthodologie d’aide à la décision et à l’acceptation des travaux, ainsi que les études sur les mesures des fibres d’amiante. C’est la proposition n° 7 du rapport du comité de suivi.

Ensuite, l’accent doit être mis sur la qualification des diagnostiqueurs et la pertinence des contrôles. Comme l’indique le comité de suivi, la qualité du repérage et du diagnostic amiante est le point faible de la réglementation actuelle.

Les diagnostiqueurs sont trop souvent pointés du doigt, car insuffisamment formés et contrôlés, mais également soumis à des normes peu exigeantes.

Or le diagnostic amiante est la pierre angulaire de la protection des populations face à l’amiante. Nous devons donc être particulièrement vigilants sur ce point.

Enfin, un contrôle plus rigoureux mené par les services de l’État compétents sur la réalisation des dossiers techniques amiante est nécessaire. Il s’agira, en parallèle, de sensibiliser les notaires et les entreprises pour obtenir et demander des DAT actualisés.

Nous pourrions même étudier l’opportunité d’inscrire dans le code du travail une obligation générale de repérage et de diagnostic de l’amiante avant travaux pour tous les donneurs d’ordre et les propriétaires.

La création d’une base de données internet permettrait in fine de rationaliser la collecte d’information et d’aboutir à une cartographie précise.

Ce dernier volet reprend les propositions nos 11, 14, 15 et 19 du comité de suivi.

Face à l’inflation des normes, je salue la volonté du comité de suivi de ne pas alourdir le cadre actuel. En effet, bien souvent, la complexité entraîne malheureusement le rejet ou le contournement des règles.

Si notre réglementation relative à l’amiante s’est considérablement renforcée en moins de vingt ans, c’est notamment grâce à l’action volontariste du Sénat, qui a su mobiliser des hommes et des femmes de toutes tendances politiques au service d’un même but.

Je suis fière d’avoir pu participer à ce débat qui, j’en suis sûre, permettra de faire émerger des solutions constructives et efficaces pour mieux indemniser les victimes de l’amiante et pour mieux appréhender le désamiantage. Je remercie la commission des affaires sociales et le groupe écologiste d’avoir demandé la tenue de ce débat.

Une grande cause mérite des financements exceptionnels. C’est pourquoi, en l’occurrence, ils doivent mobiliser une pluralité d’acteurs : les fonds structurels européens, l’ensemble des niveaux de l’État, les collectivités territoriales ainsi que les industriels ayant fabriqué des produits et des matériaux contenant de l’amiante.

Il est temps, mes chers collègues, de prendre conscience de nos intérêts communs à agir, chacun à notre échelle. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente du comité de suivi, mes chers collègues, l’amiante est un sujet qui préoccupe l’humanité depuis très longtemps.

Au Ier siècle, Pline l’Ancien mentionne les dangers de l’amiante chez les esclaves Romains. L’utilisation intensive de l’amiante par le tissage remonte à la guerre de Sécession, lors de la pénurie de coton. Des industries de textile se reconvertissent alors dans le tissage de l’amiante. C’est notamment le cas, dans ma région, à Condé-sur-Noireau, ville martyre de l’amiante puisqu’elle a reçu le triste nom de « vallée de la mort ». S’ensuit un usage intensif de ce produit en raison de ses qualités d’isolation.

En 1906, le ministère du travail est créé. Denis Auribault, jeune inspecteur du travail de trente-deux ans, rédige un rapport sur la surmortalité des ouvriers de l’usine de textile de Condé-sur-Noireau. Ce rapport, publié dans le bulletin de l’inspection du travail, est classé par l’administration et reste sans suite.

Il faudra attendre 1997 pour que l’amiante soit interdit en France, même si des dispositions concernant l’habitat avaient été prises en 1977.

En 2005, sous la présidence de notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, Gérard Dériot et moi-même avons préconisé dans notre rapport des recommandations dont un bon nombre ont été mises en application. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Je rappelle également que, en 2006, nos collègues de l’Assemblée nationale Jean Le Garrec et Jean Lemière remettaient leur rapport intitulé « Ne plus perdre sa vie à la gagner ».

Le débat qui nous occupe aujourd’hui permet de revenir sur l’une des catastrophes sanitaires les plus dramatiques du XXe siècle. Les hypothèses officielles prévoient, d’ici à 2050, entre 68 000 et 100 000 décès en France dus à des mésothéliomes et à des cancers broncho-pulmonaires.

Encore ne s’agit-il là, mes chers collègues, que des affections directement liées à une profession exposant les travailleurs à l’amiante. Nos concitoyens ont en effet tendance à penser que cette catastrophe est derrière nous.

De plus, le sujet essentiel de ces dernières années a été l’indemnisation des victimes, avérées et potentielles. Il aura fallu de nombreux débats, assez durs, pour obtenir réparation. Néanmoins, comme le souligne le rapport de la commission des affaires sociales, si les préconisations de la mission sénatoriale de 2005 ont été majoritairement satisfaites, l’indemnisation demeure insuffisante et partielle.

Ainsi, la mise en œuvre de notre proposition n° 4 visant à « officialiser une voie d’accès au FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, sur une base individuelle, pour les salariés exposés à l’amiante dont l’entreprise ne figure pas sur une liste » grâce à « des comités de site permanents, rassemblant toutes les parties concernées, afin de déterminer les droits de chacun », bien qu’elle soit évoquée chaque année lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, est toujours retardée au profit d’évaluations et d’expertises répétées, dont on se demande si elles ne sont pas dilatoires.

Aucune base de données recensant les salariés des entreprises de désamiantage ainsi que les bâtiments amiantés et les travaux de désamiantage en cours n’a été mise en place.

Une autre proposition était d’ouvrir aux fonctionnaires l’accès au FIVA, réservé à certaines catégories de personnel. Je rappelle que l’extension de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante aux agents publics ayant développé une maladie professionnelle reconnue en lien avec l’amiante n’est acquise que depuis le 28 février dernier.

Notre proposition n° 7 pour le versement par le FIVA des sommes dues au titre de la faute inexcusable de l’employeur, sur le modèle du mécanisme existant dans la branche AT–MP, accidents du travail–maladies professionnelles, a été reprise par la Cour des comptes dans son rapport public de 2014. Elle a toutefois été écartée par les ministres de la sécurité sociale, du travail et de l’économie dans une lettre adressée le 13 janvier 2014 en réponse à la Cour. Je pense que ce débat doit être rouvert.

De même, les propositions en vue de doter le FIVA et le FCAATA de financements pérennes n’ont pas été reprises. Il est pourtant nécessaire, mes chers collègues, de fixer la contribution de l’État à 30 % de la dotation du FIVA, comme nous l’avons dit lors de la discussion des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale. C’était l’objet de la recommandation n° 11 de notre rapport de 2005. Or, depuis deux ans, la dotation de l’État au FIVA est de zéro euro.

M. Jean-Pierre Godefroy. L’harmonisation des barèmes d’indemnisation est aussi un sujet non résolu. L’État doit prendre ses responsabilités, car je rappelle qu’il a tout de même été condamné pour faute inexcusable !

Sur ces questions relatives à l’indemnisation du préjudice, il faut reconnaître que les pouvoirs publics n’ont pas fait preuve dans notre pays de la célérité nécessaire – c’est un euphémisme –, et cela s’adresse à tout le monde.

M. Jean-Pierre Godefroy. Je tenais à rappeler ces quelques données, même si, bien entendu, l’indemnisation n’est pas le seul aspect de ce dossier. Le suivi post-professionnel des personnes exposées devrait ainsi être automatique et généralisé à tous les employeurs, publics ou privés.

Le mérite des travaux de la mission, madame la présidente, est qu’ils ont porté sur ce que j’appellerai « le jour d’après ». La complexité et la gravité des difficultés à venir sont démontrées par le nombre important de propositions ; propositions auxquelles nous souscrivons, bien sûr, entièrement.

La question qui se pose aujourd’hui, et que les pouvoirs publics doivent impérativement résoudre, porte sur quatre axes principaux : l’information du public dans un souci de prévention, les compétences des entreprises qui procèdent au désamiantage, les moyens de contrôle et, enfin, les moyens financiers à mettre en œuvre.

Depuis le 1er juillet 2014, les couvreurs et autres professionnels doivent être titulaires d’une certification spécifique. Au 1er juillet 2015, la valeur limite d’exposition doit être divisée par dix. Ce sont des décisions satisfaisantes, bien qu’il ait fallu attendre trop longtemps. Du reste, ce sont leurs impacts réels qui doivent être mesurés.

Je rappelle tout de même que le problème du nombre de fibres d’amiante que l’on peut absorber par litre d’air a fait l’objet de longs débats, notamment au sein du fameux Comité permanent amiante, et que c’est justement les dérogations qui ont été accordées en la matière qui sont une des causes de la multiplication, aujourd’hui, des mésothéliomes et des cancers broncho-pulmonaires.

M. Jean-Pierre Godefroy. La communication publique est trop peu orientée vers la population. Pourtant, la diffusion de connaissances sur les risques liés à l’amiante et sur les précautions à prendre pour un particulier faisant chez lui des travaux pourraient encourager des comportements plus prudents.

À cet égard, il faut réfléchir au meilleur moyen de permettre la collecte de ces déchets, leur acheminement vers les sites autorisés, sans oublier le coût de ces opérations. En effet, le stockage des déchets d’amiante est onéreux, ce qui aboutit à la création de décharges sauvages en milieu rural, d’une dangerosité considérable.

C’est pourquoi la création d’un portail internet dédié aux précautions à prendre par le grand public, qui fait l’objet de notre proposition n° 8, est tout à fait judicieuse. D’autres sites fournissant des informations sur les précautions à prendre et la réglementation applicable existent déjà sur des sujets analogues. Ils sont largement consultés, y compris par les salariés des entreprises et des collectivités qui craignent d’être en contact avec tel ou tel produit ou organisme toxique.

Nous sommes fermement convaincus que c’est grâce à la prise de conscience et à la diffusion la plus large de l’information et grâce aussi à la pression qui en résultera sur les entreprises et sur les pouvoirs publics que les choses pourront évoluer favorablement.

S’agissant des entreprises, si l’information par les organisations professionnelles est primordiale, elle ne peut être exclusive d’un renforcement du rôle des CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dans ce domaine comme dans d’autres. Il est clair qu’une occasion s’offre aux partenaires sociaux dans le cadre de la négociation en cours sur les institutions représentatives du personnel. Des CHSCT élus directement dans toutes les entreprises de plus de vingt salariés constitueraient un progrès réel pour garantir une meilleure prise en compte de la santé des travailleurs sur les sites.

Considérons, par exemple, le cas des enrobés routiers. Nous savons déjà que les vapeurs de goudron inhalées par les travailleurs des entreprises de travaux publics sont d’une grande toxicité ; a fortiori lorsqu’il s’agit d’enrobés fabriqués à partir d’agrégats bitumeux parfois amiantés, dont le rapport évalue la production, madame la présidente, à 70 000 tonnes par an.

Nous sommes là devant une situation certes illégale, mais à laquelle sont pourtant soumis des milliers de travailleurs, qui n’ont pas connaissance des dangers auxquels on les expose.

L’information et la formation tant des chefs d’entreprise que des personnels sont donc des exigences fondamentales.

L’arrêté « formation » du 23 février 2012 définissant les modalités de la formation des travailleurs à la prévention des risques liés à l’amiante a constitué une avancée décisive. Ces avancées doivent maintenant être renforcées en direction des maîtres d’œuvre et aussi des artisans.

Le rôle de l’inspection du travail doit aussi être renforcé. La réforme de l’inspection du travail est en cours et c’est peu dire qu’elle ne fait pas consensus. Nous attendons maintenant la proposition de loi de notre collègue député Denys Robiliard en discussion à l’Assemblée nationale. Je rappelle que cette proposition de loi prévoit l’extension de l’arrêt de chantier aux travaux susceptibles d’émettre des fibres d’amiante.

Je vais à présent vous soumettre quelques réflexions sur l’amiante.

Nous souscrivons pleinement à la recommandation formulée à la page 66 du rapport. On y lit en effet : « Les agents de l’inspection du travail, malgré des effectifs restreints et une charge de travail très importante, se retrouvent en première ligne en matière de prévention des risques liés à l’amiante. Beaucoup de personnes auditionnées indiquent que les agents de prévention de la Cnam et de l’OPPBTP […] ne sont pas suffisamment nombreux et présents sur les chantiers. Selon le ministère du travail, on compte aujourd’hui 790 sections d’inspection, animées par 743 inspecteurs, 1 493 contrôleurs […] et 796 agents administratifs. Un agent de contrôle suivait en 2011 en moyenne 8 130 salariés. C’est pourquoi votre comité de suivi souhaite un renforcement des effectifs de l’inspection du travail. »

La clarté des chiffres est aveuglante sur la situation du contrôle du respect de la législation du travail, singulièrement en matière de risques professionnels et d’exposition à des produits toxiques.

Au-delà des chiffres, qui appellent une augmentation des effectifs que nous demandons avec persévérance, il est nécessaire de mettre en place une coordination entre les différents organismes de prévention, de contrôle et prestataires afin de disposer d’une doctrine homogène sur l’ensemble du territoire.

Sur le délicat sujet des diagnostics, le rapport de notre mission est tout à fait complet et les propositions très précises. Je n’y reviendrai donc pas plus longuement. Il est surtout important que le Gouvernement s’attache rapidement à la refonte de l’arrêté « compétence amiante » pour de meilleures formations et des garanties de compétences plus exigeantes. Mais il faut aussi compter avec les pressions subies par les diagnostiqueurs pour minimiser la présence d’amiante.

La question des coûts ne peut être esquivée. Dans ma région, le CHU de Caen fait figure d’exemple, mais avec des coûts très élevés. Depuis 1997, 25 millions d’euros ont été dépensés pour retirer 5 % de l’amiante total, il est vrai le plus dangereux. Le reste devrait être retiré d’ici au mois d’août 2016.

Pour comparaison, le coût de démolition s’élève à 100 millions d’euros et celui de construction du nouveau CHU est de 500 à 600 millions d’euros. Je pense que les chiffres du chantier de Jussieu doivent être à peu près identiques, voire plus élevés.

Comme vous l’avez dit, l’Union sociale pour l’habitat, ou USH, estime que 3 millions d’appartements de son parc comportent de l’amiante. Le désamiantage multiplie par deux les budgets de réhabilitation et un projet sur quatre est abandonné pour cette raison.

L’USH estime le coût annuel de désamiantage à 2,3 milliards d’euros par an. Elle demande la création d’un fonds spécifique, via le grand emprunt ou les fonds structurels européens. Je pense qu’il faut persévérer dans cette voie.

Les coûts évoqués par le rapport comme par l’ensemble des partenaires sont considérables. Je n’ai cité ici comme exemples que deux organismes susceptibles de faire appel à des fonds publics ou à des partenariats. Qu’en est-il des particuliers et des collectivités locales ? Les devis de désamiantage de bâtiments sont impressionnants, en hausse de 50 % depuis 2012, comme presque tous les élus en ont fait l’expérience.

En réalité, nous sommes en présence d’un choc entre les exigences de protection des personnes et de l’environnement et les capacités financières à les assumer.

Résumons, en quelques mots : les maîtres d’ouvrage doivent faire établir un diagnostic amiante par des bureaux de contrôle, puis ils doivent s’assurer que l’entreprise de désamiantage à laquelle ils ont recours est couverte par une assurance responsabilité civile d’atteinte à l’environnement et intervient avec du personnel formé et des matériels conformes, notamment sas de décontamination et combinaisons intégrales dotées de bonbonnes d’oxygène. Tout cela sans oublier la zone de confinement autour du chantier, avec bâches étanches, échafaudages, etc.

Une entreprise auditionnée indiquait, comme le précise « notre » rapport – j’étais en effet membre de la mission d’information –, que le seul diagnostic pour une grange de 80 mètres carrées revient à 2 300 euros. Le chef d’entreprise ajoutait : « Dans un tiers des cas, on s’arrête à cette étape, les collectivités locales n’ayant pas les moyens d’aller plus loin. »

La tentation est alors grande de faire appel à un moins-disant, qui ne prendra sans doute pas toutes les mesures de précaution indispensables pour les salariés, la population et l’environnement.

Pour les particuliers, le recours au travail au noir ou au bricolage persiste malheureusement.

Certes, il faut une amélioration de la réglementation et il faut que celle-ci soit claire, lisible, compréhensible par tous, largement diffusée et qu’elle demeure applicable.

À partir de là, l’ensemble des personnes concernées à un moment donné, à un titre ou à autre, peuvent s’informer, prendre conscience du danger réel et agir en conséquence. S’agissant de tels risques, les contrôles par la puissance publique doivent être suffisants pour garantir la protection des travailleurs, de la population et de l’environnement.

Nous devons néanmoins être conscients que la question des moyens que nous sommes disposés à mettre en œuvre pour éradiquer l’amiante dans des conditions sanitaires correctes, et sur la durée, est la base de tout. L’amiante est non seulement une catastrophe sanitaire, mes chers collègues, mais aussi une calamité financière de longue portée pour la collectivité. Elle est le symptôme des drames que peut provoquer l’utilisation sans scrupules, en toute connaissance de cause, de produits dangereux pour la santé.

Il serait bon que notre débat d’aujourd’hui contribue à cette réflexion et à d’éventuels progrès dans ces domaines. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Aline Archimbaud pour la qualité de son travail et son implication au sein du comité de suivi sur l’amiante. Je salue également notre collègue Gérard Dériot, à l’origine de la mission d’information dont il fut rapporteur avec Jean-Pierre Godefroy consacrée au drame sanitaire de la contamination par l’amiante et à ses répercussions sur le plan humain, social et financier.

Qualifié durant des décennies de « matériau miracle », l’amiante a été massivement utilisé par l’industrie française en dépit de nombreuses études dénonçant sa toxicité dès les années soixante. Comme cela a été souligné, il faudra attendre 1997 pour qu’elle soit interdite en France.

En 2005, dans son rapport Le drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir, Gérard Dériot évoquait une épidémie à venir inéluctable et irréversible de cancers. Encore aujourd’hui, l’amiante fait partie de notre environnement quotidien et est à l’origine de près de 3 000 décès par an. Dix-sept ans après son interdiction, le risque existe et l’apparition de nouveaux cas de contamination sont à craindre dans l’avenir. Le Haut Conseil de la santé publique a d’ailleurs estimé que l’amiante pourrait provoquer entre 68 000 et 100 000 décès en France d’ici à 2050.

Si la majorité des propositions préconisées par le rapport de 2005 ont été mises en œuvre, force est de constater aujourd’hui encore que la situation n’a pas évolué sur certains points, comme les orateurs précédents l’ont noté. C’est la raison pour laquelle nous avons élaboré, au sein du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante, vingt-huit propositions sur les enjeux du désamiantage.

Le travail de désamiantage est colossal, dangereux et particulièrement coûteux, comme Jean-Pierre Godefroy vient de le souligner. Ainsi, les chantiers de retrait d’amiante doivent être réalisés par des sociétés habilitées et sont soumis à des dispositions techniques très contraignantes. Or, nous le savons, de nombreux chantiers de désamiantage sont réalisés dans de très mauvaises conditions, souvent par des entreprises sous-traitantes ne respectant pas les obligations de sécurité et au mépris de la santé de leurs employés. En 2006, pour la troisième année consécutive, une campagne nationale de contrôle des chantiers de retrait d’amiante a été menée par les inspecteurs du travail : dans 76 % des cas, des anomalies ont été constatées.

Or, Aline Archimbaud l’a rappelé, « si des mesures rapides ne sont pas prises par les pouvoirs publics, le désamiantage sera fait dans des conditions catastrophiques et c’est une seconde épidémie qui pourrait se développer, concernant notamment un million de salariés du bâtiment, dont les petits artisans, les salariés des entreprises de désamiantage, mais aussi les riverains ».

Tous les bâtiments publics et privés construits avant 1997 sont susceptibles, en effet, de contenir de l’amiante. L’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, estime à 20 millions de tonnes les matériaux contenant de l’amiante encore en place dans les usines, les immeubles, les établissements scolaires ou encore les hôpitaux, sous diverses formes d’ailleurs.

Pourtant, les inspecteurs du travail, trop peu nombreux certes, n’ont pas les moyens de contrôler tous les chantiers. C’est la raison pour laquelle nous demandons un renforcement des effectifs et des pouvoirs de l’inspection du travail ainsi que le lancement d’une nouvelle campagne nationale de contrôle sur les chantiers de désamiantage.

En outre, le comité de suivi estime nécessaire de mettre en place une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage assortie de financements pérennes.

Même si nous ne disposons pas de données précises sur le coût global du désamiantage pour les acteurs publics et privés d’ici à 2050, nous savons qu’il est considérable. Des évaluations ont été réalisées : il faudra consacrer plusieurs milliards d’euros par an à ce problème. Mme la ministre du logement a annoncé le mois dernier la mise en place d’un prêt « amiante » : les organismes d’HLM pourront emprunter à des taux très bas auprès de la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à 10 000 euros par logement, dans la limite de 40 000 logements par an. Si cette mesure va dans le bon sens, je crains malgré tout qu’elle ne réponde pas suffisamment à l’ampleur des enjeux. En effet, l’Union sociale pour l’habitat estime que trois millions de logements sociaux sont gangrenés par l’amiante, et que le coût du désamiantage de la totalité du parc s’élèverait à près de 15 milliards d’euros. Nous sommes donc loin du compte.

Pour finir, je rappelle la nécessité de renforcer la veille sanitaire et l’importance d’améliorer le suivi post-professionnel des personnes ayant été exposées à l’amiante. Moins d’un salarié sur dix bénéficie aujourd’hui d’un suivi médical.

Madame la secrétaire d’État, parce qu’il est nécessaire d’éradiquer l’une des plus importantes catastrophes sanitaires que la France ait connue, nous serons particulièrement vigilants quant à la prise en compte de nos propositions. (Applaudissements.)