M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Veuillez m’excuser, monsieur le président, mais je développe mon argumentation, car il n’échappe à personne que le débat va être porté devant le Conseil constitutionnel par la suite.

Pour l’ensemble de ces raisons de fond, propres à faire douter de la conformité à la Constitution du texte et de la procédure suivie, je vous proposerai d’opposer à ce projet de loi une exception d’irrecevabilité.

Je suis tout à fait conscient que certaines des questions abordées par ce texte méritent un examen urgent. Toutefois, je note que plusieurs propositions de loi, dont celle déposée par notre collègue Catherine Troendlé et cosignée par une petite centaine de sénateurs, pourraient faire l’objet d’une inscription rapide à l’ordre du jour pour tenter d’apporter une réponse solide, respectant nos principes constitutionnels, à ce dramatique problème, dont, je le rappelle, il n’était nullement question dans le texte d’origine. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions – M. François Fortassin et Mme Esther Benbassa. applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine di Folco.

Mme Catherine di Folco. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quelle surprise de devoir se retrouver, en nouvelle lecture, pour un texte de transposition de directives, qui, lors de son passage au Sénat en premier examen, ne posait aucune difficulté !

À l’époque, notre ancien collègue Jean-René Lecerf, tout en regrettant que cet exercice soit trop souvent réalisé dans l’urgence d’un calendrier imposé sous peine de sanctions, avait rappelé que ce texte mettait en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires au sein de l’Union européenne, transposant ainsi trois décisions-cadres adoptées en matière pénale.

En cela, ce texte présente donc une utilité pour nos concitoyens, et nous y souscrivons puisqu’il garantira aux Français, s’ils sont poursuivis ou condamnés dans un autre État membre, de pouvoir revenir en France se soumettre à la mesure de contrôle judiciaire ou de probation prononcée contre eux, sous condition de réciprocité, bien entendu.

Sans revenir sur le fond des dispositions transposées, je m’attacherai à évoquer devant vous le dévoiement de la procédure parlementaire auquel nous devons faire face aujourd’hui, et que nous dénoncerons devant le Conseil constitutionnel.

Je veux parler ici de l’ajout par l’Assemblée nationale, en première lecture, qui fut d’ailleurs la seule et unique lecture, puisque la procédure accélérée a été engagée, de vingt-huit articles additionnels, qui ne sont rien de moins que des cavaliers législatifs. Certes, le Sénat avait déjà ajouté cinq articles, mais il l’avait fait dès le premier passage du texte devant le Parlement, permettant ainsi à l’Assemblée nationale d’exercer sur eux un droit de regard.

Nous contestons la procédure employée pour l’ajout de ces vingt-huit mesures par l’Assemblée nationale, car le Sénat n’a pas eu la possibilité d’examiner ces dispositions nouvelles, du fait de l’engagement de la procédure accélérée, qui devient d’ailleurs une habitude pour le Gouvernement.

Nous contestons d’autant plus cette démarche que les articles additionnels en question ne sont pas des dispositions de transposition de directives. Ils sont donc sans aucun lien avec l’objet du texte. Du reste, la magistrale, mais quelque peu acrobatique démonstration de notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui a tenté de raccrocher certains articles à d’autres directives afin de légitimer la manœuvre du Gouvernement, n’a pas convaincu, mardi matin, la commission des lois, laquelle a majoritairement suivi M. le rapporteur.

Or certains de ces articles portent des réformes lourdes sur les plans politique et juridique. Il conviendrait donc de les traiter dans le cadre de l’examen de propositions de loi spécifiques : M. le rapporteur a évoqué celles qui ont été déposées par lui-même, par nos collègues Catherine Troendlé ou Jean-Pierre Sueur.

Certaines dispositions ne sont pas opportunes, tandis que d’autres sont constitutionnellement contestables. Il en est ainsi de la sur-amende prévue à l’article 4 quater, ou encore de l’information de l’autorité administrative sur les procédures judiciaires en cours, prévue à l’article 5 septdecies A.

Alors, oui, le groupe Les Républicains soutiendra la motion présentée judicieusement par le rapporteur, afin de préserver les droits du Sénat et le bicamérisme, garant de l’équilibre des pouvoirs.

Le Sénat est un maillon fort de nos institutions, comme nous le constatons jour après jour, qu’il s’agisse des collectivités territoriales, par exemple pour éviter la liquidation institutionnelle – voulue par le Gouvernement – de la ruralité, ou des sujets touchant aux libertés individuelles, lorsqu’il se fait le rempart contre les abus auxquels pourrait ouvrir la voie le texte sur le renseignement.

Oui, nous voulons jouer pleinement notre rôle institutionnel ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, il arrive souvent que le Sénat joue un rôle très positif dans l’élaboration d’un certain nombre de textes. Ce fut le cas récemment avec le projet de loi NOTRe, qui a été considérablement amélioré à la suite des travaux de la commission mixte paritaire.

Il arrive aussi que, pour certaines raisons, le Sénat décide de ne jouer finalement aucun rôle dans l’élaboration d’un texte. Ainsi, en l’occurrence, le vote de l’exception d’irrecevabilité aura pour conséquence mécanique de renvoyer le présent projet de loi devant l’Assemblée nationale, qui reprendra intégralement sa version. Le Conseil constitutionnel décidera donc in fine.

Mes chers collègues, je vais reprendre les différents arguments qui ont été exposés de manière très claire et pédagogique par notre rapporteur, François Zocchetto.

Deux sujets sont principalement en cause.

Le premier, ce sont les vingt-huit articles – je parlerai de vingt-sept d’entre eux – qui ont été introduits à l’Assemblée nationale, sur l’initiative du rapporteur, Dominique Raimbourg, dont je tiens à souligner ici la sagesse et la connaissance approfondie qu’il a du droit. Ses propositions vont assurément, pour la plupart d’entre elles, dans le bon sens.

Bien sûr, la question est de savoir si elles sont à leur place puisque, comme l’a dit M. le rapporteur, elles n’ont pas de rapport direct avec ce texte, qui transpose des directives européennes.

Je suis d’accord avec cette argumentation pour treize de ces dispositions.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est déjà pas mal !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est pourquoi j’ai déposé, tant en commission qu’en séance publique, au nom du groupe socialiste et républicain, des amendements de suppression de ces dispositions, et je ne crois pas utile, en cet instant, de m’appesantir sur ce point, désormais parfaitement clair.

En revanche, il m’est apparu que d’autres dispositions se situaient dans le droit fil de directives européennes qui peuvent légitimement être transposées.

Il en est ainsi de l’article 4 quater A, relatif à l’information de la victime sur les possibilités de saisir le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions d’une demande d’aide au recouvrement. Cette mesure est directement liée à la directive « Victimes ».

Il en est de même pour l’article 5 bis A, relatif à la protection des témoins dans les audiences pour criminalité organisée ou crime contre l’humanité et au maintien de la compétence de la cour d’assises de Paris en cas d’appel dans les dossiers de crime contre l’humanité. Là aussi, nous sommes directement dans le champ d’application de la directive « Victimes ».

Par ailleurs, l’article 5 septdecies A, relatif à l’information des administrations par les parquets, est directement lié à l’application de la directive du 20 novembre 2013 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

De même, mes chers collègues, il est facile d’arguer – je m’en dispenserai, afin de ne pas allonger nos travaux – que les articles 5 septdecies B, 5 septdecies C et 5 septdecies D sont également liés à l’application de la directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

Voilà donc une série d’articles que nous pouvons adopter sans que cela pose de problème de constitutionnalité.

Nous pouvons adopter pour la même raison l’article 5 septdecies, qui actualise la référence à une directive européenne facilitant l’échange transfrontalier d'informations concernant les infractions en matière de sécurité routière.

Quant à l’article 5 quaterdecies, relatif à la prise en compte de la surpopulation carcérale dans l’octroi des réductions de peine, il est une conséquence de l’arrêt du 20 janvier 2005 de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a considéré qu’il y avait là une question de répression de la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, rejoint en cela par une recommandation du Conseil de l’Europe sur les règles pénitentiaires.

J’en viens à l’article 4 quater, relatif à la contribution pour l’aide aux victimes assise sur le montant des amendes pénales et douanières. La disposition qui avait été introduite dans la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a été censurée par le Conseil constitutionnel. Cet article prévoit un dispositif qui tient compte des observations formulées par le Conseil constitutionnel. En outre, il est directement lié à la directive « Victimes ».

En tout état de cause, je vois mal comment le Conseil constitutionnel pourrait censurer le fait qu’on tire les conséquences d’une de ses décisions !

L’article 5 decies, relatif aux délais d’examen des appels et pourvois en cassation contre une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, fait suite à la demande de la Cour de cassation formulée dans son rapport annuel et à une décision du Conseil constitutionnel en date du 29 janvier 2015, consécutive à une question prioritaire de constitutionnalité. Là encore, on ne comprendrait pas que le Conseil constitutionnel reproche au législateur d’appliquer l’une de ses décisions.

Je mentionnerai enfin la disposition relative aux sanctions pénales applicables en matière de financement des partis politiques. Il y a eu là une erreur, dont la responsabilité est très largement partagée, car aucun sénateur, aucun député, aucun membre du Gouvernement n’a perçu que la loi comportait une imperfection puisqu’elle ne prévoit pas de sanctionner le financement, pourtant prohibé, d’un parti politique par une personne morale.

M. Jean-Pierre Sueur. Et vous avez bien vu, cher Pierre-Yves Collombat, que l’avocat de la famille Le Pen s’était engouffré dans cette brèche !

Qui niera la nécessité de rétablir ce qui était l’intention évidente du législateur et qui est très largement approuvé par les membres du Parlement ? C’est ce que propose Dominique Raimbourg dans cet article.

Il est exact que j’avais déposé une proposition de loi en ce sens ; si cette modification était adoptée à la faveur de ce texte, la loi se trouverait simplement corrigée dans un délai plus rapproché.

Telles sont les raisons, mes chers collègues, pour lesquelles il m’apparaît que, si un certain nombre – non négligeable – d’articles doivent être supprimés, comme nous l’avons logiquement proposé en commission et comme nous sommes prêts à le proposer de nouveau, un certain nombre – également non négligeable – d’articles nous paraissent justifiés, soit parce qu’ils sont directement en rapport avec des directives européennes, soit parce qu’il s’agit de l’application de décisions du Conseil constitutionnel, soit parce qu’il convient de rectifier le plus promptement possible une erreur du législateur.

J’en arrive au dernier point, qui est très important, qui a été évoqué longuement par MM. les secrétaires d’État et par M. le rapporteur. Il s’agit de la transmission d’informations dans des cas extrêmement sensibles, tout particulièrement en ce qui concerne la protection des mineurs vis-à-vis de personnes ayant commis des actes relevant de la pédophilie.

Première interrogation : est-il légitime d’aborder cette question dans ce texte ?

Vous avez expliqué que non, monsieur le rapporteur, en avançant des arguments que nous avons entendus. Je considère pour ma part que, d’un point de vue purement juridique, il est pertinent de traiter ici de ce sujet dans la mesure où il relève explicitement de la directive européenne du 20 novembre 2013 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Cette directive comporte un point 39 où il est dit notamment : « ‘En cas de doute justifié, l’État membre d’accueil peut exiger des autorités compétentes d’un État membre une confirmation du fait que l’exercice de la profession en question par le demandeur n’est pas suspendu ou interdit en raison d’une faute professionnelle grave ou d’une condamnation pour infraction pénale liée à l’exercice de l’une ou de l’autre de ses activités professionnelles. »

Voilà pourquoi il nous paraît légitime de traiter de ce sujet dans ce texte de loi.

Pour ce qui est de la disposition elle-même, je dirai que, après une longue réflexion et un travail approfondi, messieurs les secrétaires d’État, pour les raisons exposées par M. Zocchetto, nous n’avons pas souscrit à la première version de l’amendement du Gouvernement adopté par l’Assemblée nationale, qui n’a pas été adopté en commission mixte paritaire – François Zocchetto a, alors, parfaitement exposé les raisons de notre désaccord – et que nous n’approuvons pas non plus totalement à la version résultant de l’amendement déposé par le Gouvernement en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale.

En revanche, nous souscrivons à la rédaction présentée par le rapporteur de l’Assemblée nationale à la commission des lois, lors de la réunion qui a suivi la commission mixte paritaire. Cette version nous semble, en effet, atteindre au meilleur équilibre entre trois principes d’égale importance : la protection des mineurs, la présomption d’innocence, le secret de l’instruction et de l’enquête.

De plus, selon la version proposée par Dominique Raimbourg et retenue par la commission des lois de l’Assemblée nationale, et que je reprends dans l’amendement présenté au nom du groupe socialiste, en cas de condamnation définitive, l’information doit évidemment être fournie, c’est évident, mais aussi dans le cas que vous avez relevé, monsieur le rapporteur, d’une mise en examen sur la base de faits graves et concordants, permettant au juge de considérer qu’il est judicieux de transmettre l’information.

En revanche, et contrairement à la position défendue par le Gouvernement à l’Assemblée nationale lors de la nouvelle lecture, nous ne pensons pas qu’il soit fondé en droit d’instaurer cette procédure lorsqu’il y a simplement garde à vue, voire enquête. Il nous apparaît clairement que cela ne respecterait pas le principe de la présomption d’innocence.

Monsieur le rapporteur, si l’amendement que j’ai déposé sur ce sujet est adopté – bien sûr, je n’ignore pas que cette adoption est, à ce stade, tout à fait hypothétique (M. le rapporteur sourit.) –, nous obtiendrons une rédaction quasiment identique à celle de la commission des lois de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, et propre à répondre aux principaux contre-arguments que vous avez énoncés.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, nous voterons contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui sera défendue tout à l'heure.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en nouvelle lecture, le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.

Ce texte avait initialement pour objet de transposer en droit interne trois décisions-cadres issues du programme de Tampere de 1999 : celle du 27 novembre 2008 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements et aux décisions de probation aux fins de surveillance des mesures de probation et des peines de substitution ; celle du 23 octobre 2009 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu’alternatives à la détention provisoire ; enfin, celle du 30 novembre 2009 relative à la prévention et au règlement des conflits de compétence dans le cadre des procédures pénales.

Ces décisions-cadres visent le même objectif : faciliter l’exécution en France de décisions prises dans d’autres États membres imposant un contrôle judiciaire ou une peine assortie d’obligations ou d’injonctions, et, inversement, permettre l’exécution de semblables mesures prises en France dans un autre État membre.

Sous l’impulsion du rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Dominique Raimbourg, le champ d’application du texte a été largement élargi, et ce dans trois nouvelles directions : la correction d’erreurs dans notre droit, l’aménagement des peines et les droits des victimes.

J’ai déjà eu l’occasion de dire dans cet hémicycle l’attachement du groupe écologiste à une refonte globale des procédures d’enquête et d’instruction qui soit conforme aux principes énoncés par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme. Toutefois, je veux saluer ici le travail de nos collègues députés, au premier rang desquels les écologistes, qui ont contribué à ce que ce texte contienne de véritables avancées et garantisse mieux certains droits.

Ainsi, nous nous félicitons de l’adoption de mesures telles que la possibilité de domiciliation des victimes chez un tiers au moment du dépôt de plainte, ou encore la facilitation du recours aux peines alternatives que sont le sursis avec mise à l’épreuve et la contrainte pénale.

Il faut toutefois nous rendre à l’évidence : cet enthousiasme est loin d’être partagé, tant au sein de notre commission des lois que sur les bancs de cet hémicycle. Ce n’est d’ailleurs rien de moins qu’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui, sur l’initiative de notre rapporteur François Zocchetto, a été adoptée mardi dernier par notre commission.

Il semble que les motivations des auteurs de cette motion et les raisons qui ont conduit à l’échec de la commission mixte paritaire se rejoignent. En effet, notre rapporteur considère que « l’insertion par les députés de vingt-huit articles additionnels n’ayant pas pour objet, à l’exception de l’un d’entre eux, de transposer de tels textes européens apparaissait contraire aux dispositions de l’article 45 de la Constitution sur le droit d’amendement. L’introduction de ces “cavaliers législatifs”, dont certains n’apparaissent, au surplus, pas opportuns sur le fond, a donc conduit la commission des lois à relever un premier motif d’inconstitutionnalité. »

Un autre point de crispation, qui a suscité des débats houleux, tant sur les bancs de l’Assemblée nationale qu’au sein de la commission mixte paritaire, est l’introduction, par le Gouvernement, de l’article 5 septdecies A relatif à l’information des employeurs en cas d’infraction liée à la pédophilie. Cette mesure, prise à la suite de plusieurs affaires de pédophilie ayant mis en cause des enseignants ou des professionnels exerçant leur activité au contact de mineurs, pose le difficile problème de l’équilibre entre l’impératif de protection des mineurs et l’indispensable respect du principe constitutionnel de présomption d’innocence.

Toutes ces mesures sont capitales, en premier lieu pour les victimes, mais, malheureusement, nous n’en débattrons probablement pas. La motion sera, selon toute vraisemblance, adoptée d’ici à quelques minutes, et le texte sera définitivement voté dans l’après-midi par nos collègues députés, sans que nous, sénateurs, ayons pu ne serait-ce que discuter du fond du projet de loi. Je le regrette, et ce d’autant plus que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale contient, j’en suis convaincue, de véritables avancées, notamment en matière de droits des victimes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la nouvelle lecture de ce projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne est soumise à notre assemblée après l’échec de la commission mixte paritaire du 17 juillet dernier.

Ce texte transpose avant tout des décisions-cadres et des directives de l’Union européenne que nous aurions dû transposer en 2011 et 2012 dans notre droit pénal : la reconnaissance mutuelle des décisions de probation, afin de rendre celles-ci applicables dans n’importe quel pays européen, indépendamment de l’État qui les a prononcées, la reconnaissance mutuelle des mesures de contrôle judiciaire alternatives à la détention provisoire, et, enfin, la prévention et le règlement des conflits lorsqu’un État ayant ouvert une procédure pénale a des raisons de penser que la même procédure peut être ouverte dans un autre État.

Ces dispositions visent essentiellement à assurer l’égalité entre les citoyens européens, quel que soit leur État d’appartenance, de façon que les décisions judiciaires puissent être appliquées automatiquement dans l’État de résidence, s’il n’a pas pris la décision, ou dans un autre État, sous réserve de l’accomplissement d’une formalité préalable par l’équivalent de notre parquet. Il s’agit également de renforcer la protection des victimes en instaurant des normes minimales de droits et de soutien.

Depuis le début de son examen par le Sénat, en novembre 2014, après engagement de la procédure accélérée, ce projet de loi a été « enrichi » : vingt-huit articles ont été ajoutés au texte initial.

Sur le fond, nous soutenons les articles qui tendent à assurer la mise en œuvre de l’encellulement individuel en favorisant les solutions de substitution à l’emprisonnement et la personnalisation des peines. Nous soutenons également les dispositions renforçant les droits des victimes et, plus largement, l’aide aux victimes. À cet égard, nous saluons le principe d’une majoration de 10 % des amendes contraventionnelles, correctionnelles, criminelles et douanières au profit de l’aide aux victimes.

Cependant, si ces vingt-huit nouveaux articles ne posent pas de difficultés particulières quant à leur contenu, nous regrettons que l’Assemblée nationale ait considérablement modifié le périmètre initial du texte, qui est passé de huit à quarante et un articles. Cette modification porte atteinte aux prérogatives du Sénat, a fortiori s'agissant d’un texte examiné en procédure accélérée, et s’oppose à l’article 45 de la Constitution, dans la mesure où les vingt-huit articles ajoutés n’ont pas de lien avec le texte initial.

Parmi les nouvelles dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, l’une d’elles a été introduite par voie d’amendement gouvernemental en séance publique. C’est cette disposition qui fait l’objet d’un désaccord majeur et infrangible entre nos deux chambres. L’article en cause, l’article 5 septdecies A, vise à systématiser la transmission aux autorités administratives compétentes, par le parquet, d’informations sur les faits délictueux reprochés à une « personne exerçant une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs ».

Cet article prévoit que les autorités judiciaires pourront ou devront informer les autorités administratives compétentes pour le contrôle des personnes exerçant des activités auprès des mineurs des procédures mettant en cause ces dernières lorsqu’il s’agit d’infractions graves, commises contre des mineurs ou de nature sexuelle. L’information sera obligatoire en cas de renvoi devant une juridiction, de mise en examen ou de condamnation pour certaines infractions, dont l’article établit la liste. Elle sera laissée à l’appréciation du parquet pendant la période de l’enquête ou s’il s’agit d’une infraction ne figurant pas dans la liste.

Tout l’enjeu consiste à trouver le juste équilibre entre, d'une part, le secret de l’enquête, de l’instruction et du délibéré, et, d'autre part, la présomption d’innocence, à laquelle nous sommes toutes et tous attachés.

La difficulté majeure du dispositif est qu’il prévoit une possibilité de transmission de l’information au moment de l’enquête. Or, à ce stade, bien en amont de l’établissement formel de la culpabilité, et donc du prononcé du jugement, il convient de prendre toutes les précautions nécessaires. Des garanties précises doivent être prévues – des indices suffisamment graves doivent avoir été recueillis –, compte tenu des conséquences catastrophiques que provoquerait la transmission d’informations si la culpabilité n’était pas avérée ; M. le rapporteur l’a souligné.

Bien entendu, nous souscrivons à la volonté de renforcer le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des activités ou professions impliquant un contact avec les mineurs. Il est nécessaire de combler les vides juridiques, afin de renforcer les échanges d’information entre la justice et les administrations, dans le souci de protéger les enfants.

Cependant, il est impératif de respecter les principes des droits de la défense : chaque personne mise en cause doit être informée des pièces et informations transmises à son sujet, et ce d’une manière contradictoire. Il s’agit là de garanties introduites par la commission des lois de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Ces garanties sont toutefois insuffisantes. Le dispositif proposé contrevient à la présomption d’innocence, standard du droit pénal international, qui constitue, je vous le rappelle, mes chers collègues, à la fois un principe à valeur constitutionnelle, depuis 1789, et un principe à valeur conventionnelle, puisqu’il figure dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Nos réserves sur cette question difficile, ainsi que sur la méthode adoptée par le Gouvernement et l’Assemblée nationale, nous conduisent à être sensibles aux arguments avancés à l’appui de la motion d’irrecevabilité que notre rapporteur va nous présenter, et sur laquelle nous ferons une brève explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce qui caractérise les réactions au projet de loi qui nous est proposé, c’est d'abord l’étonnement.

En effet, nous voyons qu’un simple texte de transposition de trois directives, composé de huit articles et ayant pour objet de renforcer substantiellement la coopération judiciaire en matière pénale et de garantir l’exercice effectif des droits des nationaux, s’est transformé – il ne s’agit pas de génération spontanée ! – en un véhicule législatif porteur de quarante et un articles sans lien direct avec son objet premier, et dont certains nous paraissent particulièrement contestables. Comme cela a été dit en commission des lois, cette mutation, qui ne respecte aucunement les règles constitutionnelles basiques du débat parlementaire, est inacceptable tant sur le fond que sur la forme.

La procédure accélérée avait été engagée par le Gouvernement du fait de l’arrivée à échéance du délai de transposition ; un tel comportement n’est propre ni à ce texte ni à ce gouvernement. La transposition des directives-cadres, qui devait être effective avant le 1er décembre dernier, résulte d’une nécessité logique inhérente au principe de reconnaissance mutuelle : celui-ci ne peut fonctionner si les États membres concernés n’ont pas correctement mis en œuvre les instruments dédiés.

Trois avancées procédurales majeures, attendues par nos concitoyens, étaient proposées : la consolidation du principe non bis in idem et la reconnaissance, d'une part, des décisions relatives à la probation et aux peines de substitution, et, d'autre part, des décisions relatives à des mesures de contrôle judiciaire.

Ces dispositions, qui vont dans le sens d’une intégration toujours croissante des droits matériels et dont nous avions souligné le caractère ambitieux, ont, pour la majeure partie d’entre elles, été adoptées de manière conforme par l’Assemblée nationale. Ce ne sont pas celles qui nous préoccupent et qui expliquent que, en ce 23 juillet, nous échangions à nouveau sur projet de loi.

Lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a introduit des dispositions, dont certaines, je l’ai souligné, sont très contestables, au mépris – il faut le dire, monsieur le secrétaire d'État – du bicamérisme, auquel nous vous savons pourtant très attaché personnellement, puisque vous avez été député et sénateur ; vous êtes l’exemple type du parlementaire ayant connu et aimé nos deux assemblées ! (M. le secrétaire d'État sourit.)

Ces dispositions ont été introduites, disais-je, au mépris du bicamérisme et du débat démocratique, dans une matière qui est loin d’être anodine, car elle soulève des questions de principe : la procédure pénale. Elles appellent, pour nous, plusieurs sortes de commentaires.

L’article 5 septdecies A fait suite à l’ « affaire de Villefontaine ». Or la création législative française en matière de droit pénal a été très prolixe, tout autant que brouillonne, ces dernières années. Monsieur le secrétaire d'État, je me souviens de ce que nous disions ensemble – vous étiez alors sénateur – de certaines lois d’un précédent gouvernement : nous les qualifiions de « lois médiatiques », adoptées en réaction à des faits divers ; l’une d’entre elles avait par exemple été votée à la suite de morsures de chien…

Vous vous éleviez, plus encore que moi, contre ces lois médiatiques ! Je vous vois cependant, aujourd'hui, faire comme les gouvernements d’avant 2012. Vous me répondrez peut-être que c’est l’exercice du pouvoir qui l’exige, mais ce qui n’était pas bon il y a trois ans ne saurait le devenir aujourd'hui. Je m’efforce pour ma part de faire preuve de constance dans mes positionnements.

Cette politique pénale réagissant à l’actualité est la partie émergée, publique, d’un iceberg beaucoup plus important : l’édifice pénal. Celui-ci doit garder sa stabilité, sans succomber aux assauts du réchauffement de l’actualité, pour un plus grand respect des libertés publiques et de nos concitoyens.

Monsieur le secrétaire d'État, il est nécessaire que l’Assemblée nationale entende la sagesse du Sénat. Le procédé qui a été utilisé n’est pas bon. Il existe d'ailleurs des risques d’inconstitutionnalité, voire d’inconventionnalité. À tout le moins, si le texte était adopté en l’état, il aurait des conséquences inacceptables, tant sur le plan des principes que pour la vie de nos concitoyens.

Quant à la suramende destinée à financer l’aide des victimes – j’en terminerai sur ce point –, le projet de loi prévoit qu’elle sera calculée à partir du montant des amendes pénales et des sanctions pécuniaires prononcées par certaines autorités administratives indépendantes.

Ce matin, en compagnie notamment de notre excellent collègue Pierre-Yves Collombat, je participais aux travaux de la commission d’enquête sur les autorités administratives indépendantes, dont je suis le rapporteur, et dans le cadre de laquelle nous organisons en ce moment des auditions chaque semaine.

Or vouloir financer l’aide des victimes au moyen de la suramende prononcée par l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, ou l’Autorité de la concurrence, c’est tout de même une drôle d’idée, monsieur le secrétaire d’État !