M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat est saisi d’une proposition de loi tendant à modifier le régime applicable à Paris en matière de pouvoirs de police. Ce n’est pas tout à fait une surprise puisque cette question avait été abordée lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, devenu la loi MAPTAM.

La proposition de loi a pour objectif d’accroître les pouvoirs de police du maire de Paris. Après avoir beaucoup discuté de cette question difficile avec le ministre de l’intérieur, je crains que la réponse que lui et moi nous sommes accordés à y apporter ne déçoive quelque peu les auteurs de la proposition de loi, ainsi que la commission.

La proposition de loi concède au préfet de police des pouvoirs assez résiduels en matière de circulation et de stationnement, pour lui permettre d’assurer la protection des institutions de la République et des représentations diplomatiques : c’était bien le moins !

Étant donné le bouleversement que vous proposez, vous comprendrez que le Gouvernement ait examiné le texte longuement et précisément, en prêtant une attention aiguë à chacune de ses dispositions.

Quel est l’état du droit ? Comme cela a été rappelé, depuis 1667, l’autorité de police exerce à Paris un bloc de compétences unifié en matière d’ordre public et de sécurité, concentrant et les compétences de l’État et celle de la police municipale. Cet héritage de l’Ancien régime a été confirmé par la loi du 28 pluviôse an VIII et par l’arrêté du 12 messidor an VIII, qui, dans un souci d’efficacité, a confié à une autorité unique l’intégralité des pouvoirs de police dans la capitale.

Depuis lors, plusieurs lois ont étendu la compétence du maire de Paris : la loi du 29 septembre 1986; la loi du 27 février 2002 et la loi MAPTAM du 27 janvier 2014, notamment.

Avec cette proposition de loi, vous souhaitez aller beaucoup plus loin, en franchissant une marche considérable puisque le maire de Paris deviendrait le détenteur de droit commun des pouvoirs de police générale, tandis que le préfet de police n’exercerait plus qu’une compétence liée à la lutte contre les atteintes à la tranquillité publique et au respect du bon ordre à l’occasion des grands rassemblements.

Cela provoquerait un grand bouleversement, y compris pour les forces de police étatisées, qui seraient placées sous l’autorité du maire puisqu’elles devraient exécuter des arrêtés pris par lui – rien que cela !

Si j’en crois l’exposé des motifs, la question est de savoir si l’héritage ancien de la police parisienne est conforme à notre droit, s’il se justifie au titre de l’organisation administrative et s’il peut être comparé à ce qui existe dans les capitales de semblable importance.

J’avoue être assez dubitative. Contrairement à ce que vous avancez, le bloc de compétences dont dispose le préfet de police n’est pas attentatoire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales. C’est le sens de la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet 1970. En outre, dans sa décision Guyot du 10 octobre 2013, le Conseil d’État a estimé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution des pouvoirs étendus en matière de circulation dont dispose le préfet de police. Il n’y a donc aucun problème juridique ; je pense que tout le monde finira par s’accorder sur ce point.

Vous insistez ensuite sur la singularité qui caractériserait la France. C’est oublier que bien d’autres pays connaissent une situation similaire. Je pense notamment aux États-Unis, dont la capitale, Washington, ne constitue pas un État de l’Union, mais un district fédéral, au sein duquel le pouvoir fédéral exerce des pouvoirs de police en lieu et place du maire. Il en est de même au Royaume-Uni : à Londres, les missions de la Metropolitan police sont très similaires à celles de la préfecture de police, et le responsable est nommé par le pouvoir central.

En aucun cas la France n’est donc isolée dans sa conception de la sécurité au sein de sa capitale.

Votre proposition de loi a aussi, certainement en toute bonne foi, un objet caché : pointer la responsabilité de la maire de Paris. Je veux m’inscrire en faux contre une telle démarche. Vous ne pouvez pas imaginer, ne serait-ce qu’un instant, que la maire de Paris et le préfet de police, lui-même placé sous l’autorité directe du ministre de l’intérieur, ne soient pas en permanence en relation, déterminés à assurer la sécurité des Parisiennes et des Parisiens.

La maire de Paris est parfaitement au fait des enjeux de sécurité à Paris. Elle interpelle le Gouvernement aussi souvent que nécessaire, lorsqu’il s’agit de défendre la sécurité de ses administrés. Du reste, le 21 avril dernier, le ministre de l’intérieur et la maire de Paris ont, ensemble, à la suite d’une décision concertée, pu inaugurer un commissariat de police à la gare du Nord, ce qui démontre la parfaite entente entre l’État et la Ville de Paris dans la défense de la sécurité des Français, et la capacité qui en résulte à prendre des initiatives fortes ; celle-ci en est une, à l’évidence.

Cette entente s’est également manifestée au moment des attentats des 7, 8 et 9 janvier dernier, avec la mise en œuvre du plan Vigipirate dans la capitale. Vous le savez bien, le ministre de l’intérieur, le préfet de police et la maire de Paris échangent régulièrement sur ces questions.

J’en arrive à la principale difficulté que soulève votre proposition de loi.

Dans votre exposé des motifs, vous évoquez des enjeux de visibilité, de responsabilité politique, d’organisation administrative du territoire, mais vous n’évoquez jamais, à bien y regarder, les enjeux de sécurité stricto sensu.

Si elle était adoptée, votre proposition de loi aurait pour effet de désorganiser profondément la préfecture de police et, partant, les forces de police, qui font un travail remarquable dans la capitale. C’est très exactement l’inverse de ce que recherche le Gouvernement, qui souhaite, au contraire, renforcer autant que possible la cohésion, l’intégration, l’échange d’informations et la coopération entre les différentes directions de la police, y compris à Paris.

La préfecture de police est un bloc. Elle tire son efficacité et sa réactivité de l’intégration des missions qui lui sont confiées, en matière de sécurité publique, d’ordre public et de polices administratives, concourant à la sécurité comme à la sûreté. Elle tire cette même efficacité d’une chaîne hiérarchique unique, qui permet de faire face aux défis d’une ville pas tout à fait comme les autres : Paris appartient, certes, aux Parisiens, mais elle appartient aussi à la communauté nationale ; elle accueille des millions de touristes étrangers ; elle est le siège de représentations diplomatiques nombreuses, d’institutions internationales ; elle concentre des points d’intérêts vitaux pour la Nation et pour le rayonnement de la France.

La gestion de sa sécurité, hautement sensible – vous en convenez –, appelle donc une organisation particulière qui, dans l’histoire contemporaine, a donné toutes les preuves de sa pertinence. Compromettre cet édifice d’une efficacité éprouvée serait, sans aucun doute, une erreur, peut-être même une faute.

Face aux défis nouveaux auxquels nous sommes désormais malheureusement confrontés – je pense naturellement à la lutte contre le terrorisme –, il me semble en effet inopportun de fragiliser cette organisation, qui, dans le cadre de la police d’agglomération, intègre depuis 2009 les départements de la petite couronne pour mieux prendre en compte la mobilité de la délinquance, comme le caractère diffus de la menace terroriste. À cet égard, il faut savoir que les départements qui sont un peu au-delà demandent parfois à intégrer ce système.

J’observe enfin que la proposition de loi, qui tend à banaliser l’organisation des pouvoirs de police à Paris, se garde bien de toucher, sans doute parce qu’elle ne le peut pas, à l’exception que constitue l’organisation du service public de secours et de lutte contre les incendies, lui aussi placé sous l’autorité du préfet de police. La logique d’alignement sur le droit commun qui inspire les auteurs de la proposition de loi n’est donc pas poussée à son terme sur le sujet primordial de la sécurité civile, ce qui ne laisse pas d’interroger.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les auteurs de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes les organisations gagnent à se moderniser, c’est vrai, à se réformer, sans doute, à renforcer leur efficience, c’est évident. La préfecture de police n’échappe pas à cette dynamique, elle n’est pas confinée dans l’immobilisme. Elle a mis et met en œuvre des réformes de structures importantes, sur le plan administratif comme en matière opérationnelle. Elle entretient avec la mairie de Paris et les élus parisiens une relation permanente, dense et confiante.

Selon nous, le présent texte remet en cause les fondamentaux de son organisation et remettra en cause, par là même, la solidité et la cohérence de l’édifice, parfaitement adaptée aux exigences particulières de la sécurité de notre capitale, qui intéresse les Parisiens et tous ceux qui passent par Paris, ne serait-ce que pour un court séjour.

C’est pourquoi, monsieur Pozzo di Borgo, je vous demande de retirer votre proposition de loi. Cependant, je tiens à vous dire que tout texte, même avec un avis aussi défavorable du Gouvernement, fait avancer les sujets. Sans doute, sur tel ou tel point, faut-il continuer à travailler, mais vous devez savoir que le ministre de l’intérieur et le préfet de police sont aussi soucieux de poursuivre ce travail. Néanmoins, à nos yeux, ce n’est pas cette option qui nous permettra d’être plus efficaces. Je crois que nos efforts en la matière ont été démontrés, même si, aujourd’hui, j’appelle chacun, en responsabilité, à faire preuve de beaucoup de vigilance.

Quoi qu'il en soit, je remercie les uns et les autres de nous avoir donné l’occasion de débattre de cette question.

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en qualité de sénatrice de Paris, c’est avec une attention toute particulière que j’ai examiné ce texte puisqu’il concerne le territoire dont je suis l’élue.

Le groupe écologiste accueille favorablement cette proposition de loi, qui, au moment où la sécurité figure parmi les préoccupations premières des Parisiens, concourra à renforcer le nécessaire lien démocratique en la matière.

En plus de la salubrité publique et des troubles de voisinage, pour lesquels il est déjà compétent, le maire de Paris serait aussi chargé du bon ordre, de la sûreté et de la sécurité publique, ce qui constituerait un net rapprochement en direction du droit commun en la matière. Lui confier ces compétences le rendra alors -ci comptable devant les électeurs d’un bilan intégrant les différents leviers d’action.

Du point de vue démocratique, ce rapprochement vers le droit commun est préférable à la situation actuelle, où une grande partie de ces pouvoirs est exercée par le préfet de police, nommé par le Gouvernement, et qui est donc responsable devant lui seulement.

Il s’agit également d’une exigence démocratique au regard de la gestion des moyens, puisque la Ville de Paris participe au budget de la préfecture de police sans pouvoir, par définition, prendre de mesures dans ce domaine.

De plus, au regard de l’exigence du bon emploi des deniers publics, la situation actuelle est insatisfaisante, car source de difficultés et d’incohérences opérationnelles. Ainsi, la préfecture de police gère des tâches qui peuvent difficilement être considérées comme régaliennes, tel le « barriérage » des voies à l’occasion du marathon de Paris.

De même, les agents de surveillance de Paris, chargés de contrôler le stationnement et la surveillance, sont rémunérés par la mairie de Paris, mais celle-ci ne les contrôle pas. Placer ces agents sous l’autorité du maire de Paris serait donc une avancée logique.

Par ailleurs, ce régime dérogatoire au droit commun est source de complexité pour les électeurs, qui peinent à identifier qui fait quoi. Une telle dilution des responsabilités nuit sans conteste à la vivacité du lien démocratique.

Ce régime est d’autant plus daté que les pouvoirs de police du maire de Paris tendent à s’accroître depuis 1975. En effet, le maire de Paris s’est successivement vu confier : la salubrité sur la voie publique, le maintien du bon ordre dans les foires et marchés ainsi que la délivrance des permis de stationnement et des concessions d’emplacement sur la voie publique, en 1986 ; la police des troubles de voisinage, en 2002 ; une compétence générale en termes de circulation et de stationnement, depuis 2002.

À l’heure de la décentralisation, processus qui se caractérise par l’exigence de proximité dans la décision et de vitalité de la démocratie locale, il semble en effet anachronique et paradoxal de conserver un dispositif hérité du Consulat.

Pour ces différentes raisons, il convenait de changer le régime en place. L’exemple de la ville de Bruxelles montre bien qu’une gestion par les instances locales est parfaitement envisageable.

Pour autant, nous sommes conscients des spécificités parisiennes et reconnaissons que celles-ci peuvent justifier des adaptations et des dérogations au droit commun. Ainsi, l’examen du texte en commission a limité ce transfert aux pouvoirs de police générale et de la police spéciale du stationnement et de la circulation.

Les pouvoirs du préfet de police seront ainsi davantage circonscrits à ce qui est nécessaire, compte tenu de la spécificité du cadre parisien. Le préfet de police garderait par exemple des prérogatives importantes en matière de contrôle de la circulation et du stationnement pour la protection des institutions de la République et des représentations diplomatiques. Parallèlement, comme dans les communes à police étatisée, le préfet de police resterait compétent « quand il se fait occasionnellement de grands rassemblements d’hommes ».

En outre, comme c’est le cas dans le droit commun concernant les prérogatives du préfet, ce dernier conservera aussi un pouvoir de substitution en cas de carence du maire, ainsi que ses attributions en matière de contrôle de la légalité des actes municipaux.

La proposition de loi que nous examinons est ainsi un texte équilibré, s’inscrivant dans une démarche progressive, puisqu’elle contribue à renforcer le lien démocratique sur une question capitale dans la vie des Parisiens, sans pour autant préempter l’avenir.

En conséquence, le groupe écologiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en vertu de l’idée selon laquelle les pouvoirs de police du préfet de police de Paris seraient archaïques, cette proposition de loi, portée par une partie de la droite parisienne, vise en fait principalement à imposer une police municipale à Paris, contre l’avis de la majorité municipale.

Que la commission des lois en ait atténué la portée, en limitant son périmètre au transfert vers le maire de Paris de la police générale et de la police spéciale du stationnement et de la circulation, ne change rien à l’affaire. Nous le savons, une partie de la droite parisienne caresse le projet d’une police municipale à Paris depuis très longtemps. En 1990, déjà, elle avait fait adopter un texte comparable au Sénat, qui s’était heurté à l’opposition du gouvernement socialiste et ne fut donc pas discuté à l’Assemblée nationale.

Ce rappel historique étant fait, voyons maintenant dans quel contexte cette proposition de loi s’inscrit aujourd’hui.

En vérité, l’argumentaire n’est pas plus convaincant aujourd’hui qu’il ne l’était voilà vingt-cinq ans ! Ceux qui nous expliquent à quel point le statut de préfet de police est archaïque et inefficient sont les premiers responsables de la disparition de 1 500 postes de policier, rien qu’à Paris, sous la présidence Sarkozy. En fait, ils veulent que Paris prenne en charge aujourd’hui un ersatz de police de proximité, laquelle a été détruite par Nicolas Sarkozy sur tout le territoire national, et à Paris en particulier.

Notre collègue Yves Pozzo di Borgo se demandait tout à l’heure quel maire ou président de département accepterait de payer pour des personnels qui ne seraient pas placés sous sa responsabilité. Mais cette situation existe déjà : en matière de sécurité incendie,…

M. Yves Pozzo di Borgo. Oui, on sait !

M. Christian Favier. … c’est la brigade des sapeurs-pompiers de Paris qui protège Paris et les trois départements de la petite couronne, à la satisfaction de tous les élus, avec des personnels payés par les départements.

M. Alain Marc, rapporteur. Ce n’est pas comparable !

M. Christian Favier. Je ne souhaite surtout pas qu’on change quoi que ce soit à dispositif, qui nous convient parfaitement !

Pour notre part, nous sommes dans une logique complètement différente. Selon nous, en effet, il est urgent de rétablir les moyens d’une véritable police de proximité et des commissariats au cœur des quartiers, avec des policiers bien formés, bien encadrés, disposant de bonnes conditions de travail.

Le texte que nous examinons aujourd’hui va à l’encontre de cet objectif et donnerait un extraordinaire coup d’accélérateur au développement des polices municipales, dont chacun ici connaît l’efficacité limitée et le coût exorbitant pour les contribuables. Il faudrait, bien au contraire, renationaliser les polices municipales tout en harmonisant les statuts, les formations et les salaires, à partir de ce qu’ils sont au niveau de l’État.

Si ce texte entrait en vigueur, il pénaliserait également financièrement les citoyens puisqu’ils seraient taxés deux fois, d’abord par l’impôt sur le revenu, ensuite par l’impôt local, pour financer une même mission, la sécurité, qui doit, selon nous, demeurer une mission régalienne de l’État.

Je note d’ailleurs avec satisfaction que la majorité de gauche du Conseil de Paris et la maire de Paris, saisies en mars dernier par la droite de l’idée contenue dans cette proposition de loi, l’ont rejetée. C’était d’ailleurs logique, puisqu’elles ont été élues sur un programme qui ne proposait pas de créer une police municipale. À cette occasion, le groupe communiste du Conseil de Paris s’est prononcé pour la mise en place d’une véritable police de proximité et pour le retour à un système de police unique, avec des effectifs centrés sur l’échelon local.

Par ailleurs, le développement de Paris dans tous les domaines n’impose-t-il pas ce régime spécifique, adapté aux missions et aux objectifs de cette ville, qui est la capitale de notre pays, mais qui accueille aussi le siège de très nombreuses institutions internationales ? Paris est une capitale mondiale et n’appartient pas seulement aux Parisiens. Les terribles événements du début d’année sont là pour nous rappeler sa situation très particulière. Il faut également rappeler que Paris est le théâtre de plus de 7 000 manifestations par an.

Tous ces arguments ne signifient pas que nous souhaitions en rester au statu quo. La coordination des différents services de sécurité de la Ville de Paris avec la police nationale peut sans doute être améliorée. Un renforcement de cette coopération avec Paris et les autres territoires concernés est sans doute souhaitable, mais le rôle des collectivités locales en matière de tranquillité publique est avant un rôle de médiation et de prévention.

La présente proposition de loi va à l’encontre de cette logique. C’est la raison pour laquelle nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Roger Madec applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe aujourd’hui comporte une dimension éminemment historique. De la Révolution française aux journées de 1848, en passant par la sanglante Commune, qui a décimé la classe ouvrière, Paris, « ville laborieuse, ville dangereuse », a fait l’objet d’un régime de police spécifique, du fait de la centralisation, mais surtout de sa turbulence bien connue. L’exception parisienne a donc plus de deux siècles.

Renouant avec une vieille tradition monarchique, Napoléon Ier avait administré directement la capitale sans laisser aucune autorité politique ou administrative y jouer un rôle important. Celui du ministre de l’intérieur était contrebalancé par celui du ministre de la police, et l’influence du préfet de la Seine par celle du préfet de police. Ce système perdure depuis deux siècles. C’est le signe que les pouvoirs qui se sont succédé en France se sont bien trouvés de ce régime d’exception.

Entre la loi de 1794 et celle du 31 décembre 1975, Paris n’a plus eu de maire, à deux exceptions près : durant six mois sous la Révolution de 1848 et durant près d’un an, de la proclamation de la Troisième République jusqu’à deux mois après la fin de la Commune de Paris, en 1871. Il a fallu attendre les premières élections municipales en 1977, pour que les Parisiens élisent à nouveau un maire, et encore celui-ci n’a-t-il pas récupéré l’ensemble des prérogatives administratives de droit commun. L’exception parisienne a fait long feu.

Les auteurs de la présente proposition de loi nous invitent ainsi à libérer Paris d’un régime de police dérogatoire.

La commission des lois et son rapporteur ont fait un véritable travail d’orfèvre en choisissant de limiter le transfert des pouvoirs de police à la police générale, qui comprend la police des funérailles et des cimetières, et à la police spéciale du stationnement et de la circulation. Cette décision apparaît sage, au vu des grandes spécificités de la capitale.

Actuellement, à Paris, la police du stationnement et de la circulation est une compétence partagée entre le maire de Paris – la maire, aujourd'hui – et le préfet de police. Aussi celui-ci exerce-t-il une compétence d’attribution sur certaines voies de la capitale, telles que le boulevard périphérique, les voies sur berges, les quais de la Seine ou encore les axes structurants. Ce pouvoir serait transféré au maire, sans que cela pose de difficulté insurmontable. Il en va de même pour la police des funérailles et des cimetières.

Signe de l’actualité du débat sur la police municipale et ses évolutions, le Sénat avait débattu l’an dernier d’une proposition de loi relative à la police municipale. Déposé par François Pillet et René Vandierendonck, à la suite de leur rapport sur l’évolution des services de police municipale publié en septembre 2012, le texte tendait à fusionner dans un même cadre d’emplois les agents de police municipale et les gardes champêtres pour créer une police territoriale. Nous aurions pu faire d’une pierre deux coups en y intégrant les dispositions les plus consensuelles de la présente proposition de loi !

Madame la ministre, mes chers collègues, j’apporterai, à titre personnel, mon soutien à ce texte, tandis que la majorité des membres du RDSE votera contre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’UDI-UC. – MM. Philippe Dominati et Pierre Charon applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le politique, même dans une France à tradition centralisatrice, se doit, pour être efficace et rechercher le bien commun, de s’appuyer sur le principe de subsidiarité.

Ce principe doit prévaloir, y compris dans le domaine de la police, au sens de la sécurité des biens et des personnes et du maintien de l’ordre public. C’est de ce principe que sont nées les polices municipales, qui gèrent les questions de police au niveau communal.

C’est pourquoi les maires sont, dans presque toutes les communes de France, les responsables de la police administrative générale et disposent, dans un certain nombre de villes, d’une police municipale pour l’appliquer. C’est du suffrage universel qu’ils tirent cette part de pouvoirs et ils en sont donc comptables devant les citoyens. On connaît d’ailleurs la forte sensibilité des électeurs aux questions de sécurité, sensibilité fort légitime, car la sécurité est la première des libertés !

Ainsi, notre modèle de police dans les villes s’appuie sur une police nationale pour toutes les questions inhérentes aux fonctions régaliennes et une police municipale pour les autres questions de sécurité, nécessitant souvent une plus grande proximité avec la population.

En outre, toujours au nom de la subsidiarité, il me semble que celui qui paie doit avoir la maîtrise des missions qu’il finance. Comme le souligne le rapport de notre collègue Alain Marc, la Ville de Paris contribue très largement au financement de la préfecture de police et à son fonctionnement, avec la mise à disposition d'un personnel très nombreux.

La ville-capitale présente aujourd’hui une singularité dans le domaine de la police qui vient de son histoire et de la méfiance du pouvoir étatique vis-à-vis de la population parisienne, pour différentes raisons. Tout d’abord, si, dans l’histoire, le peuple parisien a souvent été à l’origine de remises en question du pouvoir en place, il a bien changé et je ne le vois guère être aujourd’hui le fer de lance d’un quelconque changement de régime !

Alors, si dans le passé cette exception de la ville capitale pouvait se justifier, l’explosion du nombre d’actions de police, répertoriées en annexe du rapport, doit nous amener à remettre en question ce modèle. Certes, la capitale est une ville à part et la sécurité de cette ville présente un caractère singulier, mais de nombreuses tâches de police ne relèvent clairement pas de la responsabilité ni du niveau de l’État, et il n’y a aucun risque à les transférer à la commune.

Nous sommes d’avis de suivre les propositions de la commission, qui prône un transfert progressif de ces nombreuses tâches de police qui ne méritent pas d’être exercées au niveau de l’État et pourraient donc relever de la commune.

Du fait que nous sommes fort attachés à la souveraineté des peuples et que, à l’échelle de Paris, c’est de l’expression de la souveraineté du peuple parisien que vient le pouvoir du maire, nous soutenons bien volontiers cette proposition de loi. Nous espérons qu’une police municipale parisienne verra bientôt le jour et que la préfecture de police pourra se concentrer davantage sur les missions régaliennes de sécurité, missions qui ne manquent pas aujourd’hui, c’est le moins que l’on puisse dire ! (MM. Yves Pozzo di Borgo, Philippe Dominati et Pierre Charon applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous examinions aujourd’hui la proposition de loi déposée par mon collègue Yves Pozzo di Borgo, ainsi que par MM. Charon et Dominati.

C’est un texte qui est en prise directe sur la vie quotidienne des Parisiens et qui tend à transformer une situation qu’Yves Pozzo Di Borgo qualifie à juste titre d’« archaïque, incompréhensible et anachronique ».

Alors que l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales confie au maire l’exercice de la police administrative générale, Paris déroge à ce système de droit commun : il revient au préfet de police, et non au maire, d’y exercer les pouvoirs de police administrative générale. Voilà donc plus de deux siècles que la municipalité de Paris se voit confisquer le pouvoir de police administrative par le préfet !

Cette confiscation, qui répondait à une nécessité en 1800, ne se justifie plus aujourd’hui. Ce statut dérogatoire, né de l’arrêté du 12 messidor an VIII, vient dès lors contredire aujourd’hui sans raison le principe de libre administration des collectivités territoriales, consacré par les articles 1er et 72 de notre Constitution.

Cette particularité dans notre système décentralisé se heurte à un certain nombre de limites.

La première est la question du budget. Que Paris n’ait pas de police municipale à gérer est une dérogation de fait qui est contestable, mais que, chaque année, la Ville de Paris verse 300 millions d’euros à la préfecture de police, soit 42 % de ses ressources financières, est franchement discutable ! L’ordonnateur de ce budget, je le rappelle, est le préfet de police.

Un problème de responsabilité politique se pose aussi. Comment la police municipale de Paris peut-elle répondre à l’exigence de proximité que nos concitoyens expriment chaque jour davantage quand elle est gérée par le représentant de l’État, qui n’est pas élu et n’est donc pas directement responsable devant les citoyens ? On peut comprendre qu’il soit moins sensible à la gestion des problématiques quotidiennes des Parisiens.

Que les tâches relevant de la police municipale soient assurées par des services régaliens ne peut que nous surprendre. La préfecture de police n’aurait-elle pas davantage vocation à se concentrer sur des missions régaliennes de sécurité, surtout par les temps qui courent, où nous vivons dans la crainte, justifiée, d’actes de terrorisme ?

Peut-on se satisfaire du fait que les policiers nationaux exécutent des missions habituellement confiées à des policiers municipaux, comme le « barriérage » des voies à l’occasion du marathon de Paris ? On peut aussi difficilement considérer comme régaliennes les missions confiées à la brigade d’assistance aux personnes sans abri de Paris, qui mobilise 70 policiers nationaux ! La répartition des rôles, convenez-en, pourrait être améliorée.

On peut dresser le même constat en ce qui concerne le contrôle du stationnement et de la circulation qu’assurent les agents de surveillance de Paris, rémunérés par la mairie de Paris, mais échappant à son contrôle ! Ce mode de gestion est discutable et la chambre régionale des comptes d’Île-de-France a elle-même émis plusieurs réserves à cet égard. Selon ses chiffres, les verbalisations pour non-paiement du stationnement ont diminué de 10 % entre 2007 et 2009 et celles concernant la salubrité ont baissé de 74 %. Il a aussi été confirmé qu’environ 85 % des Parisiens ne payaient pas leur stationnement parce qu’ils savent que le risque de se voir infliger une amende est extrêmement faible.

Le manque d’incitations financières pour le contrôle du stationnement et de la circulation n’encourage pas la préfecture de police à agir. Si ces missions étaient gérées par la Ville de Paris, on pourrait penser qu’elles le seraient avec davantage de pertinence, dans le propre intérêt financier de la Ville, étant donné qu’elle perçoit une partie des recettes des procès-verbaux établis pour les infractions aux règles du stationnement et de la circulation constatées sur son territoire.

Permettre à la municipalité d’assumer ses nouveaux pouvoirs de police reviendrait aussi à lui permettre de déterminer la doctrine d’emploi des agents de surveillance de Paris. Elle pourrait choisir de les affecter soit à la police du stationnement, soit à la circulation, ou encore à la prévention et à la répression des petites incivilités ou des nuisances commises sur la voie publique, en fonction de son évaluation des besoins.

L’ancrage des agents de la police municipale dans chaque arrondissement favoriserait l’efficacité de leur action. Leur connaissance du quartier, de ses habitants et de ses particularités pourrait stimuler les synergies avec les services municipaux, sociaux et les milieux associatifs locaux. Dans ma commune, la police municipale effectue de nombreux signalements auprès des services sociaux et cette pratique présente une véritable utilité au quotidien.

À l’heure où les grandes villes françaises prennent leur envol métropolitain, où des capitales européennes comme Madrid, Berlin ou Bruxelles ne présentent aucun particularisme en matière de police, il est temps que Paris se modernise, entre dans ce mouvement et cesse d’être une ville qui finance une police qu’elle ne contrôle même pas !

Cette proposition de loi a été rédigée en ce sens. Elle vise à attribuer un pouvoir de police générale au maire de Paris. Outre la salubrité publique et les troubles de voisinage, pour lesquels le maire est déjà compétent, la sûreté, l’ordre et la sécurité publique lui sont aussi attribués.

La commission a fait le choix, que nous soutenons, d’aligner le régime de police de la capitale sur celui des communes à police d’État, tout en souhaitant la poursuite de la démarche engagée depuis la loi du 27 février 2002 visant à accorder au maire une compétence globale en matière de stationnement et de circulation.

Le texte initial prévoyait aussi de transférer au maire de Paris certaines polices spéciales, telles que la police du ramonage des cheminées ou l’ensemble de la police des funérailles et des cimetières. En commission, le champ de la proposition de loi a été limité à la police générale et à la police spéciale du stationnement et de la circulation, excluant les autres polices spéciales.

Nous nous rangeons à la position de la commission, qui a jugé plus réaliste d’adopter une démarche progressive, quitte à aller plus loin, le moment venu, en se fondant sur une analyse détaillée de la plus-value d’un transfert de ces compétences.

Pour autant, Paris doit composer avec des contraintes spécifiques, que la proposition de loi initiale n’ignorait d’ailleurs pas.

Les raisons d’intérêt national telles que la protection des institutions de la République, les représentations diplomatiques, ainsi que les manifestations de voie publique, nécessitent des mesures de protection qui doivent être du ressort d’une autorité représentant exclusivement l’État et qui relèvent, par conséquent, de la préfecture de police.

Les travaux de la commission ont permis de clarifier ce texte et nous estimons qu’ils vont dans le bon sens. C’est la raison pour laquelle le groupe UDI-UC votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)