M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Mézard, je vous remercie de vos paroles de soutien. Ce soutien s’est exprimé sur l’ensemble des travées : il est important que nous nous retrouvions sur l’essentiel. Sans rien perdre de l’esprit du 11 janvier, il nous faut répondre à l’exigence des Français, assumer le mandat, si je puis m’exprimer ainsi, qu’ils nous ont confié, aux uns et aux autres. Nous devons apporter des réponses à des questions qu’ils se posent depuis longtemps.

À cet égard, l’une des meilleures réponses, c’est de poursuivre le travail qui nourrit la vie démocratique.

M. Manuel Valls, Premier ministre. L’Assemblée nationale examine le projet de loi pour la croissance et l’activité. Le Sénat débat du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, que défendent Marylise Lebranchu et André Vallini.

Au sujet de ce second texte, je ne vous dirai pas : « C’est comme ça, circulez, il n’y a rien à voir ! » Cela étant, monsieur Mézard, je ne répondrai pas non plus de manière précise aux questions que vous posez (Ah ! sur les travées de l’UMP.), par respect pour les travaux que le Sénat mène actuellement.

Monsieur le président du Sénat, ce n’est un secret pour personne que nous nous sommes rencontrés samedi pour évoquer la réforme territoriale. Le Gouvernement reste à la disposition de l’ensemble des groupes pour travailler avec eux.

Mon état d’esprit est le suivant : je souhaite que nous parvenions à un accord entre le Sénat, l’Assemblée nationale et le Gouvernement sur une nouvelle répartition des compétences. (M. Éric Doligé s’exclame.) Cette réforme importante, qui vient après d’autres, notamment celle relative à la délimitation des régions, marquera durablement l’organisation de notre pays et devra s’accompagner d’une réforme de l’État déconcentré.

À mon sens, obtenir un tel accord sur les grands sujets que vous avez évoqués est possible. Le Gouvernement est à l’écoute, et je ne doute pas que le débat nous permettra de progresser dans cette voie.

Monsieur Mézard, vous avez raison, de telles réformes ont vocation à s’inscrire dans la durée, même si les choses peuvent toujours être modifiées et améliorées au fil du temps.

Sur les seuils de population des intercommunalités et les transferts de compétences, il me semble que nous pouvons avancer. Pourrons-nous progresser sur tous les sujets, par exemple sur celui de la compétence en matière de voirie, qui fait l’objet d’amendements émanant de tous les groupes ? Je ne le sais pas encore à ce stade, mais je pense que le vote du Sénat en première lecture préfigurera, d’une certaine manière, la suite des discussions. Certes, l’Assemblée nationale a le dernier mot, mais je crois que chacun est bien conscient qu’il faut trouver un accord et que le dialogue entre les deux chambres est nécessaire.

Le Gouvernement sera attentif à vos propositions, et il aura l’occasion de répondre très précisément, au cours du débat, à l’ensemble de vos interrogations. Nous avons déjà plutôt bien avancé sur Paris et Marseille, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas avancer, de part et d’autre, sur les autres sujets. J’y serai particulièrement attentif. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mmes Françoise Laborde et Jacqueline Gourault applaudissent également.)

rôle de l'école en lien avec les attentats dont la france a été victime

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour le groupe écologiste.

Mme Marie-Christine Blandin. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

C’est un difficile exercice que de reprendre nos échanges après l’effroi, les larmes et les douloureuses condoléances. Mais c’est un exercice nécessaire que de chercher ensemble à faire mieux pour prévenir le plus tôt possible de telles horreurs.

Vivre ensemble, respecter l’autre, savoir ce qui relève de l’intime, contenir la violence, cela s’apprend très tôt. Pour construire une école plus inclusive, plus juste, plus apaisée, le Conseil supérieur des programmes, le CSP, a répondu à votre saisine sur l’enseignement moral et civique, madame la ministre. Il précise que, par la culture de la sensibilité, la culture de la règle et du droit, la culture du jugement, l’élève doit être capable d’empathie, d’exprimer en les contrôlant ses émotions, de se sentir membre d’une collectivité. Dans le socle qu’il a élaboré, le CSP écrit que « l’élève développe sa maîtrise des moyens d’expression et d’argumentation qui évitent le recours à la violence ».

La laïcité figurera dans le programme de chaque cycle. On enseignera la diversité des cultures et des religions, ainsi que la neutralité de l’État. Voilà donc des gages d’espoir, sans compter l’indispensable éducation à l’image et aux médias, encore trop peu promue.

Au lendemain du drame, dans les classes, l’hommage que l’on voulait collectif a été émaillé par des prises de distance, des contestations, des tensions. Certains pédagogues se sont trouvés en difficulté.

L’article 70 de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République oblige désormais les écoles de formation des enseignants à mettre en œuvre, à destination de tous les futurs maîtres, une formation à la prévention et à la résolution non violente des conflits. À de très rares exceptions près, comme celle de Caen, la mise en place de ces enseignements n’est pas effective.

Madame la ministre, quelles dispositions allez-vous prendre pour que les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ÉSPÉ, mettent en œuvre, avec l’aide de personnes ressources, elle aussi prévue par la loi, la formation initiale et continue des enseignants…

M. le président. Veuillez poser votre question, chère collègue !

Mme Marie-Christine Blandin. … en matière de médiation, de prévention et de résolution non violente des conflits ? Il faut aussi apporter aux enseignants de la République, dont nous tenons à saluer de nouveau le sang-froid, une connaissance argumentée de la laïcité, afin qu’ils ne se trouvent pas démunis. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. J’invite chacun des orateurs à la concision.

La parole est à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame Blandin, en vous écoutant parler de gestion de crise, j’ai eu une pensée pour tous les chefs d’établissement et leurs équipes éducatives qui ont été confrontés, pendant quelques jours d’horreur, au problème du confinement des élèves dans les établissements. (Mmes Marie-Christine Blandin et Corinne Bouchoux acquiescent.) Je tiens à témoigner ici du sang-froid dont ces personnels ont fait preuve.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Il faut les remercier d’avoir su gérer ces situations de telle sorte que tous les parents retrouvent leurs enfants à l’heure prévue, même si les protocoles peuvent toujours être améliorés. Les événements de ces derniers jours nous poussent à examiner avec lucidité tout ce que nous pouvons améliorer dans le fonctionnement de l’institution scolaire.

Vous m’interrogez, madame la sénatrice, sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Heureusement que nous avons réintroduit une formation initiale de qualité des enseignants au sein de ces établissements ! Cette formation inclut un apprentissage de la prévention et de la gestion des situations conflictuelles.

Vous me dites que toutes les ÉSPÉ n’offrent pas de tels modules dans leurs troncs communs. Rassurez-vous, elles sont bien plus nombreuses que vous ne le dites à dispenser cet enseignement, dont l’intitulé peut différer selon les établissements. Par exemple, l’ÉSPÉ de Lyon consacre bel et bien un enseignement à la prise en charge des incivilités et de la violence scolaire ainsi qu’à la prévention du harcèlement : simplement, celui-ci relève d’une unité d’enseignement intitulée « contexte d’exercice du métier ».

Je n’en réunirai pas moins, dans quelques jours, tous les directeurs d’ÉSPÉ pour étudier ensemble comment améliorer encore la formation initiale des enseignants et leur donner les moyens de faire face aux situations difficiles.

Je l’ai dit il y a quelques instants en répondant à Mme Gonthier-Maurin : il s’agit d’assurer non seulement la formation initiale, mais aussi la formation continue et l’accompagnement, au quotidien, de la pratique professionnelle des enseignants.

À cet égard, j’ai demandé aux recteurs de dépêcher, au sein des quelque 200 établissements où se sont produits des incidents que nous considérons comme graves, ces professionnels aguerris que sont les référents « laïcité », les référents « mémoire et citoyenneté » et les proviseurs « vie scolaire ». Ils interviendront dans les classes concernées pour reprendre la discussion avec les élèves, sans rien éluder. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE. –M. Patrick Abate applaudit également.)

laïcité à l'école et dans l'enseignement scolaire

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour le groupe socialiste.

M. David Assouline. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Madame la ministre, nous sommes encore aujourd’hui envahis et troublés par divers sentiments : l’effroi, la peine, la tristesse devant les massacres commis la semaine dernière ; devant les visages de ces journalistes, de ces policiers, de ces juifs, tous ces visages rayonnants de générosité, de douceur et de sourires ; devant l’extrême violence et la brutalité de leur assassinat, raconté par les survivants et les témoins.

À tout cela se mêlent le respect et l’immense gratitude envers ceux qui ont immédiatement agi et trouvé les moyens de mettre les tueurs hors d’état de nuire – le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de l’intérieur, les forces de sécurité –, ainsi que l’espoir retrouvé grâce au formidable élan national et international autour des valeurs de la France républicaine, à ces regards et à ces gestes de communion échangés dans une gigantesque marche de la dignité humaine, sans haine, sans esprit revanchard ni amalgame.

Plusieurs questions n’en demeurent pas moins : comment de jeunes Français ont-ils pu trouver légitime de commettre ces lâches assassinats ? Comment d’autres, nombreux, peuvent-ils n’éprouver aucune compassion pour les morts et leurs familles ? Comment certains ont-ils même pu exprimer de la compréhension envers les lâches assassins, ou une adhésion aux thèses selon lesquelles tout cela ne serait que le résultat d’un complot du pouvoir, des médias et des juifs ?

Madame la ministre, vous avez eu des mots forts. Il y a la société, l’école, les valeurs et leur hiérarchie, le principe de laïcité, sur lequel il ne faudra plus jamais rien céder. L’antisémitisme et le racisme ne devront plus se déployer dans l’indifférence ou la banalisation, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Il y a la famille, bien sûr, mais il y a aussi internet et l’univers des jeux vidéo, face auxquels nombre de nos jeunes sont laissés à l’abandon. Par leur biais, ils s’initient seuls à d’autres systèmes de valeurs, comme dans une vie parallèle, sans famille, sans école. D’autres idées et idéologies y sont diffusées, d’autres apprentissages que ceux de la raison y sont proposés, d’autres informations, truquées et tronquées, y circulent avec la force d’images et d’un langage qui leur parlent directement.

M. le président. Posez votre question, cher collègue.

M. David Assouline. Que pensez-vous de la nécessité d’introduire de manière plus large, plus formelle et plus forte qu’aujourd’hui, dès l’âge de six ans, un enseignement du décryptage des médias et de l’image, du traitement de l’actualité, de l’utilisation et de l’analyse des réseaux sociaux ? (Marques d’impatience sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Soyons raisonnables, monsieur Assouline, posez votre question !

M. Alain Gournac. C’est trop long !

Mme Catherine Troendlé. C’est fini !

M. Bruno Retailleau. Il n’y a plus de temps !

M. David Assouline. Comment aller plus loin pour aider les enfants à comprendre et à analyser les informations diffusées par les médias ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

M. le président. Je renouvelle mon appel à la concision, car je tiens à ce que chacun des orateurs inscrits puisse poser sa question.

La parole est à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Assouline, vous le savez, j’organise depuis le début de la semaine une grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, ce qui me conduit à recevoir l’ensemble des acteurs de la communauté éducative : non seulement les représentants des organisations syndicales, des fédérations de parents d’élèves, des associations de lycéens ou d’étudiants, mais aussi ceux des associations de lutte contre le racisme et les discriminations, du secteur de l’éducation populaire et des collectivités territoriales.

Cela me permet de me faire l’écho, dans cet hémicycle, des observations formulées par les membres des associations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme à la suite de leurs interventions en milieu scolaire. Nombre d’entre eux sont frappés par la persistance, la prégnance des préjugés des jeunes enfants à l’égard de l’autre. Or ces préjugés se transforment trop rapidement en antisémitisme ou en racisme.

Ces préjugés sont évidemment confortés par ce que l’on trouve sur internet : tout ce que vous avez dit à ce propos est juste, et je partage votre préoccupation.

Nous devons, au sein de l’école, permettre à ces enfants de développer leur esprit critique, leur liberté de jugement. Nous devons les aider à se mettre à distance de ce qu’ils peuvent lire, à faire le tri entre ce qui relève de la véritable information scientifique et ce qui relève de la rumeur. Pour cela, nous avons besoin d’enseignants formés – j’en ai parlé tout à l’heure –, mais aussi d’outils pédagogiques qui soient adaptés à la modernité, à la réalité des élèves. Je pense en particulier à des outils vidéo expliquant ce que sont l’antisémitisme, la laïcité, la liberté d’expression, toutes ces valeurs que l’on cherche à leur faire partager de façon trop théorique jusqu’à présent. Mon ministère va ainsi commander la production de plusieurs outils vidéo destinés à être utilisés systématiquement dans les classes au moment d’aborder ces sujets.

De manière plus générale, il y a une éducation aux médias à faire. Elle sera comprise dans l’enseignement moral et civique d’une heure par semaine que j’ai évoqué précédemment et qui sera dispensé à partir de la rentrée prochaine. Il s’agit d’une véritable innovation.

Il y a aussi une éducation artistique et culturelle à faire. Elle est prévue par la loi pour la refondation de l’école de la République. Ma collègue chargée de la culture et moi-même ferons très rapidement des annonces sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

les services de renseignement et les attentats

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe UMP.

M. Cédric Perrin. Ma question s’adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, les destinées d’hommes et de femmes épris de liberté ont été précipitées vers l’abîme par la folie d’autres hommes, par une idéologie barbare fondée sur la terreur. L’émotion a saisi la France, l’émotion a saisi le monde. Un peuple tout entier s’est levé pour dire son attachement à la démocratie, à la liberté, à la République et à ses valeurs.

Osons désormais l’examen de conscience. Les Français attendent des actes, des actes forts. La démocratie se défend distraitement, monsieur le ministre. Il ne doit plus, aujourd’hui, y avoir d’angélisme, de naïveté, de bien-pensance face au terrorisme qui sème la mort partout où il se développe. Nous devons notamment nous interroger sur la surveillance assurée par les services de renseignement et comprendre ce qui n’a pas fonctionné.

En effet, fichés et archi-connus pour de multiples faits ayant un rapport direct avec des personnes peu recommandables et très directement liés à la mouvance terroriste, les auteurs de ces crimes barbares n’étaient plus surveillés depuisprès de six mois.

Ainsi, de nombreuses questions se posent tout naturellement.

Monsieur le ministre de l’intérieur, comment comptez-vous remédier à la « faille » béante évoquée par le Premier ministre lui-même ?

Comment des individus connus aux États-Unis comme des terroristes potentiels et interdits d’entrée sur le territoire américain, ayant notamment séjourné au Yémen et fréquenté Djamel Beghal, peuvent-ils se promener en France librement, sans aucune surveillance ?

Partis pour le djihad pour apprendre à assassiner et à combattre la démocratie, de tels apprentis terroristes n’ont plus aucune place sur le territoire national. Que comptez-vous faire pour les empêcher de revenir ? Allez-vous enfin déchoir de leur nationalité française les djihadistes binationaux ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour garantir une bonne coopération avec les pays par lesquels transitent ces apprentis djihadistes ?

Allez-vous enfin réussir à convaincre vos amis politiques de voter la création d’une base de données communautaire rassemblant des informations personnelles sur les passagers des compagnies aériennes, dite PNR, que l’UMP appelle de ses vœux depuis des mois ?

Quel rôle ont joué la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité et le cabinet du Premier ministre dans l’interruption des écoutes d’un des frères Kouachi ? Confirmez-vous les informations selon lesquelles ils ont refusé d’étendre les écoutes à l’entourage de celui-ci, mettant ainsi fin à toute surveillance ?

Pour conclure, monsieur le ministre, le Gouvernement donnera-t-il enfin des moyens suffisants à nos services pour leur permettre de faire face à la menace qui pèse sur notre pays ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, qui appelle une réponse extrêmement précise.

Tout d’abord, pour ce qui concerne les moyens des services de renseignement, qui sont généralement la condition de leur efficacité, vous êtes trop bien informé, comme en témoigne votre question, pour ne pas savoir qu’ils ont été fortement « rabotés » il n’y a pas si longtemps… Je vous rappellerai des chiffres tout à fait précis : alors que des besoins technologiques très importants avaient été identifiés à l’occasion de l’élaboration du Livre blanc de 2008, les crédits n’ont pas été abondés et les effectifs des services ont été réduits de près de 130 unités, dans un contexte où tout le monde avait conscience que la plus grande vigilance était nécessaire.

C’est la raison pour laquelle, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, le Premier ministre avait décidé d’augmenter de 432 unités les effectifs de la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, alors que, à la suite d’un rapport élaboré par MM. Verchère et Urvoas, une réforme des services de renseignement était engagée en vue de transformer la Direction centrale du renseignement intérieur en Direction générale de la sécurité intérieure et que, par ailleurs, étaient augmentés de 12 millions d’euros par an – soit 32 millions d’euros dans le cadre du triennal – les crédits alloués aux moyens technologiques.

Nous irons encore au-delà, car les Français ont besoin de savoir que leurs services de renseignement sont en mesure d’intervenir de façon efficace, en étant dotés de moyens adéquats.

Il existe trois domaines dans lesquels nous avons besoin de conforter ces moyens. Le premier d’entre eux est celui des compétences linguistiques : nous avons besoin de traducteurs pour traduire des interceptions de sécurité en langues complexes. C’est la raison pour laquelle j’avais demandé, dans le cadre de l’élaboration de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, que soit portée de dix à trente jours la durée d’analyse des interceptions de sécurité. Cela avait suscité des interrogations sur de nombreuses travées : je le comprends, car maintenir l’équilibre entre sécurité et liberté doit être une préoccupation constante.

En ce qui concerne la question de la surveillance des frères Kouachi et de Coulibaly, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité a fait son travail. Nous ne sommes pas là pour procéder à des mises en cause et lancer des accusations : il s’agit de tirer les conclusions et les enseignements de ce qui s’est passé. Cette commission a fait son travail conformément à la loi, comme il convient dans un État de droit. Les frères Kouachi ont été interceptés à plusieurs reprises entre 2011 et 2014. Dans le cadre de ces interceptions, aucun élément témoignant de leur volonté de s’engager dans des opérations à caractère terroriste n’a été décelé. Comme vous le savez, dans un État de droit, les interceptions ne peuvent pas durer indéfiniment.

M. le président. Il faudrait conclure, monsieur le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre des propositions que nous allons adresser au Premier ministre et qui déboucheront très rapidement sur des dispositions nouvelles, nous introduirons les moyens juridiques permettant d’aller au-delà de ce qui est possible aujourd’hui, afin que les difficultés se voient contrebalancées par des solutions concrètes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)

massacre perpétré par boko haram au nigeria

M. le président. La parole est à Mme Anne Emery-Dumas, pour le groupe socialiste.

Mme Anne Emery-Dumas. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

Alors que l’attention des médias internationaux était focalisée sur les événements tragiques que notre pays a connus la semaine dernière, alors que la communauté internationale manifestait sa solidarité et dénonçait avec force les attentats terroristes dont la France a été victime, au nord du Nigeria, la secte Boko Haram commettait, dans ce qui pourrait passer pour de l’indifférence de notre part, l’offensive la plus sanglante et la plus destructrice jamais perpétrée depuis le début de ses exactions en 2009.

Pendant cinq jours, du 3 au 7 janvier, les terroristes de Boko Haram sont entrés dans la ville de Baga, qu’ils ont totalement détruite en quelques heures, massacrant sans distinction hommes, femmes et enfants dans des conditions effroyables et revendiquant ces atrocités au nom de l’établissement du califat islamique dans le nord-est du Nigeria.

Le bilan de cette attaque est terrible et continue de s’alourdir. Amnesty International estime à plus de 2 000 le nombre des victimes dans la région de Baga et à 20 000 le nombre d’habitants contraints à la fuite en direction du Tchad voisin.

Le peuple français, qui a su se réunir et se rassembler pour défendre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité dans les rues de toutes nos villes dimanche dernier, ne peut être insensible au sort des populations du nord-Nigeria ni aux attaques terroristes dont fait l’objet l’État du Nigeria.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, comment cette offensive de Boko Haram a-t-elle pu se développer dans des proportions aussi effroyables dans le silence de la communauté internationale ? Comment mettre fin à cette extension inquiétante de la zone d’influence de Boko Haram sur les rives du lac Tchad ? Quelle est l’action de la France sur le terrain, aux côtés des forces africaines engagées dans la lutte contre Boko Haram ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Madame la sénatrice, vos propos sont malheureusement tout à fait exacts. Ils appellent de ma part trois observations.

Premièrement, il est absolument impossible d’avoir l’indignation sélective et de pratiquer le « deux poids, deux mesures ».

Des drames épouvantables, des attaques ignobles surviennent dans le monde, et l’on a parfois le sentiment que, selon l’endroit où ils se produisent, l’écho est différent. Mais nous ne pouvons entrer dans cette logique : nous devons condamner avec la même sévérité les actes terroristes où qu’ils se produisent. Malheureusement, ce qui se passe au nord-est du Nigeria atteint le summum de l’atrocité.

Deuxièmement, depuis le début, la France apporte son appui à la lutte contre ce terrorisme de Boko Haram. Je rappelle que c’est à la demande du Nigeria que le Président de la République française a organisé le sommet de Paris en mai 2014. Jean-Yves Le Drian et moi-même y avions participé. Nous travaillons concrètement au renforcement de la concertation entre les chefs d’État et à une meilleure coopération régionale en matière de sécurité. Nous avons présenté un projet de mise sur pied d’une force régionale et la France contribue – je n’entrerai pas dans les détails, pour des raisons que chacun comprendra – à un dispositif de coordination entre les pays concernés. Nous faisons donc ce que nous devons faire.

Troisièmement, je veux souligner que le soutien de tous est nécessaire. Il faut être lucide : la France ne règlera pas à elle seule tous les problèmes du monde. Nous prenons notre part – certains disent même plus que notre part –, et c’est à notre honneur, mais la solution est européenne, internationale, africaine.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre. Nous devons agir tous ensemble. La France apporte et continuera d’apporter sa pleine contribution, parce qu’il n’existe qu’une seule réponse à cette barbarie : la fermeté dans l’unité ! (Applaudissements.)

relations entre la france, la turquie et le maroc dans le cadre de la lutte contre les attentats et le terrorisme

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour le groupe UMP.

M. Christian Cambon. Après l’offensive terroriste que notre pays vient de vivre, tous les moyens doivent être mobilisés pour gagner cette guerre totale contre le terrorisme et l’islam radical. Des millions de Français se demandent comment on en est arrivé là. Notre devoir est de tout faire pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus jamais. Fort de l’union nationale qui a rassemblé les Français, le Gouvernement a fait des propositions qui vont dans le bon sens ; nous les soutenons.

Un sujet, néanmoins, n’est guère évoqué, celui de la nécessaire coopération, en matière de renseignement, avec des pays amis très bien informés, car eux-mêmes confrontés à la proximité des réseaux djihadistes. Je veux bien entendu parler de la Turquie et du Maroc.

Par sa situation géographique, la Turquie est devenue le principal pays de transit vers la Syrie des recrues du djihadisme en provenance d’Europe. Nous avons donc besoin de nouer une coopération étroite avec les autorités turques. Il semble que la mobilisation de la Turquie soit désormais acquise, notamment depuis la mission que le ministre Bernard Cazeneuve a conduite en septembre dernier. La surveillance est désormais plus satisfaisante, notamment à l’aéroport d’Istanbul. En revanche, les contrôles de sécurité exercés dans les ports turcs constituent encore une faille très menaçante dans ce dispositif. Pouvez-vous, monsieur le ministre, faire le point sur cette coopération, qui bute souvent sur des appréciations divergentes entre la France et la Turquie sur le problème kurde ?

Quant au Maroc, nous avons besoin que des relations de confiance se rétablissent au plus vite avec ce pays, après que quelques nuages ont obscurci notre coopération. S’il est un ami de la France au Maghreb et en Afrique, c’est bien le Maroc ! Notre histoire commune, nos échanges économiques et culturels, nos coopérations innombrables ont fait du Maroc l’un des alliés les plus sûrs de la France dans la région.

Sa mobilisation à nos côtés dès le déclenchement de l’opération Serval en est une preuve supplémentaire : le Maroc est un partenaire incontournable à nos côtés au Sahel et en Afrique. Ce pays est du reste confronté à un problème identique au nôtre, 1 500 Marocains étant déjà partis rejoindre Daech. Nous avons besoin du Maroc dans ce combat sans merci contre le terrorisme. La qualité reconnue de ses moyens de renseignement et sa position géographique stratégique en font un élément essentiel d’une sécurité collective pour nous-mêmes et pour cette région du monde.