Mme Nicole Duranton. Des actes, des mesures phares et du courage pour réformer notre pays en crise, nous en attendons depuis plus de trois ans maintenant.

« Un bon ouvrier a de bons outils », affirme un dicton populaire. Je crains que la boîte à outils gouvernementale ne soit remplie de mauvais outils. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Claude Gaudin. Il n’y en a pas !

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie, tout d’abord, d’excuser l’absence de M. François Rebsamen, ministre du travail, retenu à l’Assemblée nationale pour l’examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi.

Je remercie, ensuite, le groupe CRC d’avoir proposé un débat sur le rétablissement de l’AER, débat qui permet de revenir sur les différents dispositifs visant à accompagner les demandeurs d’emploi qui sont à la veille de leur retraite.

Avant sa suppression, l’AER, instaurée en 2002, visait à garantir la solidarité de la nation envers les demandeurs d’emploi seniors. Elle visait à garantir un niveau de ressources aux demandeurs d’emploi se trouvant dans une situation très particulière : ils avaient validé le nombre de trimestres permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein mais sans avoir atteint l’âge légal de départ à la retraite. Très concrètement, cette situation pouvait concerner des salariés ayant commencé leur carrière professionnelle très tôt dans leur vie.

Cependant, la précédente majorité a décidé – comme cela a été rappelé précédemment – de supprimer le dispositif à la fin de l’année 2010 et, concomitamment, elle a conduit une réforme des retraites qui a relevé l’âge légal de départ à la retraite.

M. André Vallini, secrétaire d'État. Certaines personnes ont donc subi une « double-peine » :…

M. André Vallini, secrétaire d'État. … celle de ne plus pouvoir bénéficier de l’AER, puisqu’elle était supprimée, et de ne pouvoir non plus partir à la retraite, l’âge légal ayant été relevé.

Face à ce constat, l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, a été mise en place afin de lisser les effets de la réforme des retraites. Elle a été instaurée en novembre 2011, avec un effet rétroactif au 1er juillet 2011, pour atténuer les effets du relèvement de l’âge légal de départ en retraite décidé par la réforme de novembre 2010. Il s’agissait d’assurer un revenu ou un complément de revenu aux demandeurs d’emploi d’au moins 60 ans qui avaient validé tous leurs trimestres mais qui ne pouvaient liquider leur retraite faute d’avoir atteint l’âge légal.

L’ATS se distinguait ainsi de l’AER par le ciblage des demandeurs d’emploi d’au moins 60 ans, c'est-à-dire nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1953. Ces personnes étaient en effet indemnisées au titre du chômage au moment du vote de la réforme des retraites, et elles auraient pu liquider directement leur pension à l’extinction de leur indemnisation chômage si l’âge légal de départ n’avait pas été relevé.

Le gouvernement Ayrault a ensuite assoupli les conditions nécessaires pour bénéficier de l’ATS : à compter du 1er mars 2013, il a supprimé la condition de détention de droits à l’assurance chômage après 60 ans.

Pour bénéficier de l’ATS ainsi réformée, et qui s’élevait à 1 029 euros par mois, il fallait remplir quatre conditions : premièrement, être né entre le 1er janvier 1952 et le 31 décembre 1953, la génération née en 1951 ayant déjà atteint l’âge légal de retraite en 2013 ; deuxièmement, être éligible aux indemnités de l’assurance chômage au 31 décembre 2010 ; troisièmement, avoir validé le nombre de trimestres permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein à l’extinction de ses droits à l’allocation d’assurance chômage ; enfin, quatrièmement, n’avoir pas atteint le nouvel âge légal de départ à la retraite.

La loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites prévoyait qu’un rapport sur la situation des générations nées en 1952 et 1953 serait remis au Parlement. Ce rapport a été remis en octobre 2014 ; il explique que l’élargissement de mars 2013 mis en œuvre par le gouvernement a permis d’inclure dans le bénéfice de l’ATS la quasi-totalité des chômeurs nés en 1952 ou en 1953 et pouvant y prétendre. (MM. Martial Bourquin et Alain Néri opinent.)

Je tiens toutefois à le rappeler : l’objectif de l’ATS était bien d’apporter une réponse aux difficultés rencontrées par les personnes affectées par la réforme des retraites de 2010. Cette mesure revêtait un caractère exceptionnel. Puisque les personnes en bénéficiant sont aujourd’hui à la retraite, il n’y a plus de dépense associée à l’ATS.

Plus généralement, la question des fins de carrières et de la transition entre emploi et retraite est au cœur des préoccupations du Gouvernement.

Au-delà de la mise en œuvre de l’ATS, je veux souligner l’engagement de Manuel Valls d’assurer une fin de carrière décente aux actifs seniors. La loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites contient ainsi plusieurs mesures favorables aux seniors, notamment l’élargissement des critères d’accès au départ anticipé pour carrière longue et la mise en place d’un compte personnel de prévention de la pénibilité.

Le plan d’actions qui figure dans la feuille de route de la grande conférence sociale de 2014 fait également une large place aux difficultés que rencontrent les seniors sur le marché du travail.

Par ailleurs, près d’un tiers des emplois aidés, qu’il s’agisse des contrats initiative emploi, les CIE, ou des contrats d’accompagnement dans l’emploi, les CAE, ont bénéficié à des demandeurs d’emploi seniors en 2014, les objectifs que nous nous étions fixés ayant même été dépassés, et plus de 45 000 demandes d’aides – et non 20 000, madame Duranton – ont été enregistrées dans le cadre des contrats de génération depuis leur création.

Ainsi que beaucoup d’entre vous l’ont rappelé, lors de son entretien télévisé du 6 novembre 2014, le Président de la République a annoncé, à propos des personnes « qui ont toutes leurs annuités et plus de 60 ans », qu’« une prestation permettra de les conduire à la retraite dans de bonnes conditions ».

La mise en œuvre d’une telle mesure s’inscrit, vous le savez, dans un contexte particulièrement contraint sur le plan des finances publiques. En effet, la mesure doit être financée sur un budget de l’emploi qui, par ailleurs, finance aussi les mesures d’activation des demandeurs d’emploi, telles que les contrats aidés ou la garantie jeunes.

Par conséquent, un équilibre difficile, délicat doit être trouvé entre, premièrement, la protection de certains demandeurs d’emploi seniors, deuxièmement, les contraintes financières dont je viens de parler et, troisièmement, la cohérence d’ensemble des politiques de l’emploi en faveur des seniors.

Le Gouvernement a donc souhaité prendre en compte les situations individuelles les plus difficiles, tout en menant parallèlement une politique de l’emploi très active en faveur des seniors. Il souhaite tenir un discours de vérité : le rétablissement d’un équivalent de l’AER est, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC, financièrement inenvisageable.

M. Dominique Watrin. Cela ne représente pas des sommes importantes !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Il coûterait 500 millions d’euros si l’on retient les personnes des générations 1954 et 1955 indemnisables entre janvier 2011 et décembre 2014, et 865 millions d’euros si l’on inclut la génération de 1956. Cette dépense supplémentaire serait impossible à financer dans le contexte actuel des finances publiques. (M. Jean-Claude Gaudin s’exclame.)

Le Gouvernement s’est donc attaché à proposer un dispositif ciblé qui permet de résoudre les situations individuelles les plus difficiles sur le plan du retour à l’emploi tout en n’apparaissant pas contradictoire avec les mesures de soutien à l’emploi des seniors.

Le scénario retenu consiste ainsi à verser une prime mensuelle de 300 euros aux bénéficiaires de l’ASS ou du RSA socle qui satisfont cumulativement aux quatre conditions suivantes : être demandeur d’emploi âgé d’au moins 60 ans né en 1954 ou 1955 ; avoir validé le nombre de trimestres permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein avant la fin de droit à l’assurance chômage ; avoir été indemnisable par l’assurance chômage – au titre de l’allocation d'aide au retour à l'emploi, l’ARE, de l’allocation spécifique de reclassement, l’ASR, de l’allocation de transition professionnelle, l’ATP, ou de l’allocation de sécurisation professionnelle, l’ASP – au moins un jour sur la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014 ; ne pas avoir atteint l’âge légal de départ à la retraite.

Cette prime va concerner 37 900 personnes, pour un coût estimé à 185,7 millions d’euros sur la période 2015–2017.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a très bien expliqué Martial Bourquin, le Gouvernement a bien conscience des grandes difficultés dans lesquelles se trouvent certains demandeurs d’emploi seniors, voire de l’injustice qui les frappe. Comment accepter qu’une personne ayant travaillé pendant de nombreuses années et ayant validé tous ses trimestres ne bénéficie que d’allocations de solidarité, parce qu’elle se retrouve au chômage et dans l’impossibilité de liquider sa retraite, faute d’avoir atteint l’âge légal ?

Nous avons pris nos responsabilités, en proposant un dispositif juste, tout en maîtrisant la dépense publique. Je le répète, ce sont près de 40 000 personnes, nées en 1954 et 1955 et allocataires du RSA ou de l’ASS qui bénéficieront d’une prime mensuelle de 300 euros.

Un décret en ce sens sera signé dans les tout prochains jours, après avis du Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles.

Cette mesure résume la politique du Président de la République, que met en œuvre le Gouvernement et qui consiste à rétablir la situation financière de notre pays, sans oublier la justice sociale et la solidarité, lesquelles restent au cœur de nos préoccupations et de l’action gouvernementale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite.

6

Dépôt de documents

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- d’une part, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2014–1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ;

- d’autre part, la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de modernisation et mise en sécurité du CHU de Limoges, accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été respectivement transmis à la commission des affaires économiques et à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires sociales.

7

Candidature à une délégation sénatoriale

Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation à la prospective, en remplacement de Mme Natacha Bouchart, démissionnaire.

Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

8

Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. Conformément aux dispositions de l’article 19 de la loi n° 2013–907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, la commission des lois, lors de sa réunion du 19 mai 2015, n’a pas émis, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, un avis conforme – 22 voix pour, 15 voix contre – sur le projet de nomination, par M. le président du Sénat, de M. Jean-Michel Lemoyne de Forges aux fonctions de membre de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-huit heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-huit heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

9

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense ainsi que pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part.

Ces deux projets de loi ont été déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale le 20 mai 2015.

10

Conditions de saisine du Conseil national d'évaluation des normes

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande des groupes UMP et UDI-UC, de la proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du Conseil national d’évaluation des normes, présentée par MM. Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau (proposition n° 120, texte de la commission n° 436, rapport n° 435).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Marie Bockel, auteur de la proposition de loi.

 
Dossier législatif : proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du conseil national d'évaluation des normes
Article unique (début)

M. Jean-Marie Bockel, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, adoptée sur l’initiative de Jacqueline Gourault et de Jean-Pierre Sueur, la loi du 17 octobre 2013 portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics a destiné cette instance à prendre la succession de la Commission consultative d’évaluation des normes dans la foulée des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat en octobre 2012. De très nombreux élus locaux avaient saisi l’occasion de ce rassemblement pour exprimer leur exaspération à l’égard de la prolifération normative. Il faut rappeler que le remplacement de la CCEN par le CNEN a marqué une étape importante dans la prise de conscience des défis que posait la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.

Le problème, en soi, est identifié depuis longtemps, et ce n’est pas d’hier que le Sénat, attentif aux remontées des élus locaux signalant l’impact de plus en plus lourd des normes et procédures de toutes sortes, se préoccupe de mettre en place les moyens de desserrer l’étau normatif qui enserre l’action des élus locaux dans d’innombrables contraintes. Celles et ceux qui sont chaque semaine sur le terrain ou qui l’étaient l’année dernière, dans le cadre du renouvellement sénatorial – et j’en fus –, peuvent témoigner qu’il s’agit de l’une des interpellations récurrentes que nous adressent nos collègues élus locaux. On peut même parler d’une véritable complainte.

Le stock des normes en vigueur représente une masse énorme que l’on ne sait trop comment aborder. Est-il seulement besoin de rappeler que 400 000 normes – je me réfère au rapport d’Alain Richard fait au nom de la commission des lois – s’appliquent aux collectivités territoriales, pour un coût annuel de 3 points de produit intérieur brut ? La France se positionne ainsi à la 121e place sur 144 en termes de compétitivité administrative.

Pour l’essentiel, la CCEN avait reçu la mission d’examiner les textes réglementaires créant de nouvelles normes applicables aux collectivités ou modifiant ces normes. Aucune instance n’était chargée de la simplification du stock de normes. Il n’existait aucune procédure pérenne de simplification d’un stock que, du reste, personne n’avait entrepris d’aborder de manière systématique. Le CNEN a poursuivi, avec l’aide des associations d’élus locaux, en particulier celle de l’Association des maires de France dont il faut souligner l’implication active dans les travaux d’évaluation des normes, un vrai travail d’analyse, de critique et de proposition.

Cependant, l’évaluation du flux des normes nouvelles au regard du principe de simplicité, si essentielle soit-elle, ne peut répondre pleinement aux attentes des élus locaux quotidiennement confrontés à la complexité du droit en vigueur. Aussi des initiatives ont-elles été prises au sein du Sénat pour s’attaquer au stock des normes applicables aux collectivités territoriales. En 2011, notre collègue Éric Doligé a déposé une proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Elle traduisait certaines propositions du rapport consacré au poids des normes sur l’activité quotidienne des collectivités territoriales qu’il avait élaboré dans le cadre de la mission que lui avait confiée, la même année, le Président de la République de l’époque. Je sais que notre collègue Rémy Pointereau, premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales, chargé de la simplification, saura s’inspirer du rapport Doligé ; il en parlera sans doute dans quelques instants.

M. Rémy Pointereau. Tout à fait !

M. Jean-Marie Bockel. Les initiatives issues de cette démarche, comme d’autres démarches sénatoriales, ont eu entre autres mérites d’accentuer la prise de conscience de la gravité du problème des normes. Elles n’ont pas eu les suites espérées, d’où la création du CNEN, dont nous essayons aujourd’hui de parfaire l’efficacité. Ce ne sont sans doute ni Mme Gourault ni M. Sueur, lesquels ont réalisé un gros travail sur le sujet à l’époque, qui s’en plaindront.

À l’origine de la création du CNEN par la loi du 17 octobre 2013 se trouve la nécessité de prendre en compte l’ensemble des demandes des élus locaux et de leur donner une réponse complète, concrète et efficace. C’est pourquoi il a reçu deux missions, l’une portant sur le flux, l’autre sur le stock de normes. Ce dernier point est le plus innovant et peut-être le plus prometteur de la loi d’octobre 2013. En effet, l’évaluation du flux des normes nouvelles est en principe permanente tout au long du processus d’élaboration de chaque norme.

En principe, la question du flux des normes nouvelles devrait être de mieux en mieux prise en main. Le CNEN fait, dans ce domaine, de son mieux. Son président, Alain Lambert, qui fut par le passé le premier président de notre délégation aux collectivités territoriales et avec lequel nous sommes en dialogue permanent, fait un travail tout à fait remarquable. De son côté, le Gouvernement nous dit être plus attentif – je n’ai pas de raison, monsieur le secrétaire d’État, de douter de l’attention du Gouvernement sur ces questions. Il se serait doté de moyens dédiés, dont vous nous parlerez certainement. En un mot, une nouvelle culture de la norme est en train d’apparaître. Ses effets commencent à se faire sentir, même si les prescripteurs de normes, dont nous autres, parlementaires, ne sommes pas les moins entreprenants, restent souvent plus attentifs à leur nécessité qu’à leurs effets pervers.

Sur ces questions, tout le monde doit balayer devant sa porte, nous y compris, même si la loi est parfois prise de court par des décrets qui ne correspondent pas complètement à son esprit…

M. Charles Revet. Ça arrive quelquefois…

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est un euphémisme ! (Sourires.)

M. Jean-Marie Bockel. Je le dis tout en soulignant bien que chacun doit balayer devant sa porte, nous y compris, sur quelque travée que ce soit. Il s’agit d’une œuvre commune à laquelle nous devons tous nous atteler.

On ne peut dire que la question du stock soit ignorée : la délégation aux collectivités territoriales en a été saisie à la fin de 2014 ; le Gouvernement y consacre des moyens. Nous avons à cet égard noué des contacts aussi bien avec vous, monsieur le secrétaire d’État, qui êtes spécialement chargé de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, qu’avec Thierry Mandon, secrétaire d’État à la réforme de l’État et à la simplification, que nous avons reçu et que nous reverrons. Nous savons que des initiatives sont en cours de lancement, et nous sommes désireux de nous y associer, tant il est vrai que la simplification est une ambition partagée qui nécessite l’engagement de chacun.

Au sein du Conseil national d’évaluation des normes se déroule un échange permanent entre les représentants du Sénat et de l’Assemblée nationale et ceux des administrations et des collectivités territoriales, au fil des saisines obligatoires ou facultatives. Le CNEN reste ainsi un outil stratégique de la simplification du stock. C’est d’ailleurs pour cette raison que la décision du bureau du Sénat, confiant en novembre dernier à la délégation aux collectivités territoriales – je l’ai déjà souligné – une mission d’évaluation et de simplification des normes, a prévu que ce travail se ferait en liaison avec le CNEN, raison pour laquelle ont été noués les contacts de qualité que j’évoquais voilà quelques instants avec le Conseil national d’évaluation des normes et son président.

Pour donner toute sa portée à cette compétence éminente sur le stock de normes, les conditions de saisine du CNEN sont essentielles. En effet, l’une des principales difficultés en la matière est de déterminer les priorités. C’est pourquoi la démarche de simplification ne peut être efficacement lancée que sous l’impulsion des collectivités territoriales, mieux placées pour identifier les normes les plus invalidantes et nous les faire connaître. Sans leur participation au processus, sous une forme ou une autre, nous n’arriverons pas à construire un programme opérant. La simplification risque alors de tourner en une discussion académique roulant sur le pourquoi et le comment sans déboucher sur des résultats concrets. Je crois que, là aussi, Rémy Pointereau, à travers des amendements que j’ai cosignés avec d’autres collègues, nous dira des choses intéressantes.

La loi prévoit que le CNEN peut être saisi d’une demande d’évaluation des normes en vigueur par le Gouvernement, les commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Cette énumération fait à peu près le tour de l’ensemble des instances intéressées par la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Pour autant, ces dernières restent en réalité à l’écart du processus en raison des conditions très restrictives encadrant leur pouvoir de saisine. La faute n’en est pas à la loi – j’y faisais allusion à l’instant –, mais à son décret d’application : le décret du 30 avril 2014 portant application de la loi du 17 octobre 2013 illustre en effet de manière emblématique le processus d’amplification et de paralysie de la norme par les dispositions d’application d’une loi.

Alors que la loi du 17 octobre 2013 prévoit que les collectivités territoriales pourront saisir le CNEN d’une demande de révision portant sur le stock en vigueur sans soumettre cette prérogative à des exigences particulières, le décret d’application fixe des conditions qui sont autant d’obstacles à sa concrétisation. C’est ainsi que l’article 3 du décret exige que la demande d’évaluation d’une norme réglementaire en vigueur soit présentée par au moins cent maires et présidents d’EPCI, ou dix présidents de conseil général ou deux présidents de conseil régional – on peut d’ailleurs s’interroger sur le poids d’un président de conseil général par rapport à un président de conseil régional… L’exigence irréaliste et non prévue par la loi d’une démarche concertée de cent maires rend tout à fait improbable le fonctionnement effectif de cette modalité de saisine. Le décret exige également que la demande d’évaluation comprenne une fiche d’impact présentant, entre autres éléments, « ses motifs précisément étayés », ce qui revient à faire peser sur les collectivités – qui peuvent être des communes petites ou de taille moyenne, dépourvues de tout moyen d’expertiser les normes – une obligation de pré-instruction du dossier coûteuse et non prévue par le texte.

La proposition de loi que j’ai cosignée avec Rémy Pointereau a pour objet d’écarter ces obstacles. Je laisse à ce dernier le soin de détailler le dispositif de notre texte, de le préciser. Je rappellerai simplement, pour conclure mon propos, que l’efficacité de l’action du Conseil national d’évaluation des normes sur le stock de normes dépend très largement de l’impulsion que pourront lui donner les collectivités territoriales, qu’elle soit directe ou qu’elle s’exerce par l’intermédiaire des associations d’élus. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom de la commission des lois, je veux remercier Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau. Il peut arriver qu’un décret s’écarte de la lettre ou de l’esprit de la loi. Il peut même arriver qu’il les trahisse. C’est le cas de celui du 30 avril 2014. Il est par conséquent salutaire que nos collègues aient pris l’initiative de protester et de nous proposer un texte pour réformer cet état de choses. M. Jean-Marie Bockel a excellemment expliqué la situation.

Le Sénat, depuis maintenant des années et de manière souvent unanime, est aux côtés des élus locaux pour lutter contre la prolifération des normes inutiles. Soyons clairs, il y a des normes indispensables, et nous faisons notre travail lorsque nous en adoptons en matière de sécurité publique, de santé ou de protection de l’environnement. Cependant, il en va des normes comme des lois, celles qui sont inutiles font du tort à celles qui sont nécessaires.

À cet égard, je salue à mon tour, comme je le fais dans mon rapport, les travaux de notre collègue Éric Doligé, qui est l’auteur d’un rapport sur ce sujet, au sein duquel sont présentées des propositions concrètes.

M. Éric Doligé. Merci, monsieur le rapporteur !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je salue également les états généraux de la démocratie territoriale, organisés sur l’initiative de Jean-Pierre Bel, notre ancien président, qui a confié à Jacqueline Gourault et à moi-même le soin d’élaborer deux propositions de loi : l’une visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, qui a enfin été promulguée, après avoir attendu quelque temps son examen par l’Assemblée nationale, l’autre relative aux normes, que vous avez bien voulu adopter à l’unanimité, mes chers collègues, et qui prévoyait de créer une instance – elle existe aujourd'hui –, à savoir le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.

Le CNEN est doté de pouvoirs beaucoup plus étendus que l’organisme qui l’a précédé. En effet, il peut se saisir en amont de tout projet de loi, projet de décret ou texte réglementaire. Avant que la norme n’existe, posons-nous la question de savoir si elle est nécessaire et si elle n’est pas trop coûteuse ou trop contraignante pour les collectivités locales. En outre, ce conseil national peut se saisir non seulement des nouveaux projets, mais aussi du stock des normes existantes.

Nous avions très clairement prévu – je parle sous le contrôle de Mme la présidente de séance Jacqueline Gourault – que toute collectivité pourrait saisir ce conseil national. Que s’est-il donc passé ? Monsieur le secrétaire d’État, bien que vous n’ayez pas signé ce décret – au demeurant, j’ai beaucoup de respect et d’amitié pour ceux qui l’ont signé –, vous savez que la lettre et l’esprit du législateur n’y ont pas été respectés. En effet, alors que nous avions souhaité que toute collectivité locale pût saisir le Conseil national d’évaluation des normes, nous nous trouvons, comme l’a dit M. Bockel et l’a écrit M. Pointereau, devant un dispositif prévoyant qu’une même saisine doit être signée par cent communes. Ce n’est pas conforme à la loi ! J’ajouterai même quelque chose que vous pourrez aisément vérifier : au cours des débats parlementaires, aucun sénateur, aucun député, n’a imaginé ni proposé cela. Il faut donc revoir ce dispositif.

Nous avons reçu M. Alain Lambert, qui, avec sa sagacité, sa compétence et sa grande courtoisie, préside ce conseil national. Je veux d’ailleurs saluer tous les élus qui y participent et y accomplissent un lourd travail.