M. Charles Revet. Ils font un très bon travail !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Tout à fait, mon cher collègue !

M. Lambert nous a dit : pourquoi, plutôt que de faire une loi, n’écrivez-vous pas tout simplement à M. le secrétaire d’État ? Je m’adresse donc à vous très directement, monsieur le secrétaire d’État, pour vous demander de publier un nouveau décret. Finalement, vous pourriez très vite, sans même que les députés aient à examiner notre proposition de loi – mais nous voulons tout de même qu’ils en soient saisis, j’expliquerai tout à l’heure pour quelles raisons –, changer ce décret, de manière à écrire que toute commune, tout département, toute région et toute institution intercommunale à fiscalité propre pourra saisir le Conseil national d’évaluation des normes.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est simple, pratique et tout à fait faisable. En outre, vous réparerez ainsi une erreur et respecterez la lettre et l’esprit de la loi.

La commission des lois s’est saisie de l’opportunité représentée par ce texte pour proposer quelques autres modifications à la loi elle-même.

Premièrement, il avait été prévu que le Conseil national d’évaluation des normes serait saisi de l’ensemble des textes réglementaires applicables aux collectivités locales. Est-ce nécessaire ? La commission des lois a répondu « non ». Dans la mesure où nombre de textes réglementaires concernent les collectivités locales, il nous paraît plus simple et plus réaliste que le Conseil national d’évaluation des normes ne soit saisi que des textes ou des projets de texte ayant un effet en matière de normes.

Deuxièmement, nous avons pensé que la saisine par une collectivité, qui pourra être une commune de petite taille, peu importe le nombre de ses habitants, devait être motivée. Pour répondre à M. Pointereau, qui a déposé un amendement sur ce point, je précise que la motivation de la saisine pourra se limiter à quelques lignes ; il ne sera pas nécessaire qu’elle soit exhaustive.

Enfin, nous nous sommes penchés – je me permets d’appeler particulièrement votre attention sur ce point, monsieur le secrétaire d’État – sur la question des délais. En effet, la loi prévoit qu’il peut y avoir des situations d’urgence, dans lesquelles le Premier ministre peut demander, sur la base d’une justification précise, au Conseil national d’évaluation des normes de rendre sa décision dans un délai de quinze jours. Et en cas d’extrême urgence, le Premier ministre peut même demander au Conseil national d’évaluation des normes de statuer dans un délai de soixante-douze heures ! C’est cette dernière disposition qui pose problème.

M. Alain Lambert, président du Conseil national d’évaluation des normes, nous a ainsi expliqué qu’il avait reçu une saisine émanant du Premier ministre un vendredi soir, l’analyse exhaustive du Conseil national d’évaluation des normes devant être fournie dans les soixante-douze heures. Chacun le voit bien, c’était absurde et impossible ! Le président ne pouvait pas demander aux membres du CNEN de venir toutes affaires cessantes à Paris. De surcroît, il s’agissait en l’occurrence du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, qui – vous en conviendrez – n’est pas un petit texte.

La commission des lois a donc prévu que, en cas d’extrême urgence, le Conseil national d’évaluation des normes devrait statuer au cours des quatre jours ouvrables suivant la saisine. Cela signifie que, si le Premier ministre saisit le Conseil national d’évaluation des normes le lundi soir, celui-ci aura jusqu’au vendredi pour rendre son avis. Il statuera ainsi dans des conditions certes difficiles – il faudra organiser une réunion exceptionnelle –, mais faisables. J’espère que le Gouvernement comprendra la nécessité de ce délai de quatre jours ouvrables. D’ailleurs, quand on y réfléchit bien, il n’est pas exorbitant. Quand on sait qu’il a fallu de nombreux mois au Parlement pour examiner le texte relatif à la transition énergétique, on voit bien qu’on n’est pas à quelques heures près…

Deux autres sujets ont été proposés par notre collègue Rémy Pointereau.

Le premier concerne les questions sportives. Avec Mme Jacqueline Gourault, nous avions été prudents sur ce sujet, après avoir pris contact avec les fédérations sportives et le secrétariat d’État chargé des sports. Vous savez qu’il existe une instance appelée la CERFRES, la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, qui donne des avis sur les normes applicables aux collectivités locales.

Au départ, je n’étais pas favorable à l’amendement déposé par notre collègue, car je pensais qu’il fallait poursuivre le dialogue. Toutefois, très impressionné par certaines réalités dont les élus ont été témoins, la commission a décidé de suivre M. Pointereau, après avoir été convaincue par plusieurs de ses arguments. Je prendrai l’exemple d’une fédération sportive, que je ne citerai pas, mais qui se reconnaîtra, ayant décidé un beau jour que les panneaux permettant d’indiquer le score de chaque équipe devaient être modifiés et que, si cela n’était pas fait, le terrain ne serait plus homologué.

M. Charles Revet. J’ai vécu une situation comparable !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Une telle décision, vous le savez, M. Doligé en a parlé, a un coût. Dans un monde idéal, il serait sans doute souhaitable que les panneaux d’affichage fussent modifiés. Toutefois, dans la situation financière à laquelle nos collectivités font face, on peut considérer qu’une telle dépense n’est pas urgente et préférer faire d’autres choix. Tel est l’avis de la commission, que je rapporte, je crois, fidèlement.

Le deuxième sujet a trait à l’expertise nécessaire pour étudier les saisines dont le Conseil national d’évaluation des normes est l’objet. À cet égard, M. Alain Lambert nous a expliqué qu’il ne disposait pas de services.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Par conséquent, nous avons prévu dans la proposition de loi, et je crois que c’est très judicieux, que les administrations de l’État apporteront leur concours pour expertiser ces saisines.

J’achèverai mon propos en évoquant la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat à l’unanimité, tendant à joindre les avis rendus par le Conseil national d’évaluation des normes, qui est constitué d’élus locaux et qui les représente parfaitement, aux projets de loi comme c’est le cas pour les études d’impact. Je pense que c’est une bonne idée, que nous partageons d’ailleurs toutes et tous.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Or ce texte n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous, grâce aux grandes qualités de persuasion qui sont les vôtres, y contribuer. En tout cas, je formule le vœu qu’il puisse être voté par nos collègues députés.

Mes chers collègues, je remercie encore une fois les auteurs de la proposition de loi, qui est une étape de plus, et tous nos collègues qui se sont penchés sur la question. Continuons à être sur ce sujet au côté des élus locaux ! Les normes nécessaires doivent être mises en œuvre, mais évitons celles qui ne le sont pas, car elles ont un coût et induisent des contraintes excessives pour nos collectivités locales. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des lois, Jean-Patrick Courtois, monsieur le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Jean-Marie Bockel, monsieur le premier vice-président de cette délégation, plus spécifiquement chargé des normes, Rémy Pointereau, monsieur le rapporteur, Jean-Pierre Sueur, mesdames, messieurs les sénateurs, dès 2012, le Président de la République le disait : « 400 000 normes seraient applicables [aux collectivités territoriales] et on mesure, à évoquer ce chiffre, combien la décentralisation est finalement contournée, détournée, dès lors qu’il y a autant de contraintes qui pèsent sur les collectivités. »

Cette question des normes – ou plutôt de cet excès de normes – qui pèsent sur les collectivités locales est un sujet d’incompréhension et de plus en plus souvent d’irritation des élus locaux, d’autant que cette inflation normative est source non seulement de complexité pour les élus, mais aussi de coûts supplémentaires pour les finances locales. Cela a été clairement démontré par plusieurs rapports. J’en citerai deux : celui d’Éric Doligé sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, remis en 2011, et celui de la mission de lutte contre l’inflation normative de Jean-Claude Boulard et Alain Lambert, remis au Premier ministre en mars 2013.

Pour autant, les politiques mises en œuvre depuis quelques années contre cette inflation normative n’ont pas obtenu, il faut le reconnaître, les résultats escomptés, au contraire ; de 2008 à 2013, le coût brut des normes nouvelles mises à la charge des collectivités territoriales a été estimé à 5,8 milliards d’euros.

M. Charles Revet. Incroyable !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Le Gouvernement a donc fait de la maîtrise des normes une priorité de son action. C’est vrai pour les entreprises, avec Thierry Mandon ; c’est vrai aussi pour les collectivités territoriales, et cela doit l’être encore plus à l’heure où le Gouvernement leur demande un effort important dans le cadre du redressement de nos finances publiques.

Un dispositif opérationnel de maîtrise des normes a donc été mis en place en 2014 pour agir sur le stock comme sur le flux. Il repose notamment sur le Conseil national d’évaluation des normes, installé le 3 juillet 2014 à la suite de l’adoption de la proposition de loi déposée par Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur.

Le Gouvernement est pleinement engagé dans une politique de réduction du stock des normes existantes. Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « projet de loi NOTRe », que le Sénat examinera en deuxième lecture la semaine prochaine, intègre ainsi quatorze mesures issues de la proposition de loi de M. Doligé, dont je salue à mon tour le travail.

Même si cela peut paraître rébarbatif, je veux citer ces quatorze mesures : assouplissement de la législation relative aux centres communaux d’action sociale, instauration d’une règle de quorum pour les réunions des commissions compétentes en matière d’ouverture des plis pour les délégations de service au public, simplification des modalités de mise à disposition du public des documents relatifs à l’exploitation des services publics délégués, uniformisation des délais d’adoption du règlement intérieur des collectivités locales, dématérialisation des recueils des actes administratifs, transmission du compte de gestion au préfet par le directeur départemental ou régional des finances publiques, alignement du régime des accords-cadres sur celui des marchés publics, possibilité de délégation aux exécutifs de la capacité de modifier ou de supprimer des régies comptables, possibilité de délégation aux exécutifs locaux des demandes de subvention, dématérialisation de la publication des actes administratifs, délai porté à neuf mois pour la présentation du rapport annuel sur le prix et la qualité des services d’eau, d’assainissement et de traitement des ordures ménagères, suppression de la délibération préalable au déclenchement de la procédure d’abandon manifeste d’une parcelle, délai minimum pour la transmission des documents en amont des commissions permanentes, clarification de la procédure de dissolution d’un EPCI.

M. Éric Doligé. Cela fait plaisir à entendre !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Par ailleurs, une mission regroupant plusieurs inspections – l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des affaires sociales, le contrôle général économique et financier – a été mandatée pour proposer des allégements de normes dont les coûts sont particulièrement élevés. Nous disposerons de ses conclusions probablement en juin.

Enfin, des ateliers thématiques ont été mis en place conjointement par mon cabinet et celui de M. Mandon, en lien avec les associations d’élus et les associations de cadres territoriaux. Il s’agit d’identifier par thèmes des propositions opérationnelles, à partir des observations des acteurs locaux, notamment les directeurs de collectivité territoriale.

Après vous avoir rappelé combien le Gouvernement est engagé dans la lutte contre l’inflation des normes, j’en viens à la proposition de loi que nous examinons cet après-midi.

La loi du 17 octobre 2013 a prévu que le CNEN pouvait évaluer des normes en vigueur, de manière volontaire ou sur demande du Gouvernement, des commissions permanentes des assemblées, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Le décret du 30 avril 2014 encadre cependant strictement les demandes émanant des collectivités territoriales par des conditions de recevabilité. Cela a été rappelé par Jean-Pierre Sueur, notamment.

Votre proposition de loi vise à renforcer l’action du CNEN de différentes façons : d’abord, en supprimant les conditions de recevabilité de la saisine des collectivités prévues par le décret ; ensuite, en élargissant la saisine à tout parlementaire ; enfin, en prévoyant que l’évaluation d’une norme par le CNEN s’effectuera sur la base d’une analyse réalisée par l’administration compétente, dans un délai fixé à trois mois.

Le Gouvernement partage ces préoccupations : il faut permettre un accès plus facile des élus au CNEN et créer les conditions d’un examen approfondi des propositions. Il convient toutefois d’éviter un engorgement qui nuirait à l’efficacité du dispositif.

Je le dis à nouveau : le décret du 30 avril 2014 portant application de la loi a organisé les conditions de recevabilité pour la saisine du CNEN en encadrant strictement les demandes, qui doivent porter sur des dispositions clairement identifiées d’une norme, avec des motifs précisément étayés et une présentation par un nombre d’élus minimum – présidents de conseil régional, présidents de conseil départemental, maires, etc. Les raisons de ces nombreuses conditions étaient d’éviter un engorgement du CNEN, qui ne pourrait répondre à un afflux de demandes. À l’usage, ces conditions apparaissent trop restrictives et de nature à restreindre l’accès des collectivités au CNEN, ce qui est contraire à notre objectif que je viens de rappeler d’un accès facilité des élus à ce conseil national afin que des normes jugées inutiles, mal calibrées ou trop coûteuses puissent être évaluées par celui-ci.

La proposition de loi que nous examinons cet après-midi vise notamment à supprimer les conditions de recevabilité de la saisine des collectivités prévues par le décret. La question de l’intervention du législateur dans le domaine réglementaire se pose par conséquent, et je sais qu’elle a donné lieu à des échanges nourris lors de l’examen de ce texte par votre commission.

Jean-Pierre Sueur vient d’évoquer la possibilité pour le Gouvernement de modifier ce décret. Eh bien, je vous annonce que je suis prêt à aller dans ce sens,…

M. Charles Revet. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Merci !

M. André Vallini, secrétaire d'État. … avec l’accord du Premier ministre, et je m’engage à ce que cette modification intervienne le plus rapidement possible, après un travail mené avec le CNEN – je m’en suis entretenu la semaine dernière avec Alain Lambert – et en prenant en compte nos débats de ce jour.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Notre débat aura au moins servi à quelque chose !

M. André Vallini, secrétaire d'État. J’en viens à la question des flux.

La proposition de loi fait écho à la volonté du Gouvernement d’affirmer le rôle central du Conseil national d’évaluation des normes dans la maîtrise des flux des normes applicables aux collectivités locales. Je veux vous indiquer à cet égard que cette maîtrise est encore renforcée depuis la circulaire du Premier ministre du 9 octobre dernier, qui fixe un objectif très clair : zéro euro de charge supplémentaire pour les collectivités territoriales du fait des normes nouvelles, à compter du 1er janvier 2015.

Votre proposition de loi vise à apporter trois modifications à la loi du 17 octobre 2013, qui a étendu le champ d’action du CNEN.

Premièrement, vous souhaitez préciser que le contrôle du CNEN se fera uniquement sur les projets de textes réglementaires ayant un impact technique et financier pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Cela devrait permettre effectivement de réduire le nombre de textes qui lui sont soumis.

Deuxièmement, vous souhaitez encadrer la procédure d’urgence pour l’examen du CNEN. Plutôt qu’une modification législative de cette procédure, nous souhaitons poursuivre les échanges avec celui-ci pour que l’examen des projets de loi se fasse dans de bonnes conditions.

Troisièmement, vous souhaitez rendre obligatoire son avis sur les projets de règlements des fédérations sportives soumis à la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Les règlements des fédérations sportives sont en effet une source non négligeable de normes nouvelles pour les collectivités locales, qui sont les premiers financeurs publics du sport en France. Il faut maîtriser ce flux. Néanmoins, le dispositif a été modifié en 2013, notamment avec l’attribution de la présidence de la CERFRES à un élu local. Par ailleurs, le dispositif actuel permet au CNEN d’intervenir sur une instruction détaillée et une appréciation motivée des élus de la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Inverser l’ordre des saisines aurait donc des inconvénients.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je conclurai sur une note positive. Les résultats pour 2014 et ceux du début de l’année 2015 en matière de maîtrise des flux sont encourageants : 1,6 milliard d’euros de charges nouvelles en 2013 – c’était beaucoup –, 800 millions d’euros en 2014 et seulement, si j’ose dire, 19 millions d’euros au 22 avril 2015. C’est dire si la décroissance est forte, mais nous devons aller plus loin, plus vite, plus fort.

La proposition de loi que vous examinez participe de cette mobilisation nécessaire pour réduire l’inflation normative, et le Gouvernement, qui en fait une priorité, se réjouit de votre démarche. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par MM. Bockel et Pointereau s’empare fort judicieusement de l’inflation normative qui paralyse l’action dans notre pays. Je les en remercie très sincèrement, ainsi que le rapporteur Jean-Pierre Sueur.

Jean-Étienne-Marie Portalis, père du code civil, qui veille sur nous, disait déjà en son temps que les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois. Il nous faudrait ériger ces propos en précepte absolu. Car, si des règles sont évidemment indispensables pour assurer la sécurité et réguler la vie en société, force est de constater que leur accumulation finit par en détraquer le fonctionnement !

Notre époque nécessite souplesse, réactivité, inventivité, adaptabilité, tandis que l’accumulation de règles constitue des freins à l’action et génère complexité, lenteur et surcoût. Beaucoup d’exemples le montrent : des normes sur les vestiaires de foot entraînent dans une ville un déclassement d’un stade de foot, interdit aux matches de CFA parce qu’il faut deux vestiaires d’arbitre de 8 mètres carrés chacun, alors que ce stade dispose de deux vestiaires, l’un de 9,5 mètres carrés et l’autre de 7 mètres carrés.

M. Charles Revet. Incroyable ! C’est d’une totale absurdité !

Mme Françoise Gatel. Ou encore, comble du comble, un décret de 2011 signé par quinze ministres sur les normes nutritionnelles de restauration scolaire définit notamment la quantité hebdomadaire d’œufs durs selon l’âge de l’enfant ou la température à laquelle doit être servie la macédoine.

Cette inflation de normes touche aussi les entreprises. Je citerai un seul exemple : la nécessité de solliciter l’autorisation de quinze administrations pour ouvrir une simple carrière de pierres.

Cette surenchère normative est un obstacle à l’initiative, à l’efficacité de l’action publique, a fortiori, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d'État, dans un contexte de crise économique et de baisse des ressources des collectivités. Cette surenchère normative est aussi source de perplexité et de risque pour les élus. En effet, comment hiérarchiser deux normes incompatibles, par exemple en matière de sécurité incendie dans les crèches ou les unités Alzheimer, où il faut s’assurer de l’impossibilité de sortie intempestive des enfants ou des résidents alors même qu’il est nécessaire de disposer d’issues de secours ouvrables à tout moment ?

Aujourd’hui, 400 000 normes réglementaires s’imposent aux collectivités locales et les enferment dans un coûteux carcan juridique. En quatre ans, de 2011 à 2015, le coût induit par les normes nouvelles serait évalué à plus de 1 milliard d’euros.

Je veux saluer ici l’excellent travail de nos collègues Mme Gourault et M. Sueur à l’initiative de la loi de 2013 portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes, qui a pour mission, cela a été rappelé, d’intervenir sur le flux et le stock des normes. Il convient aussi de rappeler l’excellent rapport de MM. Lambert et Boulard, rédigé en 2013, qui décrit l’absurdité de ce qu’ils appellent « l’incontinence normative » – ce terme me semble assez juste –, ainsi que le travail de notre collègue Éric Doligé sur ce sujet en 2011.

Oui, mes chers collègues, votre proposition de loi satisfera certainement de nombreux élus locaux confrontés au maquis d’une réglementation qui les désespère trop souvent et les dépasse parfois ! Elle contient quatre mesures significatives.

La première vise à simplifier et à élargir les possibilités de saisine du Conseil national d’évaluation des normes. En ce sens, elle restitue l’esprit initial du législateur. Les collectivités territoriales et les EPCI à fiscalité propre, mais aussi les parlementaires pourront saisir ce conseil national sans condition de nombre et sur simple motivation, alors que le décret d’application de la loi exige une saisine émanant d’au moins cent maires et présidents d’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.

La deuxième mesure positive consiste à renvoyer à l’administration la charge de la preuve de la pertinence de la norme qui pesait sur l’auteur de la saisine. Sur ce point, je ne peux m’abstenir de vous faire part de mon étonnement de jeune sénatrice sur la nécessité de devoir corriger par une proposition de loi un décret d’application contraire à l’esprit du législateur. Disons-le franchement, le décret du 30 avril 2014 a totalement détourné les conditions de saisine voulues par le législateur,…

Mme Françoise Gatel. … mais peut-être manque-t-il dans l’arsenal normatif français une norme sur la rédaction des décrets d’application... (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Très bien !

Mme Françoise Gatel. La troisième mesure positive vise à améliorer les conditions de fonctionnement du Conseil national d’évaluation des normes en encadrant la procédure d’urgence ; M. le rapporteur l’a déjà évoquée.

Enfin, la quatrième mesure – un vrai bonheur ! – porte sur les normes sportives.

L’agacement des élus locaux est extrême par rapport à ce pouvoir normatif des fédérations, qui confère à celles-ci des prérogatives de puissance publique inacceptables. Le texte que nous examinons va permettre de transformer une exception en règle, à savoir la consultation du Conseil national d’évaluation des normes sur tous projets de règlements fédéraux relatifs à des équipements sportifs, préalablement à la consultation de la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Nos collectivités ne peuvent en effet être condamnées à rester de simples exécutantes de prescripteurs qui ne sont pas les financeurs de leurs prescriptions.

En conclusion, au nom de l’adage « un homme averti en vaut deux », je saluerai la grande sagesse de la commission des lois, qui a supprimé la mention de la nécessité de décrets d’application, nous mettant ainsi à l’abri de nouvelles déconvenues.

Par cette proposition de loi, le Sénat confirme son rôle de représentant des collectivités. Il fait de la chasse à l’inflation normative un combat utile pour la qualité et l’efficacité de l’action publique. Cette proposition de loi salue aussi à juste titre l’excellent travail du Conseil national d’évaluation des normes en facilitant l’exercice de sa mission.

Vous l’aurez deviné, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC votera avec enthousiasme en faveur de ce texte, bel exemple de simplification que nous ne cessons tous d’appeler de nos vœux. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée par notre collègue Jean-Marie Bockel, a reçu compétence, par une décision du bureau du Sénat de novembre dernier, d’évaluer et de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales. En tant que vice-président de cette délégation, chargé de la simplification des normes, j’ai souhaité constituer un groupe de travail qui, depuis bientôt quatre mois, s’attelle à la maîtrise de la prolifération normative.

L’effort de simplification engagé par le groupe de travail ne pouvant aboutir sans l’appui des acteurs de terrain, la délégation aux collectivités territoriales a souhaité inaugurer sa nouvelle mission en invitant les élus locaux à répondre à une consultation en ligne à ce sujet à l’occasion de la dernière édition du congrès des maires. Quelque 4 200 contributions ont été recueillies, les trois quarts émanant de maires. Elles ont permis d’identifier les secteurs dont la simplification est jugée prioritaire par les élus locaux : l’urbanisme, pour plus de 60 % d’entre eux ; l’accessibilité, à hauteur de plus de 30 % ; l’achat public et l’environnement, autour de 20 % chacun. En outre, 900 commentaires ont été apportés. Ils sont riches d’enseignements sur l’état d’exaspération des élus face à des normes qui freinent l’action et grèvent les finances des collectivités territoriales.

Fort de ce constat, la délégation aux collectivités territoriales a entendu agir sur le flux de normes ; le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte a constitué pour elle une parfaite entrée en matière. Aussi la délégation a-t-elle confié à mon collègue Philippe Mouiller et à moi-même la rédaction d’un rapport sur les dispositions de ce projet de loi applicables aux collectivités territoriales. Au total, huit propositions avaient été satisfaites à l’issue des travaux des commissions saisies au fond, deux amendements ont en outre été adoptés en séance publique. Si ces résultats encore modestes ne sont pas à la hauteur de nos espérances, notre intervention aura au moins permis de faire de la complexité normative un élément incontournable du débat législatif.

Parce qu’il est essentiel de poursuivre cet effort, j’entends défendre quelques propositions de simplification à l’occasion de l’examen au Sénat du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Mais il importe aujourd’hui d’aller plus loin, en se penchant non sur le flux, mais sur le stock de normes. La délégation aux collectivités territoriales prendra toute sa part dans ce travail de simplification du droit en vigueur. Je souhaite d’ailleurs présenter à l’automne prochain quelques pistes de simplification en matière d’urbanisme et d’aménagement, afin de répondre de manière concrète et ciblée aux préoccupations qui ont été exprimées par les élus locaux. Pour ce faire, je m’appuierai sur l’excellent travail de notre collègue Éric Doligé en ce domaine.

La délégation aux collectivités territoriales ne peut, à elle seule, faire avancer le chantier de la simplification du stock de normes ; le Conseil national d’évaluation des normes doit également pouvoir y contribuer pleinement, à condition – j’y insiste – qu’on lui donne des moyens humains et financiers plus importants pour exercer sa mission. Or, comme cela a été rappelé, le décret du 30 avril 2014 pris en application de la loi du 17 octobre 2013 est venu encadrer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent demander au Conseil national d’évaluation des normes d’évaluer une norme réglementaire en vigueur et a rendu impraticable la saisine du CNEN par ces dernières. En résulte une situation paradoxale : les élus locaux sont largement exclus d’un outil que le législateur avait pourtant créé à leur attention, à la suite des états généraux de la démocratie territoriale de 2012. À l’époque, on parlait du « choc de simplification » !

Il est regrettable que la proposition de loi de nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, qui, rappelons-le, fut adoptée dans un fort esprit de consensus au Sénat et dont la lettre est pourtant claire – elle tient en deux articles –, ait vu sa portée ainsi amoindrie. C’est pour remédier à cette situation que nous avons souhaité avec le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Jean-Marie Bockel, présenter la proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du CNEN dont nous débattons aujourd’hui.

Le texte qui résulte des travaux de la commission des lois améliore indéniablement la proposition de loi initiale. Il résout en particulier de façon plus efficace la difficulté résultant de l’exigence, imposée par le décret du 30 avril 2014 à l’auteur d’une saisine, de produire une fiche d’impact de la norme contestée. Si l’on admet volontiers que l’auteur d’une saisine ait l’obligation de la motiver, il incombe en revanche à l’administration à l’origine de la norme, et non à l’auteur de la saisine, d’apporter au CNEN les éléments techniques et financiers nécessaires à la conduite de l’évaluation. Dans la mesure où l’administration a réalisé une étude d’impact avant l’édiction de la norme, il est logique qu’elle en mesure également les conséquences a posteriori.

Cette modification de bon sens est de nature à simplifier la faculté pour les collectivités territoriales de saisir le CNEN, les plus petites communes ne disposant souvent pas des moyens humains et des ressources juridiques suffisants pour produire une fiche d’impact étayée. Elle est également susceptible de faciliter l’exercice par le CNEN de sa mission d’évaluation des normes réglementaires, puisque les rapporteurs qu’il désigne afin d’instruire les demandes et d’élaborer un projet d’avis ne bénéficient pas toujours d’une information complète et de qualité. C’est pourquoi il est légitime d’attribuer à l’administration, dans le déroulement de la procédure d’évaluation, une « charge de la preuve » de la qualité et de l’efficacité de la norme. On ne peut donc qu’approuver la formulation adoptée sur ce point par la commission des lois visant à inverser la charge de la preuve vers l’administration.

Le texte issu des travaux de la commission des lois complète également la proposition de loi initiale en matière de normes relatives aux équipements sportifs, à la suite de l’adoption de l’un de mes amendements. Ces dispositions, dont l’incidence financière est souvent élevée, sont une source d’inflation normative bien connue des élus locaux.

Alors que la gestion des équipements sportifs est assurée à hauteur de 85 % par les collectivités territoriales – cette participation financière est donc très importante –, ces normes sont soumises non à l’avis du CNEN, mais à celui d’une structure dédiée que vous avez évoquée, monsieur le secrétaire d’État, à savoir la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Un lien existe tout de même entre ces deux instances, puisque la CERFRES peut soumettre, sur décision de son président ou à la demande d’un tiers de ses membres, certains projets de normes à l’avis préalable du CNEN. Mais c’est rarement le cas ! Aussi est-il justifié que la remise d’un avis par le CNEN, préalablement à celui de la CERFRES, ne soit plus l’exception mais devienne la règle. On ne peut que souscrire à la disposition adoptée sur ce sujet par la commission des lois. Il y aura donc désormais un double avis.

Si ces deux avancées sont appréciables et compléteront utilement la procédure d’instruction et le champ de compétences du CNEN, le texte proposé par la commission de lois pourrait néanmoins être amélioré sur deux points précis, sur lesquels j’ai déposé des amendements.

Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi introduisait la possibilité de confier aux associations d’élus locaux le droit de saisir le CNEN sur le stock de normes. La possibilité d’une saisine par les associations d’élus me paraît indispensable, puisque celles-ci disposent d’une connaissance des problématiques locales et de moyens d’expertise juridique qui font d’elles des acteurs incontournables de la lutte contre l’inflation normative. Cette saisine aidera le Conseil national d’évaluation des normes à gérer rationnellement l’afflux éventuel de saisines dispersées. C’est pourquoi j’ai souhaité déposer un amendement au texte de la commission, afin de rétablir pour les associations nationales la possibilité d’adresser une demande d’évaluation au CNEN.

Un autre changement intervenu à l’occasion de l’examen du texte en commission est l’inscription, dans le code général des collectivités territoriales, d’un alinéa indiquant que « les demandes d’évaluation sont motivées ». Bien que la codification de cette obligation de motivation ne pose pas problème en soi, elle ne doit pas être perçue pour autant comme un obstacle à la saisine du CNEN par les collectivités territoriales. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant à préciser que cette motivation est « succincte », pour éviter qu’elle ne devienne un pensum.

Je forme le vœu que ces deux amendements aient une issue favorable. Les collectivités territoriales attendent que l’effort de simplification, dont tout le monde reconnaît la nécessité, aboutisse à des résultats concrets et visibles sur le terrain. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, pour vous avoir auditionné, que vous souhaitez ardemment avancer dans cette voie. Faisons donc du Sénat le moteur de la simplification des normes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)