Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi transpose trois directives européennes dans les domaines de la propriété littéraire et artistique, ainsi que du patrimoine.

Au travers de ces dispositions, l’Union européenne témoigne de son intérêt pour la culture. Elle épouse la conception française selon laquelle la culture doit être encadrée pour être protégée, et ce davantage encore dans un contexte de mondialisation économique et culturelle. Ces mesures rejoignent les politiques françaises en matière d’aide à la création, de démocratisation culturelle et de protection du patrimoine.

Je déplore le retard pris par le Gouvernement dans la transposition de ces textes, même si je sais, madame la ministre, que vous n’êtes pas responsable de cette situation. Je rappelle que le délai de transposition de la directive relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins s’est éteint au 1er novembre 2013, tandis que celui de la directive sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines a expiré le 29 octobre dernier. Ce retard oblige le législateur à imposer la rétroactivité de certaines mesures, notamment en matière d’allongement de la durée des droits voisins dans le domaine musical.

Malgré un agenda très contraint, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est attachée, tout au long de la procédure, à travailler dans le respect des exigences habituelles du travail parlementaire. Elle a recueilli auprès de l’ensemble des acteurs concernés un grand nombre de contributions écrites. Les travaux ainsi menés l’ont conduite à adopter trois amendements, afin, d’une part, de rendre le présent projet de loi plus conforme aux directives qu’il transpose, et, d’autre part, d’assurer l’effectivité du droit interne ainsi modifié. J’y reviendrai dans quelques instants.

Le titre Ier du présent projet de loi transpose la directive du 27 septembre 2011, qui porte de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection de certains droits voisins, c’est-à-dire ceux des artistes-interprètes et des producteurs du seul secteur de la musique. Il s’agit de tirer les conséquences de l’allongement de la durée de vie des artistes, souvent en situation précaire. En effet, la durée de protection actuelle est telle que les enregistrements tombent dans le domaine public, alors que les artistes sont toujours vivants et rencontrent des difficultés économiques.

Afin que les artistes-interprètes tirent effectivement profit de l’allongement de la durée de protection des droits voisins, deux séries de mesures d’accompagnement sont prévues. D’une part, le texte oblige les producteurs à exploiter les phonogrammes pendant la période supplémentaire de protection. À défaut, les artistes-interprètes peuvent récupérer leurs droits pour trouver un autre producteur ou commercialiser eux-mêmes l’enregistrement. D’autre part, le texte prévoit le versement d’un complément de rémunération pour les artistes-interprètes, lequel s’élève à 20 % des recettes provenant de l’allongement des droits.

La commission a modifié le texte qui lui était soumis en adoptant deux amendements, afin de mieux prendre en compte la directive, dont le considérant 13 exclut expressément les recettes issues de la location de la base de calcul de la rémunération, tandis que l’article 2 quater évoque « la mise à disposition » du phonogramme et non la « communication au public ». Le second amendement visait à mieux garantir le versement effectif de ce revenu supplémentaire et à prévoir que la société de perception et de répartition des droits, la SPRD, chargée de percevoir la rémunération de l’artiste-interprète puisse demander au producteur un état des recettes, afin d’évaluer le juste niveau de rémunération due.

Je le précise, la rédaction que la commission a retenue est très claire : la demande d’informations pourra être formulée non pas pour n’importe quel artiste, mais simplement pour celui dont la SPRD doit percevoir la rémunération. Sans qu’il soit besoin de prévoir un mandat spécifique, qui serait matériellement impossible à mettre en œuvre pour tous les bénéficiaires de la répartition des droits, je pense que le décret précisant les conditions d’agrément des SPRD devra bien rappeler ce point. Je relaie ainsi la préoccupation de certains de mes collègues, notamment Mme Lopez et M. Kern. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour que cette condition soit bien prise en compte pour établir les règles de délivrance et de retrait de l’agrément.

Par ailleurs, je rappelle qu’un régime d’exemption est prévu pour les « petits » producteurs qui emploient moins de dix personnes et réalisent un chiffre d’affaires annuel inférieur à 2 millions d’euros.

Enfin, je tiens à souligner la question de la rétroactivité posée par l’article 7 du présent projet de loi. En effet, conformément à la directive, seuls les phonogrammes encore protégés au 1er novembre 2013, c'est-à-dire qui ne sont pas tombés dans le domaine public, bénéficieront du nouveau régime de protection. La directive est très claire s’agissant de la date d’entrée en vigueur, qui est fixée au 1er novembre 2013 au plus tard. Le retard que la France a pris pour transposer cette directive entraînera donc un effet rétroactif pour les enregistrements tombés dans le domaine public entre le 1er novembre 2013 et l’entrée en vigueur de la loi qui résultera de l’adoption du présent texte. La rétroactivité ne s’applique pas dans le domaine pénal, mais elle paraît inéluctable si nous voulons éviter que la France ne soit condamnée à payer de lourdes pénalités, ce qu’elle ne peut certainement pas se permettre dans le contexte actuel de crise des finances publiques.

J’en viens maintenant au titre II du projet de loi, qui transpose dans le code de la propriété intellectuelle les dispositions de la directive 2012/28/UE du 25 octobre 2012 sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines.

Une œuvre dite « orpheline » est une œuvre divulguée et protégée par des droits d’auteurs ou des droits voisins dont il n’est pas possible d’identifier ou de trouver les titulaires.

Sans titulaire des droits à même de donner l’autorisation préalable, il est impossible de mettre ces œuvres à disposition du public sous forme numérique, dans le cadre d’une bibliothèque ou d’archives accessibles sur internet. La directive instaure un régime spécifique d’exploitation de ces œuvres qui permet aux organismes poursuivant des objectifs d’intérêt public en matière culturelle, éducative et de recherche de les numériser et de les mettre à la disposition du public, dans un but exclusivement non lucratif.

Afin de ne pas porter d’atteinte excessive aux droits d’auteurs, la directive encadre strictement le régime d’exploitation des œuvres orphelines.

Son champ d’application s’étend aux œuvres écrites et aux œuvres audiovisuelles ou sonores, y compris les phonogrammes et vidéogrammes publiés dans un État membre de l’Union. De plus, les organismes bénéficiaires sont limitativement énumérés par la directive : il s’agit des bibliothèques, des établissements d’enseignement, des musées accessibles au public, des services d’archives, des institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore, ainsi que des organismes de radiodiffusion de service public.

Afin d’éviter le classement abusif d’une œuvre protégée en tant qu’œuvre orpheline, la directive précise les exigences liées aux « recherches diligentes, avérées et sérieuses » que doivent mener les organismes bénéficiaires, en prévoyant notamment une liste minimale de sources devant être consultées. Le caractère diligent et sérieux des recherches est d’autant plus impérieux que le statut d’œuvre orpheline fait l’objet d’une reconnaissance mutuelle dans l’ensemble des États membres.

Enfin, toujours aux termes de la directive, lorsqu’un titulaire de droits se fait connaître, l’œuvre cesse d’être orpheline et le titulaire reçoit une compensation équitable de la part des organismes ayant mis cette œuvre à la disposition du public.

Pour ce qui concerne l’articulation du régime instauré par la directive en matière d’œuvres orphelines avec celui de la loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle, le Gouvernement a fait le choix d’une coexistence des deux régimes. Ainsi les livres indisponibles et orphelins ne sont-ils pas exclus du champ d’application du régime d’exploitation des œuvres orphelines.

Quoi qu’il en soit, la transposition réalisée par ce projet de loi me paraît satisfaisante. Les dispositions de la directive du 25 octobre 2012 sont précises et laissent relativement peu de marge d’appréciation aux États membres.

Je souhaiterais néanmoins formuler plusieurs réserves.

Comme vous avez pu le constater, mes chers collègues, ce régime d’exploitation est assorti de lourdes contraintes, dont on peut craindre qu’elles ne le rendent inopérant. Les organismes concernés, qui relèvent en majorité du secteur public, devront en effet supporter des coûts élevés, liés aux recherches devant avoir lieu pour chaque œuvre incorporée, ainsi qu’à la numérisation et à la mise à la disposition du public. En outre, le projet de loi encadre strictement leur capacité à percevoir des recettes liées à la diffusion de ces œuvres. Enfin, ces organismes demeureront exposés à des risques contentieux non négligeables.

Ainsi, dans le souci de préserver l’efficacité de ce dispositif et de garantir la clarté de la loi, la commission est revenue sur un amendement adopté par l’Assemblée nationale, qui tendait à limiter à cinq ans la durée pendant laquelle l’organisme exploitant une œuvre orpheline peut répercuter les frais liés à la mise en œuvre de ce régime.

Enfin, je regrette l’exclusion du champ d’application de la directive des photographies et des images fixes qui existent à titre indépendant. Il s’agit pourtant de la catégorie d’œuvre la plus concernée par l’absence d’ayants droit ; leur exclusion fait perdre une grande part de son intérêt à ce dispositif.

J’en arrive maintenant au titre III du projet de loi, qui transpose la directive du 15 mai 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre.

Cette directive tire les conséquences de rapports réguliers de la Commission européenne ayant démontré l’efficacité limitée de la première directive relative à ce sujet, qui date de 1993.

Ainsi, elle allonge les délais qui encadrent différentes étapes de la procédure et élargit la portée de la protection à tous les biens culturels reconnus « trésors nationaux », selon la définition retenue par chaque État membre.

En outre, elle précise que c’est sur le possesseur que repose la charge de la preuve de l’exercice de la diligence requise, elle-même harmonisée au travers de critères communs.

Le projet de loi prévoit, en son article 6, une définition plus précise des trésors nationaux dans le code du patrimoine.

Cette définition continue à inclure les œuvres des collections des musées de France, les objets mobiliers classés monuments historiques, ainsi que les autres biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie.

Par ailleurs, elle concerne désormais tous les biens culturels relevant tant du domaine public, au sens du code général de la propriété des personnes publiques, que des archives publiques.

Cette définition, plus claire, lève les ambiguïtés de la loi qui avaient été jusqu’à maintenant tranchées par la jurisprudence.

Le renversement de la charge de la preuve est évidemment un point important, puisque notre droit présume la bonne foi du possesseur d’un bien, en application de l’article 2274 du code civil. Toutefois cette évolution est très encadrée, avec des critères communs pour interpréter de manière harmonisée la notion de diligence requise de l’acquéreur, et elle est limitée au cas des restitutions d’État à État d’un bien culturel défini comme trésor national.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les représentants du marché de l’art que j’ai interrogés n’ont pas remis en cause cette disposition, tout en reconnaissant le changement majeur qu’elle induit pour la profession.

Au final, les articles 6 et 6 bis du projet de loi sont fidèles à la directive et devraient permettre de mieux lutter contre le trafic des biens culturels qui nous préoccupe tous.

Pour résumer l’esprit de ses travaux, je rappellerai que la commission de la culture s’est efforcée d’éviter toute infraction au droit communautaire afin que la France ne soit pas sanctionnée, en ayant à l’esprit de garantir l’effectivité des nouveaux dispositifs proposés. Les mesures sont complexes ; il nous semble important de les rendre utiles.

Je dois tout de même faire part en cet instant de mon étonnement en découvrant le faible degré d’information relative à l’incidence réelle de ce texte. Cette remarque vise particulièrement les droits voisins et les œuvres orphelines : je n’ai pu obtenir aucune évaluation du nombre de cas concernés, et je ne peux manquer de m’interroger sur le nombre de cas concrets visés par des dispositifs législatifs aussi complexes.

Néanmoins, compte tenu de l’ensemble de mes observations, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent projet de loi tel que la commission l’a modifié. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe écologiste.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel
Discussion générale (suite)

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Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Lors du scrutin public n° 80, qui a eu lieu ce matin, sur l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu, j’ai été déclaré comme votant pour, alors que je souhaitais voter contre.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

12

Adaptations au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel
Article 1er

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui est un texte très technique, mais il traduit une volonté d’encadrer et de consolider l’accès à la culture, ce que nous saluons.

Malgré quelques réserves, les membres du groupe écologiste voteront ce projet de loi. Nous voudrions cependant, madame la ministre, attirer votre attention sur certains points.

Tout d’abord, comme l’a indiqué Mme la rapporteur, l’absence d’évaluation du nombre de cas concernés par les dispositions sur les droits voisins et les œuvres orphelines nous a conduits à nous interroger. Nous avons en vain cherché des précisions.

À l’avenir, même si vous n’êtes pour rien dans la situation actuelle, madame la ministre, il serait préférable d’anticiper davantage les directives européennes et d’établir un calendrier qui nous épargne de voter des textes de manière quelque peu précipitée.

Cela étant, la première directive visée par le présent projet de loi a pour objet d’allonger la protection de certains droits voisins en la portant de cinquante à soixante-dix ans. Je n’irai pas par quatre chemins : nous considérons que, même s’il est très important de préserver la qualité de vie et les revenus des artistes, cette mesure s’apparente tout de même à une rente. Alors que l’on nous explique vouloir lutter contre les niches et les rentes, prolonger de vingt ans ce délai de protection est quelque peu surprenant. Vingt ans d’exploitation de plus, c’est, si je puis dire, vingt ans de pris sur le domaine public, ce qui va contre-courant de la tendance actuelle.

Par ailleurs, la libre circulation des œuvres conçues par l’artiste, toutes les mesures destinées à encourager la découverte, la connaissance, le partage plutôt que la rente sont dans l’intérêt du public et traduisent, selon nous, des enjeux majeurs.

La troisième directive visée par le présent texte, celle qui a retenu le plus notre attention, tend à garantir la restitution au profit d’un autre État membre de tout bien culturel considéré comme un « trésor national ayant valeur artistique, historique ou archéologique » ayant quitté illicitement son territoire après le 1er janvier 1993.

Ne nous cachons derrière notre petit doigt : pour d’évidentes raisons, cette date n’a pas été retenue au hasard…

Cela dit, vous l’avez souligné, madame la ministre, la problématique est plus large puisqu’elle recouvre également la question des MNR, musées nationaux récupération. À ce propos, je me réjouis du rapport conclu au mois de juin dernier sur les MNR spoliés et qui vous a été remis le 27 novembre dernier.

Quelques-unes de ses lignes ont retenu mon attention : « Le groupe a eu la surprise de constater que de nombreux documents préparatoires relatifs aux travaux de la mission Mattéoli étaient dispersés et qu’ils n’avaient donc pas été versés aux Archives nationales. C’est le cas notamment des travaux de recherche sur les MNR (à l’exception de ceux concernant les objets d’art) qui sont toujours conservés, semble-t-il, entre les mains des chercheurs de l’époque ou dans leurs administrations de rattachement. Ces travaux doivent être versés aux Archives nationales pour y être inventoriés, classés et rendus accessibles (sous réserve de l’obtention d’une dérogation). »

Madame la ministre, dans la mesure où des deniers publics, d’un montant non négligeable, ont été alloués à la mission Mattéoli – l’étude de la spoliation des Juifs relevait d’un impératif national et la nation s’est acquittée de cette tâche avec brio –, il serait judicieux que les documents en cause soient adressés au bon destinataire, afin de permettre aux services des musées notamment de travailler sereinement et dans de bonnes conditions.

Dans le même sens, il est question, ce dont nous nous réjouissons, de modifier le décret statutaire de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations, la CIVS, afin que cette dernière, qui apparaît la plus légitime pour diligenter des investigations, le soit réellement et puisse prendre à bras-le-corps ce dossier, dont le traitement a quelque peu duré. Nous vous saurions gré, madame la ministre, de nous tenir informés sur ce point.

Je souhaite également attirer votre attention, mes chers collègues, sur le rapport rédigé par quatre de nos collègues députés, sous la houlette d’Isabelle Attard, rendu public hier, dans lequel ils pointent du doigt la gestion très perfectible de certaines collections et en appellent à une politique de recherche systématique de la provenance des œuvres entrées dans les musées depuis 1933 afin que chacun puisse s’assurer que les collections qu’il conserve sont irréprochables.

Pour ce qui nous concerne, nous appelons de nos vœux à la fois un « minimum » de quête de provenance et un travail mémoriel au long court de la part de chaque musée.

Le 8 mai prochain, on pourrait aussi, par exemple, fêter la fin de la Seconde Guerre mondiale en montrant les lieux où ont été stockées des œuvres d’art, ce qui a permis de sauver les collections publiques des musées. Grâce à une telle action, ce moment d’histoire assez sombre prendrait fin.

Par ailleurs, la question de la preuve a été évoquée. De ce point de vue, il est indispensable de consacrer quelques moyens pour permettre aux musées de mettre en réseau leurs archives, lesquelles sont actuellement éparses. Si elles étaient rassemblées méthodiquement, les personnels des musées pourraient mieux travailler. Certes, cette tâche est moins valorisante que l’accueil de grandes expositions internationales, mais elle répond à un impératif moral.

Enfin, madame la ministre, nous attirons votre attention sur la déréglementation du métier de guide conférencier, dans le cadre du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, sur lequel les écologistes se sont abstenus ce matin. Cette profession, sous prétexte qu’il faudrait servir un nouveau tourisme de masse, voit son accès libéralisé sans contrôle.

Nous regrettons vivement cette mesure. Pourquoi laisserait-on n’importe qui devenir guide conférencier des musées ? Il semblerait criminel d’agir de même avec les dentistes. Cette disposition émanant de Bercy, qui n’est pas une mesure en faveur de la culture, n’a pas été nécessairement validée par votre ministère, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC.)

Mme Claudine Lepage. Tout à fait !

Mme Colette Mélot, rapporteur. C’est vrai !

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, avant d’évoquer le contenu du présent texte, permettez-moi de formuler deux remarques.

Sur la forme, d’abord, l’engagement de la procédure accélérée est une modalité d’examen dérogatoire au fonctionnement normal du Parlement et donc préjudiciable au bon exercice de la démocratie. Si cette discussion en procédure accélérée a pour finalité d’éviter une sanction de la Cour de justice de l’Union européenne liée au retard de transposition par la France, nous pouvons nous interroger sur les raisons de cette absence de transposition en temps voulu.

Sur le fond, ensuite, la transposition aurait pu se faire dans le cadre d’une grande loi sur la création culturelle et le patrimoine, réclamée par mon groupe, promise par le Gouvernement, mais maintes fois reportée.

Car la culture est non pas un supplément d’âme, mais au contraire ce bouillonnement sans lequel aucune vie ne surgit pleinement, sans lequel aucun lien essentiel ne peut se tisser entre une population et son juste désir de rencontrer l’art, les artistes, dans une diversité de lieux et dans la proximité, notamment.

La culture doit donc plus que jamais être défendue au sein d’une grande loi qui conforte sa place et son importance, ainsi que celle des personnels qui œuvrent pour sa vitalité.

Je pense évidemment aux intermittents, dont les droits sociaux sont mis à mal et qui peinent à défendre leurs droits dans le cadre de la concertation mise en place sur l’assurance chômage, face aux attaques du MEDEF, pour qui cette bataille n’est pas la première pour détruire les droits sociaux.

La suppression des budgets dédiés à l’action culturelle qui ne manquera pas de découler des restrictions drastiques imposées aux collectivités privera certainement les citoyens de lieux essentiels où se construit une conscience capable de donner à tous les outils de compréhension du monde.

Par conséquent, madame la ministre, nous espérons qu’une telle loi verra bien le jour, car la culture s’avère plus qu’indispensable en cette période de crise qui délite tous les liens sociaux.

J’en viens maintenant aux dispositions contenues dans le présent texte.

Elles ne posent pas de problème majeur. Si les secteurs concernés par ce projet de loi sont variés, celui-ci a une certaine unité : il va dans le sens d’une plus grande protection des auteurs et des biens culturels, tout en favorisant le rayonnement et l’accessibilité des œuvres.

Les premiers articles transposent la directive de 2011 sur la protection des droits d’auteur et des droits voisins. Ils opèrent une harmonisation européenne de la durée de protection des droits d’auteur et des droits voisins dans le secteur musical seulement, en raison des défis particuliers auxquels est confronté ce secteur menacé par les nouveaux usages numériques et le téléchargement illégal.

Il s’agit de porter de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits voisins pour les artistes-interprètes musicaux et les producteurs de phonogrammes à compter du fait générateur des droits, car, actuellement, les droits patrimoniaux s’éteignent souvent du vivant de ces artistes.

La deuxième directive transposée est celle de 2006 relative aux œuvres orphelines. Elle crée une exception ou une limitation aux droits d’auteur et aux droits voisins pour les œuvres orphelines écrites, cinématographiques, audiovisuelles ou sonores.

Est ainsi prévue la possibilité pour les bibliothèques, musées, services d’archives ou établissements d’enseignement de numériser et de mettre à disposition du public des œuvres orphelines faisant partie de leur collection, c’est-à-dire des œuvres dont les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins n’ont pu être retrouvés.

La numérisation ne peut se faire que pour des missions culturelles, éducatives et de recherche, sans but commercial ou économique.

Enfin, la troisième directive transposée, datant de 2014, concerne la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre.

Dans un objectif de lutte contre le trafic des biens culturels, l’Union européenne s’est dotée, le 1er janvier 1993, de deux instruments concernant la protection des biens culturels : un règlement instituant un dispositif de contrôle à l’exportation lors de la sortie du territoire de l’Union européenne, et une directive permettant aux États membres de se voir restituer leurs trésors nationaux qui, ayant quitté illicitement leur territoire, sont retrouvés sur le territoire d’un autre État membre.

Devant le manque d’efficacité de ces dispositifs, une nouvelle directive a été adoptée. La définition des trésors nationaux est ainsi précisée, incluant désormais les œuvres des collections des musées de France et les objets mobiliers classés « monuments historiques », mais aussi, et de manière explicite, les biens relevant tant du domaine public, au sens du code général de la propriété des personnes publiques, que des archives publiques.

Un allongement du délai pour permettre aux autorités de l’État membre requérant de vérifier la nature du bien est également prévu, passant de deux à six mois et, enfin, est intégré un allongement du délai d’exercice de l’action en restitution, qui passe de un an à trois ans.

Une précision est enfin introduite : c’est le possesseur du bien qui a la charge de la preuve, dans le cas où l’État demande une indemnité, et dans ce seul cas. (Exclamations.) Je vois qu’il n’y a pas que moi que cela inquiète… Ce dernier point opère, en effet, un renversement de la charge de la preuve en rupture avec le droit interne, qui reconnaît une présomption de bonne foi au possesseur d’un bien, selon l’article 2274 du Code civil, confirmé par la jurisprudence de la Cour de cassation.

Ce point, même s’il est très strictement circonscrit, comme le rappelait Mme la rapporteur, risque de créer une insécurité juridique et un renversement des principes juridiques du droit français en matière d’acquisition d’un bien frauduleux, ce qui nous interroge assez fortement.

Nous voterons néanmoins ce texte, en continuant à alerter sur les conséquences éventuelles de cette disposition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, eh oui, je suis le seul orateur masculin dans cette discussion générale ! (Sourires.)

Mais venons-en au présent projet de loi, qui vise à transposer trois directives.

La transposition du premier de ces textes est celle qui est assortie de la plus grande urgence. Il s’agit de la directive du 27 septembre 2011 modifiant la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins.

Hélas, encore une fois, la France illustre ici son incapacité chronique à se conformer dans les délais à ses engagements communautaires. Nous ne pouvons que le regretter d’autant que, comme vous l’avez fort justement indiqué, madame la ministre, le retard pris par notre pays dans la transposition de cette directive nous place dans une situation critique : la directive devait être transposée au plus tard le 1er novembre 2013 !

La Commission européenne, après avoir mis les autorités françaises en mesure de présenter leurs observations pour non-respect du délai, leur a adressé un avis motivé le 10 juillet 2014. En conséquence, la France encourt une procédure d’infraction qui l’expose à une condamnation, par la Cour de justice de l’Union européenne, à une amende de plusieurs millions d’euros.

Notre pays, souvent qualifié dans ce domaine de « mauvais élève », malgré quelques récents progrès, doit se saisir impérativement de cette problématique dont les conséquences sont plus que fâcheuses pour la crédibilité de sa parole au sein de l’Union.

De plus, à l’heure où il n’est plus question que de faire des économies budgétaires, à l’heure où les finances publiques sont extrêmement tendues, il n’est plus admissible de se retrouver dans une telle situation.

Quant au fond, le principal objet de la directive est de porter de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection de certains droits voisins, ceux des artistes-interprètes et des producteurs du secteur de la musique, pour tenir compte de l’augmentation de la longévité. En effet, les droits dont ils sont titulaires arrivent aujourd’hui à l’échéance de plus en plus souvent de leur vivant.

Le groupe UDI-UC ne peut que soutenir la transposition fidèle faite ici de cette directive. D’autant plus que le texte a été amélioré par notre commission, qui a permis aux SPRD d’artistes, les sociétés de perception et de répartition des droits des artistes, de demander également au producteur un état des recettes provenant de l’exploitation du phonogramme.

Cependant, comme l’a rappelé notre rapporteur, Mme Mélot, je m’interroge sur les garanties prévues pour l’artiste-interprète face à la SPRD.

En effet, les informations de vente des artistes-interprètes sont confidentielles pour les tiers et nous devons nous assurer qu’une SPRD d’artistes ne bénéficie pas du droit d’auditer à sa guise et à sa seule discrétion les ventes de tous les artistes français chez leurs producteurs, sans même que les artistes-interprètes concernés l’aient demandé. Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur les modalités d’application de cette disposition, afin d’éviter une violation de la confidentialité des informations de vente ?

La deuxième transposition concerne la directive du 25 octobre 2012 relative à certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines.

Le texte permet à un certain nombre d’organismes, dont les bibliothèques accessibles au public, de numériser et de mettre à la disposition du public des œuvres appartenant à leurs collections et considérées comme orphelines, c’est-à-dire dont les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins n’ont pu, malgré des recherches diligentes, être retrouvés.

Cette faculté, qui s’exerce dans un cadre non lucratif, est également ouverte aux musées, aux services d’archives, aux institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore, aux établissements d’enseignement et aux organismes publics de radiodiffusion.

Nous renouvelons ici nos observations relatives à la nécessité de respecter les délais de transposition. En l’occurrence, le délai de transposition du texte est expiré depuis déjà un peu plus d’un mois, pour un texte qui date de 2012…

Mais, sur le fond, le groupe UDI-UC n’a rien à redire du texte proposé et soutient, en particulier, la suppression de la limitation à cinq ans du droit à des aides pour la numérisation des œuvres orphelines.

Enfin, le projet de loi transpose la directive du 15 mai 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre.

L’objet de ce texte est de garantir la restitution, au profit d’un autre État membre, de tout bien culturel considéré comme un « trésor national de valeur artistique, historique ou archéologique » ayant quitté illicitement son territoire après le 1er janvier 1993.

Cette rédaction apparaît conforme aux objectifs assignés par la directive.

Par ailleurs, nous saluons les efforts entrepris en matière d’intelligibilité et de lisibilité du texte, à travers notamment un travail d’actualisation des différentes terminologies existantes et, surtout, d’adaptation du vocabulaire issu de la directive aux terminologies de droit interne.

En conclusion, le groupe UDI-UC ne voit pas de raison de s’opposer à ce projet de loi, qui reste fidèle aux textes communautaires. Nous regrettons simplement le dépôt tardif de ce projet de loi. Ce retard, entre autres conséquences négatives, interdit au Parlement de travailler comme il le devrait. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.