Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi – de fait, plutôt un projet de loi – doit permettre, bien sûr, de relever des défis techniques et technologiques. Mais des enjeux politiques et de société non négligeables n’en sont pas absents. De même, les objectifs budgétaires, s’ils n’ont rien à voir avec les enjeux numériques, n’en demeurent pas moins l’une des raisons d’être de ce texte.

La finalité de cette proposition de loi, avant toute chose, est de permettre de faire face au développement du haut débit mobile, qui connaît un taux de croissance de 60 % par an.

Madame la ministre, nous partageons les ambitions dont vous faisiez état dans votre intervention.

Le texte prévoit en effet le transfert de l’utilisation de la bande de fréquences des 700 mégahertz de la TNT au profit des opérateurs de téléphonie.

Comme le rappelait Bruno Sido, ces fréquences basses sont dites « en or », car elles traversent le béton et sont adaptées aux zones peu denses avec une bonne couverture pour peu d’antennes. Leur attribution aboutira donc à une reconfiguration du marché de la téléphonie mobile. Comme le disait Patrick Chaize, c’est peut-être Free qui sera le plus intéressé, cet opérateur étant celui qui dispose du plus faible nombre de fréquences puisqu’il n’a pas bénéficié de l’attribution des fréquences précédentes lors des enchères de 2011 pour l’attribution de la bande 800.

La proposition de loi organise donc les modalités de ce transfert. Pour diffuser les chaînes de la TNT avec moins de fréquences, il faut en effet généraliser la norme de compression MPEG-4.

Ce texte donne également au CSA un certain nombre de nouveaux pouvoirs, afin d’organiser le dégagement de la bande 700 avec une campagne de réaménagement de fréquences entre octobre 2017 et juin 2019.

Il supprime aussi l’obligation pour les services de télévision en clair qui diffusaient en MPEG-2 avant 2007 de maintenir une diffusion au niveau standard. Sans le vote de cette proposition de loi, il serait en effet impossible d’arrêter la double diffusion standard et haute définition, très coûteuse pour les chaînes.

Actuellement propriété de l’État, les fréquences de la bande 700 seront mises aux enchères pour une somme attendue comprise entre 2 milliards et 2,5 milliards d’euros.

Cela étant, nous nous posons un certain nombre de questions.

La procédure accélérée a été engagée pour l’examen de cette proposition de loi. Il faut dire que, alors que les choses avaient un peu traîné depuis 2013, on a plus ou moins le sentiment qu’on précipite les événements, alors même qu’une très grande majorité de pays a décidé de ne procéder au transfert de la bande des 700 mégahertz aux opérateurs de télécommunications qu’entre 2018 et 2022, conformément d’ailleurs aux recommandations du rapport de Pascal Lamy à la Commission européenne.

Je comprends bien cette volonté d’anticiper dont vous avez fait état, madame la ministre, et qu’a invoquée également David Assouline. Sur le principe, cela nous convient. Toutefois, ne nous voilons pas la face : l’enjeu budgétaire n’est pas absent de ce texte, à savoir la nécessité de dégager des crédits et de profiter d’une opportunité intéressante et rapide pour trouver 2,5 milliards d’euros.

Au départ, Corinne Bouchoux l’a rappelé, il était prévu d’affecter ces ressources budgétaires à la défense. Dans le contexte actuel, pourquoi pas ? Mais lors du vote de la loi de programmation militaire, le ministre de la défense a affirmé que le produit de la vente de la bande 700 ne le concernait plus, le Président de la République ayant décidé de mettre fin à la pratique des ressources extrabudgétaires.

Madame la ministre, pourriez-vous nous éclairer sur ce sujet ? Si vous nous confirmez cet abandon, pouvez-vous nous indiquer ce qu’il pourrait advenir de cet argent ? Pouvons-nous espérer quelques engagements en la matière, par exemple un renforcement des moyens dans le domaine de la culture et de l’éducation ?

Par ailleurs, les fréquences sont des ressources rares, porteuses d’enjeux stratégiques importants et qui sont amenées à se valoriser avec le temps. Elles font partie du domaine public, cela a été dit. De nombreuses études économiques démontrent que le prix des fréquences de la bande des 700 mégahertz devrait être plus élevé – je reste prudent – à la fin de cette décennie, les opérateurs en ayant davantage besoin. Le Gouvernement français ne s’apprêterait-il donc pas à les céder à un moindre prix ? Je vous remercie, là encore, de nous éclairer, madame la ministre.

C’est un bien commun que l’on va transférer à quelques acteurs privés, ce qui pose la question des modalités qui n’a pas été beaucoup abordée. On parle d’une vente aux enchères. Comme de nombreux Français, je ne suis pas un grand spécialiste en la matière et je pose donc la question : s’agit-il d’une vente sèche ? S’agit-il de mettre en place un droit d’usage pour quinze ou vingt ans, comme je crois l’avoir compris ? Et qu’en adviendra-t-il au terme de cette période ?

Enfin, nous sommes particulièrement sensibles à l’indemnisation des opérateurs audiovisuels pour la rupture anticipée des contrats de diffusion sur les multiplexes R5 et R8, qui vont être supprimés, et très sensibles à l’accompagnement des foyers dans leur rééquipement – vous en avez longuement fait état, madame la ministre.

Nous sommes aussi attachés – nous en avons largement parlé en commission – à ce qu’il n’y ait pas de bousculade dans le calendrier. Mais, il faut le reconnaître, l’Euro 2016 peut être une occasion louable pour améliorer l’offre proposée à nos concitoyens et aussi un facteur de réussite. Effectivement, comme l’a dit David Assouline, l’achat de nouveaux équipements, les grandes campagnes de communication permettront à nombre de nos concitoyens de passer plus aisément ce cap un peu difficile.

En conclusion, les membres du groupe CRC se positionneront en fonction des réponses qui seront apportées lors de l’examen des amendements – nous n’en avons déposé aucun, de manière à ne pas retarder les choses. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le spectre des fréquences radioélectriques fait l’objet de convoitises nourries eu égard à la multiplication des objets connectés à internet qui complique la coexistence entre les services audiovisuels de la télévision numérique terrestre et les services de télécommunications mobiles.

L’Union européenne s’est saisie de la question de l’équilibre entre ces services qui se pose dans tous les pays en raison du dynamisme du secteur des communications électroniques et de la nécessité d’améliorer la couverture en haut débit mobile, et donc d’attribuer de nouvelles fréquences aux opérateurs mobiles.

Le transfert de la bande 700, actuellement attribuée aux chaînes de la TNT, constitue une réponse aux besoins à venir dans les prochaines années.

Le très évoqué rapport de Pascal Lamy a pour vertu de concilier ces intérêts tout en rappelant en introduction qu’il ne s’agit surtout pas de sacrifier la culture au bénéfice de l’économie digitale. La stratégie qu’il préconise par la détermination d’une date de transfert qui se situerait entre 2018 et 2022, tout en garantissant la bande 470-694 mégahertz au secteur audiovisuel jusqu’en 2030 avec une clause de révision en 2025, est équilibrée.

Le Gouvernement a toutefois décidé de lancer la procédure en avance pour une attribution à la fin de cette année, l’objet de la présente proposition de loi étant cantonné à l’adaptation du droit actuel pour permettre la modification des normes de diffusion des autorisations en cours et le réaménagement des fréquences.

Le principe du transfert ne semble pas poser problème dans la mesure où la couverture numérique du territoire sera renforcée, offrant ainsi aux usagers une qualité de service accrue. Les opérateurs de téléphonie mobile se verront dans l’obligation de couvrir en très haut débit mobile les zones rurales, mais également les lignes ferroviaires correspondant aux trains du quotidien. La généralisation de la norme de compression MPEG-4, indispensable pour procéder à la libération de la bande 700 constitue un progrès, puisque les chaînes de la TNT seront diffusées en haute définition.

Si, en l’état actuel, des craintes ont été exprimées quant au passage ultérieur des chaînes de la TNT à l’ultra haute définition, il convient de garder à l’esprit que les technologies de compression évolueront significativement.

Comme cela a été dit, la proposition de loi, dans laquelle ne figure pas la date de l’attribution des fréquences, tend simplement à instaurer les conditions nécessaires à ce progrès.

Si la réalisation de cette opération dépend de l’adoption du présent texte, aucune urgence n’impose d’agir. La précipitation sur ce dossier pour des raisons budgétaires est d’autant plus contestable que les ressources qui en résulteront ne seront pas, hélas !, affectées au financement des politiques culturelles.

Outre les considérations d’opportunité, le texte qui est soumis à notre examen présente certaines qualités indéniables qui visent la modernisation de la TNT, sans avoir à modifier la loi en fonction des évolutions technologiques. La finalité première de la loi est de régler la situation pour l’avenir.

Mes chers collègues, il ne s’agit pas en l’espèce de se prononcer sur l’opportunité de la date d’attribution choisie. Telle n’est pas la question posée. Cependant la représentation nationale aurait pu avoir son mot à dire sur la valorisation du patrimoine de l’État qui intéresse de près nos concitoyens – premiers concernés par la gestion du budget de l’État –, et, par conséquent, les élus que nous sommes.

La date du 5 avril 2016 serait trop rapprochée, à entendre les différents acteurs auditionnés par la commission de la culture : d’un côté, les opérateurs de télécommunications se heurtent actuellement à de forts investissements et seront peu enclins à faire monter les enchères pour acquérir des blocs de fréquences dont ils ne disposeront qu’en 2017 et pour des besoins non immédiats ; de l’autre, les éditeurs de services audiovisuels et les diffuseurs doivent pouvoir réaliser les interventions techniques sur les émetteurs et être indemnisés pour le préjudice subi du fait de la remise en cause des contrats en cours. À ce titre, la demande d’un rapport à l’Inspection générale des finances par le Gouvernement démontre la volonté de procéder à cette indemnisation.

Enfin, le temps de l’accompagnement des téléspectateurs par le biais d’une campagne de communication et du versement de diverses aides doit être pris en compte.

Madame la ministre, tout semble reposer sur les garanties que vous nous apporterez au cours non seulement de la discussion générale, mais aussi de l’examen des articles. Nous ne pouvons accepter, par principe, de devoir adopter un texte conforme et rejeter des amendements pertinents ou simplement de bon sens.

L’adoption d’une loi est une nécessité ; c’est pourquoi nous souhaitons parvenir au meilleur texte possible. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, en apparence, la présente proposition de loi est un texte purement technique au service d’objectifs indiscutables. Qui peut s’opposer à la modernisation de la TNT et au développement corollaire du très haut débit mobile ? Évidemment personne ! Tel est l’objet de la réaffectation de la bande des 700 mégahertz de la TNT aux services mobiles.

Du côté de la télévision, cette réaffectation conduit les chaînes de la TNT à se concentrer sur une seule norme de compression, le MPEG-4, pour occuper un champ hertzien plus restreint. Cela permettra de faire d’une pierre deux coups, puisque le MPEG-4, qui est le format de la haute définition, sera ainsi généralisé.

Du côté de la téléphonie mobile, la libération de la bande des 700 mégahertz par la télévision permettra aux opérateurs d’acquérir l’exploitation des fréquences dont ils auront besoin pour accompagner la croissance exponentielle du trafic et des services mobiles. Cela est essentiel dans le monde des objets connectés dans lequel nous entrons.

Le présent texte prépare le cadre juridique de cette réaffectation afin, d’une part, que les actuels utilisateurs de la bande des 700 mégahertz, diffuseurs et téléspectateurs, n’en soient pas pénalisés, et, d’autre part, que tout simplement la vente puisse avoir lieu.

Voilà pour l’apparence, parce que, en réalité, ce texte soulève un véritable problème économique et stratégique, donc éminemment politique, qui peut se résumer à une simple interrogation : pourquoi vendre la bande des 700 mégahertz maintenant ?

La question se pose, parce que nous sommes les premiers à agir ainsi, et ce alors que les opérateurs de téléphonie mobile n’ont pas encore besoin de cette opération. Au demeurant, aucun de nos partenaires européens n’envisage de procéder à ladite réaffectation avant 2018, selon les recommandations de la Commission européenne.

Alors pourquoi maintenant et si rapidement ? La réponse est logique, et double. Elle est à la fois économique et politique.

Économiquement, il était urgent de trouver de quoi boucler le budget de la défense. Le deuxième dividende numérique tombe à point nommé.

Politiquement, la motivation est évidente et encore moins reluisante : c’est autant que les suivants n’auront pas. (Sourires ironiques.) En l’occurrence, ce sont autant de moyens dont une prochaine majorité ne pourra pas bénéficier.

La ficelle est tellement grosse qu’on a tenté, non moins grossièrement, de la camoufler en faisant prendre à cette décision de l’exécutif la forme d’une proposition de loi. Pourquoi un texte de cette nature ? Cette caricature de proposition de loi inspirée par le Gouvernement ne fait pas vraiment honneur à l’initiative parlementaire. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Le problème, c’est que ce choix n’est pas neutre et pourrait coûter cher aux Français.

En effet, si les fréquences sont vendues trop tôt, le montant des enchères risque d’être très inférieur à ce qu’il pourrait être au moment où les opérateurs de téléphonie mobile auront vraiment besoin d’une telle réaffectation. Or ce n’est pas une paille, puisque plusieurs centaines de millions d’euros seraient en jeu ! Alors que l’état des finances publiques est plus que jamais critique, le contribuable appréciera…

Dans ces conditions, il n’est nullement étonnant que le présent texte donne à la fois une impression d’impréparation et un sentiment de précipitation, comme le confirme l’historique de sa genèse.

L’impréparation est avérée. L’exécutif a annoncé la mesure depuis trois ans. Le basculement au mois d’avril 2016 est connu de longue date. Or, jusqu’à la fin de l’année dernière, rien n’avait été prévu pour l’organiser.

À cette époque, Mme la rapporteur, que je félicite pour son excellent travail, constatant la parution d’un décret, s’était émue que la commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle n’ait même pas été saisie de cette question. Ne voyant toujours rien venir, elle a ensuite déposé, en avril dernier, un amendement d’appel sur le projet de loi Macron visant à accompagner la vente des fréquences, à la suite de quoi, du jour au lendemain, nous avons basculé dans la précipitation. Il faut maintenant tout faire, tout de suite et très vite !

Pour réaliser le deuxième dividende numérique, il faudra mettre les fréquences aux enchères cette année. S’ensuit un agenda technique extrêmement tendu. L’extinction du MPEG-2 doit intervenir au plus tard le 5 avril 2016, ce qui n’est pas dénué de conséquences pour les téléspectateurs : Mme la rapporteur l’a rappelé, le risque d’écran noir pour des millions d’entre-deux ne peut être écarté.

Face à cette situation ubuesque, la commission de la culture à laquelle j’appartiens a adopté le seul parti raisonnable et constructif : respecter les règles du jeu politique tout en essayant de limiter la casse.

Respecter les règles du jeu politique, c’est ne pas remettre en cause le choix politique du Gouvernement de vendre les fréquences maintenant. Nous le regrettons, mais c’est de son ressort souverain.

En revanche, madame la ministre, il est encore possible de limiter la casse technique en obtenant de véritables engagements de la part du Gouvernement sur les trois points sur lesquels la commission précitée est intervenue. Je n’y insisterai pas, Mme la rapporteur les ayant parfaitement développés. Il s’agit d’assouplir le calendrier, d’indemniser les sociétés de diffusion du raccourcissement de leurs contrats et d’étendre l’aide sociale aux foyers recevant la TNT par satellite.

Ce dernier point, en particulier, nous tient à cœur. L’aide prévue par le texte ne concerne que les téléspectateurs recevant la télévision par l’antenne râteau. Il faut l’étendre à ceux qui la reçoivent par satellite ; c’est aussi une question d’équité : alors que ceux-ci avaient été aidés lors du passage au MPEG-2, aujourd’hui que l’on passe au MPEG-4, pourquoi n’en serait-il pas de même ?

Madame la ministre, nous attendons, lors de l’examen des articles qui commencera dans quelques minutes, une attitude d’écoute constructive, avec un engagement clair du Gouvernement sur ces trois points devant la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. David Assouline applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je formulerai une observation liminaire : sur ce sujet, nous devons être en mesure de dépasser les clivages politiques (Marques de satisfaction sur les travées du groupe socialiste et républicain.), mais pas au prix d’un déni de réalité.

Nous sommes favorables au principe de l’attribution de ce deuxième dividende numérique au profit des opérateurs de communications électroniques. Il s’agit à nos yeux d’une nécessité économique, en termes de compétitivité, pour répondre aux flux plus importants du trafic mondial, qui double tous les ans. En France, le trafic 4G sera sans doute multiplié par 17 entre 2014 et 2019, ce qui est considérable. Il faut donc que des vecteurs transportant ces données soient alloués aux communications électroniques.

Cette nécessité économique a d’ailleurs été reconnue à l’échelle mondiale, notamment par une décision de la commission mondiale chargée des télécommunications, comme au plan européen, dans le rapport de Pascal Lamy remis à la Commission européenne.

Simplement, vous ne pouvez pas nous demander de nous taire ni nous imposer d’adopter un texte conforme, madame la ministre. Ce n’est heureusement pas le cas ! La fonction du Sénat consiste à tenter d’améliorer un texte. C’est ce à quoi nous nous employons aujourd’hui, dans un état d’esprit constructif. Quelle que soit leur sensibilité politique, tous les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune ont souligné la précipitation qui a régné lors de l’élaboration du présent texte, dont résultent sans doute un certain nombre de défauts de fabrication que nous devrions réparer.

En effet, quand on examine de près l’historique du processus, on s’aperçoit que cette proposition de loi, qui n’en a que le nom, comme le disait tout à l’heure Corinne Bouchoux, est née d’une tout autre urgence que celle de répondre à la préoccupation du secteur des télécommunications de bénéficier de nouvelles fréquences « en or ». Hormis Free peut-être, les opérateurs n’ont pas besoin des fréquences visées avant au moins quatre ou cinq ans.

Cette proposition de loi n’est pas non plus due à la préoccupation de moderniser la télévision numérique terrestre ; il est requis un effort de compression sans précédent. (M. David Assouline s’exclame.)

En réalité, l’urgence, à laquelle il nous est demandé de nous soumettre, résulte de la nécessité de répondre à un besoin de financement de la défense. Il s’agissait d’une préoccupation de tiroir-caisse. Pourquoi pas ?

Cette précipitation, nous l’avons observée pratiquement à tous les stades. Ainsi, par le biais d’une proposition de loi, le Gouvernement a pu se dispenser de l’avis du Conseil d’État et d’une étude d’impact. L’ARCEP a aussi décidé de lancer les enchères avant même le vote de la loi – c’est sans précédent ! –, alors qu’est en cause une ressource rare, stratégique, un bien public qui appartient au patrimoine national, avec une date de basculement très anticipée par rapport au calendrier international. En effet, tous les pays concernés basculeront entre 2018 et 2020.

On évoque l’Allemagne ?

M. Bruno Retailleau. Connaissant parfaitement ce pays, vous ne pouvez pas comparer son système de diffusion hertzien, minoritaire, avec le système français, pour l’instant très majoritaire, notamment pour ce qui concerne les appareils de réception principaux.

La précipitation est donc née de l’urgence de trouver des ressources budgétaires pour la mission « Défense ». Or, alors qu’elle a justifié le cadre de toutes les opérations en vue de préparer le basculement envisagé, elle n’a plus de raison d’être, puisque le Gouvernement a trouvé des ressources budgétaires. À l’origine, les fonds étaient affectés à un compte spécial pour être fléchés sur nos forces armées.

Mais le fléchage a disparu : ces ressources, qui représentent au moins 2,5 milliards d’euros, seront versées au pot commun.

On voudrait que le Sénat vote cette proposition de loi conforme dès aujourd’hui,…

M. Bruno Retailleau. … dans la précipitation, au nom d’un calendrier qui n’a plus de raison d’être.

En quelque sorte, le canard est sans tête, mais il continue d’avancer … (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Prenons garde : un certain nombre de collègues viennent de le rappeler, le vote d’un mauvais texte aurait de lourdes conséquences.

Évidemment, le prix de réserve que les opérateurs de télécommunications devront acquitter sera d’au moins 2,5 milliards d’euros. Patrick Chaize et Bruno Sido l’ont souligné il y a quelques instants, ce sont autant de crédits qui seront soustraits au grand chantier du très haut débit fixe.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Eh oui !

M. Bruno Retailleau. Mme la ministre connaît d’autant mieux ce dossier qu’elle s’en est personnellement chargée.

Or les opérateurs n’ont pas un besoin urgent de cette ressource hertzienne. Au reste, contrairement au premier dividende numérique, dont l’objectif était la 4G, le transfert de ces « fréquences en or » ne se traduira pas par un service traduisant une rupture sur le plan de l’innovation. Pour la masse de la population, en effet, la 5G ne sera pas disponible avant quatre ou cinq ans.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Ce sera pour 2020, au mieux !

M. Bruno Retailleau. Voilà pour les conséquences sur les télécommunications, mais il faut parler aussi des conséquences sur l’audiovisuel.

Madame la ministre, vous êtes responsable de ce secteur. Vous vous apprêtez à lui retirer environ un tiers de la ressource spectrale, pour l’affecter aux communications électroniques.

M. Bruno Retailleau. À mon sens, ce transfert est possible. J’y suis même favorable, mais pas dans n’importe quelles conditions.

Vous le savez aussi bien que moi : en France, tout le système de financement et de régulation de la création audiovisuelle et cinématographique repose sur cette pointe de diamant qu’est l’assignation de fréquences hertziennes à titre gratuit, en contrepartie du respect d’un cahier des charges qui comporte des obligations en termes de création et de quotas.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Certes !

M. Bruno Retailleau. On ne saurait donc réduire à une petite opération technique ce transfert de 30 % de la ressource spectrale. Ce chantier mérite que l’on y accorde un minimum d’importance.

Deux multiplex, pour lesquels des opérateurs privés disposent de contrats, vont cesser d’exister. Ces contrats devront être rompus brutalement, avant leur échéance, par décision de l’État. Il est donc impératif de prévoir une indemnisation.

Conséquences sur les télécommunications, conséquences sur l’audiovisuel, mais conséquences aussi sur les foyers français : des centaines de milliers, voire plusieurs millions d’entre eux seront en effet exposés à un risque d’écran noir.

Par ailleurs, notamment dans les régions frontalières, des problèmes de brouillage liés au calendrier international risquent d’apparaître. Des centaines de milliers de foyers seront sans doute contraints à un rescan, qui oblige à rechercher les fréquences à deux ou trois reprises.

En outre, nous évoquerons dans quelques instants les foyers recevant la télévision numérique par satellite : l’adaptateur satellite coûte bien plus cher que l’adaptateur nécessaire pour modifier le mode de réception par antenne râteau.

Madame la ministre, nous sommes désireux d’améliorer ce texte. J’en suis certain, les différents rapporteurs travaillent, eux aussi, dans cet état d’esprit. J’espère que nous pourrons aboutir, peut-être en commission mixte paritaire, à un consensus. M. Assouline a lui-même employé ce terme il y a quelques instants : ne serait-ce que pour nous avoir permis de l’entendre prononcer ce mot, ce débat aura été intéressant ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Madame la ministre, vous l’aurez compris, selon nous, le présent texte doit encore être amélioré, et ce sur quatre points, sur lesquels chacun peut nous rejoindre, car ils n’emportent pas d’adhésion de nature partisane.

Le premier point, c’est la couverture du territoire.

M. Daniel Raoul. Réel problème !

M. Bruno Retailleau. À ce titre, je vous l’avoue, nous avons été choqués en lisant l’article 7.

Cet article biffe d’un trait le double objectif d’une couverture de 95 % de la population au niveau national et de 91 % par département, précédemment défendu par votre serviteur, puis inscrit par le Sénat dans la loi relative à la modernisation audiovisuelle et à la télévision du futur.

Le Gouvernement ne peut demander au Sénat d’avaliser une telle disposition et d’envoyer un tel signal.

Certains m’opposeront qu’à l’époque seules les chaînes historiques étaient concernées et que, ces dernières ayant depuis passé des conventions avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui reprennent ces pourcentages, la loi pourrait ne pas prévoir de leur imposer expressément cette contrainte.

Non, chers collègues, car, et vous le savez parfaitement, certains opérateurs historiques privés n’attendent qu’une chose : fermer plusieurs centaines d’émetteurs afin de dégager des économies.