Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi, sur l’article, pour cinq minutes précises, mon cher collègue.

M. René Danesi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avec l’examen de l’article 3 nous atteignons le cœur de la nouvelle loi sur la fin de vie.

On peut se demander en fait pourquoi il faudrait changer une loi votée, à l’unanimité, il y a tout juste dix ans. Notre débat d’hier a montré que la loi Leonetti est insuffisamment connue dans les milieux médicaux et que les unités de soins palliatifs sont en nombre dramatiquement insuffisant. La réponse simple aurait donc consisté à développer la formation du personnel médical et à augmenter le nombre d’unités de soins palliatifs, malgré leur coût évoqué à plusieurs reprises.

Mais c’eût été sans doute beaucoup trop simple ! Surtout, il y avait une promesse électorale présidentielle à tenir… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Alors, on légifère ! Et, comme souvent dans les réformes sociétales, tout est fait en apparence pour tranquilliser, mais c’est pour mieux dissimuler un objectif final qui, lui, a de quoi inquiéter.

Car les débats de cette nuit ont clairement montré que l’introduction par la loi de la « sédation profonde et continue » pour les patients en fin de vie n’est, pour un certain nombre de nos collègues, qu’un cheval de Troie.

Les nombreux amendements déposés par eux cette nuit avec un art consommé du camouflage sémantique visaient à introduire immédiatement et sans délai l’assistance médicale active à mourir, c’est-à-dire le suicide assisté et l’euthanasie.

M. Jean-Pierre Godefroy. Vous auriez dû le dire !

M. René Danesi. En résumé, sédation profonde et continue aujourd’hui ; euthanasie au cas par cas demain ; euthanasie généralisée après-demain. Je refuse de faire le premier pas sur un chemin qui mènerait notre société dans un précipice moral !

Je ne voterai donc ni pour la sédation profonde et continue, détaillée dans cet article 3, ni pour la proposition de loi dans son ensemble, malgré les incontestables clarifications et précisions apportées par les travaux du Sénat.

Le problème n’est pas dans la qualité rédactionnelle de la loi ; il est dans sa raison d’être, que je ne vois pas, ou plutôt que je ne vois que trop bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.

M. Philippe Bas. Madame la présidente, mes chers collègues, les travaux de la nuit dernière ont permis d’avancer sur une voie qui doit être confirmée maintenant, à l’occasion de l’examen de cet article 3.

Si l’on juge opportun de légiférer, question à laquelle je me garde personnellement de répondre par avance de manière positive, il s’agit bien de déterminer ici les conditions dans lesquelles une sédation profonde pourra être mise en œuvre.

Le texte qui nous est soumis fait apparaître une condition commune à tous les cas de figure : il faut que la souffrance soit réfractaire à tout autre traitement. Comme l’a très bien dit le président de la commission des affaires sociales, cela signifie que la sédation profonde fait partie des soins palliatifs, qu’elle en est le stade ultime. Cela signifie aussi que le recours à la sédation profonde ne saurait être autorisé dans les cas où tous les autres traitements n’auraient pas été mobilisés en vue de faire diminuer la souffrance du patient - cet élément étant, de mon point de vue, tout à fait essentiel.

Le Sénat doit se prononcer de la manière la plus claire.

Ceux qui voudraient opposer droit à la sédation profonde et droit aux soins palliatifs font fausse route. La sédation profonde ne peut être que le stade ultime des soins palliatifs quand tout le reste a été utilisé, y compris, d’ailleurs, une forme d’anesthésie complète, qui, elle, ne serait pas sans retour, à la différence de la sédation profonde telle qu’elle est aujourd’hui définie.

Il y a, ensuite, deux cas différents. Pour reprendre des termes qui sont non ceux de la loi mais ceux du français courant, le premier cas concerne les personnes qui sont entrées en agonie. Le mot « agonie », lui, est parfaitement clair. La personne entrée en agonie, qui est consciente et dont la souffrance est réfractaire à tout autre soin palliatif, peut demander la sédation profonde.

L’autre cas, c’est celui du patient qui n’est pas entré en agonie, mais qui est inconscient. On vise ici des patients dans un état végétatif, qui pourraient vivre de nombreuses années, mais qui ne survivent que grâce à la mise en œuvre d’un soutien médical dont la suspension entraînerait immédiatement la mort. Ce cas est particulièrement difficile pour nous : le malade étant inconscient, comment recueillir son consentement « libre et éclairé » ? Nous verrons par la suite l’effort qui est fait pour rechercher l’expression de ce consentement à travers les directives anticipées.

Une autre interrogation est soulevée à juste titre par beaucoup de nos collègues : si le malade peut vivre longtemps, comment faire en sorte que le traitement de ce type de situation ne soit pas une ouverture sur l’euthanasie ?

Pour répondre à l’ensemble de ces interrogations, il est tout à fait essentiel de ne pas prévoir dans la loi une combinaison obligatoire de l’arrêt des traitements de maintien en vie et de la mise en œuvre de la sédation profonde. Car le risque serait alors très grand de recourir à la combinaison des deux pour en faire un moyen d’accélérer volontairement la mort. Cela reviendrait à entrer dans l’inconnu, ce que notre société ne saurait à l’évidence accepter sans hésiter beaucoup.

En ce qui me concerne, je m’y refuserai. C’est la raison pour laquelle je soutiens avec force – vous le comprendrez – l’amendement présenté à la commission des lois par M. François Pillet pour rendre possible la déconnexion entre la sédation profonde et l’arrêt des soins de maintien en vie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur Bas, d’avoir respecté votre temps de parole.

La parole est à M. Gérard Roche, sur l'article.

M. Gérard Roche. En ce début d’après-midi, nous sommes vraiment au cœur du sujet et de ce texte difficile.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Gérard Roche. Mais il faut se méfier des grands principes. Si beaucoup, et j’en connais, sont actuellement, au nom des principes, opposés à la sédation profonde, je suis persuadé que les mêmes, confrontés un jour à des douleurs atroces et réfractaires à tout, seraient les premiers à réclamer une sédation profonde ! Je le dis sans aucune agressivité, mais fort d’une expérience de quarante-cinq années de pratique de la médecine.

Donc, méfions-nous des grands principes, mais faisons confiance aux personnels médicaux et paramédicaux des équipes de soins palliatifs.

Les médecins sont des hommes. Ils ont un cœur, ils ont le sens du devoir, ils ont prêté le serment d’Hippocrate, et tout est dit dans le serment d’Hippocrate : il faut servir et aider à mourir.

Le débat d’aujourd’hui oppose deux types de points de vue, également respectables. Certains ici sont partisans de l’euthanasie ; d’autres, dont je fais partie, sont contre l’euthanasie. Et il va bien falloir décider.

Le président Milon a évoqué les conditions de l’application de la sédation profonde. Gilbert Barbier a mentionné les niveaux 5 et 6 de l’échelle de Ramsay. Nous qui sommes contre l’euthanasie, contre toute dérive euthanasique ultérieure comme le suicide assisté, pouvons y voir un simple acte d’humanité, voire, pour certains d’entre nous, un acte de charité. Mes chers collègues, on n’est pas obligé de souffrir pour mourir, mettons-nous bien cela dans la tête ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

La disposition que nous avons votée hier soir à une quasi-unanimité a pour moi valeur de symbole. L’expression, si courante, selon laquelle on « meurt de soif » me paraît ici profondément pertinente. En refusant hier soir l’arrêt de l’hydratation des malades concernés – pour quantité de raisons que j’ai évoquées, avec beaucoup d’autres de mes collègues – nous avons signé que ce que nous voulions était tout sauf un acte d’euthanasie, mais simplement un acte d’humanité, un acte de charité.

Il faudra poursuivre la discussion pour bien préciser les conditions dans lesquelles l’application du dispositif sera décidée. Philippe Bas les a rappelées à l’instant : il s’agit d’aider une personne dans ses dernières heures, quand toutes les autres mesures ont échoué. Pour certains, ce sera un passage, pour d’autres, ce sera une fin de vie. Voilà ce que je ressens profondément moi-même et qu’il nous faudra garder présent à l’esprit tout au long de la discussion.

Dans certains cas limites, par exemple, des patients atteints de la maladie de Charcot, maladie dégénérative du tronc cérébral, on peut se poser la question de savoir quand on arrête, s’agissant de sujets jeunes, de quarante-cinq ou cinquante ans, et parfois moins.

Sur des cas particuliers, on ne peut pas déroger à la règle. Nous sommes là pour rendre service aux gens qui meurent dans des douleurs atroces. Il ne faut pas refuser cette possibilité.

Enfin, protégeons les médecins. Je le répète, les médecins sont soumis à des règles déontologiques très exigeantes. Toute leur vie, ils ont pétri la pâte humaine et sa souffrance. Il faut leur faire confiance, mais il faut aussi faire en sorte qu’ils soient protégés par la loi. Et la présente loi les protégera ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, sur l'article.

M. Gaëtan Gorce. Dans les propos qui viennent d’être tenus, un principe a été oublié : je veux parler de la volonté du malade, de la volonté du patient. Or, c’est sur cette volonté que l’ensemble de notre droit s’est construit depuis maintenant une quinzaine d’années : la loi de 1999, la loi de 2002 et la loi de 2005, dite « loi Leonetti », qui a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

Je l’ai dit hier, j’ai présidé la commission spéciale qui a mené les travaux sur ce texte. Je sais très exactement ce que nous souhaitions faire à l’époque et qui me semble rester aujourd’hui parfaitement d’actualité dans le débat que nous avons.

J’entends dans certaines expressions l’idée qu’il y aurait, d’un côté, les partisans de l’euthanasie et, de l’autre, ses adversaires. Je le dis très sincèrement, et en respectant les points de vue de chacun, c’est se payer de mots que de présenter ainsi le débat. En effet, on le sait bien, dans la réalité, cette frontière n’existe pas. On l’a vu lors de la discussion de la loi de 2005, quand on a voulu séparer la notion de « faire mourir » et la notion de « laisser mourir », cela n’a pas fonctionné, parce que les choses ne se passent pas ainsi.

La loi de 2005, dont l’esprit trouve un approfondissement dans la présente proposition de loi, prévoit que, lorsqu’une personne souhaite l’arrêt d’un traitement – c’est le cas que nous avions prévu en dehors de l’obstination déraisonnable ou de la personne inconsciente –, le médecin doit répondre à cette demande.

Le patient est, par hypothèse, en phase terminale d’une maladie grave et incurable – ce sont les critères que l’on retrouve dans les textes du monde entier lorsque l’on aborde ces sujets - et demande l’arrêt du traitement. On doit alors accéder à sa demande. Il est précisé que l’ensemble des dispositions nécessaires doivent être prises pour que le patient puisse s’éteindre sans souffrance, ce qui va de soi, étant donné les obligations légales et morales des médecins.

Cela signifie que la question de la sédation était posée dès l’origine et que, à aucun moment – sauf à ne pas vouloir appliquer la loi comme elle devait l’être –, on ne pouvait envisager de laisser mourir un malade par l’interruption de l’alimentation artificielle, par exemple, sans le soulager, si c’était susceptible de créer des souffrances.

Le débat que nous avons eu hier soir sur la question de l’hydratation a d’ailleurs permis d’éclairer pour une part ce débat.

À partir du moment où cette sédation peut intervenir – et la loi de 2005 a précisé la notion de double effet, c’est-à-dire une sédation qui est là pour soulager, mais qui peut avoir des conséquences indirectes, notamment la mort – on avait déjà, d’une certaine manière, brouillé la frontière. Qu’est-ce qui provoque la mort ? Est-ce l’arrêt du traitement ? Est-ce la maladie ou la sédation ? Qui peut le dire, en réalité ?

La réponse est d’autant plus délicate que ces différents actes sont souvent pratiqués par les mêmes personnes. La réalité, on l’a dit précédemment, c’est que l’on fait tout pour respecter la volonté du patient, pour lui éviter une souffrance que l’on estime injuste ou inutile - telle est, en effet, la question principale, celle qui compte, et non le débat de principe que nous pouvons avoir. Pour parvenir à ce résultat, on est forcé de mobiliser différents moyens qui aboutissent à la situation que nous savons, la mort du malade.

Cessons de nourrir des fantasmes quant à l’idée qu’il y aurait ceux qui veulent installer l’euthanasie et ceux qui voudraient s’y opposer. Dans la réalité, la question ne se pose pas en ces termes.

On peut évidemment contester, et cela s’entend souvent, l’existence d’un « droit à mourir ». C’est une proposition qui a été faite à l’Assemblée nationale et que certains défendent ici. Cette idée peut être contestable, elle peut être acceptée, c’est le propre du débat que d’opposer les points de vue. Mais cela n’a rien à voir avec ce dont nous parlons en ce moment ! L’enjeu de notre discussion est de nous donner les moyens d’aller jusqu’au bout pour faire en sorte que ce que nous avions décidé en 2005, ici, au Sénat, et qui avait été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale, puisse trouver sa pleine application.

D’ailleurs, pour les médecins, pour le professeur Sicard, dans le rapport qu’il a rendu en 2012, comme pour les auteurs de la proposition de loi, l’idée que la sédation devait être profonde et continue dès lors qu’il y avait arrêt du traitement était acquise. Quand j’ai pris connaissance de la proposition de loi d’Alain Claeys et de Jean Leonetti, avec lequel j’ai longtemps travaillé, j’ai eu le sentiment qu’il ne s’agissait que de consacrer par écrit ce qui était déjà l’esprit de la loi et que nous considérions comme acquis.

C’est aujourd’hui précisé, et tant mieux.

La sédation a même été élargie à un cas nouveau : la situation d’agonie, évoquée précédemment par Philippe Bas. D’une certaine manière, c’est un progrès. On est en effet toujours dans le même esprit : il s’agit d’alléger la souffrance d’une personne qui va inéluctablement mourir.

La question n’est donc pas de savoir si l’on franchit une barrière morale, la société s’autorisant à assassiner et à tuer. Non, mes chers collègues, la société se donne les moyens de répondre à une demande, comme c’est notre obligation morale. En conséquence de quoi, nous créons l’obligation juridique de répondre. Si nous ne le faisions pas, nous entretiendrions la souffrance du patient et le malheur de son entourage. Ayons ces éléments à l’esprit !

Je recommande à mes collègues qui répètent, depuis hier soir, que cette loi pourrait nous entraîner dans une dérive euthanasique, ou que sais-je encore, de ne pas s’enfermer dans des fantasmes ou des débats idéologiques inutiles. L’objectif de cette proposition de cette loi est d’apporter des solutions concrètes !

Nous aurions d’ailleurs pu, de mon point de vue, aller un peu plus loin. C’est la raison pour laquelle j’ai défendu, hier, la notion d’exception. Quoi qu’il en soit, même dans sa rédaction actuelle, il faut soutenir ce texte.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Gaëtan Gorce. Je redoute que les amendements défendus, notamment ceux de la commission tendant à supprimer l’intervention de la sédation en cas d’arrêt des traitements, n’amorcent d’ores et déjà un recul. Ce serait dommage, alors même que la loi commence tout juste à pénétrer les esprits, certes insuffisamment. Il faut au contraire insister, développer cette culture et faire en sorte que le souci d’apporter des réponses concrètes progresse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.

M. Michel Amiel, corapporteur de la commission des affaires sociales. Nous l’avons dit la nuit dernière, cette proposition de loi est faite pour les patients qui vont mourir, et non pour ceux qui veulent mourir.

La sédation profonde et continue est un acte thérapeutique qui fait partie de l’arsenal des soins palliatifs. J’en veux pour preuve cette recommandation de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs : « La plupart des auteurs réservent la mise en œuvre d’une sédation profonde maintenue jusqu’au décès aux patients dont la mort est attendue dans un bref délai, généralement de quelques heures à quelques jours ». Je rappelle que cette mention a été labellisée par la Haute Autorité de santé.

La sédation profonde et continue ne constitue en aucun cas un acte d’euthanasie, pas plus qu’un cheval de Troie pouvant déboucher sur l’euthanasie. Il me paraît tout à fait essentiel de le rappeler.

Essayons de sortir des débats philosophiques, religieux, spirituels, voire juridiques, pour nous placer simplement en situation médicale, comme l’a fait mon collègue et confrère Gérard Roche.

Que se passe-t-il au lit du patient en fin de vie, sujet à des douleurs réfractaires, lorsque le corps médical – Alain Milon a évoqué cette situation – a épuisé toutes les possibilités ?

Il ne s’agit ni de hâter la mort, ni de précipiter les événements, ni d’expédier d’un revers de main cette mort que la société ne veut plus accepter, et que certains sociologues anglo-saxons qualifient même de « pornographique » ! Il s’agit simplement, dans un dernier acte d’humanité, d’accompagner le patient, lequel n’est pas« obligé d’assister au drame tragique de sa mort », pour reprendre l’expression du professeur Aubry.

Certaines personnes souhaitent, pour des raisons philosophiques, morales ou religieuses, assister jusqu’au bout à leur fin de vie. Mais nous savons tous que tel n’est pas, dans nos sociétés, le souhait de la majorité.

Douleur réfractaire, fin de vie, toute fin de vie : il ne s’agit pas d’accéder à des demandes philosophiques ou existentielles de personnes souhaitant se supprimer. Nous voulons simplement donner la possibilité à ces patients d’être accompagnés jusqu’au terme de leur vie, en toute humanité.

Il faut revenir au texte. Celui-ci réalise, me semble-t-il, un bon équilibre entre le droit du patient et ce que certains ont appelé « le pouvoir médical » ou, pour utiliser une expression atténuée, « le savoir médical ».

Certes, le patient doit être accompagné en toute humanité, mais il faut aussi que le médecin et le corps médical soient protégés lorsqu’ils accomplissent ces actes d’accompagnement de la fin de vie. Voilà en quoi cette proposition de loi est parfaitement équilibrée.

D’aucuns proposaient de conserver le mot « sédation », mais de supprimer les adjectifs « profonde et continue ». Arrêtons l’hypocrisie... Nous savons que, dans la vraie vie – c’est le cas de le dire ! –, lorsqu’un patient vit ses derniers moments, le corps médical est obligé d’utiliser ces substances, parfois à des doses élevées, tant la souffrance devient insupportable.

Je parle bien de souffrance, et non pas seulement de douleur physique, cette dernière pouvant être soulagée par l’administration d’antalgiques tels que la morphine. Par « souffrance », on entend aussi l’agitation, cette détresse de fin de vie que les praticiens connaissent si bien et qui peut se manifester juste avant le sommeil, au moment de l’endormissement. Lorsque celle-ci survient, les médecins sont bien obligés d’utiliser la sédation.

Oui, lors des derniers instants, une sédation est nécessaire, profonde et continue ! C’est dans cet esprit que, selon moi, ce texte, doit être voté en l’état.

Philippe Bas l’a rappelé, notre collègue François Pillet a présenté un amendement décisif, lequel tend à dissocier l’arrêt du traitement – je rappelle à cet égard que nous avons réintroduit dans le texte, la nuit dernière, la possibilité de maintenir l’hydratation – et la sédation profonde.

Dans quelle mesure la société peut-elle permettre au patient de décider de sa fin de vie sans transgresser l’interdiction de l’euthanasie ? Honnêtement, je le dis en toute conscience, nous ne sommes pas, avec ce texte, dans le domaine de l’euthanasie.

Nous avons supprimé l’expression « prolonger inutilement la vie », trop ambiguë, certains ayant trouvé qu’elle laissait entendre qu’il y aurait des vies inutiles. Ce n’est pas du tout l’esprit de ce texte ! C’est, bien sûr, à la prolongation de la vie que se rapportait le terme « inutile », et non à la vie elle-même. Il était bon de lever cette ambiguïté.

Nous avons également essayé de centrer le texte sur deux hypothèses : lorsque le patient est conscient et peut faire part de ses choix, de ses directives, et lorsqu’il a perdu la faculté de le faire.

Je le répète, ce texte est équilibré. Il s’agit non pas de donner au patient le droit de disposer de sa vie n’importe comment, dans n’importe quelles circonstances, mais de lui permettre de ne pas souffrir et de ne pas assister à sa fin de vie. C’est un droit fondamental, que certains appelleront le « droit à la dignité », mais qui est aussi tout simplement un droit d’humanité.

Le pouvoir médical doit accompagner la fin de vie au moyen des techniques que connaissent les médecins, mais aussi veiller à ce que cet acte thérapeutique qui, comme le rappelait Alain Milon, est rarement pratiqué, soit encadré juridiquement.

Il arrive bien souvent, en particulier dans les unités de soins palliatifs, que des médecins au fait de ces pratiques parviennent à améliorer l’état des malades en recourant à une sédation qui ne soit pas profonde ou à des antalgiques. Vient cependant un moment, par exemple, comme le disait Gérard Roche, lorsque le patient souffre de pathologies aussi terribles que la maladie de Charcot, où il faut bien utiliser des substances plus lourdes.

Pour autant, j’y insiste, ces pratiques sont thérapeutiques, et en aucun cas euthanasiques. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, sur l’article.

M. Jean-Pierre Leleux. À ce stade du débat, chacun cherche au fond de sa conscience les éléments qui lui permettront de se prononcer en faveur, ou non, de la sédation profonde et continue. Nous essayons de faire converger nos réflexions, et chaque intervention permet d’apporter un éclairage sur ce cheminement que nous sommes en train de faire.

Un point me trouble encore.

Je vous ai écouté attentivement, monsieur le rapporteur : la sédation ne pourra être décidée que lorsque tous les autres dispositifs auront échoué, à condition que le patient soit sujet à des souffrances réfractaires et que son pronostic vital soit engagé à court terme.

Nous sommes donc à la croisée des chemins. Je souhaite, monsieur le rapporteur, que vous m’apportiez un éclaircissement.

La sédation, dont on a dit qu’elle tendait à faire disparaître la perception d’une situation insupportable, est déjà pratiquée en vertu du droit des patients à être soulagés. Mais, jusqu’à présent, il s’agissait d’un droit à une sédation ponctuelle et intermittente.

On le sait, lorsqu’elle est accentuée, la sédation peut avoir un effet secondaire. C’est le « double effet ». Mais, avec la sédation profonde et continue jusqu’au décès, il s’agit non plus d’assumer un effet secondaire, qui est la survenue de la mort, mais bien d’en assurer la pleine réalisation.

Ce double effet, qui était acceptable et permettait une alternance entre le sommeil et le contact avec la vie, se transforme donc, à mon sens, en une double intentionnalité. Il n’y a plus d’effet subsidiaire, la mort, mais une volonté de donner la mort. Il s’agit, simultanément, de soulager la douleur potentielle, avérée, et, avec la même force, d’accélérer la mort.

Ce passage du double effet à la double intentionnalité me gêne. J’aimerais quelques précisions complémentaires sur ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Gaëtan Gorce a bien expliqué ce qu’il en était de l’excellente loi Leonetti. Permettez-moi d’en citer un passage : « Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. » Ce texte a également introduit dans le code de la santé publique, à l’article L. 1110-10, la définition suivante : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus [...]. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. »

Quand il est décidé d’arrêter les traitements d’un patient en fin de vie – je ne parle pas de l’hydratation –, on lui administre des médicaments sédatifs et antalgiques. S’il est nécessaire d’augmenter les doses et si cela a des effets secondaires, la loi prévoit qu’il faut l’indiquer au malade, à sa famille ou à toute autre personne choisie.

Lorsque le malade n’est pas soulagé, malgré une augmentation du traitement sédatif et antalgique, se pose la question de la sédation.

La sédation profonde et continue pose problème à certains, du fait de ses effets secondaires. Or on peut parvenir à une sédation moyenne en accompagnant le patient et en l’hydratant, sans que celui-ci souffre de troubles respiratoires.

Il conviendrait donc de prévoir, dans cette proposition de loi, la possibilité de doser la sédation profonde et continue, afin qu’elle soulage le malade sans lui causer de tels troubles.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.

M. Michel Amiel, corapporteur. Mon cher collègue, vous avez parlé d’effet secondaire : la mort n’est pas un effet secondaire ! Il convient de parler de « double effet ».

Aux termes de l’article 4 de la proposition de loi, que nous examinerons bientôt, le médecin doit informer le patient que le traitement qu’il lui administre peut avoir pour effet d’abréger sa vie. Il ne s’agit en aucun cas d’un « effet secondaire ».

Par « effet secondaire », on désigne les conséquences, par exemple au niveau digestif ou cutané, que peut produire un médicament. La mort ne figure pas au nombre de ces effets...

Vous avez parlé, également, de double intentionnalité. Non, mon cher collègue. L’expression « sédation profonde et continue » inclut deux notions : l’intentionnalité et la temporalité.

L’intentionnalité consiste à calmer l’agitation, la souffrance ; c’est le terme général. La temporalité consiste, elle, à accompagner le patient jusqu’au bout et non à provoquer sa mort. On peut d’ailleurs discuter de ce point avec les spécialistes des soins palliatifs : dans certains cas, par la diminution du stress qu’elle entraîne, la sédation peut au contraire provoquer une amélioration de l’état général du patient et prolonger sa vie.

Par conséquent, il ne s’agit en aucun cas d’utiliser la sédation pour accélérer la mort, comme un acte euthanasique. En revanche, il est possible qu’elle ait pour effet d’entraîner la mort, ce qui n’est pas un effet secondaire.

J’en profite pour réagir à l’intervention de Daniel Chasseing : ne jouons pas sur les mots, mais ne jouons pas non plus sur les doses ! Même si, aujourd’hui, la pharmacologie codifie bien les doses en fonction du poids ou de la surface corporelle, nous savons très bien que la même posologie n’entraîne pas les mêmes effets chez les patients et que des doses théoriquement modérées et supportées par certains patients entraîneront la mort chez d’autres. (M. Daniel Chasseing acquiesce.)

Nous sommes là au cœur du problème ! Il faut en avoir conscience, sinon on peut considérer la sédation comme un acte euthanasique. Or il s’agit d’un acte thérapeutique, qui vise à soulager la souffrance. Si, dans certains cas, la sédation a pour effet d’entraîner la mort – nous aurons l’occasion d’en reparler à l’article 4 –, ce n’est en aucun cas sa finalité.

J’espère avoir ainsi répondu aux interrogations des uns et des autres.